"Notre interprétation se trouve au centre d’un débat historiographique depuis que Ronald Rudin (1995) nous a qualifiés avec d’autres d’historiens de « révisionnistes » qui avaient négligé l’importance du catholicisme au profit des conditions matérielles afin de décrire le Québec comme une société nord-américaine « normale ». Nous pensons toujours que les forces économiques, la classe sociale, le genre et la race sont au cœur de l’expérience québécoise. Nous espérons que le public conviendra que nous accordons la place qui lui revient aux dimensions ethniques et religieuses en insistant sur la spécificité du Québec plutôt que son « américanité »." (p.9)
"Une première période dominée par les réseaux d’échanges autochtones persiste jusqu’en 1650 alors que se met en place une société préindustrielle. Vers les années 1810, commence la transition vers une socioéconomie capitaliste, phase qui se termine dans les années 1880. Les grands conglomérats ayant une intégration verticale et horizontale dominent la scène économique jusqu’à la crise des années 1930. Alors commence une période de modernisation qui culmine avec la Révolution tranquille des années 1960 et la naissance du Québec contemporain." (pp.10-11)
"Avant 1650, l’histoire du Québec est dominée par les peuples autochtones, leur mode de vie, leurs croyances, leur occupation du territoire, leurs conceptions des rapports sociaux et leurs réseaux d’échanges fondés sur le troc ; des éléments que les colonisateurs français étaient incapables de modifier ou de maîtriser. L’expérience des premiers colons qui débarquèrent en Nouvelle-France est subordonnée à celle des Amérindiens. Ceux-ci fournissaient la main-d’œuvre, les connaissances techniques et les matières premières qui permettaient aux Français de survivre dans un environnement étranger et hostile. Même si le développement des pêcheries et de la traite des fourrures explique les liens entre la Nouvelle-France et l’économie atlantique, nous privilégions les sociétés autochtones et insistons sur l’importance des économies locales comme élément fondamental dans l’interprétation de l’évolution de la socio-économie québécoise de cette période.
La prise en main de l’administration coloniale par Louis XIV en 1663 est normalement perçue comme le premier tournant marquant dans l’histoire de la Nouvelle-France. Selon notre interprétation, les changements fondamentaux s’opèrent dans la décennie des années 1650. Les populations autochtones furent décimées par la maladie pendant les années 1630, et par la guerre au cours de la décennie qui suivit. Vers 1650, les nations de l’alliance laurentienne durent chercher refuge auprès des postes français ou fuir vers l’intérieur du continent. La déstructuration du monde huron en 1649-1650 anéantit pour un temps le réseau commercial de traite, base de l’économie coloniale. Devant l’écroulement de leur monde familier, les rescapés autochtones se tournèrent pour la première fois vers les Français et leur religion.
Les années 1650 marquent également les véritables débuts d’une société préindustrielle de type européen dans la vallée laurentienne. La population fit plus que doubler entre 1650 et 1660 alors qu’un nombre croissant d’engagés optèrent définitivement pour la Nouvelle-France. Cette immigration se maintint tout au long de la première décennie du régime royal. Certes, le taux de masculinité très élevé fut une source de déséquilibre jusqu’aux environs de 1680, mais une société fondée sur des valeurs et une mentalité européennes prit forme. La concession de centaines de rotures dès les années 1650-1655 assura les fondements géographiques et légaux du régime seigneurial. Le Conseil (formé en 1647) et la Sénéchaussée (créée en 1651) furent les précurseurs des institutions administratives et judiciaires implantées après le début du régime royal. Une Église coloniale s’occupa résolument de la population d’origine européenne vers la fin des années 1650. Le commerce des fourrures demeura l’activité économique fondamentale de la colonie, mais la disparition des intermédiaires amérindiens poussa les Français à se lancer à la conquête de nouveaux marchés pour les articles de traite, et ils réussirent à dominer les réseaux commerciaux.
