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    Gaston Bachelard, Essai sur la connaissance approchée

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Gaston Bachelard, Essai sur la connaissance approchée Empty Gaston Bachelard, Essai sur la connaissance approchée

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 26 Mai - 14:50



    "A Abel REY
    Professeur à la Sorbonne."

    "Avant d'arriver à la connaissance scientifique nous devions examiner, de notre point de vue, comment les détails s'accumulent en gardant les grandies lignes d'une description, comment les prédicats enrichissent progressivement le sujet, comment enfin les qualités s'ordonnent pour aboutir à un classement objectif. C'est l'objet du premier livre.

    Dans les deux livres suivants, nous avons essayé de montrer le rôle de la connaissance approchée, d'abord dans les sciences expérimentales où le processus est nécessairement fini, ensuite dans les sciences mathématiques où l'approximation paraît toujours réglée, réellement et sûrement progressive, susceptible d'un développement infini.

    Enfin, dans une dernière partie, nous avons étudié, en suivant les conceptions que nous avions dégagées, le problème de la vérité. C'est une tâche à laquelle nous n'aurions pas osé nous mesurer après les éminents travaux qu'a suscités le pragmatisme, si nous n'avions eu l'espoir que la monotone recherche du mieux que nous avions décrite dans le corps de notre ouvrage était propre à déplacer légèrement le débat. Les concepts de réalité et de vérité devaient recevoir un sens nouveau d'une philosophie de l'inexact." (pp.7-Cool

    [Livre I, Chap 1 : Connaissance et description]

    "Connaître, c'est décrire pour retrouver. Parfois, c'est la première tâche qui domine, elle semble même exclusive et la fonction d'utilité n'apparaît pas comme immédiate. Dans d'autres sciences, au contraire, les notions s'appellent avec une telle force qu'on peut restreindre la description, on peut se borner à de sommaires définitions, certain qu'on est de retrouver à leur place, dans un ordre logique, dans le cadre même de l'esprit, les diverses et successives qualités des êtres définis. Mais à y regarder d'un, peu plus près, dans les deux cas une double nécessité se fait jour·: il faut être complet, mais il faut rester clair. Il faut prendre contact, un contact de plus 'en plus étroit avec le réel, mais l'esprit doit être alerte, familier avec ses perspectives, assuré de ses repères.

    Ainsi, quand on place la connaissance devant sa tâche complète d'assimilation et d'utilisation, au cœur même de l'opposition traditionnelle du donné et de la raison, on s'aperçoit tout de suite qu'elle implique dans son développement comme dans son objet un conflit intime qu'elle ne peut jamais apaiser totalement. Sa perfection est une limite centrale qui réunit deux conditions contraires : la minutie et la clarté." (p.9)

    "Un savoir purement déductif n'est, à notre point de vue, qu'une simple organisation de cadres, du moins tant qu'on n'a pas assuré dans le réel la racine des notions abstraites. D'ailleurs le progrès même de la déduction, en créant des abstractions nouvelles, réclame une référence continuelle au donné qui déborde, par essence, le logique. Devant la nature, l'heure de la généralisation complète et définitive n'est jamais sonnée.

    C'est donc à tort qu'on prétendrait assigner à la connaissance réelle un sens unique. Pour la saisir dans sa tâche vivante il faut la placer résolument dans son oscillation, au point où convergent l'esprit de finesse et l'esprit géométrique. Donner l'avantage à la généralisation sur la vérification, c'est oublier le caractère hypothétique d'une généralité qui ne trouve sa sanction que dans sa commodité ou sa clarté. Dès que la vérification intervient, comme en fait elle n'est jamais totale, elle segmente en quelque sorte la généralisation et pose des problèmes nouveaux. Le progrès scientifique suit ainsi une double voie.

    Pour résister à la tendance systématique, si séduisante pour le philosophe, nous devons donc donner son plein sens à la description initiale et ne pas perdre de vue que la description est, tout compte fait, la fin de la science." (p.10)

    "L'idéalisme nous apparaît incapable, par principe, de suivre et d'expliquer l'allure continue et progressive de la connaissance scientifique. Les systèmes auxquels il se confie ne peuvent évoluer en une lente déformation. On peut en bouleverser les formes pour des raisons de commodité, de clarté, de rationalité ... , on n'a pas à se plier sous l'effort d'une matière rebelle. Finalement la connaissance sera, dans l'idéalisme, toujours entière, mais fermée à toute extension. Elle ne connaîtra de mobilité que celle des cataclysmes.

