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    Jean-Philippe Guinle, Actualité de la morale hégélienne

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Jean-Philippe Guinle, Actualité de la morale hégélienne Empty Jean-Philippe Guinle, Actualité de la morale hégélienne

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 1 Jan - 16:39



    "Il y a quelque paradoxe à parler d'une actualité de la morale hégélienne en un temps qui est celui de la décomposition, sinon du rejet, des valeurs morales, car si Hegel s'est justement présenté comme l'impitoyable critique de la morale subjective qui aboutit à la négation de toute morale, c'est au nom d'une morale sociale que nos contemporains rejettent tout autant. N'ayant en effet, à la différence de Descartes ou de Kant, apparemment pas élaboré de morale originale, notre philosophe paraît s'être borné, et ceci dès ses premiers écrits, à une critique de la morale kantienne et finalement du subjectivisme en morale, la moralité (Moralität) n'étant que le moment négatif (celui de l'antithèse) de son système juridique et conduisant à la vraie morale, la moralité sociale (Sittlichkeit)." (p.257)

    "Nous voudrions montrer que, loin d'être purement négative pour mieux conduire à une moralité sociale qui serait totalitaire, la critique hégélienne de la moralité subjective n'a d'autre but que de nous aider à prendre conscience de notre liberté véritable, qui se confond dès lors avec ce qu'on pourrait nommer l'évitement du mal, tout le paradoxe de la morale moderne - intrinsèquement liée à la liberté subjective et en cela d'inspiration chrétienne - résidant dans la nécessité de se conformer, avec tous les périls inhérents à la subjectivité et néanmoins seulement à partir d'elle, à l'objectivité rationnelle du bien. Que la manifestation authentique d'une telle liberté n'aille pas sans un rapport au sacré et à la religion, c'est ce que contient en filigrane l'analyse hégélienne de la moralité et que nous mettrons en lumière. Après avoir brièvement montré comment la moralité hégélienne s'insère curieusement dans un système juridique, nous exposerons sa dialectique propre en mettant à part la magistrale étude, souvent évitée par les commentateurs, de ce que l'on pourrait appeler les perversions du droit au savoir, de l'hypocrisie à l'ironie négatrice, et qui marquent les étapes d'une vraie stratégie du mal qui finalement n'est autre que le véritable cancer du subjectivisme." (p.258)

    "Alors que Kant et Fichte avaient tenu à séparer rigoureusement l'aspect contraignant du droit de la liberté de la morale -le second allant d'ailleurs jusqu'à utiliser la maxime de Rousseau « On le forcera à être libre », en faisant de la contrainte juridique la condition de possibilité de la morale - Hegel a finalement cherché [après 1810] à les concilier en profondeur, en faisant de la morale subjective la médiation nécessaire, entre le droit conçu abstraitement comme propriété de l'individu et la moralité sociale telle qu'elle culmine dans l'Etat." (p.258)

    "'Alors que le droit ne recommandait finalement à la personne qu'une abstention (neminem laedere), la morale nous oblige à agir, bref à faire du bien à autrui comme à nous-mêmes, cette obligation étant cependant inséparable d'un droit au savoir." (p.260)

    "S'il est vrai qu'avant même d'apparaître comme un devoir envers autrui, l'action morale apparaît comme un droit, le sujet a tout d'abord le droit de ne se voir imputer que ce qui résulte dans l'action de son propos immédiat. Par ce terme de propos, il faut entendre non seulement l'action elle-même, mais ce qu'elle présuppose comme conditions intérieures et extérieures, car, malgré le propos initial du sujet, l'action, qui implique aussi un monde extérieur, peut aboutir à un résultat que le propos ne contenait pas. En ce dernier cas, précise Hegel, « le droit de la volonté est alors de ne reconnaître (comme sien) dans ce qu'elle produit que ce qui, de l'action (Handlung), figurait dans sa représentation et de n'être tenue pour fautive que de ce qu'elle sait des conditions de son but, ce qui se trouvait dans son propos. Le fait ne peut être imputé que comme faute de la volonté". (p.261)

