https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89douard_Doll%C3%A9ans
"Tout au long des quarante années qui vont de 1830 à 1870 s'élève une plainte. Les mêmes murmures, les mêmes appels inentendus. Parfois le murmure se transforme en une clameur ; les volontés se nouent en une action plus nette, et l'échec provoque soudain l'émeute. De temps à autre, une insurrection dont la répression réduit au silence, pendant quelques années, la voix des classes laborieuses. [...]
Sur une trame sombre se trace l'histoire ouvrière, une trame que rehaussent les broderies tantôt vulgaires, tantôt brillantes des idéologues. Mais le fond reste le même : le labeur des hommes, l'effort pour gagner le pain quotidien ; la difficulté de maintenir l'équilibre du budget familial, sans cesse rompu par la maladie et le chômage. Lutte contre le destin adverse. Jour par jour, les travailleurs soutiennent cette lutte sans éclat et qui n'éclaire d'aucune gloire les obscurs. [...]
Au cours du XIXe siècle, la Révolution industrielle et les inventions vont réduire la valeur que la possession d'un métier donnait à l'artisan.
Déjà, en 1841, le compositeur typographe Adolphe Boyer peut écrire : « Maintenant, avec la division du travail, les procédés nouveaux et les machines, la plupart des états tendent à devenir purement mécaniques et les ouvriers de toutes les professions seront bientôt rejetés dans la classe des hommes propres à tout faire... Bientôt, on n'aura plus besoin des travailleurs que pour tourner des manivelles, porter les fardeaux, et faire les courses ; il est vrai qu'ils auront l'instruction primaire, c'est-à-dire que leur intelligence sera assez développée pour comprendre que la société les rejette comme des parias. Par la simplification dans les moyens de fabrication, l'homme n'a plus besoin ni de sa force physique, ni de son aptitude, et n'est pas plus nécessaire qu'un enfant... »
L'ouvrier tend à se sentir individuellement moins nécessaire. Et, en même temps, le contact entre l'artisan et son oeuvre étant coupé, l'intérêt de l'ouvrier s'éloigne et parfois même se détache complètement de son travail.
Le métier était le support traditionnel du travailleur. La machine, peu à peu, dépossède l'artisan, l'ouvrier, de son métier et de la raison d'être de son existence. La machine poursuivra cette œuvre de dépossession jusqu'au jour où le travailleur désâmé se sentira contraint de chercher, en dehors de son travail, un point d'appui.
En même temps qu'elle dépossède l'ouvrier, le machine trop souvent le jette à la rue. Le rythme de la grande production fait peser sur le travailleur l'incertitude ; la menace de manquer de travail reste suspendue sur l'ouvrier. L'incertitude, peut-être le pire des maux.
La tâche quotidienne devient lourde lorsqu'à chaque instant peut échapper le salaire, lorsqu'au bout de jours et de jours d'un travail presque sans loisirs, s'ouvre la perspective d'un brusque chômage, d'une vieillesse sans pain.
Nul siècle ne fut plus sombre, ni plus cruel aux travailleurs que le XIXe siècle. La première éclaircie se produit, en France et en Grande-Bretagne, entre 1830 et 1834."
"Un médecin de Nantes, A. GUÉPIN [1], a décrit la condition des ouvriers à domicile, qui ont 300 francs à dépenser par an et qu'il distingue des travailleurs qu'il appelle aisés, imprimeurs, maçons, charpentiers, menuisiers, et dont les ressources oscillent entre 600 et 1000 francs par an :
« Il n'est personne, a moins d'avoir étouffé tout sentiment de justice, qui n'ait dû être affligé en voyant l'énorme disproportion entre les joies et les peines de cette classe... On aimerait à voir quelques compensations à ses misères : le repos après le travail ; un service rendu après un service donné ; un sourire après un soupir ; des joies matérielles ou des joies d'amour-propre ; quelque chose enfin. Et cependant, à l'ouvrier dont nous parlons, rien de tout cela n'est donné en échange de son travail.
« Vivre, pour lui, c'est ne pas mourir. Au delà du morceau de pain qui doit nourrir, lui et sa famille, au delà de la bouteille de vin qui doit lui ôter un instant la conscience de ses douleurs, il ne prétend à rien, il n'espère rien.
« Si vous voulez savoir comment il se loge, allez par exemple à la rue des Fumiers, qui est presque exclusivement occupée par cette classe ; entrez, en baissant la tête, dans un de ces cloaques ouverts sur la rue et situés au-dessous de son niveau. Il faut être descendu dans ces allées où l'air est humide et froid comme une cave ; il faut avoir senti son pied glisser sur le sol malpropre et avoir craint de tomber dans cette fange, pour se faire une idée du sentiment pénible qu'on éprouve en entrant chez ces misérables ouvriers. De chaque côté de l'allée, et par conséquent au-dessous du sol, il y a une chambre sombre, grande, glacée, dont les murs suintent une eau sale ; recevant l'air par une espèce de fenêtre semi-circulaire qui a deux pieds dans sa plus grande élévation. Entrez, si l'odeur fétide qu'on y respire ne vous fait pas reculer. Prenez garde, car le sol inégal n'est ni pavé ni carrelé, ou au moins les carreaux sont recouverts d'une si grande épaisseur de crasse qu'on ne peut nullement les apercevoir. Et vous voyez ces trois ou quatre lits, mal soutenus et penchés, à cause que la ficelle, qui les fixe sur leurs supports vermoulus, n'a pas elle-même bien résisté. Une paillasse, une couverture formée de lambeaux frangés, rarement lavée, parce qu'elle est seule ; quelquefois des draps, quelquefois un oreiller, voilà le dedans du lit. Des armoires; on n'en a pas besoin dans ces maisons. Souvent un métier de tisserand et un rouet complètent l'ameublement... C'est là que, souvent sans feu l'hiver, sans soleil le jour, à !a clarté d'une chandelle de résine, le soir, des hommes travaillent pendant 14 heures pour un salaire de 15 à 20 sous."
"Dans la filature mécanique, la durée de la journée, partout où l'on peut travailler à la lumière de la lampe, est, pour les deux sexes et pour tous les âges, selon les saisons, de 14 à 15 heures, sur lesquelles on consacre une ou deux heures au repas et au repos, ce qui réduit le travail effectif à 13 heures par jour. Mais, pour beaucoup d'ouvriers qui demeurent à une demi-lieue ou même à une lieue et cinq quarts de lieue de l'usine, il faut ajouter chaque jour le temps nécessaire pour se rendre à l'atelier et retourner chez eux.
Dans les villes d'Alsace, où la cherté des loyers et le niveau des salaires ne permettent pas aux ouvriers en coton de se loger auprès de leurs ateliers, les filatures et les tissages mécaniques s'ouvrent généralement le matin à 5 heures et se ferment le soir à huit, quelquefois à neuf. Ainsi la journée de travail est au moins de 15 heures. Une demi-heure pour le déjeuner, une heure pour le dîner. Par conséquent, les travailleurs ne fournissent jamais moins de 13 h. 1 /2 de travail par jour. Dans les ateliers où l'on tisse à la main, la durée du travail est plus longue parce que beaucoup de tisserands emportent chez eux des fils qu'ils tissent en famille. La journée commence souvent avec le jour, quelquefois plus tôt, et elle se prolonge très tard dans la nuit, jusqu'à 10 ou 11 heures."
"En décembre 1831, Lelong, adjoint à la Mairie de Rouen, comparant les dépenses nécessaires des ouvriers avec leurs salaires, reconnaît que, pour le plus grand nombre, les salaires sont au-dessous des besoins. Et ces constatations sont confirmées par un rapport des délégués de l'Industrie Cotonnière, de la même époque : les salaires sont inférieurs au budget le plus strict des dépenses d'une famille pauvre."
"La moyenne générale de la vie humaine, en 16 ans, a considérablement diminué à Mulhouse, où elle était de 25 ans 9 mois 12 jours en 1812; en 1827, elle est descendue à 21 ans 9 mois. Le calcul des chances de vie selon les différentes professions donne aux enfants des manufacturiers et négociants 28 années probables de vie à leur naissance, contre une année et demie aux enfants des tisserands et ouvriers des filatures. La misère est telle que « la plupart des ouvriers voient périr leurs enfants avec indifférence et quelques fois avec joie. »"
"La brusque poussée de la révolution industrielle dans certaines régions ou dans certaines localités a provoqué l'agglomération de la population ouvrière autour des fabriques et porté les loyers à un prix exorbitant."
"Dans les filatures de coton, l'air est souvent irrespirable, l'hygiène et l'organisation de la sécurité, inexistante ; la phtisie cotonneuse sévit parmi les ouvriers occupés au battage du coton brut."
"A partir de 1851, s'amorce une transformation des entreprises, une évolution du capitalisme. Proudhon a été, en France, un des premiers à en prévoir les conséquences, lorsque le 8 septembre 1852, à Lyon, il insère dans son carnet cette note inédite : « La France sera livrée au monopole des compagnies, à la féodalité. Voilà le régime féodal qui vient. Les tissus, les fers, les grains, les liquides, les sucres, les soies, tout est en voie de monopole »
En 1863, dans la brochure : Quelques vérités sur les élections de Paris, Tolain constate que l'évolution vue par Proudhon s'accentue : « Les capitaux se concentrent et s'organisent en puissantes associations financières et industrielles. Si nous n'y prenons garde, cette force sans contrepoids régnera bientôt despotiquement. »
La loi de 1867 sur les sociétés anonymes est la formule juridique qui consacre cette évolution d'un capitalisme individualiste : celui-ci va progressivement muer en un capitalisme anonyme et irresponsable. Cette évolution demandera pour se parfaire plus d'un quart de siècle et c'est seulement dans la première décade du XXe siècle qu'apparaîtront les formes achevées du capitalisme monopoliste."
