https://www.persee.fr/doc/bude_0004-5527_1979_num_1_3_3621
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(p.268)
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(pp.269-270)
"Les Épicuriens ne sont pas pour Plutarque des "adversaires privilégiés" [comme les stoïciens], mais des ennemis irréconciliables de sa philosophie et à de sa morale.
Non seulement le Jardin, sans être athée, reléguait les dieux à l'écart, bien loin de toute relation avec les hommes, mais il niait aussi l'existence des Génies [...] êtres intermédiaires entre la divinité et l'humanité, dont Platon et Xénocrate, entre autres, avaient affirmé la nécessité. Au chapitre 37 de la Vie de Brutus, Cassius, étant épicurien, fait un beau discours à Brutus qui, avant la bataille de Philippes, a cru voir apparaître son "mauvais Génie" [...] Il lui dit notamment: "Il n'est pas croyable qu'il existe des Génies". Les propos de Cassius paraissent raisonnables, mais Plutarque, lui, croit aux Génies, et donc à la réalité de la vision apparue à Brutus. Puis, au chapitre 39, il se donne le malin plaisir de nous montrer des devins cherchant à exorciser la crainte superstitieuse "qui entraînait peu à peu Cassius lui-même hors des principes d'Épicure". De même, dans la Vie de César, chapitre 66, avant le meurtre du dictateur, nous voyons Cassius "jeter un regard sur la statue de Pompée et l'invoquer en silence ; il n'ignorait pourtant pas la doctrine d'Épicure, mais, à cette heure critique, l'imminence du péril lui inspirait sans doute de l'enthousiasme [...] et la passion se substituait à ses anciennes opinions". Si la doctrine épicurienne ne réussit même pas à délivrer ses adeptes de la superstition en toutes circonstances, à quoi est-elle bonne ? Telle est évidemment la conclusion que sous-entend Plutarque.
Par ailleurs, l'effet le plus ordinaire de cette doctrine est de conduire les hommes à une vie indolente et facile, indifférente aux affaires publiques, une sorte de dolce vita. On lit dans la Comparaison entre Cimon et Lucullus, chapitre 1 : "Prendre le plaisir comme but en se détournant des belles actions, célébrer désormais comme Lucullus les fêtes d'Aphrodite en l'honneur de ses commandements militaires, vivre dans l'amusement et le luxe, ce ne sont pas là des pratiques dignes de la belle Académie, ni d'un discipline de Xénocrate, mais d'un homme qui incline vers Épicure."
En effet, la morale épicurienne est fort éloignée de celle des "héros de Plutarque". Le chapitre 20 de la Vie de Pyyrhos nous fait assister à des "propos de table" entre Pyyrhos, Cinéas et l'ambassadeur romain Fabricius: "On parlait surtout de la Grèce et de ses philosophes. Cinéas fit par hasard mention d'Épicure et développa les assertions de son école sur les dieux, la politique et le but de la vie. Ce but, les Épicuriens le placent dans la volupté ; la politique, ils la fuient comme un mal et comme le pire ennemi de la félicité ; enfin la divinité, qu'ils jugent très éloignée de la bienfaisance comme de la colère, et même du simple souci de l'espèce humaine, ils la relèguent dans une vie oisive et comblée de plaisir. Cinéas parlait encore lorsque Fabricius s'écria : "Par Hercule ! Puissent Pyrrhos et les Samnites professer de telles opinions tant qu'ils seront en guerre avec nous "!" (pp.272-273)
-Robert Flacelière, "La pensée de Plutarque dans les « Vies »", Bulletin de l'Association Guillaume Budé, Année 1979, 3, pp. 264-275.
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"Les Épicuriens ne sont pas pour Plutarque des "adversaires privilégiés" [comme les stoïciens], mais des ennemis irréconciliables de sa philosophie et à de sa morale.
Non seulement le Jardin, sans être athée, reléguait les dieux à l'écart, bien loin de toute relation avec les hommes, mais il niait aussi l'existence des Génies [...] êtres intermédiaires entre la divinité et l'humanité, dont Platon et Xénocrate, entre autres, avaient affirmé la nécessité. Au chapitre 37 de la Vie de Brutus, Cassius, étant épicurien, fait un beau discours à Brutus qui, avant la bataille de Philippes, a cru voir apparaître son "mauvais Génie" [...] Il lui dit notamment: "Il n'est pas croyable qu'il existe des Génies". Les propos de Cassius paraissent raisonnables, mais Plutarque, lui, croit aux Génies, et donc à la réalité de la vision apparue à Brutus. Puis, au chapitre 39, il se donne le malin plaisir de nous montrer des devins cherchant à exorciser la crainte superstitieuse "qui entraînait peu à peu Cassius lui-même hors des principes d'Épicure". De même, dans la Vie de César, chapitre 66, avant le meurtre du dictateur, nous voyons Cassius "jeter un regard sur la statue de Pompée et l'invoquer en silence ; il n'ignorait pourtant pas la doctrine d'Épicure, mais, à cette heure critique, l'imminence du péril lui inspirait sans doute de l'enthousiasme [...] et la passion se substituait à ses anciennes opinions". Si la doctrine épicurienne ne réussit même pas à délivrer ses adeptes de la superstition en toutes circonstances, à quoi est-elle bonne ? Telle est évidemment la conclusion que sous-entend Plutarque.
Par ailleurs, l'effet le plus ordinaire de cette doctrine est de conduire les hommes à une vie indolente et facile, indifférente aux affaires publiques, une sorte de dolce vita. On lit dans la Comparaison entre Cimon et Lucullus, chapitre 1 : "Prendre le plaisir comme but en se détournant des belles actions, célébrer désormais comme Lucullus les fêtes d'Aphrodite en l'honneur de ses commandements militaires, vivre dans l'amusement et le luxe, ce ne sont pas là des pratiques dignes de la belle Académie, ni d'un discipline de Xénocrate, mais d'un homme qui incline vers Épicure."
En effet, la morale épicurienne est fort éloignée de celle des "héros de Plutarque". Le chapitre 20 de la Vie de Pyyrhos nous fait assister à des "propos de table" entre Pyyrhos, Cinéas et l'ambassadeur romain Fabricius: "On parlait surtout de la Grèce et de ses philosophes. Cinéas fit par hasard mention d'Épicure et développa les assertions de son école sur les dieux, la politique et le but de la vie. Ce but, les Épicuriens le placent dans la volupté ; la politique, ils la fuient comme un mal et comme le pire ennemi de la félicité ; enfin la divinité, qu'ils jugent très éloignée de la bienfaisance comme de la colère, et même du simple souci de l'espèce humaine, ils la relèguent dans une vie oisive et comblée de plaisir. Cinéas parlait encore lorsque Fabricius s'écria : "Par Hercule ! Puissent Pyrrhos et les Samnites professer de telles opinions tant qu'ils seront en guerre avec nous "!" (pp.272-273)
-Robert Flacelière, "La pensée de Plutarque dans les « Vies »", Bulletin de l'Association Guillaume Budé, Année 1979, 3, pp. 264-275.