    "Pour expliquer l'insuffisance du propos, qui peut n'être pas vraiment réfléchi, Hegel remarque que, bien que l'action contienne au premier abord des éléments individuels, ils ne peuvent manquer d'avoir finalement une signification universelle, si bien que « le propos, en tant qu'il vient d'un être pensant, ne contient pas seulement l'individualité, mais également ce côté universel - l'intention ». Etymologiquement V intention (Absicht) est en effet, comme le faisait remarquer Jean Beaufret, l'équivalent du mot grec skopos, c'est-à-dire la vue que l'on se forme d'une chose, et finalement l'universalité qui s'abrite dans sa particularité même. Derrière la simple volonté d'allumer une parcelle de bois il y a, pour un être rationnel, et si certaines conditions sont réunies, l'extension du feu, et, par là même, une volonté universelle d'être incendiaire, dont seul un enfant ou un fou ne seront pas rendus responsables. Toutefois, la considération même de l'intention demeure pour Hegel insuffisante, dans la mesure même où le sujet a le droit le plus absolu de trouver malgré tout dans l'action un intérêt particulier. A cet égard, le skopos qu'est l'intention ne va pas sans lélos (but) et, dans le cas précité de l'incendie, il peut même y avoir, au-delà même d'une intention délibérée de mettre le feu, un mobile parfaitement défendable (cas du contre-feu) et qui donne même au sujet le droit de trouver une satisfaction morale (celle, par exemple, d'arrêter par le contre-feu un incendie ravageur), dans l'action en apparence la plus immorale.

    Mais Hegel va jusqu'à reconnaître que « le sujet a le droit que la particularité du contenu dans l'action, selon la matière, ne lui soit pas extérieure, mais contienne sa propre particularité, ses besoins, ses intérêts et ses buts, lesquels rassemblés dans un seul but constituent son bien-être - c'est le droit du bien-être (Wohl) ».

    La moralité hégélienne qui, en réaction à celle de Kant, se ici dans la tradition de l'eudémonisme aristotélicien, n'est donc nullement incompatible avec la recherche d'un bien-être qui n'a cependant de sens proprement moral que s'il devient, au moins formellement, universel. Tant il est vrai que « le subjectif avec le contenu particulier du bien-être se trouve en même temps, en tant que réfléchi en soi et infini, en relation avec l'universel, la volonté existant en soi », moment qui « posé tout d'abord dans cette particularité même, est le bien-être étendu à autrui - bref, selon une détermination complète, mais tout à fait vide, le bien-être de tous ».

    Dans la mesure cependant où l'universalité même du bien-être n'est tout d'abord que purement formelle, le risque est grand que se produise, même au niveau le plus élevé, une dissociation, inadmissible selon notre philosophe, entre l'intention charitable et les moyens employés : c'est le cas qu'il cite, en le réprouvant, de saint Crépin qui volait du cuir pour faire des souliers aux pauvres.

    C'est qu'à la vérité la morale la plus généreuse ne saurait aller sans danger contre le droit abstrait, le seul cas où ce dernier peut être impunément nié étant celui du droit de détresse (Notrecht) qui, dans l'hypothèse de la légitime défense, m'autorise à aller à la fois contre le droit et la morale en m'attaquant à autrui au risque de le tuer, et met par là même en lumière la contingence du droit et du bien-être qui, parvenus cependant « à leur vérité, à leur identité, mais tout d'abord encore dans un rapport relatif l'un à l'autre, sont le bien, en tant que l'universel accompli, déterminé en soi et pour soi, et la conscience morale, en tant que subjectivité infinie se connaissant en soi et déterminant en soi son contenu »." (pp.262-263)

    "Cette nouvelle étape de la moralité hégélienne signifie que les droits « moraux » que nous venons de dégager -droit d'être finalement jugé sur son intention sans cesser d'avoir le droit de rechercher le bien-être dans les actes les plus altruistes- n'ont de sens que rapportés à un but suprême, à la vérité supérieur à toute appréciation individuelle, et qui n'est autre que le bien. Ce dernier apparaît alors comme une « unité du concept de volonté et de la volonté particulière - dans laquelle le droit abstrait aussi  que le bien-être, la subjectivité du savoir et la contingence de l'existence extérieure sont supprimés en tant qu'indépendants pour soi, mais en même temps y restent contenus et maintenus selon leur essence - c'est la liberté réalisée, le but final absolu du monde ».

    Mais, aussi sublime que soit un tel but, qui ne sera vraiment réalisé que dans l'Etat, où le bien et droit seront identiques, il n'en est pas moins encore besoin de la médiation de sujets pour lesquels l'idée du bien n'est tout d'abord qu'abstraite, c'est-à-dire non encore développée. Le bien a beau être « la vérité de la volonté particulière », cette dernière « n'est que ce qu'elle met en œuvre : elle n'est pas bonne originairement, mais elle ne peut devenir ce qu'elle est que par son travail ». Pour que cela soit possible, il faut toutefois que la volonté possède dès l'abord le droit le plus absolu de savoir - fût-ce d'ailleurs à ce niveau en contradiction avec l'objectivité même - en tant que conscience morale, que ce qu'elle accomplit est le bien et, à cet égard, « le droit de ne rien reconnaître de ce que je ne considère pas comme rationnel est le droit le plus absolu du sujet ».