"L'ouvrier imprimeur sur papiers peints Héligon, que nous retrouverons parmi les plus actifs militants des commissions de l'Internationale parisienne, constatant la disparition de ce que conservaient encore de personnel les relations industrielles, condense en une phrase les conséquences de cette disparition : « L'ouvrier n'a plus en face de lui qu'un être abstrait, la Compagnie. »."
"Le règlement d'atelier, convention unilatérale, que, lors de l'embauche, l'ouvrier est contraint d'accepter, donne lieu à de nombreux abus. Citons seulement quelques cas, soit en France, soit en Grande-Bretagne. Le règlement des usines du Creusot permettait d'infliger 50 francs d'amende à un ouvrier pour n'avoir pas dénoncé un camarade (1870), et, au commencement de 1869, les amendes infligées aux ouvrières absorbaient parfois, sur un salaire de 30 francs, la somme de 26 fr. 75."
"Au moment où, en France, en 1830, et en Grande-Bretagne en 1832, la bourgeoisie industrielle et commerçante prend le pouvoir, la France et la Grande-Bretagne subissent une crise économique qui dure depuis 1825 et se prolongera jusqu'en 1848.
Sans doute, entre ces deux dates, il se produit deux retours à la prospérité. Mais sur une période de 23 ans, le bilan est de huit années d'essor et de quinze années de crise.
De cette crise de 23 années, la cause apparente est la série d'inventions qui commence au milieu du XVIIIe siècle, métamorphosant la technique et transformant radicalement l'organisation du travail.
Humbles inventeurs que John Kay, tisserand et mécanicien, inventeur de la navette volante ; le charpentier James Waytt, inventeur de la filature mécanique ; l'aveugle Metcalf, qui introduit l'art de construire les routes ; l'illettré Brindley, qui invente l'art de construire les aqueducs ; Telford, fils d'un berger qui jette un pont sur le détroit de Ménal ; Bell, apprenti chez un constructeur de moulins, qui lance le premier vapeur sur la Clyde ; Stephenson, fils d'un pompier, qui construit la première locomotive. Ces obscurs ne se doutaient pas que leurs inventions allaient bouleverser l'existence de leurs compagnons de travail.
En transformant les formes de la production, la Révolution industrielle remet la puissance économique aux chefs de la grande industrie, à cette bourgeoisie industrielle et commerçante à laquelle la loi électorale de 1832 donne, en Grande-Bretagne, la puissance politique."
"En Grande-Bretagne, en 1832, l'accession au pouvoir politique de la bourgeoisie affirme que la Révolution industrielle a développé toutes ses conséquences.
En France, au contraire, la Révolution industrielle commence seulement à faire sentir ses effets. La France demeure une nation d'artisans et d'ouvriers à domicile. Le prolétariat industriel est relativement peu important et presque entièrement limité aux industries textiles. Voilà pourquoi, tandis qu'en Grande-Bretagne le facteur économique domine, il tient une moindre place dans la formation du mouvement ouvrier français.
En France, la misère des ouvriers à domicile est profonde ; et, de leur côté, les artisans français subissent le contre-coup des crises qui troublent la vie artisanale et ouvrière. Mais, en France, les crises sont moins aiguës. Si elles déterminent de cruelles souffrances parmi les ouvriers à domicile dans les grosses agglomérations industrielles comme Lyon, de telles agglomérations sont rares.
Pour expliquer la formation, entre 1830 et 1836, du mouvement ouvrier en France, on doit donner une large place aux facteurs psychologiques, et notamment à la déception qui suit la Révolution de Juillet et ces Trois Glorieuses au cours desquelles les artisans, à Paris et en province, ont combattu et ont été vainqueurs.
Cette réserve faite, en Grande-Bretagne et en France, la naissance du mouvement ouvrier, entre 1830 et 1836, a pour origine la rencontre de facteurs économiques et de facteurs psychologiques, rencontre dont dépend tout grand mouvement révolutionnaire."
"Le système traditionnel d'assistance était considéré par la population laborieuse comme la juste compensation due par les heureux de ce monde à l'infortune des malheureux, comme le prix de la résignation sociale.
Le jour où ce système devient un obstacle au recrutement de la grande industrie, il est condamné. Le Poor Law Amendment Act de 1834 transforme l'assistance, qui, de paroissiale, devient régionale; les paroisses sont groupées en unions ayant chacune son workhouse, et, au-dessus de toutes les unions, trois commissaires forment un conseil central, « le Monstre à trois têtes », pourvu d'un droit de réglementation et de contrôle très étendu. La nouvelle loi interdit les secours à domicile et en argent donnés aux indigents valides, qui doivent tous désormais subir la discipline du workhouse.
La réaction provoquée contre la nouvelle loi n'est pas seulement sentimentale. La loi de 1834 facilite l'exode de la population des comtés ruraux vers les villes de fabriques, et, par suite, la concurrence que font au prolétariat industriel ces nouveaux venus, entraînant par leur présence des salaires plus bas et plus instables.
Le Bill de 1832 installe au pouvoir la bourgeoisie ; celle-ci s'en sert aussitôt pour édicter une législation de classe. La loi de 1834 est la première grande mesure adoptée par la nouvelle Chambre en faveur des industriels. La nouvelle loi fournissait aux « Lords du coton et de la boutique », dont les représentants étaient les maîtres au Parlement, une main-d’œuvre à bon marché, une main-d’œuvre soumise, puisque les indigents pauvres préféraient n'importe quel salaire à l'entrée dans les Bastilles des Pauvres.
La nouvelle Loi des Pauvres blesse profondément les masses ouvrières. La concurrence dépressive des émigrés ruraux est considérée comme l'effet de la seule loi de 1834 ; l'organisation des workhouses froisse les sentiments populaires : les indigents valides y sont astreints à un régime de prison, séparés de leur femme et de leurs enfants.
Dès les débuts du mouvement ouvrier, les réformateurs expriment les colères violentes que soulève la nouvelle loi. Sur ce point, ils voient se joindre à eux des conservateurs sociaux que leur indignation contre la nouvelle loi rapproche des Chartistes. Les torys Richard Oastler et Stephens sont les interprètes passionnés de l'émotion provoquée par la Loi des Pauvres.
Conservateurs sociaux comme démocrates, radicaux et socialistes, entreprennent contre la loi une campagne ardente. Dans une lettre à Fielden, James Turner dénonce les mobiles de la loi.
« Si la population du Nord supporte seulement l'introduction de ce système infernal, il sera impossible d'empêcher les salaires de baisser. Les ouvriers, vivant sous ce système, n'auront d'autre alternative que d'accepter le salaire offert par les employeurs Un très respectable tanneur me disait qu'il se faisait fort, si sa conscience le lui permettait, de faire exécuter son ouvrage pour 6 shillings par semaine. »
La dépression des salaires, voilà la raison d'être cachée pour laquelle les capitalistes industriels, maîtres du Parlement, ont fait voter la loi de 1834.
La loi de 1834 a pour but de procurer aux industriels de la main d'œuvre à bon marché, en créant par la venue des indigents valides sur le marché du travail une concurrence artificielle qui déprime les salaires. La loi est injuste dans son principe parce qu'elle porte atteinte à un droit traditionnel. Oastler, Stephens, Fielden, les leaders chartistes et les ouvriers sont d'accord sur ce point : l'assistance est un droit. Les riches sont les gardiens de ce droit des pauvres ; en supprimant l'ancien système d'assistance ils ont commis un abus de confiance. Au meeting de Rochdale, dont rend compte la Northern Star, Oastler dira :
« Les pauvres auxquels on enlève leurs droits légaux et constitutionnels auront le droit de dire aux Landlords : vous n'aurez plus de rentes. La seule façon dont vous, les riches, vous pouvez faire respecter vos droits, est de prendre la défense des droits des pauvres. Si vous désirez que votre serviteur vous aide à défendre votre propriété, prouvez que vous êtes prêts à défendre son travail. »
Le droit à l'assistance est une assurance contractée par les riches cette sécurité donnée aux pauvres garantit aux riches le respect de leur propriété. Mais, si ceux-ci rompent ce pacte de paix sociale, les pauvres reprennent leur droit à la révolte."
"La nouvelle Loi des Pauvres fournit aux manufacturiers un contingent nouveau de main-d’œuvre qui leur permet de diminuer la rémunération du travail. Le 3 août 1844, la Northern Star se plaindra, lors d'une grève de mineurs dans le Northumberland et le Durham, que le Poor Law assistant commissioner envoie du Pays de Galles 204 travailleurs, hommes et femmes, et en propose 1 000 autres pour aider les patrons à soumettre les mineurs."
"Le 26 juillet 1830, des imprimeurs, puis d'autres industriels de Paris, ferment leurs ateliers. Des groupes d'ouvriers inoccupés circulent dans les rues et commencent à manifester.
Le 27, les premières barricades s'élèvent dans les quartiers de l'Hôtel de Ville, de la Bastille, des Faubourgs. Le 29, le drapeau tricolore est planté sur les Tuileries. Mais, le même jour, la révolution est escamotée par Thiers : « Sans d'Orléans, pensait-il, nous ne pouvons pas contenir cette populace. » Le 30, une proclamation rédigée par lui est affichée sur les murs de Paris ; elle promet une charte qui sera l'expression des droits du peuple français. Les républicains s'inclinent devant le fait accompli.
L'initiative de la résistance a été prise par la bourgeoisie ; mais c'est le peuple qui a vaincu. Suscitée par les maîtres, l'intervention des ouvriers a donné à la révolution un élan irrésistible.
C'est le futur ministre de Louis-Philippe, Barthe, qui eut, selon le comte d'Argout, l'idée qu'il conviendrait de jeter les ouvriers imprimeurs sur le pavé de Paris. Le 26 juillet, il engage un imprimeur de ses amis à réunir les autres imprimeurs, ceux-ci se mettent d'accord pour fermer le lendemain matin leurs ateliers. Les ouvriers renvoyés s'attroupent au Palais-Royal et forment le premier noyau de l'insurrection. Des libraires transforment en arsenal leurs magasins, et, dans sa Chronique de juillet 1830, Rozet note que les caractères d'imprimerie servent aux fusils de projectiles.
