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"On admettra que le vent de l’histoire a définitivement tourné en faveur des Montesquieu, Voltaire, Diderot et Rousseau. Pourquoi, alors, ressusciter d’obscurs abbés s’essoufflant à lutter contre l’immense courant des novateurs ? À l’aune des talents littéraires et de la profondeur philosophique, que pèse un Chaumeix, adversaire acharné de l’Encyclopédie, en comparaison de Diderot, ouvert à toutes les aventures intellectuelles du siècle ? N’est-il pas sacrilège d’esquisser un parallèle entre Voltaire, l’apôtre de la tolérance, et tel écrivaillon justifiant pesamment la persécution des protestants ?" (p.7)
"L’étude des adversaires des Philosophes permet d’analyser des milieux intellectuels, des stratégies de carrière, de réfléchir à la formation et à la circulation des idées dans la France de la deuxième moitié du XVIII‘ siècle. Pour évoquer ceux qui s’opposent aux Philosophes, on emploie traditionnellement des expressions qui ne sont pas exactement synonymes : l’antiphilosophie, l’apologétique, les anti-Lumières." (p.7)
"Les Philosophes, déistes ou athées, sont alors soupçonnés de vouloir renverser les autorités religieuses et civiles. L’écrit apologétique, catholique ou protestant, entend défendre, dans un sens plus étroit, la religion chrétienne, attaquée par les Philosophes modernes. Il constitue un retour aux sources de la doctrine, une défense des Églises menacées par des incrédules, une somme des preuves de l’existence de Dieu et un guide pour les fidèles ébranlés par les écrits impies. Quant aux anti-Lumières, elles désigneraient, de manière plus vague et plus problématique, des courants de pensée opposés à l’idée d’un progrès des connaissances. Elles récuseraient la possibilité même d’une autonomie absolue des forces intellectuelles permettant à l’homme de maîtriser la nature et d’améliorer sa condition. Elles impliqueraient, à l’inverse, l’existence d’un ordre imprescriptible, situé en amont plutôt qu’en aval, établi de toute éternité par la puissance souveraine ; vérité que l’homme se doit de retrouver au lieu de se projeter sans cesse, sur un mode aventureux, dans un avenir qu’il tente de construire à sa mesure. Sans faire entièrement nôtres ces définitions provisoires, notons encore que les anti-Lumières défendent une conception du sacré que des Philosophes auraient tendance à récuser, à négliger ou à oublier. Champions de tous les conservatismes, hostiles à plusieurs penseurs du droit naturel, indignés par l’idée même d’un contrat social, les adversaires des Lumières tenteraient de résister aux idées nouvelles." (p.8 )
-Didier Masseau, Les ennemis des philosophes. L'antiphilosophie au temps des Lumières., Albin Michel, 2000, 451 pages.
