http://www.gutenberg.org/files/13846/13846-h/13846-h.htm
https://fr.wikisource.org/wiki/%C5%92uvres_de_Descartes/%C3%89dition_Cousin
http://philosophie.ac-creteil.fr/IMG/pdf/Principes_I.pdf
"Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée; car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent: mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices aussi bien que des plus grandes vertus; et ceux qui ne marchent que fort lentement peuvent avancer beaucoup davantage, s'ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent et qui s'en éloignent."
"La raison [...] seule chose qui nous rend hommes et nous distingue des bêtes."
"La lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés."
"Il est bon de savoir quelque chose des mœurs de divers peuples, afin de juger des nôtres plus sainement, et que nous ne pensions pas que tout ce qui est contre nos modes soit ridicule et contre raison, ainsi qu'ont coutume de faire ceux qui n'ont rien vu. Mais lorsqu'on emploie trop de temps à voyager, on devient enfin étranger en son pays; et lorsqu'on est trop curieux des choses qui se pratiquaient aux siècles passés, on demeure ordinairement fort ignorant de celles qui se pratiquent en celui-ci."
"Comme la multitude des lois fournit souvent des excuses aux vices, en sorte qu'un état est bien mieux réglé lorsque, n'en ayant que fort peu, elles y sont fort étroitement observées; ainsi, au lieu de ce grand nombre de préceptes dont la logique est composée, je crus que j'aurais assez des quatre suivants, pourvu que je prisse une ferme et constante résolution de ne manquer pas une seule fois à les observer.
Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle; c'est-à-dire, d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute.
Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerais, en autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux résoudre. Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusques à la connaissance des plus composés, et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.
Et le dernier, de taire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre."
"Lorsqu'il n'est pas en notre pouvoir de discerner les plus vraies opinions, nous devons suivre les plus probables."
"Je m'avisai de faire une revue sur les diverses occupations qu'ont les hommes en cette vie, pour tâcher à faire choix de la meilleure; et, sans que je veuille rien dire de celles des autres, je pensai que je ne pouvais mieux que de continuer en celle-là même où je me trouvais, c'est-à-dire que d'employer toute ma vie à cultiver ma raison, et m'avancer autant que je pourrais en la connaissance de la vérité, suivant la méthode que je m'étais prescrite. J'avais éprouvé de si extrêmes contentements depuis que j'avais commencé à me servir de cette méthode, que je ne croyais pas qu'on en put recevoir de plus doux ni de plus innocents en cette vie; et découvrant tous les jours par son moyen quelques vérités qui me semblaient assez importantes et communément ignorées des autres hommes, la satisfaction que j'en avais remplissait tellement mon esprit que tout le reste ne me touchait point."
"Tout mon dessein ne tendait qu'à m'assurer, et à rejeter la terre mouvante et le sable pour trouver le roc ou l'argile."
"Mais parce qu'alors je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensai qu'il fallait que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse comme absolument faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s'il ne resterait point après cela quelque chose en ma créance qui fût entièrement indubitable. Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu'il n'y avait aucune chose qui fût telle qu'ils nous la font imaginer; et parce qu'il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matières de géométrie, et y font des paralogismes, jugeant que j'étais sujet à faillir autant qu'aucun autre, je rejetai comme fausses toutes les raisons que j'avais prises auparavant pour démonstrations; et enfin, considérant que toutes les mêmes pensées que nous avons étant éveillés nous peuvent aussi venir quand nous dormons, sans qu'il y en ait aucune pour lors qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m'étaient jamais entrées en l'esprit n'étaient non plus vraies que les illusions de mes songes. Mais aussitôt après je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi qui le pensais fusse quelque chose; et remarquant que cette vérité, je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchais.
Puis, examinant avec attention ce que j'étais, et voyant que je pouvais feindre que je n'avais aucun corps, et qu'il n'y avait aucun monde ni aucun lieu où je fusse; mais que je ne pouvais pas feindre pour cela que je n'étais point; et qu'au contraire de cela même que je pensais à douter de la vérité des autres choses, il suivait très évidemment et très certainement que j'étais; au lieu que si j'eusse seulement cessé de penser, encore que tout le reste de ce que j'avais jamais imaginé eût été vrai, je n'avais aucune raison de croire que j'eusse été; je connus de là que j'étais une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser, et qui pour être n'a besoin d'aucun lieu ni ne dépend d'aucune chose matérielle; en sorte que ce moi, c'est-à-dire l'âme, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même qu'elle est plus aisée à connaître que lui, et qu'encore qu'il ne fût point, elle ne l'aurait pus d'être tout ce qu'elle est.