Les autres maîtres suivent l'exemple des imprimeurs. Ils disent à leurs ouvriers : Nous n'avons plus de pain à vous donner.
Audry de Puyraveau, pour construire les barricades, sacrifie toutes les voitures de son établissement de roulage : ouvrant à deux battants les portes de sa maison, il appelle à grands cris les combattants et leur distribue 300 fusils et 1 800 baïonnettes. Le 27, un fabricant du Pré Saint-Gervais exhorte ses ouvriers à prendre les armes et leur distribue des balles faites avec les tuyaux de plomb de son jardin.
Il en est de même en province, à Bar-le-Duc, à Limoges, à Corbeil, à Nantes, où le maître d'une fabrique d'étoffes, Petit Pierre, après avoir encouragé ses ouvriers à s'armer, demande ensuite la Légion d'Honneur pour prix de son courage : deux de ses employés ont dirigé l'insurrection, et l'un d'eux a succombé dans le combat avec la troupe. A Lille, les ouvriers seuls, au nombre de 10 000, à l'encontre des fabricants, ont assuré le succès de la Révolution.
À Bordeaux, on ferme les chais, on congédie les ouvriers ; à Lyon, les fabricants ont décidé la fermeture générale des ateliers. Les marchands ont envoyé leurs commis pour arrêter les métiers et donner l'ordre aux ouvriers de se rendre sur la place publique afin de seconder le mouvement, sous peine de privation d'ouvrage à l'avenir pour quiconque n'y prendrait pas part.
Grâce à la classe ouvrière, la bourgeoisie industrielle et commerçante a pu s'emparer du pouvoir. Les ouvriers attendent leur récompense. Ils croient pouvoir l'espérer. N'a-t-on pas fraternisé sur les barricades ? Le 30 juillet, Le National n'a-t-il pas déclaré « C'est le peuple qui a tout fait depuis trois jours; il a été puissant et sublime ; c'est lui qui a vaincu ; c'est pour lui que devront être tous les résultats de la lutte. » [...]
Rien de changé en effet pour la classe des travailleurs. La bourgeoisie industrielle et commerçante, sous le nom de Louis-Philippe, va gouverner en toute liberté. Les ministres, les Thiers et les Guizot. seront plus hostiles au peuple que les hommes de la Restauration. Ils ne rencontrent, au lendemain des journées de Juillet, aucune résistance, pas même celle du parti républicain."
"Les classes laborieuses ne possèdent aucune organisation ; les corps d'état qui adhèrent au compagnonnage n'ont aucun sens de la solidarité ouvrière. Tout au contraire : ils sont possédés de rancunes persévérantes. L'antagonisme entre les divers compagnonnages égale l'injustice avec laquelle, dans chaque compagnonnage, les compagnons traitent les aspirants soumis aux plus cruelles vexations."
"La crise économique a précédé la Révolution de Juillet ; elle a commencé en 1825 ; mais ses effets sont plus durement sentis, parmi les masses ouvrières, au lendemain des Trois Glorieuses. Tout d'abord, les ouvriers pensent qu'il leur suffit de faire appel à l'autorité pour obtenir une amélioration de leur sort ; on leur doit bien cela. Pendant les premiers jours, l'autorité prend certains ménagements à l'égard des travailleurs. Mais très vite cette autorité, que ceux-ci espéraient protectrice, leur apparaît sous son véritable visage.
A la mi-août 1830 - le 15 - certains corps d'état font appel au gouvernement « avec beaucoup d'ordre, de respect et de timidité ». Une pétition est rédigée par les ouvriers selliers et carrossiers quatre cents d'entre eux, précédés du drapeau tricolore, la portent au préfet de police, Girod de l'Ain. Celui-ci descend les haranguer. Le même soir, les garçons bouchers promènent le drapeau tricolore avec cette inscription : « Liberté du Commerce ». Le 16, les cochers de fiacre et de cabriolet s'en prennent aux omnibus qui leur font concurrence.
Certains ouvriers crient : « A bas les mécaniques », et nous retrouvons en France la révolte contre les machines que nous avons rencontrée en Angleterre, comme une des formes de la réaction contre la révolution industrielle.
Le 20 août 1830 paraît une brochure, signée par un vieux typographe victime de l'arbitraire, et qui expos Les justes alarmes de la classe ouvrière au sujet des mécaniques : « Les mécaniques plus voraces que les monstres terrassés par Hercule sont contraires à l'Humanité, aux droits de la nature et de l'industrie et à l'intérêt général des membres de la société... »
Les ouvriers font preuve de mesure et de calme. Le 19 août, une Commission nommée par les ouvriers imprimeurs fait appel à leur modération : elle espère que « la part active que nous avons prise aux événements des journées mémorables du 27, 28 et 29 juillet, où plusieurs de nos frères ont versé leur sang pour la cause de la patrie, ne sera pas ternie par une coupable condescendance aux conseils perfides des ennemis de la patrie ». Elle recommande de ne pas briser les machines, mais « d'attendre avec calme que les représentants de la nation aient apprécié notre demande ». L'appel s'achève par cette phrase : « Les représentants de la nation comprendront que nos besoins sont aussi journaliers que nos travaux ». Mais les représentants de la nation ne le comprenaient pas.
Les autorités, qui se sont montrées indulgentes jusque vers le 20 août, affirment qu'elles sont prêtes à réprimer les manifestations ouvrières et à appliquer la loi dans toute sa rigueur. La législation leur donne les pouvoirs nécessaires.
Le 23 août, 400 ouvriers menuisiers, dans un ordre parfait, remettent au préfet de police une pétition réclamant de l'administration un tarif qui règle les prix des travaux. Girod de l'Ain leur répond que l'intervention de l'administration est contraire au principe de la liberté de l'industrie : « Il convient de s'en tenir au libre jeu de la loi de l'offre et de la demande. » Les ouvriers se retirent en laissant au préfet 248 fr. 75 pour les victimes de juillet.
Les ouvriers serruriers, au nombre de 3 à 4 000, parcourent Paris afin de présenter aux maîtres une pétition par laquelle ils réclament la réduction de la journée de travail de 12 à 11 heures. En face de la coalition des maîtres en vue de faire baisser les salaires, les coupeuses de poil s'unissent pour réclamer 6 sous par cent peaux de lapin. C'en est trop ; et, bien que dans leurs manifestations les ouvriers restent calmes, les pouvoirs publics s'inquiètent. Ils rassurent leur conscience en donnant de ces manifestations une explication qui va devenir traditionnelle, et que nous retrouverons, d'époque en époque, jusqu'à nos jours. Ce sont les ennemis du gouvernement, les ennemis de la Monarchie de Juillet, qui, sont les fauteurs de ces désordres ; ce sont les carlistes qui excitent le peuple à troubler l'ordre et la paix publique : un complot organisé « par les congréganistes et les agents de Charles X ». Cette hypothèse dispense les gouvernements de rechercher les causes profondes. Le Constitutionnel du 17 août, scandalisé, s'écrie : « Les ouvriers devraient se méfier de tous ces excitateurs envoyés au milieu du peuple par ses ennemis, qui, furieux de leur défaite, veulent s'en venger contre leurs vainqueurs. »
Il est certain que le « souci de se débarrasser » des véritables vainqueurs des Trois Glorieuses hantait l'esprit des pouvoirs publics. « Ceux-ci avaient donné au peuple deux semaines de vacances », dit O. Festy, il était décent ensuite qu'il reprît le travail aux conditions que justifiait le jeu de la loi de l'offre et de la demande. C'est le conseil que donne aux classes laborieuses le préfet de police ; dans son ordonnance du 25 août, il rappelle l'illégalité des attroupements et coalitions ; celles-ci sont réservées aux maîtres. « Les réunions [ouvrières] sont en elles-mêmes « un désordre grave » [même si elles ne sont accompagnées d'aucun acte délictueux]. Elles alarment les habitants paisibles, causent aux ouvriers une perte sérieuse de temps et de travail... »
Ce conseil, adressé à « l'héroïque population parisienne », deviendra, s'il n'est pas suivi, un ordre accompagné de sanctions, selon les prescriptions du Code Pénal.
La liberté de l'industrie, voilà le principe qui permet de donner satisfaction à tous les besoins. Le bon Lafayette lui-même le déclare, dans un ordre du jour au peuple de Paris.
Dans les conflits que peut susciter la concurrence des maîtres et des ouvriers, l'autorité déclare rester neutre : ces conflits doivent être réglés individuellement entre maîtres et ouvriers ; et, comme le dit le journal Le Temps, l'autorité « ne doit intervenir que pour appuyer la raison et calmer les passions ». L'autorité se réserve, tout de même, le droit d'intervenir pour jeter dans la balance le poids de sa force. Un seul journal, L'Organisateur, journal saint-simonien, le 4 septembre, souligne l'ironie de cette attitude : « Il n'y a pas un mois que le peuple a vaincu pour les libéraux et les bourgeois, et le peuple subit toute l'ingratitude forcée que nous avions prévue. Pour les excès de la concurrence dont il se plaint, on lui refuse, au nom de la liberté, un remède. On proclame le peuple héroïque ; et, si ce titre ne suffit pas aux affamés, l'autorité leur défend de demander davantage, sous réserve toutefois de leur faire appliquer ultérieurement par les gardes nationaux et la troupe de ligne toutes les douceurs renfermées dans le Code Pénal, la loi martiale, etc. »."
"Le 27 août 1830 éclate la grève des ouvriers fileurs de Rouen : 300 ouvriers précédés du drapeau tricolore se rendent à l'Hôtel de Ville pour exposer leurs plaintes.
Les rassemblements sont paisibles, les revendications raisonnables. Elles ont trait à la durée du travail et au règlement d'atelier. La journée était fréquemment de 14, 16 et 17 heures avec un repos d'une heure et demie. Les ouvriers réclament la journée de 12 heures. Ils réclament la suppression, dans les règlements d'atelier, de l'article punissant toute absence d'une amende égale au double du salaire correspondant au temps perdu, la suppression de la retenue sur la paye pour le non-achèvement d'une tâche, fût-elle au-dessus des forces de l'ouvrier
Les ouvriers demandent qu'aucun règlement d'atelier ne puisse être établi sans la participation de l'autorité.
