https://fr.wikipedia.org/wiki/Solarpunk
https://hieroglyph.asu.edu/2014/09/solarpunk-notes-toward-a-manifesto/
https://www.re-des.org/es/a-solarpunk-manifesto/
"Ready Player One, Blade Runner, Matrix, Ghost in the Shell… si l’on oublie les space opéras à la Star Wars on pourrait croire qu’au cinéma la science-fiction s’est arrêtée à l’étage du Cyberpunk. Ce sous-genre de la SF dépeint le monde comme dévasté par l’industrie, les multinationales, la drogue et la technologie, peuplé d’hommes augmentés, de robots, de hackers, bardé de de néons fluo et de fils qui trainent un peu partout. C’est vrai qu’on n’a toujours pas d’implants corporels sophistiqués ni complètement intégré le Cyberespace, mais comment douter qu’on se rapproche inéluctablement de cette vision du monde ? Notre destin semble tout tracé par ces mythes fondateurs qui ont inspiré les grands pontes de la société technologique, développeurs et ingénieurs de la Silicon Valley en tête de liste. Comme la conquête spatiale a pris du retard depuis les années 1960 et que nous n’avons toujours pas rencontré d’extra-terrestres, la seule alternative reste le récit post-apocalyptique, qui raconte la survivance d’être humains à la catastrophe inévitable qui nous attend au bout du couloir. Faites votre choix : soit le transhumanisme, soit le désastre environnemental. [...]
Alors que la contre-culture Cyberpunk s’est développée dans les années 1980 comme une contrepartie à l’euphorie ambiante, exacerbant par son cynisme les conséquences déjà visibles sur l’environnement et la société de la civilisation capitaliste, les récits cybernétiques et apocalyptiques collent aujourd’hui d’un peu trop près à la morosité ambiante. Le futur, c’est maintenant (les robots et fusils laser en moins). Doit-on pour autant se résigner à notre funeste destinée ? Quel genre d’histoire peut encore nous faire rêver ? Qui pourra produire une esthétique et une idéologie pouvant servir de modèle aux aventuriers de demain ? Ne tremblez plus, voici venir le Solarpunk. L’artiste et théoricien britannique Jay Springett l’annonce de but en blanc lors d’une conférence au Het Nieuwe Instituut de Rotterdam : « Le but du Solarpunk est d’annuler/de déprogrammer l’apocalypse ». (The goal of solarpunk is to cancel the apocalypse). Depuis une quinzaine d’années, le mouvement bourgeonne sur les réseaux, des discussions sur les forums spécialisés aux croquis et images disséminés sur diverses plateformes.
Pour trouver le premier recueil officiel de nouvelles Solarpunk, il faut aller chiner du côté du Brésil : en 2012 l’éditeur de SF et de Fantasy « Editora Draco » publie l’ouvrage Solarpunk: Histórias ecológicas e fantásticas em um mundo sustentável (« Solarpunk : histoires écologiques et fantastiques dans un monde durable »). Des récits d’anticipation qui roulent aux carburants biologiques boostés aux nanotechnologies, où l’on contrôle la puissance de la foudre et fait voler d’immenses navires spatiaux grâce au rayonnement solaire. Parmi les auteurs portugais et brésiliens, un certain nombre de journalistes scientifiques et d’ingénieurs accolent leurs plumes à celles des littéraires, donnant au projet un air de manifeste. À l’été 2017 sort en anglais l’anthologie Sunvault, stories of Solarpunk and Eco-speculation, qui consolide le genre : le Solarpunk est une anti-dystopie. Notre planète pourrait finir dans un état catastrophique, l’espèce humaine aurait trouvé le moyen de relever la tête et même d’abattre les barrières culturelles. Loin de l’ethnocentrisme blanc traditionnel déjà craquelé par l’influence grandissante des récits d’anticipation dans le monde arabe, en Afrique subsaharienne, en Chine ou en Inde, les récits Solarpunk intègrent également une évolution positive des mœurs : éducation, sexualité et genre sont passés à la moulinette de l’optimisme social de gauche. Occuper Mars et terraformer la planète au moyen d’une organisation martiale ? Trop colonial, allons plutôt nous nicher dans la haute atmosphère terrestre à manger du ramen en boubou, sur un air latino.