Nous estimons que des changements importants se manifestent plutôt à partir des années 1810 que dans les années 1840, voire dans les années 1850, au cours desquelles le décollage des indices de production marque la transition vers le capitalisme industriel. Dans le domaine des procès de travail, la tendance en faveur du travail salarié s’affirme, tandis que l’échelle de production se modifie avec la construction du canal de Lachine et l’apparition des entreprises de John Molson et de John Redpath qui requièrent une capitalisation importante. Les institutions nécessaires à l’essor du capitalisme industriel voient le jour entre la fondation de la Banque de Montréal en 1817 et l’établissement de la Bourse en 1874. Les régions rurales s’intègrent davantage aux marchés national et international, sources d’enrichissement pour les uns et d’appauvrissement pour les autres, qui contribuent au développement des industries rurales et des villages. Une véritable croissance urbaine débute avec l’immigration britannique à la fin des guerres napoléoniennes et se nourrit d’un exode rural des francophones après 1830. Les rapports sociaux en sont bouleversés et les questions de langue et de rapports ethniques se posent avec une acuité nouvelle. À la suite des changements dans les politiques impériales, les colonies acquièrent une autonomie renforcée qui résultera dans le gouvernement responsable et la création d’un État centralisé et bureaucratisé. Certes, ces transformations demeureront inégales et des secteurs économiques et des régions entières y échapperont encore pendant assez longtemps, mais Montréal restera au cœur de la socio-économie québécoise et canadienne." (pp.11-12)
"L’importance des années 1880 est largement reconnue par les historiens canadiens: la mise en place de la politique nationale et la construction du chemin de fer Canadien pacifique symbolisèrent la formation d’un État pancanadien. L’ouverture de l’Ouest à la colonisation réduisit le poids politique du Québec et coïncida avec l’érosion des droits des francophones dans toutes les régions du Canada.
La nature du capitalisme, marquée par la concentration du capital industriel et financier qui engendra de nouvelles formes d’organisation, accentua l’écart qui séparait les francophones des anglophones du Québec. Le capital resta concentré entre les mains de ces derniers qui s’isolèrent progressivement de l’environnement francophone. L’éclatement de la société montréalaise en communautés ethniques distinctes fut stimulé par les nouveaux systèmes de transport en commun qui favorisèrent le regroupement spatial des ethnies dans des quartiers particuliers.
Grâce à leur alliance avec l’Église catholique, alors à l’apogée de son pouvoir, les industriels prônèrent une idéologie conservatrice qui chercha à marginaliser les voix réformistes, par exemple en assurant l’encadrement des ouvriers dans les syndicats catholiques et en divisant ainsi la classe ouvrière.
Brimées par l’idéologie catholique et les valeurs victoriennes, les femmes de la bourgeoisie durent canaliser leur énergie dans les tâches domestiques et familiales, ainsi que dans le bénévolat, tandis que les femmes des classes populaires devinrent des salariées dans des occupations mal rémunérées tout en continuant d’assumer leurs fonctions de mère et de maîtresse de maison. Cependant, si la société patriarcale se renforçait, des mouvements féministes voyaient le jour et cherchaient à donner aux femmes une plus grande maîtrise de leurs affaires.
La crise du capitalisme au cours des années 1930 provoqua un questionnement du rôle de l’État et de la nature de la société capitaliste. Les réformes proposées par des intellectuels catholiques tels que Georges-Henri Lévesque, Lionel Groulx et les membres de l’école sociale populaire allèrent de l’étatisme au corporatisme, lorgnèrent en direction du socialisme et parfois en direction de l’indépendance du Québec. Il en résulta un renouveau sociologique. La chute des marchés pour les matières premières du Québec entraîna un chômage massif et la pauvreté. L’incapacité des agences catholiques à faire face financièrement aux nouveaux besoins mina le pouvoir de l’Église et força l’État à intervenir. Les dépenses gouvernementales pour la santé, l’aide sociale et l’éducation passèrent de 60 millions en 1933 à près de 600 millions de dollars en 1959. La Seconde Guerre mondiale contribua aussi à moderniser les structures politiques, sociales et économiques : les femmes obtinrent le droit de vote, l’éducation fut rendue obligatoire pour les enfants de moins de quatorze ans, Hydro-Québec fut créé et la législation du travail réformée." (p.13)
" [Troisième partie : La transition vers le capitalisme industriel]
[Chapitre IV - Politique et institutions en mutation (1815-1885)]
[M]algré la présence d’une chambre d’Assemblée, le pouvoir politique restait, en 1810, dans une large mesure entre les mains du gouverneur. Les structures institutionnelles restaient passablement rudimentaires.