Le 28 août, le préfet rappelle les articles du Code Pénal condamnant les coalitions et les attroupements.
Une commission choisie par tous les filateurs se réunit, le 3 septembre, et adopte un règlement d'atelier-type dont les dispositions, portées à la connaissance des juges de paix, sont affichées dans les usines.
Le 6, des désordres se produisent à Darnétal : les manifestants, armés de fourches et de bâtons, cernent la mairie, où le procureur du roi s'est réfugié, et le forcent à mettre en liberté les ouvriers arrêtés. Le lieutenant général fait marcher la troupe sur Darnétal et charger les manifestants. Et le 7, il écrit au ministre de la Guerre : « Les fileurs sont des instruments aveugles mis en mouvement par les ennemis de notre glorieuse régénération. Le parti prêtre agit en dessous. » « Le parti prêtre » en 1830, comme en 1840 « la main de l'Angleterre ou de la Russie », permet au gouvernement de se cacher à lui-même les causes profondes des conflits sociaux.
Le 10 septembre, la Commission des filateurs décide, à une grande majorité, la suppression du travail de nuit. Mais les filateurs absents proclament leur liberté de ne pas se conformer à cette décision. Et le travail de nuit continue. Bilan : 24 emprisonnements ; aucune amélioration dans les conditions du travail.
Dès le 24 septembre, les ouvriers se plaignent que la journée de travail se prolonge au delà des limites fixées par le règlement d'atelier adopté le 3 septembre par la majorité des filateurs. Barbet qui avait présidé la Commission, reconnaît qu'à cette date les ouvriers « ne gagnaient pas assez pour nourrir leurs familles, quoique travaillant 20 heures par jour ».
À Paris, en septembre 1830, grève des ouvriers imprimeurs. Le 1er septembre, les ouvriers de l'Imprimerie Nationale refusent d'imprimer l'ordonnance qui ouvre un crédit extraordinaire afin de réparer les presses mécaniques brisées le 29 juillet. Et le 3 septembre la cessation du travail est presque générale.
Le soir du 3, 3 000 ouvriers typographes se réunissent à la Barrière du Maine. Les grévistes s'adressent au colonel qui commande le bataillon de la Garde nationale et lui disent : « Auriez-vous la bonté de nous donner deux grenadiers pour faire la police de notre assemblée et empêcher les étrangers de s'y glisser ? ... » Une commission de 13 membres est nommée, et le colonel invité à prendre part à la discussion. L'assemblée proteste contre les « mécaniques ». Le 4 septembre, certains journaux sont dans l'impossibilité de paraître. Le Moniteur du 5 septembre mérite d'être cité : « L'intelligence et le courage des ouvriers imprimeurs les ont rendus utiles pendant les événements de juillet. Le sentiment de leurs services les rend naturellement exigeants. »
Les autorités hésitent encore à sévir. Firmin-Didot demande « aux anciens compagnons de ses travaux » de reprendre le travail : « Confiez-vous à la sagesse du roi et à son amour pour le peuple français. » Les 13 membres de la commission typographique sont arrêtés, puis relâchés. Et, le 14 septembre, devant le tribunal correctionnel, les prévenus sont acquittés au milieu des acclamations du public. Les ouvriers acquittés vont remercier le préfet de la Seine, Odilon Barrot.
En septembre, on est à peine à quelques semaines des journées de juillet ; mais, le 10 décembre, la Chambre des Députés, examinant la pétition qui lui avait été adressée par les ouvriers imprimeurs, passe à l'ordre du jour sur ces considérants du rapporteur : « On a été surpris que les ouvriers qui ont combattu avec tant de courage et de dévouement dans les mémorables journées de juillet se soient décidés à vous proposer de porter atteinte à la liberté si nécessaire au développement de notre industrie. »
La première idée des ouvriers a été de faire appel à l'autorité. Les ouvriers terrassiers partent de la Villette, drapeau tricolore en tête, pour porter une pétition au bon roi Louis-Philippe. Les ouvriers décatisseurs et apprêteurs de drap, à Paris, s'adressent au préfet de police afin d'obtenir, par son intervention, que les maîtres consentent à la suppression du travail de nuit. Les ouvriers serruriers et mécaniciens agissent de même afin d'obtenir la réduction de la journée de travail de 12 à 11 heures. Les ouvriers maçons adressent une pétition au préfet de la Seine pour lui demander qu'il soit interdit à leurs camarades de travailler plus d'un certain nombre d'heures par jour et de prendre du travail à la tâche. Mais le préfet de la Seine leur fait honte de leur « démarche irréfléchie, peu digne de leur conduite passée et de leur loyauté habituelle ». « Les ouvriers ont oublié un moment, ajoute le préfet de la Seine, les principes pour lesquels ils ont combattu et que plusieurs avaient scellés de leur sang : ils ont perdu de vue que la liberté du travail n'est pas moins sacrée que toutes les autres libertés. »
Les ouvriers ont combattu aussi pour la liberté du travail et de l'industrie. Leur devoir est d'en accepter les conséquences. Mais si la coalition est interdite aux ouvriers, elle est tolérée pour les patrons. Les maîtres maréchaux et vétérinaires de Paris signent une entente par laquelle ils s'interdisent, sous peine d'amende, d'accorder aucune augmentation de salaire à leurs ouvriers. Les ouvriers maréchaux s'étonnent de cette inégalité de traitement, et Le Constitutionnel du 8 octobre publie une lettre dans laquelle ils remarquent que leur droit de se coaliser pour obtenir des augmentations de salaire est égal à celui des maîtres.
Dans ces manifestations, pour la plupart pacifiques, l'autorité ne voit qu'une agitation suscitée par de secrètes intrigues. Elle estime qu'il est grand temps d'interrompre le grand mois de vacances légales données aux travailleurs, et, dès le 5 septembre, le préfet de police envoie une circulaire aux commissaires de police : « Une agitation inquiétante existe dans plusieurs classes d'ouvriers. Il devient urgent de faire cesser cet état d'effervescence. »
En cet automne 1830, le parti républicain ne comprend pas mieux que les autorités les aspirations des classes laborieuses. Le 10 septembre 1830, il fait placarder une affiche ainsi conçue : « Gardes nationaux, chefs d'atelier, ouvriers, vos intérêts communs sont la liberté du travail. Réunissez-vous donc pour renverser une Chambre dont la durée ne peut que perpétuer les discordes qu'on suscite entre vous. » Et Le National du 17 septembre écrit ceci : « Les ouvriers n'ont pas encore acquis assez de lumières pour discerner ce qui convient à leurs intérêts aussi bien qu'aux intérêts de tous. Les préjugés que les classes ouvrières doivent seulement au défaut de leur éducation font beaucoup de mal et mettent souvent obstacle aux améliorations les plus désirables. »
Les Débats sont plus perspicaces que Le National lorsqu'ils écrivent le 13 septembre : « Le parti républicain ne peut offrir aux ouvriers que de leur donner des droits politiques. Or ce n'est pas pour ce résultat que les ouvriers se coalisent... Dans les coalitions et les émeutes, la politique n'est pour rien ; il ne s'agit point d'opinions, mais d'intérêts. Les classes inférieures éprouvent, à n'en point douter, un sentiment de mauvaise humeur contre la propriété ; et cela n'arrive pas seulement en France, mais en Angleterre et en Belgique ; il est visible que les classes inférieures tendent partout à envahir violemment la propriété ; que c'est là la question de l'avenir, question toute matérielle et toute palpable. »
Les classes ouvrières sont profondément déçues : « Les trois journées de Juillet, dit Le Peuple du 20 octobre, n'ont eu d'autre résultat qu'un changement de dynastie. Elles promettaient davantage. »
Cette désillusion donne aux classes laborieuses le sentiment de leur isolement dans la société."
" [A partir de 1830, les] premiers journaux ouvriers, publiés à Paris, sont éphémères ; à Lyon la presse ouvrière a plus de durée ; L'Écho de la Fabrique, L'Écho des Travailleurs, La Glaneuse, Le Précurseur, La Tribune Prolétaire, L'Indicateur, sont, les uns, purement ouvriers; les autres ont des tendances politiques qui en font les organes à la fois du mouvement social et du mouvement républicain."
"Dès le 19 janvier 1831, la crise économique qui se prolonge provoque des manifestations suscitées par le manque de pain et le manque de travail. À Lyon, 800 travailleurs, rassemblés aux Brotteaux, manifestent aux cris de : « Du travail et du pain. » Le 1er et le 2 mars, des démonstrations ouvrières ont lieu à Paris. Rassemblements pacifiques, que dissipe la force armée : « Le roi ne connaît pas notre position », disaient les manifestants, et ils criaient : « Vive le roi ! Vive la liberté ! du travail, du pain ou la mort ! »
Le 3 mars 1831, 2 000 ouvriers de Saint-Étienne se jettent sur l'usine de Rives pour démolir les machines. Le 1er mai, les ouvriers scieurs de long, à Bordeaux, pénètrent dans les ateliers pour briser les scies mécaniques. En septembre, à Paris, 1 500 ouvrières manifestent contre des fabricants de la rue du Cadran, qui ont fait venir de Lyon une machine à découper les châles. Le 7 septembre, les ouvrières crient : « Plus de mécaniques ! »On les fait charger par la cavalerie. L'ordre n'est rétabli que cinq jours après."
-Édouard Dolléans, Histoire du mouvement ouvrier, tome 1 "1830-1871", édition numérique "Les classiques des sciences sociales" réalisée à partir de Paris, Librairie Armand Colin, 4e édition, 1948 (1936 pour la première édition), 397 pages.