L’esthétique visuelle du Solarpunk oscille entre art nouveau et maquette d’architecte de « ville durable » : des silhouettes elfiques adeptes de technologies propres déambulent dans des villes à la végétation luxuriante, avec une pointe d’afrofuturisme (le royaume autoritaire du Wakanda de Black Panther serait-il Solarpunk ?). Comme son nom l’indique, le genre fait la part belle aux technologies solaires, vouant à l’astre de jour un culte quasi mystique. Alors que la planète ne cesse de monter en température, la puissante étoile par laquelle vient la destruction deviendrait par une ingéniosité technique notre sauveur. L'omniprésence des technologies solaires dans le Solarpunk rappelle la naïveté de l’ère atomique, quand dans les histoires de l’écrivain Isaac Asimov le nucléaire était miniaturisé et inséminé dans la vie quotidienne, comme une solution magique à tous nos problèmes.
Comment donc le Solarpunk peut-il mériter son suffixe « -punk », qui suppose une certaine dose de subversion ? Certains pensent déjà flairer l’arnaque, persuadés d’avoir débusqué une utopie technologique portée par une nouvelle génération de scientistes déguisés. Alors que la philosophie punk peut être résumée par une déconstruction méthodique qui fait beaucoup de bruit, il ne faut pas oublier sa capacité à user de son pessimisme pour redonner à tous la banane (et des droits sociaux). D’après la chercheuse en sciences sociales Jennifer Hamilton, la subversivité du Solarpunk réside surtout dans le fait que son optimisme apparent n’incite pas à suivre les règles du système établi, mais bien à les contourner. Le mouvement a ainsi comme particularité de se développer en parallèle de la littérature et de l’image par le design (appliqué comme spéculatif), grâce à ses adeptes environnementalistes, ingénieurs, développeurs et spécialistes de l’open source. Des expérimentateurs issus d’une culture de réseau, non linéaire, ouverte, à une période marquée par ce que le pionnier du Cyberpunk Bruce Sterling nomme l’atemporalité. Finie la mémoire unique de l’histoire, le récit linéaire et à sens unique de notre passé politique. À l’ère du réseau tout se passe simultanément, des voix discordantes diffusent en même temps leur propositions. Malgré le péril du trou noir numérique (voir nos deux articles à ce sujet), l’archivage est bien moins sélectif et l’amnésie plus ardue. Lors d’une conférence, Sterling décrit une « ère de décomposition et de réaffectation de structures obsolètes, de nouvelles inventions sociales au coeur de réseaux, un maillage anarchique d'histoire et de futurisme, plutôt qu’une cathédrale érigée pour l’histoire comme toile de fond d’une utopie du futurisme. » (We are into an era of decay and repurposing of broken structures, of new social inventions within networks, (...) a crooked networked bazaar of history and futurity, rather than a cathedral of history, and a utopia of futurity.)
Si les artisans du Solarpunk voient leur mouvement comme un successeur du cyberpunk, c’est qu’ils empruntent beaucoup aux théories des auteurs majeurs du genre. Neal Stephenson et son concept du « héroglyphe », le récit politique inhérent à un genre artistique qui va stimuler et inspirer créateurs et ingénieurs, donne la légitimité aux tenants du Solarpunk pour leur projet de sauvetage du monde. William Gibson, dissertant sur l’atemporalité décrit des utopies à la date de péremption connue par ses instigateurs, conscients des limites de leur perspective et voués aux réajustements constants : « Ne vous laissez plus hypnotiser par l’idée d’innovation technologique ». (No longer allow yourself to be hypnotized by the sense of technical novelty). Ainsi, plutôt qu’un successeur à tous les autres genres de science fiction, le Solarpunk se pense comme le prolongement d’un idéal politique qui existe parmi d’autres dans le vaste champ des récits d’anticipation. Les adeptes de l’église de l’homme augmenté comme les cyniques qui se résignent à vivre bientôt dans les restes de la modernité déchue, ou font la sieste dans leur bunker en attendant la fin du monde, eux devront peut-être faire de la place à une autre esthétique. En attendant d’en voir un peu plus, on vous laisse avec cette tentative de radeau alimenté par des panneaux solaires, comme un Waterworld dont le scénario aurait été réécrit par les écolos du XXe siècle."