Les rébellions de 1837-1838 et la restructuration de la vie publique canadienne au cours des années 1840 marquèrent un tournant dans l’évolution politique du pays. Dans l’histoire constitutionnelle du Québec, cette période mettait fin à la lutte entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Le gouvernement responsable, le système des partis et l’alliance des éléments politiques centristes du Haut et du Bas-Canada témoignaient de l’affirmation du pouvoir du Parlement aux dépens de l’exécutif. Les principales composantes du système de cabinet britannique se mettaient en place.
L’obtention de cette démocratie bourgeoise établie sur le modèle britannique s’accompagna d’autres changements politiques importants. Durant les années 1840, les premiers éléments significatifs de fédéralisme apparurent au sein de la structure politique et administrative du Canada-Uni. En Ontario et au Québec, l’éducation, la justice et le gouvernement local prenaient leurs traits particuliers. Le fédéralisme se concrétisa dans la Confédération. Au cours des années 1880, l’affaire Riel et d’autres questions politiques que le gouvernement Macdonald eut à régler confirmèrent que le Québec n’avait qu’un statut minoritaire au sein de l’État canadien et que son gouvernement provincial n’était qu’une administration régionale." (p.135)
"Partie prenante dans le réalignement des classes après 1838, une fraction importante de la bourgeoisie québécoise s’allia avec l’Église catholique, qui sortait renforcée des rébellions. Le terrain d’entente allait être l’autonomie locale et un nationalisme vaguement défini qui pourrait servir à la fois au clergé et à la bourgeoisie. Sur le plan social et économique, ce réalignement au sein des élites du Bas-Canada eut pour effet d’amener l’État à promouvoir vigoureusement le développement des moyens de transport et de l’industrie. Il eut aussi pour effet d’accroître le pouvoir de l’Église de modeler les institutions sociales et scolaires destinées aux classes populaires.
Au cours du passage au capitalisme industriel, la fonction et le pouvoir de l’Église catholique changèrent radicalement. À la fin de la période préindustrielle, l’Église du Bas-Canada était faible. Ses ressources humaines déclinaient ; ses pouvoirs religieux, fonciers et civils étaient contestés. Dans les campagnes, elle faisait face aux prétentions croissantes de la bourgeoisie locale pour les pouvoirs idéologique, social et de taxation. Au cours du siècle, cependant, la part des préoccupations locales diminua au fur et à mesure que l’Église s’intéressa à Rome et à des questions de doctrine qui avaient une portée mondiale.
Sous le Régime français comme sous le Régime anglais, l’Église avait toujours appuyé l’autorité établie. Ce soutien se révéla particulièrement précieux en 1837-1838, comme en témoigne le jugement de l’évêque de Québec, Joseph Signay, selon lequel l’insurrection et la violence étaient « Criminel[les] aux yeux de Dieu et de [la] sainte religion ». L’Église joua un rôle particulièrement important dans la neutralisation de l’agitation populaire. Dans les campagnes, les curés recevaient des directives des évêques leur demandant d’appuyer l’autorité britannique en place et la monarchie de droit divin. Chargés de la cure de Montréal, les Sulpiciens exerçaient une forte influence sur les Irlandais catholiques et contribuèrent de façon décisive à les empêcher de se ranger du côté des patriotes. [...]
L’élément le plus important dans ce réalignement de l’Église fut la croissance de l’idéologie ultramontaine subordonnant les églises nationales à Rome. Fortement influencée par les événements en Europe, l’Église adopta des positions plus rigoristes, plus interventionnistes dans les affaires laïques, et plus critiques envers les idéologies libérales associées à la France républicaine et à l’Amérique anglo-saxonne. La hiérarchie réussit à confirmer son autorité morale et sociale et émergea comme le principal défenseur de la nation canadienne." (pp.134-135)
"Au cours des années 1840 et 1850, d’autres fondements de l’organisation sociale, notamment le droit, les structures de la propriété foncière et les institutions politiques, scolaires et sociales, revêtirent de nouvelles formes. Le droit civil québécois et le régime seigneurial furent réformés pour mettre l’accent sur la propriété foncière libre et individuelle et la liberté de contrat et de travail. Les élites prêtèrent une nouvelle attention à la direction des classes populaires rurales et urbaines. Un système scolaire universel, un appareil judiciaire étendu à toute la province, avec ses palais de justice, sa police et ses prisons rurales, la mise sur pied de structures municipales et de nouvelles formes de taxation facilitèrent l’assujettissement des Québécois à un État bureaucratisé et centralisé.