-Édouard Dolléans, Histoire du mouvement ouvrier, tome 2,
"
-Édouard Dolléans, Histoire du mouvement ouvrier, tome 3,
"Tout au long des quarante années qui vont de 1830 à 1870 s'élève une plainte. Les mêmes murmures, les mêmes appels inentendus. Parfois le murmure se transforme en une clameur ; les volontés se nouent en une action plus nette, et l'échec provoque soudain l'émeute. De temps à autre, une insurrection dont la répression réduit au silence, pendant quelques années, la voix des classes laborieuses. [...]
Sur une trame sombre se trace l'histoire ouvrière, une trame que rehaussent les broderies tantôt vulgaires, tantôt brillantes des idéologues. Mais le fond reste le même : le labeur des hommes, l'effort pour gagner le pain quotidien ; la difficulté de maintenir l'équilibre du budget familial, sans cesse rompu par la maladie et le chômage. Lutte contre le destin adverse. Jour par jour, les travailleurs soutiennent cette lutte sans éclat et qui n'éclaire d'aucune gloire les obscurs. [...]
Au cours du XIXe siècle, la Révolution industrielle et les inventions vont réduire la valeur que la possession d'un métier donnait à l'artisan.
Déjà, en 1841, le compositeur typographe Adolphe Boyer peut écrire : « Maintenant, avec la division du travail, les procédés nouveaux et les machines, la plupart des états tendent à devenir purement mécaniques et les ouvriers de toutes les professions seront bientôt rejetés dans la classe des hommes propres à tout faire... Bientôt, on n'aura plus besoin des travailleurs que pour tourner des manivelles, porter les fardeaux, et faire les courses ; il est vrai qu'ils auront l'instruction primaire, c'est-à-dire que leur intelligence sera assez développée pour comprendre que la société les rejette comme des parias. Par la simplification dans les moyens de fabrication, l'homme n'a plus besoin ni de sa force physique, ni de son aptitude, et n'est pas plus nécessaire qu'un enfant... »
L'ouvrier tend à se sentir individuellement moins nécessaire. Et, en même temps, le contact entre l'artisan et son oeuvre étant coupé, l'intérêt de l'ouvrier s'éloigne et parfois même se détache complètement de son travail.
Le métier était le support traditionnel du travailleur. La machine, peu à peu, dépossède l'artisan, l'ouvrier, de son métier et de la raison d'être de son existence. La machine poursuivra cette œuvre de dépossession jusqu'au jour où le travailleur désâmé se sentira contraint de chercher, en dehors de son travail, un point d'appui.
En même temps qu'elle dépossède l'ouvrier, le machine trop souvent le jette à la rue. Le rythme de la grande production fait peser sur le travailleur l'incertitude ; la menace de manquer de travail reste suspendue sur l'ouvrier. L'incertitude, peut-être le pire des maux.
La tâche quotidienne devient lourde lorsqu'à chaque instant peut échapper le salaire, lorsqu'au bout de jours et de jours d'un travail presque sans loisirs, s'ouvre la perspective d'un brusque chômage, d'une vieillesse sans pain.
Nul siècle ne fut plus sombre, ni plus cruel aux travailleurs que le XIXe siècle. La première éclaircie se produit, en France et en Grande-Bretagne, entre 1830 et 1834."
"Un médecin de Nantes, A. GUÉPIN [1], a décrit la condition des ouvriers à domicile, qui ont 300 francs à dépenser par an et qu'il distingue des travailleurs qu'il appelle aisés, imprimeurs, maçons, charpentiers, menuisiers, et dont les ressources oscillent entre 600 et 1000 francs par an :
« Il n'est personne, a moins d'avoir étouffé tout sentiment de justice, qui n'ait dû être affligé en voyant l'énorme disproportion entre les joies et les peines de cette classe... On aimerait à voir quelques compensations à ses misères : le repos après le travail ; un service rendu après un service donné ; un sourire après un soupir ; des joies matérielles ou des joies d'amour-propre ; quelque chose enfin. Et cependant, à l'ouvrier dont nous parlons, rien de tout cela n'est donné en échange de son travail.
« Vivre, pour lui, c'est ne pas mourir. Au delà du morceau de pain qui doit nourrir, lui et sa famille, au delà de la bouteille de vin qui doit lui ôter un instant la conscience de ses douleurs, il ne prétend à rien, il n'espère rien.
« Si vous voulez savoir comment il se loge, allez par exemple à la rue des Fumiers, qui est presque exclusivement occupée par cette classe ; entrez, en baissant la tête, dans un de ces cloaques ouverts sur la rue et situés au-dessous de son niveau. Il faut être descendu dans ces allées où l'air est humide et froid comme une cave ; il faut avoir senti son pied glisser sur le sol malpropre et avoir craint de tomber dans cette fange, pour se faire une idée du sentiment pénible qu'on éprouve en entrant chez ces misérables ouvriers. De chaque côté de l'allée, et par conséquent au-dessous du sol, il y a une chambre sombre, grande, glacée, dont les murs suintent une eau sale ; recevant l'air par une espèce de fenêtre semi-circulaire qui a deux pieds dans sa plus grande élévation. Entrez, si l'odeur fétide qu'on y respire ne vous fait pas reculer. Prenez garde, car le sol inégal n'est ni pavé ni carrelé, ou au moins les carreaux sont recouverts d'une si grande épaisseur de crasse qu'on ne peut nullement les apercevoir. Et vous voyez ces trois ou quatre lits, mal soutenus et penchés, à cause que la ficelle, qui les fixe sur leurs supports vermoulus, n'a pas elle-même bien résisté. Une paillasse, une couverture formée de lambeaux frangés, rarement lavée, parce qu'elle est seule ; quelquefois des draps, quelquefois un oreiller, voilà le dedans du lit. Des armoires; on n'en a pas besoin dans ces maisons. Souvent un métier de tisserand et un rouet complètent l'ameublement... C'est là que, souvent sans feu l'hiver, sans soleil le jour, à !a clarté d'une chandelle de résine, le soir, des hommes travaillent pendant 14 heures pour un salaire de 15 à 20 sous."
"Dans la filature mécanique, la durée de la journée, partout où l'on peut travailler à la lumière de la lampe, est, pour les deux sexes et pour tous les âges, selon les saisons, de 14 à 15 heures, sur lesquelles on consacre une ou deux heures au repas et au repos, ce qui réduit le travail effectif à 13 heures par jour. Mais, pour beaucoup d'ouvriers qui demeurent à une demi-lieue ou même à une lieue et cinq quarts de lieue de l'usine, il faut ajouter chaque jour le temps nécessaire pour se rendre à l'atelier et retourner chez eux.
Dans les villes d'Alsace, où la cherté des loyers et le niveau des salaires ne permettent pas aux ouvriers en coton de se loger auprès de leurs ateliers, les filatures et les tissages mécaniques s'ouvrent généralement le matin à 5 heures et se ferment le soir à huit, quelquefois à neuf. Ainsi la journée de travail est au moins de 15 heures. Une demi-heure pour le déjeuner, une heure pour le dîner. Par conséquent, les travailleurs ne fournissent jamais moins de 13 h. 1 /2 de travail par jour. Dans les ateliers où l'on tisse à la main, la durée du travail est plus longue parce que beaucoup de tisserands emportent chez eux des fils qu'ils tissent en famille. La journée commence souvent avec le jour, quelquefois plus tôt, et elle se prolonge très tard dans la nuit, jusqu'à 10 ou 11 heures."
"En décembre 1831, Lelong, adjoint à la Mairie de Rouen, comparant les dépenses nécessaires des ouvriers avec leurs salaires, reconnaît que, pour le plus grand nombre, les salaires sont au-dessous des besoins. Et ces constatations sont confirmées par un rapport des délégués de l'Industrie Cotonnière, de la même époque : les salaires sont inférieurs au budget le plus strict des dépenses d'une famille pauvre."
"La moyenne générale de la vie humaine, en 16 ans, a considérablement diminué à Mulhouse, où elle était de 25 ans 9 mois 12 jours en 1812; en 1827, elle est descendue à 21 ans 9 mois. Le calcul des chances de vie selon les différentes professions donne aux enfants des manufacturiers et négociants 28 années probables de vie à leur naissance, contre une année et demie aux enfants des tisserands et ouvriers des filatures. La misère est telle que « la plupart des ouvriers voient périr leurs enfants avec indifférence et quelques fois avec joie. »"
"La brusque poussée de la révolution industrielle dans certaines régions ou dans certaines localités a provoqué l'agglomération de la population ouvrière autour des fabriques et porté les loyers à un prix exorbitant."
"Dans les filatures de coton, l'air est souvent irrespirable, l'hygiène et l'organisation de la sécurité, inexistante ; la phtisie cotonneuse sévit parmi les ouvriers occupés au battage du coton brut."
"A partir de 1851, s'amorce une transformation des entreprises, une évolution du capitalisme. Proudhon a été, en France, un des premiers à en prévoir les conséquences, lorsque le 8 septembre 1852, à Lyon, il insère dans son carnet cette note inédite : « La France sera livrée au monopole des compagnies, à la féodalité. Voilà le régime féodal qui vient. Les tissus, les fers, les grains, les liquides, les sucres, les soies, tout est en voie de monopole »
En 1863, dans la brochure : Quelques vérités sur les élections de Paris, Tolain constate que l'évolution vue par Proudhon s'accentue : « Les capitaux se concentrent et s'organisent en puissantes associations financières et industrielles. Si nous n'y prenons garde, cette force sans contrepoids régnera bientôt despotiquement. »
La loi de 1867 sur les sociétés anonymes est la formule juridique qui consacre cette évolution d'un capitalisme individualiste : celui-ci va progressivement muer en un capitalisme anonyme et irresponsable. Cette évolution demandera pour se parfaire plus d'un quart de siècle et c'est seulement dans la première décade du XXe siècle qu'apparaîtront les formes achevées du capitalisme monopoliste."
"L'ouvrier imprimeur sur papiers peints Héligon, que nous retrouverons parmi les plus actifs militants des commissions de l'Internationale parisienne, constatant la disparition de ce que conservaient encore de personnel les relations industrielles, condense en une phrase les conséquences de cette disparition : « L'ouvrier n'a plus en face de lui qu'un être abstrait, la Compagnie. »."