-« Le Solarpunk, une cure de soleil contre la fin du monde [archive] », sur ARTE, 5 septembre 2018 :
https://www.arte.tv/fr/articles/tracks-solarpunk-ecologie-sf
https://hieroglyph.asu.edu/2014/09/solarpunk-notes-toward-a-manifesto/
https://www.re-des.org/es/a-solarpunk-manifesto/
"Ready Player One, Blade Runner, Matrix, Ghost in the Shell… si l’on oublie les space opéras à la Star Wars on pourrait croire qu’au cinéma la science-fiction s’est arrêtée à l’étage du Cyberpunk. Ce sous-genre de la SF dépeint le monde comme dévasté par l’industrie, les multinationales, la drogue et la technologie, peuplé d’hommes augmentés, de robots, de hackers, bardé de de néons fluo et de fils qui trainent un peu partout. C’est vrai qu’on n’a toujours pas d’implants corporels sophistiqués ni complètement intégré le Cyberespace, mais comment douter qu’on se rapproche inéluctablement de cette vision du monde ? Notre destin semble tout tracé par ces mythes fondateurs qui ont inspiré les grands pontes de la société technologique, développeurs et ingénieurs de la Silicon Valley en tête de liste. Comme la conquête spatiale a pris du retard depuis les années 1960 et que nous n’avons toujours pas rencontré d’extra-terrestres, la seule alternative reste le récit post-apocalyptique, qui raconte la survivance d’être humains à la catastrophe inévitable qui nous attend au bout du couloir. Faites votre choix : soit le transhumanisme, soit le désastre environnemental. [...]
Alors que la contre-culture Cyberpunk s’est développée dans les années 1980 comme une contrepartie à l’euphorie ambiante, exacerbant par son cynisme les conséquences déjà visibles sur l’environnement et la société de la civilisation capitaliste, les récits cybernétiques et apocalyptiques collent aujourd’hui d’un peu trop près à la morosité ambiante. Le futur, c’est maintenant (les robots et fusils laser en moins). Doit-on pour autant se résigner à notre funeste destinée ? Quel genre d’histoire peut encore nous faire rêver ? Qui pourra produire une esthétique et une idéologie pouvant servir de modèle aux aventuriers de demain ? Ne tremblez plus, voici venir le Solarpunk. L’artiste et théoricien britannique Jay Springett l’annonce de but en blanc lors d’une conférence au Het Nieuwe Instituut de Rotterdam : « Le but du Solarpunk est d’annuler/de déprogrammer l’apocalypse ». (The goal of solarpunk is to cancel the apocalypse). Depuis une quinzaine d’années, le mouvement bourgeonne sur les réseaux, des discussions sur les forums spécialisés aux croquis et images disséminés sur diverses plateformes.
Pour trouver le premier recueil officiel de nouvelles Solarpunk, il faut aller chiner du côté du Brésil : en 2012 l’éditeur de SF et de Fantasy « Editora Draco » publie l’ouvrage Solarpunk: Histórias ecológicas e fantásticas em um mundo sustentável (« Solarpunk : histoires écologiques et fantastiques dans un monde durable »). Des récits d’anticipation qui roulent aux carburants biologiques boostés aux nanotechnologies, où l’on contrôle la puissance de la foudre et fait voler d’immenses navires spatiaux grâce au rayonnement solaire. Parmi les auteurs portugais et brésiliens, un certain nombre de journalistes scientifiques et d’ingénieurs accolent leurs plumes à celles des littéraires, donnant au projet un air de manifeste. À l’été 2017 sort en anglais l’anthologie Sunvault, stories of Solarpunk and Eco-speculation, qui consolide le genre : le Solarpunk est une anti-dystopie. Notre planète pourrait finir dans un état catastrophique, l’espèce humaine aurait trouvé le moyen de relever la tête et même d’abattre les barrières culturelles. Loin de l’ethnocentrisme blanc traditionnel déjà craquelé par l’influence grandissante des récits d’anticipation dans le monde arabe, en Afrique subsaharienne, en Chine ou en Inde, les récits Solarpunk intègrent également une évolution positive des mœurs : éducation, sexualité et genre sont passés à la moulinette de l’optimisme social de gauche. Occuper Mars et terraformer la planète au moyen d’une organisation martiale ? Trop colonial, allons plutôt nous nicher dans la haute atmosphère terrestre à manger du ramen en boubou, sur un air latino.