    Pourtant, dans la mesure même où le sujet ne peut justement réaliser tout d'abord le bien qu'à partir d'une particularité qui ne coïncide pas forcément avec lui, il en résulte que « le bien n'a tout d'abord que la détermination de l'essentialité universelle abstraite - le devoir (Pflicht) », et que, « à cause de cette détermination, le devoir doit être accompli pour le devoir ». La difficulté est plus précisément ici que la pureté même de cette conception du devoir est difficilement compatible avec la légitimité du bien être reconnue plus haut, d'où le passage nécessaire à la sphère supérieure de l'inconditionné du devoir, qui finalement n'aboutit à rien d'autre qu'à un formalisme du devoir, et à nouveau à une vaine rhétorique du devoir pour le devoir dont Hegel ne manque pas de faire grief à Kant, sans cesser de l'admirer d'avoir osé fonder le devoir sur l'autonomie de la volonté.

    Le malheur est pourtant que, si l'on se contente de fonder le devoir sur la pure identité de soi avec soi, n'importe quel contenu particulier (même immoral) peut être érigé en devoir universel ; et si le devoir résulte vraiment, comme le pensait Kant, de la non-contradiction entre des arbitraires individuels - bref sur le  simple accord de tous sur telle ou telle règle sans égard à son contenu - rien n'interdit que cette règle soit parfaitement immorale.

    Devant l'impossibilité du formalisme kantien, que Hegel a d'ailleurs critiqué dès ses premiers écrits, le sujet ne peut alors que se réfugier à nouveau en lui-même, et il remarque ici que, « par suite du caractère abstrait du bien, l'autre moment de l'idée, la particularité en général, tombe dans la subjectivité qui, dans son universalité réfléchie sur soi est l'absolue certitude (Gewissheit) de soi-même en soi, ce qui pose la particularité, ce qui détermine et décide - la conscience (morale) (Gewissen) »í6. Toutefois, par conscience (morale), il faut moins entendre ici la Conscience (au sens du poème de Hugo), que la volonté délibérée d'accomplir le bien sur la base même de la certitude morale (Gewissheit), certitude qu'on est d'autant plus en droit d'avoir de lui que la « conscience (morale) est, en tant qu'unité du savoir subjectif et de ce qui est (bon) en soi et pour soi, quelque chose de sacré qu'il serait criminel de violer ». Le risque est cependant que la certitude abstraite d'un bien rapporté trop exclusivement à soi l'emporte sur sa vérité ; et, après avoir remarqué qu'en tant que pure certitude de soi la conscience morale est finalement aussi destructrice de toute morale que le formalisme kantien, on ne peut que noter avec Hegel que, « dans la pure intériorité de la volonté, la conscience de soi est la possibilité de prendre pour principe tout aussi bien l'universel en soi et pour soi, que l'arbitraire, la particularité propre prédominant sur l'universel, et de réaliser cette dernière dans l'action - bref d'être mauvaise »." (pp.263-265)

    "Devant l'impossibilité du formalisme kantien, que Hegel a d'ailleurs critiqué dès ses premiers écrits, le sujet ne peut alors que se réfugier à nouveau en lui-même, et il remarque ici que, « par suite du caractère abstrait du bien, l'autre moment de l'idée, la particularité en général, tombe dans la subjectivité qui, dans son universalité réfléchie sur soi est l'absolue certitude (Gewissheit) de soi-même en soi, ce qui pose la particularité, ce qui détermine et décide - la conscience (morale) (Gewissen) ». Toutefois, par conscience (morale), il faut moins entendre ici la Conscience (au sens du poème de Hugo), que la volonté délibérée d'accomplir le bien sur la base même de la certitude morale (Gewissheit), certitude qu'on est d'autant plus en droit d'avoir de lui que la « conscience (morale) est, en tant qu'unité du savoir subjectif et de ce qui est (bon) en soi et pour soi, quelque chose de sacré qu'il serait criminel de violer ». Le risque est cependant que la certitude abstraite d'un bien rapporté trop exclusivement à soi l'emporte sur sa vérité ; et, après avoir remarqué qu'en tant que pure certitude de soi la conscience morale est finalement aussi destructrice de toute morale que le formalisme kantien, on ne peut que noter avec Hegel que, « dans la pure intériorité de la volonté, la conscience de soi est la possibilité de prendre pour principe tout aussi bien l'universel en soi et pour soi, que l'arbitraire, la particularité propre prédominant sur l'universel, et de réaliser cette dernière dans l'action - bref d'être mauvaise ».