"Le règlement d'atelier, convention unilatérale, que, lors de l'embauche, l'ouvrier est contraint d'accepter, donne lieu à de nombreux abus. Citons seulement quelques cas, soit en France, soit en Grande-Bretagne. Le règlement des usines du Creusot permettait d'infliger 50 francs d'amende à un ouvrier pour n'avoir pas dénoncé un camarade (1870), et, au commencement de 1869, les amendes infligées aux ouvrières absorbaient parfois, sur un salaire de 30 francs, la somme de 26 fr. 75."
"Au moment où, en France, en 1830, et en Grande-Bretagne en 1832, la bourgeoisie industrielle et commerçante prend le pouvoir, la France et la Grande-Bretagne subissent une crise économique qui dure depuis 1825 et se prolongera jusqu'en 1848.
Sans doute, entre ces deux dates, il se produit deux retours à la prospérité. Mais sur une période de 23 ans, le bilan est de huit années d'essor et de quinze années de crise.
De cette crise de 23 années, la cause apparente est la série d'inventions qui commence au milieu du XVIIIe siècle, métamorphosant la technique et transformant radicalement l'organisation du travail.
Humbles inventeurs que John Kay, tisserand et mécanicien, inventeur de la navette volante ; le charpentier James Waytt, inventeur de la filature mécanique ; l'aveugle Metcalf, qui introduit l'art de construire les routes ; l'illettré Brindley, qui invente l'art de construire les aqueducs ; Telford, fils d'un berger qui jette un pont sur le détroit de Ménal ; Bell, apprenti chez un constructeur de moulins, qui lance le premier vapeur sur la Clyde ; Stephenson, fils d'un pompier, qui construit la première locomotive. Ces obscurs ne se doutaient pas que leurs inventions allaient bouleverser l'existence de leurs compagnons de travail.
En transformant les formes de la production, la Révolution industrielle remet la puissance économique aux chefs de la grande industrie, à cette bourgeoisie industrielle et commerçante à laquelle la loi électorale de 1832 donne, en Grande-Bretagne, la puissance politique."
"En Grande-Bretagne, en 1832, l'accession au pouvoir politique de la bourgeoisie affirme que la Révolution industrielle a développé toutes ses conséquences.
En France, au contraire, la Révolution industrielle commence seulement à faire sentir ses effets. La France demeure une nation d'artisans et d'ouvriers à domicile. Le prolétariat industriel est relativement peu important et presque entièrement limité aux industries textiles. Voilà pourquoi, tandis qu'en Grande-Bretagne le facteur économique domine, il tient une moindre place dans la formation du mouvement ouvrier français.
En France, la misère des ouvriers à domicile est profonde ; et, de leur côté, les artisans français subissent le contre-coup des crises qui troublent la vie artisanale et ouvrière. Mais, en France, les crises sont moins aiguës. Si elles déterminent de cruelles souffrances parmi les ouvriers à domicile dans les grosses agglomérations industrielles comme Lyon, de telles agglomérations sont rares.
Pour expliquer la formation, entre 1830 et 1836, du mouvement ouvrier en France, on doit donner une large place aux facteurs psychologiques, et notamment à la déception qui suit la Révolution de Juillet et ces Trois Glorieuses au cours desquelles les artisans, à Paris et en province, ont combattu et ont été vainqueurs.
Cette réserve faite, en Grande-Bretagne et en France, la naissance du mouvement ouvrier, entre 1830 et 1836, a pour origine la rencontre de facteurs économiques et de facteurs psychologiques, rencontre dont dépend tout grand mouvement révolutionnaire."
"Le système traditionnel d'assistance était considéré par la population laborieuse comme la juste compensation due par les heureux de ce monde à l'infortune des malheureux, comme le prix de la résignation sociale.
Le jour où ce système devient un obstacle au recrutement de la grande industrie, il est condamné. Le Poor Law Amendment Act de 1834 transforme l'assistance, qui, de paroissiale, devient régionale; les paroisses sont groupées en unions ayant chacune son workhouse, et, au-dessus de toutes les unions, trois commissaires forment un conseil central, « le Monstre à trois têtes », pourvu d'un droit de réglementation et de contrôle très étendu. La nouvelle loi interdit les secours à domicile et en argent donnés aux indigents valides, qui doivent tous désormais subir la discipline du workhouse.
La réaction provoquée contre la nouvelle loi n'est pas seulement sentimentale. La loi de 1834 facilite l'exode de la population des comtés ruraux vers les villes de fabriques, et, par suite, la concurrence que font au prolétariat industriel ces nouveaux venus, entraînant par leur présence des salaires plus bas et plus instables.
Le Bill de 1832 installe au pouvoir la bourgeoisie ; celle-ci s'en sert aussitôt pour édicter une législation de classe. La loi de 1834 est la première grande mesure adoptée par la nouvelle Chambre en faveur des industriels. La nouvelle loi fournissait aux « Lords du coton et de la boutique », dont les représentants étaient les maîtres au Parlement, une main-d’œuvre à bon marché, une main-d’œuvre soumise, puisque les indigents pauvres préféraient n'importe quel salaire à l'entrée dans les Bastilles des Pauvres.
La nouvelle Loi des Pauvres blesse profondément les masses ouvrières. La concurrence dépressive des émigrés ruraux est considérée comme l'effet de la seule loi de 1834 ; l'organisation des workhouses froisse les sentiments populaires : les indigents valides y sont astreints à un régime de prison, séparés de leur femme et de leurs enfants.
Dès les débuts du mouvement ouvrier, les réformateurs expriment les colères violentes que soulève la nouvelle loi. Sur ce point, ils voient se joindre à eux des conservateurs sociaux que leur indignation contre la nouvelle loi rapproche des Chartistes. Les torys Richard Oastler et Stephens sont les interprètes passionnés de l'émotion provoquée par la Loi des Pauvres.
Conservateurs sociaux comme démocrates, radicaux et socialistes, entreprennent contre la loi une campagne ardente. Dans une lettre à Fielden, James Turner dénonce les mobiles de la loi.
« Si la population du Nord supporte seulement l'introduction de ce système infernal, il sera impossible d'empêcher les salaires de baisser. Les ouvriers, vivant sous ce système, n'auront d'autre alternative que d'accepter le salaire offert par les employeurs Un très respectable tanneur me disait qu'il se faisait fort, si sa conscience le lui permettait, de faire exécuter son ouvrage pour 6 shillings par semaine. »
La dépression des salaires, voilà la raison d'être cachée pour laquelle les capitalistes industriels, maîtres du Parlement, ont fait voter la loi de 1834.
La loi de 1834 a pour but de procurer aux industriels de la main d'œuvre à bon marché, en créant par la venue des indigents valides sur le marché du travail une concurrence artificielle qui déprime les salaires. La loi est injuste dans son principe parce qu'elle porte atteinte à un droit traditionnel. Oastler, Stephens, Fielden, les leaders chartistes et les ouvriers sont d'accord sur ce point : l'assistance est un droit. Les riches sont les gardiens de ce droit des pauvres ; en supprimant l'ancien système d'assistance ils ont commis un abus de confiance. Au meeting de Rochdale, dont rend compte la Northern Star, Oastler dira :
« Les pauvres auxquels on enlève leurs droits légaux et constitutionnels auront le droit de dire aux Landlords : vous n'aurez plus de rentes. La seule façon dont vous, les riches, vous pouvez faire respecter vos droits, est de prendre la défense des droits des pauvres. Si vous désirez que votre serviteur vous aide à défendre votre propriété, prouvez que vous êtes prêts à défendre son travail. »
Le droit à l'assistance est une assurance contractée par les riches cette sécurité donnée aux pauvres garantit aux riches le respect de leur propriété. Mais, si ceux-ci rompent ce pacte de paix sociale, les pauvres reprennent leur droit à la révolte."
"La nouvelle Loi des Pauvres fournit aux manufacturiers un contingent nouveau de main-d’œuvre qui leur permet de diminuer la rémunération du travail. Le 3 août 1844, la Northern Star se plaindra, lors d'une grève de mineurs dans le Northumberland et le Durham, que le Poor Law assistant commissioner envoie du Pays de Galles 204 travailleurs, hommes et femmes, et en propose 1 000 autres pour aider les patrons à soumettre les mineurs."
"Le 26 juillet 1830, des imprimeurs, puis d'autres industriels de Paris, ferment leurs ateliers. Des groupes d'ouvriers inoccupés circulent dans les rues et commencent à manifester.
Le 27, les premières barricades s'élèvent dans les quartiers de l'Hôtel de Ville, de la Bastille, des Faubourgs. Le 29, le drapeau tricolore est planté sur les Tuileries. Mais, le même jour, la révolution est escamotée par Thiers : « Sans d'Orléans, pensait-il, nous ne pouvons pas contenir cette populace. » Le 30, une proclamation rédigée par lui est affichée sur les murs de Paris ; elle promet une charte qui sera l'expression des droits du peuple français. Les républicains s'inclinent devant le fait accompli.
L'initiative de la résistance a été prise par la bourgeoisie ; mais c'est le peuple qui a vaincu. Suscitée par les maîtres, l'intervention des ouvriers a donné à la révolution un élan irrésistible.
C'est le futur ministre de Louis-Philippe, Barthe, qui eut, selon le comte d'Argout, l'idée qu'il conviendrait de jeter les ouvriers imprimeurs sur le pavé de Paris. Le 26 juillet, il engage un imprimeur de ses amis à réunir les autres imprimeurs, ceux-ci se mettent d'accord pour fermer le lendemain matin leurs ateliers. Les ouvriers renvoyés s'attroupent au Palais-Royal et forment le premier noyau de l'insurrection. Des libraires transforment en arsenal leurs magasins, et, dans sa Chronique de juillet 1830, Rozet note que les caractères d'imprimerie servent aux fusils de projectiles.