La culture constituait un élément important de cette structure en mutation. Il peut sembler paradoxal de prime abord que le nationalisme ait été encouragé, d’une part, par des membres de l’Église qui rejetaient les valeurs de la Révolution française et, d’autre part, par des chefs de file francophones qui soutenaient l’intégration du Québec dans le vaste État canadien. Ce paradoxe trouve son explication dans la mutation des élites québécoises et dans leur besoin d’orienter l’idéologie populaire. Le développement de bibliothèques, de musées d’histoire et de sciences naturelles surtout chez les anglophones, traduisait une volonté de dégrossir les masses dont l’ignorance freinait le progrès. Pour leur part, les classes populaires manifestaient leur résistance à l’échelle de la famille, de la taverne, du rang, de l’association de bienfaisance, du syndicat et du quartier. Pour combattre cette indépendance, les intellectuels laïques et cléricaux élaboraient une idéologie nationale unificatrice enracinée dans le catholicisme, la langue française, de la famille préindustrielle et de l’idéalisation de la vie rurale. Ainsi on développa des modèles de comportement véhiculés par l’école. Les femmes, confinées au couvent ou à la vie de famille, devinrent d’importants agents de propagation de cette idéologie." (p.135)
"Au milieu du XIXe siècle, la construction de lignes de chemin de fer était devenue une priorité de l’État. Les autorités bas-canadiennes (puis québécoises) se lançaient avec enthousiasme dans la loterie des chemins de fer, tandis que des régions et des localités rivalisaient pour obtenir le service ferroviaire et l’accès aux grandes lignes. Alors que les coûts de la police provinciale, de l’éducation et des chemins de colonisation se chiffraient respectivement à 66 000 $, 233 410 $ et 11 000 $ en 1875, le gouvernement québécois dépensait 3 481 670$ pour la construction de chemins de fer et 407 176$ pour le service de la dette publique sur ces travaux au cours de l’exercice financier 1876-1877.
Un changement fondamental d’idéologie accompagna ce processus. Dans la société préindustrielle, la taxation prenait souvent la forme de corvées ou de droits de douane. La construction de routes, dont le chemin du Roy, avait été exécutée traditionnellement au moyen de la corvée ; au cours des années 1760, chaque habitant devait consacrer huit jours aux travaux de voirie, en plus d’entretenir les chemins de sa terre sous peine de payer une amende de 20 shillings. Après 1815, les routes royales commencèrent à bénéficier de subventions, tandis que les municipalités prirent en charge les routes de campagne ; par la suite, on subventionna les chemins de colonisation qui donnaient accès aux ressources forestières. La corvée céda alors la place aux soumissions, aux routes à péage et aux taxes." (p.137)
"En 1870, le gouvernement du Québec mit de côté 3 208 500 acres de terres de la Couronne pour promouvoir la construction d’un chemin de fer sur la rive nord du Saint-Laurent ; deux ans plus tard, les contribuables montréalais approuvèrent l’octroi d’une subvention d’un million de dollars à la Montreal Colonization Railway. Un nouveau partenariat s’établit ainsi entre le capital et l’État dans le réseau des transports du Québec. Les politiciens et les entrepreneurs passaient en toute liberté du conseil d’administration au cabinet, l’Église appuyant avec enthousiasme l’octroi par l’État de subventions pour le développement économique." (pp.136-137)
"Pendant la période 1792-1836, 77,4 % de la députation de l’Assemblée appartenait aux classes marchandes et aux milieux professionnels (Ouellet, 1976 : 299).