    Ce caractère potentiellement mauvais de la conscience morale n'est étonnant qu'au premier abord dans la mesure même où, en réalité, le mal n'a jamais cessé de côtoyer la moralité hégélienne, dans laquelle la bonne intention morale s'était transformée en acte répréhensible, de même qu'ici la certitude morale, déjà préfigurée dans le droit au savoir dont il a été question plus haut, se retourne avec d'autant plus de nécessité contre la morale même que cela se produit par la médiation même de la conscience (morale) qui, « en tant que subjectivité formelle, est tout bonnement cela : être sur le point de tomber dans le mal ». Si bien qu'en  pour autant que la certitude abstraite a parfois le pas sur la vraie conscience du bien, « c'est dans la certitude morale de soi-même, existant pour soi, connaissant et décidant pour soi, que la moralité et le mal ont tous deux leur racine commune.

    On notera ici que Hegel n'emprunte pas l'explication du mal à ce qu'il nomme quelque peu dédaigneusement « la représentation religieuse-mythologique », à laquelle il reproche d'introduire le mal de l'extérieur, mais à la profondeur de ce qu'il ose appeler « le mystère, bref l'élément spéculatif de la liberté, la nécessité qui la pousse à sortir de la naturalité de la volonté et à s'opposer à elle comme (liberté) intérieure ». Ce qui est, en effet, la source du mal n'est autre que l'obligation qui s'impose à la liberté de se dédoubler en volonté intérieure et volonté naturelle pour se réaliser ; et il apparaît précisément quand l'intériorité même de la volonté se donne un contenu purement naturel (au sens où la nature n'est pas immédiatement rationnelle) et lors même que, « ni la nature comme telle, c'est-à-dire quand elle n'est pas la naturalité d'une volonté demeurant dans son contenu particulier, ni la réflexion en soi, d'une manière générale la connaissance, si elle ne s'en tenait pas à cette opposition, ne sont pour soi le mal ».

    En tout état de cause, le mal qui consiste, pour la volonté subjective, à ne se donner qu'un contenu purement naturel, n'est pas encore le pire, qui est d'utiliser le droit même qu'elle possède de connaître le bien, comme d'être jugée sur la pureté de ses intentions, pour feindre d'accomplir une bonne action. Elle peut alors proclamer qu'une action « dont le contenu essentiellement négatif est en même temps en elle, en tant qu'elle est réfléchie en soi et que, par conséquent, elle est consciente de l'universalité de la volonté qu'elle lui compare, est bonne pour autrui et pour elle même - pour autrui, c'est l'hypocrisie (Heuchelei) - pour elle même, c'est enfin le point culminant de la subjectivité se posant comme l'absolu ». C'est cette ascension de la volonté subjective vers l'absolu du mal qui la nie au moment où elle se pose comme absolue et la contraint à passer dans la volonté objective de la moralité sociale, qu'il nous faut maintenant aborder." (pp.265-266)

    "Nous venons de montrer comment la pure certitude de soi de la conscience de soi mène nécessairement au mal. Mais le mal lui même possède des degrés, dont le plus immédiat est l'hypocrisie, que Hegel distingue dès l'abord de la simple mauvaise conscience [...] Alors que cette dernière, qui suppose la conscience du mal dans son opposition au bien, demeure intérieure au sujet, ne posant guère que le problème, mineur selon notre philosophe, de savoir dans quelle mesure la conscience du mal est nécessaire, pour qu'une action soit jugée mauvaise, l'hypocrisie repose sur un art de tromper autrui sur soi-même, dont le paradoxe est pourtant qu'il ne méconnaît pas pour autant la distinction entre le bien et le mal. Toutefois, l'hypocrisie ne pose, en réalité, la valeur absolue du bien auquel le sujet prétend adhérer que pour autrui, ce qui la conduit à la forme supérieure du probabilisme, dans lequel c'est finalement l'autorité d'un tiers - fût-ce, dit Hegel, celle d'un théologien dont l'opinion demeure isolée - qui justifie l'acte avec un semblant d'autorité qui ne sert cependant qu'à confirmer la volonté subjective dans un choix qu'elle sait - d'où encore son hypocrisie - parfaitement contestable.