Les autres maîtres suivent l'exemple des imprimeurs. Ils disent à leurs ouvriers : Nous n'avons plus de pain à vous donner.
Audry de Puyraveau, pour construire les barricades, sacrifie toutes les voitures de son établissement de roulage : ouvrant à deux battants les portes de sa maison, il appelle à grands cris les combattants et leur distribue 300 fusils et 1 800 baïonnettes. Le 27, un fabricant du Pré Saint-Gervais exhorte ses ouvriers à prendre les armes et leur distribue des balles faites avec les tuyaux de plomb de son jardin.
Il en est de même en province, à Bar-le-Duc, à Limoges, à Corbeil, à Nantes, où le maître d'une fabrique d'étoffes, Petit Pierre, après avoir encouragé ses ouvriers à s'armer, demande ensuite la Légion d'Honneur pour prix de son courage : deux de ses employés ont dirigé l'insurrection, et l'un d'eux a succombé dans le combat avec la troupe. A Lille, les ouvriers seuls, au nombre de 10 000, à l'encontre des fabricants, ont assuré le succès de la Révolution.
À Bordeaux, on ferme les chais, on congédie les ouvriers ; à Lyon, les fabricants ont décidé la fermeture générale des ateliers. Les marchands ont envoyé leurs commis pour arrêter les métiers et donner l'ordre aux ouvriers de se rendre sur la place publique afin de seconder le mouvement, sous peine de privation d'ouvrage à l'avenir pour quiconque n'y prendrait pas part.
Grâce à la classe ouvrière, la bourgeoisie industrielle et commerçante a pu s'emparer du pouvoir. Les ouvriers attendent leur récompense. Ils croient pouvoir l'espérer. N'a-t-on pas fraternisé sur les barricades ? Le 30 juillet, Le National n'a-t-il pas déclaré « C'est le peuple qui a tout fait depuis trois jours; il a été puissant et sublime ; c'est lui qui a vaincu ; c'est pour lui que devront être tous les résultats de la lutte. » [...]
Rien de changé en effet pour la classe des travailleurs. La bourgeoisie industrielle et commerçante, sous le nom de Louis-Philippe, va gouverner en toute liberté. Les ministres, les Thiers et les Guizot. seront plus hostiles au peuple que les hommes de la Restauration. Ils ne rencontrent, au lendemain des journées de Juillet, aucune résistance, pas même celle du parti républicain."
"Les classes laborieuses ne possèdent aucune organisation ; les corps d'état qui adhèrent au compagnonnage n'ont aucun sens de la solidarité ouvrière. Tout au contraire : ils sont possédés de rancunes persévérantes. L'antagonisme entre les divers compagnonnages égale l'injustice avec laquelle, dans chaque compagnonnage, les compagnons traitent les aspirants soumis aux plus cruelles vexations."
"La crise économique a précédé la Révolution de Juillet ; elle a commencé en 1825 ; mais ses effets sont plus durement sentis, parmi les masses ouvrières, au lendemain des Trois Glorieuses. Tout d'abord, les ouvriers pensent qu'il leur suffit de faire appel à l'autorité pour obtenir une amélioration de leur sort ; on leur doit bien cela. Pendant les premiers jours, l'autorité prend certains ménagements à l'égard des travailleurs. Mais très vite cette autorité, que ceux-ci espéraient protectrice, leur apparaît sous son véritable visage.
A la mi-août 1830 - le 15 - certains corps d'état font appel au gouvernement « avec beaucoup d'ordre, de respect et de timidité ». Une pétition est rédigée par les ouvriers selliers et carrossiers quatre cents d'entre eux, précédés du drapeau tricolore, la portent au préfet de police, Girod de l'Ain. Celui-ci descend les haranguer. Le même soir, les garçons bouchers promènent le drapeau tricolore avec cette inscription : « Liberté du Commerce ». Le 16, les cochers de fiacre et de cabriolet s'en prennent aux omnibus qui leur font concurrence.
Certains ouvriers crient : « A bas les mécaniques », et nous retrouvons en France la révolte contre les machines que nous avons rencontrée en Angleterre, comme une des formes de la réaction contre la révolution industrielle.
Le 20 août 1830 paraît une brochure, signée par un vieux typographe victime de l'arbitraire, et qui expos Les justes alarmes de la classe ouvrière au sujet des mécaniques : « Les mécaniques plus voraces que les monstres terrassés par Hercule sont contraires à l'Humanité, aux droits de la nature et de l'industrie et à l'intérêt général des membres de la société... »
Les ouvriers font preuve de mesure et de calme. Le 19 août, une Commission nommée par les ouvriers imprimeurs fait appel à leur modération : elle espère que « la part active que nous avons prise aux événements des journées mémorables du 27, 28 et 29 juillet, où plusieurs de nos frères ont versé leur sang pour la cause de la patrie, ne sera pas ternie par une coupable condescendance aux conseils perfides des ennemis de la patrie ». Elle recommande de ne pas briser les machines, mais « d'attendre avec calme que les représentants de la nation aient apprécié notre demande ». L'appel s'achève par cette phrase : « Les représentants de la nation comprendront que nos besoins sont aussi journaliers que nos travaux ». Mais les représentants de la nation ne le comprenaient pas.
Les autorités, qui se sont montrées indulgentes jusque vers le 20 août, affirment qu'elles sont prêtes à réprimer les manifestations ouvrières et à appliquer la loi dans toute sa rigueur. La législation leur donne les pouvoirs nécessaires.
Le 23 août, 400 ouvriers menuisiers, dans un ordre parfait, remettent au préfet de police une pétition réclamant de l'administration un tarif qui règle les prix des travaux. Girod de l'Ain leur répond que l'intervention de l'administration est contraire au principe de la liberté de l'industrie : « Il convient de s'en tenir au libre jeu de la loi de l'offre et de la demande. » Les ouvriers se retirent en laissant au préfet 248 fr. 75 pour les victimes de juillet.
Les ouvriers serruriers, au nombre de 3 à 4 000, parcourent Paris afin de présenter aux maîtres une pétition par laquelle ils réclament la réduction de la journée de travail de 12 à 11 heures. En face de la coalition des maîtres en vue de faire baisser les salaires, les coupeuses de poil s'unissent pour réclamer 6 sous par cent peaux de lapin. C'en est trop ; et, bien que dans leurs manifestations les ouvriers restent calmes, les pouvoirs publics s'inquiètent. Ils rassurent leur conscience en donnant de ces manifestations une explication qui va devenir traditionnelle, et que nous retrouverons, d'époque en époque, jusqu'à nos jours. Ce sont les ennemis du gouvernement, les ennemis de la Monarchie de Juillet, qui, sont les fauteurs de ces désordres ; ce sont les carlistes qui excitent le peuple à troubler l'ordre et la paix publique : un complot organisé « par les congréganistes et les agents de Charles X ». Cette hypothèse dispense les gouvernements de rechercher les causes profondes. Le Constitutionnel du 17 août, scandalisé, s'écrie : « Les ouvriers devraient se méfier de tous ces excitateurs envoyés au milieu du peuple par ses ennemis, qui, furieux de leur défaite, veulent s'en venger contre leurs vainqueurs. »
Il est certain que le « souci de se débarrasser » des véritables vainqueurs des Trois Glorieuses hantait l'esprit des pouvoirs publics. « Ceux-ci avaient donné au peuple deux semaines de vacances », dit O. Festy, il était décent ensuite qu'il reprît le travail aux conditions que justifiait le jeu de la loi de l'offre et de la demande. C'est le conseil que donne aux classes laborieuses le préfet de police ; dans son ordonnance du 25 août, il rappelle l'illégalité des attroupements et coalitions ; celles-ci sont réservées aux maîtres. « Les réunions [ouvrières] sont en elles-mêmes « un désordre grave » [même si elles ne sont accompagnées d'aucun acte délictueux]. Elles alarment les habitants paisibles, causent aux ouvriers une perte sérieuse de temps et de travail... »
Ce conseil, adressé à « l'héroïque population parisienne », deviendra, s'il n'est pas suivi, un ordre accompagné de sanctions, selon les prescriptions du Code Pénal.
La liberté de l'industrie, voilà le principe qui permet de donner satisfaction à tous les besoins. Le bon Lafayette lui-même le déclare, dans un ordre du jour au peuple de Paris.
Dans les conflits que peut susciter la concurrence des maîtres et des ouvriers, l'autorité déclare rester neutre : ces conflits doivent être réglés individuellement entre maîtres et ouvriers ; et, comme le dit le journal Le Temps, l'autorité « ne doit intervenir que pour appuyer la raison et calmer les passions ». L'autorité se réserve, tout de même, le droit d'intervenir pour jeter dans la balance le poids de sa force. Un seul journal, L'Organisateur, journal saint-simonien, le 4 septembre, souligne l'ironie de cette attitude : « Il n'y a pas un mois que le peuple a vaincu pour les libéraux et les bourgeois, et le peuple subit toute l'ingratitude forcée que nous avions prévue. Pour les excès de la concurrence dont il se plaint, on lui refuse, au nom de la liberté, un remède. On proclame le peuple héroïque ; et, si ce titre ne suffit pas aux affamés, l'autorité leur défend de demander davantage, sous réserve toutefois de leur faire appliquer ultérieurement par les gardes nationaux et la troupe de ligne toutes les douceurs renfermées dans le Code Pénal, la loi martiale, etc. »."
"Le 27 août 1830 éclate la grève des ouvriers fileurs de Rouen : 300 ouvriers précédés du drapeau tricolore se rendent à l'Hôtel de Ville pour exposer leurs plaintes.
Les rassemblements sont paisibles, les revendications raisonnables. Elles ont trait à la durée du travail et au règlement d'atelier. La journée était fréquemment de 14, 16 et 17 heures avec un repos d'une heure et demie. Les ouvriers réclament la journée de 12 heures. Ils réclament la suppression, dans les règlements d'atelier, de l'article punissant toute absence d'une amende égale au double du salaire correspondant au temps perdu, la suppression de la retenue sur la paye pour le non-achèvement d'une tâche, fût-elle au-dessus des forces de l'ouvrier
Les ouvriers demandent qu'aucun règlement d'atelier ne puisse être établi sans la participation de l'autorité.
