"Saint Anselme passe pour l'inventeur de la preuve ontologique de l'existence de Dieu. L'argument, critiqué par Gaunilon, est repris sous diverses formes par saint Bonaventure, Duns Scot, Descartes et Leibniz. On connaît les objections que lui opposent saint Thomas et Kant. Nous allons montrer qu'il est déjà connu de l'Antiquité classique, et énoncé pour la première fois par le stoïcien Diogène de Babylone, lors d'une discussion qui l'oppose à Carnéade, à propos de l'argument de Zénon en faveur de l'existence des dieux." (p.389)
"Notre témoin, unique en l'occurrence, est Sextus Empiricus, au premier livre du Contre les physiciens." (p.390)
"(i) Zénon raisonnait aussi de la manière suivante : « Les dieux, on peut à bon droit les honorer ; or, ceux qui n'existent pas, on ne peut à bon droit les honorer ; donc les dieux existent. »
(ii) Ce à quoi certains opposent l'argument contradictoire analogue : « Les sages, on peut à bon droit les honorer ; or, ceux qui n'existent pas, on ne peut à bon droit les honorer ; donc les sages existent. » Cet argument causait un vif déplaisir aux membres du Portique, puisque, jusqu'ici, nul n'avait pu trouver un sage existant qui répondit à leur conception du sage.
(iii) En réponse à cette objection, Diogène de Babylone déclare que la mineure du syllogisme de Zenon veut dire en réalité : « Or, ceux dont l'essence n'enveloppe pas l'existence, on ne peut à bon droit les honorer. » Car, si l'on admet ce sens, il est évident que les dieux ont une essence qui enveloppe leur existence. Or, s'il en est ainsi, ils existent en réalité. Car s'ils ont existé une fois, ils existent encore maintenant, tout de même que si les atomes ont existé, ils existent aussi maintenant. Car de tels corps sont indestructibles et inengendrés en vertu du concept que nous en avons. Par conséquent, le syllogisme conduira à une conclusion conséquente. En revanche, en ce qui concerne les sages, il est faux de dire que, puisque leur essence enveloppe leur existence, ils existent en réalité." (pp.390-391)
"Que ce syllogisme soit un sophisme, cela est si évident qu'il paraît étonnant qu'aucune objection portant sur sa forme n'ait été conservée. Un péripatéticien comme Critolaos aurait pu trouver dans l'Organon trois modèles lui permettant de mettre en évidence l'invalidité formelle de l'argument. Qu'il ne l'ait point fait suggère l'oubli dans lequel sont tombés les Topiques et les Analytiques.
1. Car l'argument de Zénon peut s'exprimer sous la forme d'un syllogisme de la seconde figure :
Tous les dieux sont dignes d'honneurs
Or nul inexistant n'est digne d'honneurs
Donc nul inexistant n'est dieu.
C'est la seule conclusion valide de ce syllogisme en Camestres. Conclure par « Tous les dieux existent » est évidemment fautif." (p.391)
"On retrouve donc ici, rassemblés par le témoignage de Sextus relatif à la discussion entre Carnéade et Diogène à propos de Zénon, tous les caractères essentiels des difficultés que suscite généralement la preuve ontologique de l'existence de Dieu.
1. Il s'agit de conclure a priori l'existence d'une chose en se fondant sur son concept ou sur la notion qu'on en peut avoir.
2. L'exposition recherche en dehors de Dieu (ou des dieux) un exemple susceptible d'illustrer une exception que refusent les lois de la logique.
3. Quant à l'objection de Carnéade, elle-même rejoindrait celle de Gorgias : « De ce qu'on imagine un homme volant ou des chars courant sur la mer, il ne s'ensuit pas qu'un homme vole ou que des chars parcourent les flots » ; ou encore la question de Gaunilon à Anselme : « Si on imagine une île dans l'océan, la plus belle de toutes, s'ensuit-il que cette île existe » ?" (p.395)
-Jean-Paul Dumont, "Diogène de Babylone et la preuve ontologique", Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 172, No. 2, ÉTUDES DE PHILOSOPHIE ANCIENNE: Hommage à Pierre-Maxime Schuhl pour son quatre-vingtième anniversaire (Avril-Juin 1982), pp. 389-395.