La Chambre disputait à l’exécutif le droit de regard sur l’attribution des postes dans l’administration, la milice et la magistrature. En 1829, un comité notait dans son rapport que, des 39 magistrats de Montréal, 22 étaient natifs de Grande-Bretagne, 7 étaient étrangers, 3 étaient Canadiens anglais et seulement 7 étaient Canadiens français. [...] Tandis que Fernand Ouellet considère l’Assemblée comme un groupe de petits bourgeois conservateurs et frustrés, Yvon Lamonde voit le Parti canadien comme un mouvement de résistance démocratique qui éveille la conscience. Pour Papineau, « l’enjeu est simple mais fondamental : pas de démocratie véritable sans contrôle des dépenses publiques par les représentants du peuple »." (p.137)
"Jusqu’aux années 1830, l’objectif commun fut peut-être la démocratie parlementaire britannique avec comme thèmes récurrents le républicanisme et le nationalisme ; on s’entendait moins sur la séparation de l’Église et de l’État, la réforme de la Coutume de Paris et l’abolition du régime seigneurial. Quant à l’anticléricalisme, il mena à des affrontements avec l’Église catholique. La question de l’instruction primaire universelle resta une pomme de discorde entre l’Église et la bourgeoisie francophone jusqu’aux années 1840." (p.139)
"Jusqu’aux années 1830, on exigea ces réformes politiques fondamentales en vertu des tactiques permises par la Constitution britannique —tentatives de mise en accusation du juge en chef en vue de sa destitution, pétitions au Parlement de Westminster, blocage des projets de loi du gouvernement. Pour leur part, les autorités britanniques, frustrées par les actions de l’Assemblée élue par le peuple, exercèrent leurs pouvoirs de façon autocratique et arbitraire : suspension des sessions, truquage des élections, refus de l’élection de Papineau à la présidence de l’Assemblée, emprisonnement des éditeurs des journaux de l’Opposition. Dans le contexte de l’intensification de la crise politique, on eut recours à la Loi de l’émeute, à l’armée et, finalement, à la Loi martiale pour faire régner l’ordre." (p.139)
"En 1822, on présenta un projet de loi sur l’Union au Parlement de Westminster. Le projet, qui proposait l’union du Haut et du BasCanada et l’abolition du français comme langue officielle, prévoyait notamment que « tous procédés par écrit […] des dits Conseil Législatif et Assemblée […] seront dans la langue anglaise, et dans aucune autre » ; ces termes ne laissaient aucun doute quant à l’avenir des Canadiens français et de leur bourgeoisie au sein d’un Canada uni.
Bien qu’il n’ait jamais été adopté, ce projet de loi représenta un événement déterminant dans l’évolution de ce qui allait devenir le mouvement patriote. L’Écossais John Neilson, éditeur de la Gazette de Québec, comptait parmi ceux qui s’étaient joints au mouvement de réforme. Il écrivit à Papineau : « Quel sort les habitants du pays auront-ils à espérer de gens qui vont [agir] de tel [sic] façon ? » En signe de protestation, on envoya des délégations en Angleterre présenter des pétitions portant la signature de quelque 50 000 Bas-Canadiens contre le projet de loi.
À la fin des années 1820, le chef patriote Louis-Joseph Papineau devint davantage nationaliste, républicain et critique à l’égard de la pratique constitutionnelle britannique. Au début des années 1830, des assemblées, des défilés, des sociétés secrètes, des émeutes et des journaux radicaux comme La Minerve et le Vindicator montraient clairement que la lutte de la bourgeoisie à l’Assemblée pouvait déboucher sur un vaste mouvement révolutionnaire.
En 1830, après la révolution de juillet en France, des étudiants en droit et en médecine escaladèrent le mur du prestigieux Collège de Montréal, pendirent un professeur en effigie et hissèrent le drapeau tricolore de la Révolution française au mât de l’institution. Toujours au cours des années 1830, le jour de la Saint-Jean-Baptiste donnait lieu à une fête nationaliste turbulente où l’on célébrait le saint patron du Canada français avec des chants révolutionnaires et des toasts portés en l’honneur des États-Unis. Et on adopta un drapeau tricolore vert (au lieu du bleu de la Révolution française), blanc, rouge.
L’agitation sociale n’était pas le seul fait de la bourgeoisie. Les artisans et les ouvriers francophones de Montréal, de Québec et de la vallée de l’Outaouais devaient rivaliser avec la main-d’œuvre irlandaise bon marché et les nouvelles formes d’organisation du travail, qui comprenaient notamment les vastes chantiers de construction, les magasins de compagnies et le contrat de travail journalier." (p.140)
-John A. Dickinson & Brian Young, Brève histoire socio-économique du Québec, éditions du Septentrion, 2003 pour la 4ème édition (1988 pour la première édition canadienne), 461 pages.