L’esthétique visuelle du Solarpunk oscille entre art nouveau et maquette d’architecte de « ville durable » : des silhouettes elfiques adeptes de technologies propres déambulent dans des villes à la végétation luxuriante, avec une pointe d’afrofuturisme (le royaume autoritaire du Wakanda de Black Panther serait-il Solarpunk ?). Comme son nom l’indique, le genre fait la part belle aux technologies solaires, vouant à l’astre de jour un culte quasi mystique. Alors que la planète ne cesse de monter en température, la puissante étoile par laquelle vient la destruction deviendrait par une ingéniosité technique notre sauveur. L'omniprésence des technologies solaires dans le Solarpunk rappelle la naïveté de l’ère atomique, quand dans les histoires de l’écrivain Isaac Asimov le nucléaire était miniaturisé et inséminé dans la vie quotidienne, comme une solution magique à tous nos problèmes.
Comment donc le Solarpunk peut-il mériter son suffixe « -punk », qui suppose une certaine dose de subversion ? Certains pensent déjà flairer l’arnaque, persuadés d’avoir débusqué une utopie technologique portée par une nouvelle génération de scientistes déguisés. Alors que la philosophie punk peut être résumée par une déconstruction méthodique qui fait beaucoup de bruit, il ne faut pas oublier sa capacité à user de son pessimisme pour redonner à tous la banane (et des droits sociaux). D’après la chercheuse en sciences sociales Jennifer Hamilton, la subversivité du Solarpunk réside surtout dans le fait que son optimisme apparent n’incite pas à suivre les règles du système établi, mais bien à les contourner. Le mouvement a ainsi comme particularité de se développer en parallèle de la littérature et de l’image par le design (appliqué comme spéculatif), grâce à ses adeptes environnementalistes, ingénieurs, développeurs et spécialistes de l’open source. Des expérimentateurs issus d’une culture de réseau, non linéaire, ouverte, à une période marquée par ce que le pionnier du Cyberpunk Bruce Sterling nomme l’atemporalité. Finie la mémoire unique de l’histoire, le récit linéaire et à sens unique de notre passé politique. À l’ère du réseau tout se passe simultanément, des voix discordantes diffusent en même temps leur propositions. Malgré le péril du trou noir numérique (voir nos deux articles à ce sujet), l’archivage est bien moins sélectif et l’amnésie plus ardue. Lors d’une conférence, Sterling décrit une « ère de décomposition et de réaffectation de structures obsolètes, de nouvelles inventions sociales au coeur de réseaux, un maillage anarchique d'histoire et de futurisme, plutôt qu’une cathédrale érigée pour l’histoire comme toile de fond d’une utopie du futurisme. » (We are into an era of decay and repurposing of broken structures, of new social inventions within networks, (...) a crooked networked bazaar of history and futurity, rather than a cathedral of history, and a utopia of futurity.)
Si les artisans du Solarpunk voient leur mouvement comme un successeur du cyberpunk, c’est qu’ils empruntent beaucoup aux théories des auteurs majeurs du genre. Neal Stephenson et son concept du « héroglyphe », le récit politique inhérent à un genre artistique qui va stimuler et inspirer créateurs et ingénieurs, donne la légitimité aux tenants du Solarpunk pour leur projet de sauvetage du monde. William Gibson, dissertant sur l’atemporalité décrit des utopies à la date de péremption connue par ses instigateurs, conscients des limites de leur perspective et voués aux réajustements constants : « Ne vous laissez plus hypnotiser par l’idée d’innovation technologique ». (No longer allow yourself to be hypnotized by the sense of technical novelty). Ainsi, plutôt qu’un successeur à tous les autres genres de science fiction, le Solarpunk se pense comme le prolongement d’un idéal politique qui existe parmi d’autres dans le vaste champ des récits d’anticipation. Les adeptes de l’église de l’homme augmenté comme les cyniques qui se résignent à vivre bientôt dans les restes de la modernité déchue, ou font la sieste dans leur bunker en attendant la fin du monde, eux devront peut-être faire de la place à une autre esthétique. En attendant d’en voir un peu plus, on vous laisse avec cette tentative de radeau alimenté par des panneaux solaires, comme un Waterworld dont le scénario aurait été réécrit par les écolos du XXe siècle."
-« Le Solarpunk, une cure de soleil contre la fin du monde [archive] », sur ARTE, 5 septembre 2018 :
https://www.arte.tv/fr/articles/tracks-solarpunk-ecologie-sf