Le 28 août, le préfet rappelle les articles du Code Pénal condamnant les coalitions et les attroupements.
Une commission choisie par tous les filateurs se réunit, le 3 septembre, et adopte un règlement d'atelier-type dont les dispositions, portées à la connaissance des juges de paix, sont affichées dans les usines.
Le 6, des désordres se produisent à Darnétal : les manifestants, armés de fourches et de bâtons, cernent la mairie, où le procureur du roi s'est réfugié, et le forcent à mettre en liberté les ouvriers arrêtés. Le lieutenant général fait marcher la troupe sur Darnétal et charger les manifestants. Et le 7, il écrit au ministre de la Guerre : « Les fileurs sont des instruments aveugles mis en mouvement par les ennemis de notre glorieuse régénération. Le parti prêtre agit en dessous. » « Le parti prêtre » en 1830, comme en 1840 « la main de l'Angleterre ou de la Russie », permet au gouvernement de se cacher à lui-même les causes profondes des conflits sociaux.
Le 10 septembre, la Commission des filateurs décide, à une grande majorité, la suppression du travail de nuit. Mais les filateurs absents proclament leur liberté de ne pas se conformer à cette décision. Et le travail de nuit continue. Bilan : 24 emprisonnements ; aucune amélioration dans les conditions du travail.
Dès le 24 septembre, les ouvriers se plaignent que la journée de travail se prolonge au delà des limites fixées par le règlement d'atelier adopté le 3 septembre par la majorité des filateurs. Barbet qui avait présidé la Commission, reconnaît qu'à cette date les ouvriers « ne gagnaient pas assez pour nourrir leurs familles, quoique travaillant 20 heures par jour ».
À Paris, en septembre 1830, grève des ouvriers imprimeurs. Le 1er septembre, les ouvriers de l'Imprimerie Nationale refusent d'imprimer l'ordonnance qui ouvre un crédit extraordinaire afin de réparer les presses mécaniques brisées le 29 juillet. Et le 3 septembre la cessation du travail est presque générale.
Le soir du 3, 3 000 ouvriers typographes se réunissent à la Barrière du Maine. Les grévistes s'adressent au colonel qui commande le bataillon de la Garde nationale et lui disent : « Auriez-vous la bonté de nous donner deux grenadiers pour faire la police de notre assemblée et empêcher les étrangers de s'y glisser ? ... » Une commission de 13 membres est nommée, et le colonel invité à prendre part à la discussion. L'assemblée proteste contre les « mécaniques ». Le 4 septembre, certains journaux sont dans l'impossibilité de paraître. Le Moniteur du 5 septembre mérite d'être cité : « L'intelligence et le courage des ouvriers imprimeurs les ont rendus utiles pendant les événements de juillet. Le sentiment de leurs services les rend naturellement exigeants. »
Les autorités hésitent encore à sévir. Firmin-Didot demande « aux anciens compagnons de ses travaux » de reprendre le travail : « Confiez-vous à la sagesse du roi et à son amour pour le peuple français. » Les 13 membres de la commission typographique sont arrêtés, puis relâchés. Et, le 14 septembre, devant le tribunal correctionnel, les prévenus sont acquittés au milieu des acclamations du public. Les ouvriers acquittés vont remercier le préfet de la Seine, Odilon Barrot.
En septembre, on est à peine à quelques semaines des journées de juillet ; mais, le 10 décembre, la Chambre des Députés, examinant la pétition qui lui avait été adressée par les ouvriers imprimeurs, passe à l'ordre du jour sur ces considérants du rapporteur : « On a été surpris que les ouvriers qui ont combattu avec tant de courage et de dévouement dans les mémorables journées de juillet se soient décidés à vous proposer de porter atteinte à la liberté si nécessaire au développement de notre industrie. »
La première idée des ouvriers a été de faire appel à l'autorité. Les ouvriers terrassiers partent de la Villette, drapeau tricolore en tête, pour porter une pétition au bon roi Louis-Philippe. Les ouvriers décatisseurs et apprêteurs de drap, à Paris, s'adressent au préfet de police afin d'obtenir, par son intervention, que les maîtres consentent à la suppression du travail de nuit. Les ouvriers serruriers et mécaniciens agissent de même afin d'obtenir la réduction de la journée de travail de 12 à 11 heures. Les ouvriers maçons adressent une pétition au préfet de la Seine pour lui demander qu'il soit interdit à leurs camarades de travailler plus d'un certain nombre d'heures par jour et de prendre du travail à la tâche. Mais le préfet de la Seine leur fait honte de leur « démarche irréfléchie, peu digne de leur conduite passée et de leur loyauté habituelle ». « Les ouvriers ont oublié un moment, ajoute le préfet de la Seine, les principes pour lesquels ils ont combattu et que plusieurs avaient scellés de leur sang : ils ont perdu de vue que la liberté du travail n'est pas moins sacrée que toutes les autres libertés. »
Les ouvriers ont combattu aussi pour la liberté du travail et de l'industrie. Leur devoir est d'en accepter les conséquences. Mais si la coalition est interdite aux ouvriers, elle est tolérée pour les patrons. Les maîtres maréchaux et vétérinaires de Paris signent une entente par laquelle ils s'interdisent, sous peine d'amende, d'accorder aucune augmentation de salaire à leurs ouvriers. Les ouvriers maréchaux s'étonnent de cette inégalité de traitement, et Le Constitutionnel du 8 octobre publie une lettre dans laquelle ils remarquent que leur droit de se coaliser pour obtenir des augmentations de salaire est égal à celui des maîtres.
Dans ces manifestations, pour la plupart pacifiques, l'autorité ne voit qu'une agitation suscitée par de secrètes intrigues. Elle estime qu'il est grand temps d'interrompre le grand mois de vacances légales données aux travailleurs, et, dès le 5 septembre, le préfet de police envoie une circulaire aux commissaires de police : « Une agitation inquiétante existe dans plusieurs classes d'ouvriers. Il devient urgent de faire cesser cet état d'effervescence. »
En cet automne 1830, le parti républicain ne comprend pas mieux que les autorités les aspirations des classes laborieuses. Le 10 septembre 1830, il fait placarder une affiche ainsi conçue : « Gardes nationaux, chefs d'atelier, ouvriers, vos intérêts communs sont la liberté du travail. Réunissez-vous donc pour renverser une Chambre dont la durée ne peut que perpétuer les discordes qu'on suscite entre vous. » Et Le National du 17 septembre écrit ceci : « Les ouvriers n'ont pas encore acquis assez de lumières pour discerner ce qui convient à leurs intérêts aussi bien qu'aux intérêts de tous. Les préjugés que les classes ouvrières doivent seulement au défaut de leur éducation font beaucoup de mal et mettent souvent obstacle aux améliorations les plus désirables. »
Les Débats sont plus perspicaces que Le National lorsqu'ils écrivent le 13 septembre : « Le parti républicain ne peut offrir aux ouvriers que de leur donner des droits politiques. Or ce n'est pas pour ce résultat que les ouvriers se coalisent... Dans les coalitions et les émeutes, la politique n'est pour rien ; il ne s'agit point d'opinions, mais d'intérêts. Les classes inférieures éprouvent, à n'en point douter, un sentiment de mauvaise humeur contre la propriété ; et cela n'arrive pas seulement en France, mais en Angleterre et en Belgique ; il est visible que les classes inférieures tendent partout à envahir violemment la propriété ; que c'est là la question de l'avenir, question toute matérielle et toute palpable. »
Les classes ouvrières sont profondément déçues : « Les trois journées de Juillet, dit Le Peuple du 20 octobre, n'ont eu d'autre résultat qu'un changement de dynastie. Elles promettaient davantage. »
Cette désillusion donne aux classes laborieuses le sentiment de leur isolement dans la société."
" [A partir de 1830, les] premiers journaux ouvriers, publiés à Paris, sont éphémères ; à Lyon la presse ouvrière a plus de durée ; L'Écho de la Fabrique, L'Écho des Travailleurs, La Glaneuse, Le Précurseur, La Tribune Prolétaire, L'Indicateur, sont, les uns, purement ouvriers; les autres ont des tendances politiques qui en font les organes à la fois du mouvement social et du mouvement républicain."
"Dès le 19 janvier 1831, la crise économique qui se prolonge provoque des manifestations suscitées par le manque de pain et le manque de travail. À Lyon, 800 travailleurs, rassemblés aux Brotteaux, manifestent aux cris de : « Du travail et du pain. » Le 1er et le 2 mars, des démonstrations ouvrières ont lieu à Paris. Rassemblements pacifiques, que dissipe la force armée : « Le roi ne connaît pas notre position », disaient les manifestants, et ils criaient : « Vive le roi ! Vive la liberté ! du travail, du pain ou la mort ! »
Le 3 mars 1831, 2 000 ouvriers de Saint-Étienne se jettent sur l'usine de Rives pour démolir les machines. Le 1er mai, les ouvriers scieurs de long, à Bordeaux, pénètrent dans les ateliers pour briser les scies mécaniques. En septembre, à Paris, 1 500 ouvrières manifestent contre des fabricants de la rue du Cadran, qui ont fait venir de Lyon une machine à découper les châles. Le 7 septembre, les ouvrières crient : « Plus de mécaniques ! »On les fait charger par la cavalerie. L'ordre n'est rétabli que cinq jours après."
-Édouard Dolléans, Histoire du mouvement ouvrier, tome 1 "1830-1871", édition numérique "Les classiques des sciences sociales" réalisée à partir de Paris, Librairie Armand Colin, 4e édition, 1948 (1936 pour la première édition), 397 pages.
-Édouard Dolléans, Histoire du mouvement ouvrier, tome 2,
"
-Édouard Dolléans, Histoire du mouvement ouvrier, tome 3,