L'Académie nouvelle

Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
L'Académie nouvelle

Forum d'archivage politique et scientifique


    Michel Malherbe, Husserl critique de Berkeley

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
    Admin


    Messages : 19627
    Date d'inscription : 12/08/2013
    Localisation : France

    Michel Malherbe, Husserl critique de Berkeley Empty Michel Malherbe, Husserl critique de Berkeley

    Message par Johnathan R. Razorback Sam 9 Déc - 20:17



    "Dans la première phénoménologie, celle des Recherches logiques l'empirisme est davantage une couche qui affleure dans les théories psychologiques du XIXe siècle, lorsque la phénoménologie de la fin s'arrache laborieusement aux analyses de Brentano, Meinong, Stumpf et d'autres. Après les Ideen, l'empirisme classique est approché pour lui-même et devient dans l'histoire du motif qui conduit à la phénoménologie transcendantale ce moment où est produite la critique radicale de l'expérience interne, critique qui ouvre le champ de la phénoménologie transcendantale, mais qui reste prévenue par son naturalisme sensualiste. Mais, que les préjugés empiristes par son naturalisme sensualiste de fournir une théorie satisfaisante empêchent le psychologisme des objets logiques, qui sont des formes idéales, ou qu'au contraire l'empirisme soit loué d'avoir affranchi la philosophie de l'objectivisme, sur la sphère d'immanence su reconnaître la structure en portant son attention de la conscience, sans cependant avoir du vécu, dans les deux cas, l'empirisme intentionnelle est pour Husserl un interlocuteur actif." (p.355)

    "Berkeley, selon cette vue, actualise les tendances de la philosophie lockienne, qu'il s'agisse de la théorie de l'abstraction ou de la théorie immanente de l'idée ; par là même, il amorce le radicalisme de Hume, sans toutefois atteindre la rigueur critique de ce dernier." (p.356)

    "Par sa critique du réalisme psychologique de Locke, Berkeley est la première des réseaux figure du nominalisme moderne qui, dans son principe, refuse les objets généraux en tant qu'espèces et les actes de représentation dans lesquels ces objets sont visés par la pensée.

    La Seconde Recherche logique est principalement occupée par la réfutation des théories de l'abstraction, toutes empiristes, et elle s'attache à confirmer un résultat déjà acquis dans les analyses de la première recherche sur la signification : elle établit que l'idéalité des unités de signification, idéalité tenant au caractère d'identité reproductible de ces unités, peut être actualisée ; il est de l'essence même de toute unité de signification qui, dans les énoncés, porte la visée de l'objet, de pouvoir à son tour être visée comme telle, à titre d'espèce. Par une modification intentionnelle la conscience passe de la visée d'objets individuels instantanée, à la visée d'objets généraux. Par exemple, le moment « rouge », dans lequel je vise et pense cet objet individuel qu'est la maison rouge, peut devenir lui-même l'objet de la pensée, comme espèce « rouge ».

    Ainsi, « les objets idéaux existent vraiment ». Ce ne sont assurément pas, en raison même de leur idéalité, des essences réelles existant hors de la pensée. Et Locke est fondé à combattre le réalisme platonicien qui traite métaphysiquement des essences. Cependant, dit Husserl, sa critique se trompe de cible : au lieu de dénoncer le réalisme de la métaphysique, Locke nie que les espèces soient des objets intentionnels que la conscience de généralité serait apte à poser hors d'elle, et il réduit les essences idéales à n'être qu'un contenu réel intérieur à la conscience, obtenu par un pouvoir psychique d'abstraction. Son naturalisme psychologique le conduit à réaliser dans la conscience les espèces, à ne point comprendre la structure intentionnelle des actes de conscience, et ainsi à manquer le caractère idéal des unités de signification et des formes logiques.

    Berkeley conteste donc légitimement que les idées générales puissent être dans l'esprit. Mais il en conclut à tort que, puisqu'il n'y a pas d'idées générales dans l'esprit, il n'existe pas d'objets ou d'essences idéales. Dans sa critique de l'Essai, il conserve l'erreur fondamentale de Locke, qui consiste à traiter les espèces comme des réalités psychiques, comme des moments réels du contenu de la conscience : prouvant à juste titre que de tels moments réels ne peuvent être que des moments psychiques toujours particuliers, l'Introduction tire la fausse conséquence que, ne saisissant jamais que des idées particulières, la conscience est impuissante à viser la généralité comme telle, dans les espèces et les genres.

    En un mot, Berkeley est aveugle au sens de sa propre critique, et, tout autant que le réalisme de Locke, son nominalisme hypostasie psychologiquement les unités de signification, interdisant ainsi qu'elles puissent être actualisées comme objets idéaux. C'est pourquoi, l'essentiel de la critique que Husserl adresse à Locke pourrait être répété contre Berkeley: d'une part, le même réalisme conduit à identifier l'idée et l'objet visé par la conscience, la différence entre les deux auteurs étant que ce qui est chez l'un une confusion chargée d'incertitudes devient chez l'autre la thèse affichée de l'immatérialisme d'autre part, et c'est là sans doute la faute originelle, tant Berkeley que Locke mêlent dans l'idée les caractères objectifs avec le contenu immanent qui constitue le noyau sensible de l'acte de représentation, et, par empirisme, ils entretiennent un sensualisme qui interdit que puisse être comprise la structure intentionnelle des vécus de conscience ; enfin, les deux philosophes se montrent incapables de distinguer le phénomène même, la représentation intuitive (l'idée comme apparaître) et la représentation  de signification dans laquelle se constitue la visée d'objet." (pp.357-358)

    "Husserl cite le texte de l'Essai dans lequel Berkeley pense trouver, sous la forme d'un aveu de la part de Locke, la preuve que les idées abstraites n'existent pas, puisqu'elles sont contradictoires.

