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    Odile Marcel, Nietzsche et le silence de la raison

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Odile Marcel, Nietzsche et le silence de la raison Empty Odile Marcel, Nietzsche et le silence de la raison

    Message par Johnathan R. Razorback Mar 13 Fév 2024 - 9:20



    " [Nietzsche] a parlé d'interprétation falsificatrice, une falsification qui invente la vérité de son objet à la mesure de ses forces interprétatrices, méconnaissance et ceci sans  de la « vérité de l'objet », pour autant qu'il n'existe pas d' « objet » ni de « vérité » : l'objet n'est qu'interprété, et il n'y a d'interprétation que falsifiante - « fausse » parce qu'elle ajoute et réinvente, parce qu'elle reprend et refait, parce qu'elle modèle toujours plus ou moins à son image quelque chose qui s'offre sans identité nécessaire et nécessite cette « falsification ».

    Mais ceci, que Nietzsche dit au « monde » et de la connaissance du « monde », est vrai pour nous et aussi de son œuvre : l'œuvre de Nietzsche s'offre à l'interprétation comme le « monde », dans sa philosophie, à l'activité de la Volonté de Puissance. Le chaos s'ordonne en formes. Et dans les deux cas « c'est la Volonté de Puissance qui interprète falsifiante, constitutivement mensongère, », une Volonté de Puissance inventive, puisque « le non-vrai est condition de l'existence » : il n'y a de réalité de fait que résultant d'une prise de pouvoir, d'une prise de parole interprétatrice c'est-à-dire fabulante. Alors il n'y a pas de Nietzsche réel ni de version objective et vraie du nietzschéisme, pas plus qu'il n'y a de « perspective vitale » plus vraie qu'une autre. Toutes sont réelles. Et de même que le monde est multiplié par les perspectives qui le créent comme ordre, de même le texte de Nietzsche devient ce qu'il est à la mesure de ce que nous en « voulons », c'est-à-dire de ce que nous avons le pouvoir d'en faire." (p.39)

    "La musique comme élément dionysiaque figure dans la tragédie les « forces » à l'œuvre dans la nature, dans l'individu, dans le monde de la culture aussi dont elles sont le fondement : la musique figure tout ce qui dans l'individu déborde sa quiète identité diurne et le replonge dans le monde prépersonnel et peut-être préhumain des énergies de la vie, monde qui dans la culture se donne une forme, une définition et une consistance repérable, lors même qu'il est en tant que tel chaos, multiplicité, contradiction. Et pour Nietzsche l'équilibre de la culture est le maintien de ce rapport aux forces : donner forme au chaos, donner sens à la force." (p.42)

    "La sagesse dionysiaque est dans cette mesure, en tant que telle, mortelle : elle dit notre néant - abolition dans le chaos dont nous sommes les formes temporaires, résorption dont nous sommes les parties provisoirement dans le tout et précairement individuées. Mais là où cet « ô éternel en vain » est la rengaine du désespoir des modernes, l'expression même de leur nihilisme, loin d'abattre, il est, chez les Grecs, solidaire d'une affirmation de la vie : c'est qu'il est dit sous la forme d'une expérience d'art, elle-même forme du néant, illusion mais aussi forme forte, illusion vive - comme l'est la vie elle-même." (p.44)

    "La musique est immédiatement la force, dit Nietzsche en effet, elle ne la représente ni ne la délègue, elle ne la figure ni ne l'exprime, elle est la force - c'est en tant que telle qu'elle est un art métaphysique, l'expérience métaphysique même." (p.46)

    "L'art est forme donnée aux force." (p.47)

    "L'art musical apparaît comme l'art par excellence, et par là comme une image de l'« Etre » : la pluralité dont est virtuellement porteuse -telle page de musique que beaucoup d'interprètes auront réinventée - plus ou moins « bien », mais toujours conformément à leur génie et en accord avec un type de sensibilité qui y prend effet - , cette pluralité définit en effet une image absolument antiplatonicienne de l'Etre : cette musique n'a pas d'essence en effet, elle est indéfiniment ouverte à la réinterprétation  - image de de la non-identité de l'Etre. Image aussi de l'opération interprétatrice conçue comme une prise de pouvoir de la force : c'est bien la « Volonté de Puissance » de l'interprète, sa force de « dompteur qui s'exerce : il s'empare de l'objet et le conforme » à soi, alors il lui donne la puissance dont il est riche et qui la renouvelle, et cette vérité neuve de l'œuvre jouée, elle est l'acte commun d'une essence toute en possibles et d'une force qui s'y invente, qui s'y réalise et y prend effet." (p.51)

    "On voit ici que la Volonté de Puissance est bien une force d'art, la puissance créatrice elle-même, et rien comme un appétit de domination. Certes le créateur domine et soumet, mais c'est parce qu'il façonne, reprend, donne une nouvelle vie à la matière, la sienne propre." (note 21 p.51)

    "Le visuel semble d'abord un élément trop « réaliste » pour être aussi « métaphysique » : comment figurer la pluralité contradictoire des possibles dans un espace où l'œil croit à l'existence des objets et à leur définition matérielle ? Il faut un philosophe myope et à moitié aveugle pour voir le monde comme un chaos... Mais jamais une sculpture, un tableau ou une architecture ne pourront être pris pour paradigmes par le « perspectivisme » : l'objet subsiste dans le monde et par là impose sa réalité : il est comme une essence platonicienne, il asservit, il masque le chaos, et ceci quelle que soit la « chose » représentée ou son absence." (note 22 p.51)

    "Si le langage, en effet, dans son affinité avec le socratisme, est soucieux de rationalité représentative, la musique comme art des forces symbolise -prend en compte, met en acte- une réalité d'un ordre moins maîtrisable, plus équivoque, plus occulte : celle que l'Occident ratiocentriste a répudié, cet Autre de la représentation que l'art cultive en liberté." (p.52)

    "Pénétrée de cette vision de la vanité des choses, elle réduit au néant les croyances -les perspectives vitales- , mais elle les affirme aussi comme des illusions nécessaire." (p.55)
    -Odile Marcel, "Nietzsche et le silence de la raison", Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 168, No. 1 (Janvier-Mars 1978), pp.37-56.

    13.02.2024


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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