    Il ne lui reste plus qu'à tenter d'évacuer d'elle-même la mauvaise conscience en devenant, en quelque sorte, son propre théologien, et à ne rattacher ses actes qu'à une bonne volonté [...] aussi abstraite que bien intentionnée. Nous sommes dès lors renvoyés à la perversion de l'intention dont il a été question plus haut, et qui ne recule pas devant la justification des actes les plus immoraux par la droiture supposée de l'intention et lors même qu'aucun critère sérieux de distinction entre le bien et le mal n'est fourni : l'enfer est pavé de bonnes intentions. Mais précisément, le vague et l'abstraction mêmes du bien ainsi recherché obligent la conscience subjective à se réfugier, comme précédemment, dans la certitude, qui prend ici le visage innocent et imparable de la conviction [..] Toutefois, dans la mesure même où « le bien que l'on veut n'a encore aucun contenu, le principe de la conviction contient cette affirmation qu'il appartient au sujet de subsumer une action sous la catégorie du bien » et, en définitive, « de ce fait même, l'apparence d'une objectivité éthique a totalement disparu »." (p.267)

    "C'est à la loi objective, et non à la simple conviction subjective, qui ne saurait en être la mesure, qu'il revient d'être au fondement de la morale.

    Mais, en tout état de cause, la conscience subjective, n'ayant pu nier jusqu'alors la loi objective, qui renaît d'autant plus forte après chaque perversion, il ne lui reste plus qu'à prendre ses distances vis-à-vis d'elle, en prétendant s'en rendre maîtresse par l'ironie qui est, à cet égard, la forme suprême de la perversion du savoir moral. Alors que l'ironie n'était, pour Socrate, qu'un moyen lui-même ironique de dissimuler son propre savoir pour amener son interlocuteur à prendre conscience de la vérité objective, l'ironie perverse à laquelle s'attaque Hegel (qui vise plus particulièrement Schlegel) consiste justement à n'avoir conscience de l'objectivité éthique que pour mieux la tenir à distance et finalement la nier, en la reconnaissant comme identique, non à la rationalité profonde du soi, mais bien à son arbitraire. Dans cette ironie suprême, la loi morale, bref la chose même de la morale, est certes encore reconnue d'un certain côté. Mais le cynisme, et finalement l'inconscience, l'emportant ici sur l'hypocrisie, elle « n'est pas ce qu'il y a de plus excellent », car « je suis moi-même ce qu'il y a de plus excellent, je suis le maître de la loi et de la chose, moi qui ne fais que jouer à mon gré avec elles et qui, dans cet état de conscience ironique, dans lequel je laisse périr ce qu'il y a de plus élevé, ne jouis que de moi-même ».

    Quant au risque de l'ironie ainsi entendue, il est non seulement la dissolution de tout contenu moral, mais encore une identification impie du sujet lui-même à l'absolu, en une complaisance envers soi-même." (p.268)

    "Il n'en est que plus surprenant que, pressentant à coup sûr aussi bien le nihilisme que la volonté de puissance nietzschéenne, qui n'est autre que la généralisation de la volonté absolue de maîtrise du bien et du mal qu'elle prétend d'ailleurs dépasser, notre philosophe ait abandonné, dans ses Principes de la philosophie du droit, la position qui avait été la sienne dans la Phénoménologie de l'esprit, où la moralité aboutissait à la religion, pour la faire déboucher sur la moralité sociale et l'Etat. Toutefois, cela ne l'a pas empêché de conserver, au moins implicitement, la foi religieuse comme vraie mesure de la moralité, puisqu'il a tenu à marquer que la croyance (Glaube) résultant de la seule conviction morale du sujet, et qui a toutes chances d'être mauvaise, se situe à l'opposé de la « croyance (Glaube) au sens où le Christ exige une croyance à la vérité objective ». Et il nous semble que le fait même qu'il ait finalement englobé la moralité successivement dans la religion et dans la moralité sociale, ne témoigne, en réalité, que de la profondeur de sa conception de la morale, en laquelle il a bien discerné une ambivalence fondamentale, qui la lie à la fois à ce qu'il y a de plus sacré et de plus intime en l'homme, et à l'objectivité sociale et rationnelle qu'il doit atteindre, le poussant, en définitive, à agir dans un monde."(p.270)
    -Jean-Philippe Guinle, "Actualité de la morale hégélienne", Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 177, No. 3, HEGEL - HEIDEGGER (JUILLET-SEPTEMBRE 1987), pp. 257-271.


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