    Aussi croyons-nous qu'une des objections les plus redoutables pour les thèses idéalistes est l'existence indéniable d'une erreur qui ne peut, par nature, être totalement éliminée et qui nous oblige à nous contenter d'approximations.

    Pour éclaircir les conditions du progrès épistémologique, l'idéalisme se révèle donc comme une hypothèse de travail inféconde et souvent spécieuse. Au contraire, M. Meyerson en a fourni la preuve, la science postule communément une réalité. A notre point de vue, cette réalité présente dans son inconnu inépuisable un caractère éminemment propre à. susciter une recherche sans fin. Tout son être réside dans sa résistance à la connaissance. Nous prendrons donc comme postulat de l'épistémologie l'inachèvement fondamental de la connaissance." (pp.12-13)

    "Dès le début, la connaissance doit avoir un élément spéculatif. La sensation, pour devenir représentative, doit être, gratuite, on doit pouvoir inhiber sa conclusion active. Certes, la psychologie moderne a justement mis en évidence la valeur intellectuelle de l'action. La volonté que l'action implique est nécessairement nette et entière. Son effort est marqué au coin de la simplicité ; il est, dans son principe, complètement géométrique. Mais, encore une fois, les traits que notre action dessine autour des choses ne peuvent instaurer que des repères provisoires et artificiels. En avant de notre action, notre rêverie mime un monde plus mobile et plus riche, et le panorama du donné nous impose des détails que notre action usuelle négligeait sans risque. Nos gestes sont manifestement trop gros pour nous faire comprendre, au sens bergsonien, le donné dans sa complexité et sa fine structure. Ils ne peuvent valoir que dans la connaissance générale et systématique. Or rien ne dit que ce soit par son relief naturel que le monde nous frappe d'abord. Le détail, le pittoresque, l'inattendu, l'accident éveillent et amusent la contemplation d'un jeune esprit." (pp.13-14)

    "La connaissance en mouvement est ainsi une manière de création continue ; l'ancien explique le nouveau et l'assimile ; vice versa, le nouveau affermit l'ancien et le réorganise [...] Par principe, l'esprit qui connaît doit donc avoir un passé." (p.15)

    [Livre I, Chap 2 : La rectification des concepts]

    "Le seul fait que l'esprit est un centre devait entraîner le caractère abstrait de la connaissance. On n'a qu'un cerveau pour penser à tout." (p.18)

    "Le fait de déterminer comme sujet une réunion synthétique de prédicats ne se ramène plus, par une analyse réciproque, à la connaissance des attributs séparés. Le jugement synthétique qui définit un concept doit échapper à la tautologie, faute de quoi il n'y aurait pas réellement de synthèse.

    Donnons comme seul exemple la définition scientifique de la force. La mécanique la définit comme le produit de la masse par l'accélération. Si cette définition devait rester une égalité verbale parfaite, l'équivalence achevée de deux entités, elle ne permettrait pas d'écrire l'équation fondamentale de la dynamique. Il est clair que le produit de la masse par l'accélération, une fois défini comme force, ne reste pas le simple produit de deux quantités antérieurement connues ; il acquiert par synthèse les propriétés de la force. Ou tout au moins les propriétés de la force illustrent les propriétés du produit artificiellement formé, au point que celles-ci deviennent intuitives : additivité, combinaison scalaire et vectorielle. Comme le remarque Boutroux (1) « En mathématique ... on part de l'identique et on le diversifie ». Et pourtant l'identique par définition même se refuse à toute diversité. Il faut donc bien qu'il y ait en germe une diversité qu'on explicite. Les deux membres de l'équation de la dynamique my = F sont posés comme équivalents par définition. Le deuxième n'est connu que par le premier et vouloir traiter la force comme une entité qui dépasse cette définition, c'est se faire taxer de métaphysicien. Cependant, à partir de cette égalité, on va traiter différemment les deux membres, à telle enseigne que l'un peut être donné comme connu tandis que l'autre est posé comme inconnu. Il y a donc une diversité initiale, la force est nécessairement autre chose que le produit de la masse par l'accélération. Sa définition, quand elle est effectivement pensée, traduit un véritable mouvement épistémologique." (pp.19-20)
    -Gaston Bachelard, Essai sur la connaissance approchée, Vrin, 1981 (1927 pour la première édition), 310 pages.



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