    Locke déclare :

    « Par exemple, ne faut-il pas de la peine et de l'habileté pour former l'idée générale de triangle (qui n'est pourtant pas l'une des plus abstraites, des plus compréhensives et des plus difficiles) : car ni elle ne doit être ni obliquangle, ni rectangle, ni équilatérale, ni isocèle, ni scalène, mais à la fois tout cela et rien de cela. En effet, c'est quelque chose d'imparfait qui ne peut exister, une idée dans laquelle des parties de plusieurs idées différentes et inconsistantes sont mises ensemble ».

    Lorsqu'il reproduit ce texte, Berkeley se borne à faire valoir la contradiction d'une telle idée abstraite qui est à la fois tout et rien, et il fait appel à l'évidence que chaque esprit a de ses propres contenus et de ses pouvoirs.

    De façon plus fine, Husserl suggère que Locke bute sur le problème du genre en tant que tel : il est de l'essence logique du genre d'être le genre de ses espèces, de sorte que, si dans la détermination en général n'est pas contenue la détermination du triangle qu'il soit obliquangle, rectangle... est bien contenue cependant la détermination qu'il ait l'une de ces propriétés spécifiques.

    Locke pense se tirer d'affaire en posant qu'à cette idée abstraite dans l'esprit ne correspond aucun triangle général existant et que la contradiction est tolérable dans la mesure où elle est dans l'idée (imparfaite), et non dans la chose. Mais Berkeley a raison de souligner que la contradiction demeure dans l'idée, qui n'est pas moins réelle que la chose. Husserl confirme donc la critique berkeleyenne mais n'affranchit , pas pour autant celle-ci de la difficulté.

    En effet, les embarras de Locke sont ceux d'un réalisme qui ne voit pas que, pensée logiquement, l'essence du triangle est une règle idéale valant a priori pour tout triangle réel. Or la solution de Berkeley, qui consiste à substituer l'idée particulière à l'idée générale, engendre un problème symétrique de celui de Locke. A l'aveu de l'Essai répond celui du § 16 de l'Introduction.

    De ce que je puis démontrer qu'une propriété (par exemple, que la somme des angles est égale à deux droits) convient à un triangle (par exemple, isocèle), il ne s'ensuit pas qu'elle appartienne aux autres triangles particuliers, équilatéral, scalène..., qui ne lui sont pas parfaitement identiques.
    Ne suis-je pas condamné ou bien à faire la démonstration pour chaque triangle ou bien à la faire une fois pour toutes, mais alors pour l'idée abstraite du triangle en général ? Pour se tirer du dilemme Berkeley est contraint de concéder un certain pouvoir d'abstraire: le caractère universel de la démonstration tient à ce qu'elle n'utilise que la propriété du triangle donné (particulier) qui lui est indispensable. L'esprit a la capacité de considérer la seule triangularité dans le triangle isocèle, propriété qui appartient aussi aux autres triangles, et ainsi de restreindre intellectuellement le champ plus large de sa perception. Husserl, qui cite intégralement le § 16, n'a pas de peine à montrer que, pour éviter d'accorder à Locke le pouvoir d'abstraire une idée générale, le « génial évêque de Cloyne » doit attribuer à l'esprit un pouvoir, tout aussi psychique, de ne point considérer tout ce qu'il perçoit. Cette concession fait de Berkeley l'ancêtre de J. Stuart Mill et des théories de l'attention qui prétendent résoudre la question de l'abstraction en faisant appel à la fonction analytique de l'attention : cette faculté distinguerait dans les concreta un caractère particulier, de telle façon que, par l'intérêt exclusif qu'elle lui porte, elle le ferait valoir d'une façon générale.

    Or, ajoute Husserl, quand bien même on accorderait à l'entendement un tel pouvoir de séparation (mais comment l'esprit peut-il, dans la doctrine berkeleyenne, séparer la triangulante de la longueur des côtés ou de la mesure des angles ?), il reste que le caractère distingué est tout aussi particulier que la figure donnée et qu'on ne voit pas comment il peut être pris, du seul fait de l'attention qu'on lui porte, pour les caractères particuliers analogues des autres figures.

    La difficulté demeure entière : une partie d'idée particulière, pas plus que le tout complexe de cette idée, ne peut être l'objet de la démonstration géométrique.

    C'est pourquoi, contre l'empirisme, il faut admettre que tout raisonnement repose sur une conscience de généralité qui vise intentionnellement des objets idéaux, les espèces, les genres et leurs propriétés, lesquels objets prescrivent a priori les distinctions et les séparations auxquelles la conscience peut soumettre les choses réelles particulières." (pp.359-361)
    -Michel Malherbe, "Husserl critique de Berkeley", Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 176, No. 3, BERKELEY (JUILLET-SEPTEMBRE 1986), pp. 355-366.



    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


      La date/heure actuelle est Dim 28 Avr - 4:32