Après cela je considérai en général ce qui est requis à une proposition pour être vraie et certaine; car puisque je venais d'en trouver une que je savais être telle, je pensai que je devais aussi savoir en quoi consiste cette certitude. Et ayant remarqué qu'il n'y a rien du tout en ceci, je pense, donc je suis, qui m'assure que je dis la vérité, sinon que je vois très clairement que pour penser il faut être, je jugeai que je pouvais prendre pour règle générale que les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies, mais qu'il y a seulement quelque difficulté à bien remarquer quelles sont celles que nous concevons distinctement."
"Les philosophes tiennent pour maxime, dans les écoles, qu'il n'y a rien dans l'entendement qui n'ait premièrement été dans le sens, où toutefois il est certain que les idées de Dieu et de l'âme n'ont jamais été; et il me semble que ceux qui veulent user de leur imagination pour les comprendre font tout de même que si, pour ouïr les sons ou sentir les odeurs, ils se voulaient servir de leurs yeux: sinon qu'il y a encore cette différence, que le sens de la vue ne nous assure pas moins de la vérité de ses objets que font ceux de l'odorat ou de l'ouïe; au lieu que ni notre imagination ni nos sens ne nous sauraient jamais assurer d'aucune chose si notre entendement n'y intervient."
"On peut bien concevoir qu'une machine soit tellement faite qu'elle profère des paroles, et même quelle en profère quelques unes à propos des actions corporelles qui causeront quelque changement en ses organes, comme, si on la touche en quelque endroit, qu'elle demande ce qu'on lui veut dire; si en un autre, qu'elle crie qu'on lui fait mal, et choses semblables; mais non pas qu'elle les arrange diversement pour répondre au sens de tout ce qui se dira en sa présence, ainsi que les hommes les plus hébétés peuvent faire. [...] d'où vient qu'il est moralement impossible qu'il y en ait assez de divers en une machine pour la faire agir en toutes les occurrences de la vie de même façon que notre raison nous fait agir."
"Bien qu'il y ait plusieurs animaux qui témoignent plus d'industrie que nous en quelques unes de leurs actions, on voit toutefois que les mêmes n'en témoignent point du tout en beaucoup d'autres: de façon que ce qu'ils font mieux que nous ne prouve pas qu'ils ont de l'esprit, car à ce compte ils en auraient plus qu'aucun de nous et feraient mieux en toute autre chose; mais plutôt qu'ils n'en ont point, et que c'est la nature qui agit en eux selon la disposition de leurs organes: ainsi qu'on voit qu'un horloge, qui n'est composé que de roues et de ressorts, peut compter les heures et mesurer le temps plus justement que nous avec toute notre prudence."
"Après l'erreur de ceux qui nient Dieu, laquelle je pense avoir ci-dessus assez réfutée, il n'y en a point qui éloigne plutôt les esprits faibles du droit chemin de la vertu, que d'imaginer que l'âme des bêtes soit de même nature que la nôtre, et que par conséquent nous n'avons rien à craindre ni à espérer après cette vie, non plus que les mouches et les fourmis; au lieu que lorsqu'on sait combien elles diffèrent, on comprend beaucoup mieux les raisons qui prouvent que la nôtre est d'une nature entièrement indépendante du corps, et par conséquent qu'elle n'est point sujette à mourir avec lui; puis, d'autant qu'on ne voit point d'autres causes qui la détruisent, on est naturellement porté à juger de là qu'elle est immortelle."
"Pour ce qui touche les mœurs, chacun abonde si fort en son sens, qu'il se pourrait trouver autant de réformateurs que de têtes, s'il était permis à d'autres qu'à ceux que Dieu a établis pour souverains sur ses peuples, ou bien auxquels il a donné assez de grâce et de zèle pour être prophètes, d'entreprendre d'y rien changer; et, bien que mes spéculations me plussent fort, j'ai cru que les autres en avoient aussi qui leur plaisaient peut-être davantage. Mais, sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j'ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s'est servi jusques à présent, j'ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu'il est en nous le bien général de tous les hommes: car elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie; et qu'au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui feraient qu'on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie; car même l'esprit dépend si fort du tempérament et de la disposition des organes du corps, que, s'il est possibles de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusques ici, je crois que c'est dans la médecine qu'on doit le chercher."
"Chaque homme est obligé de procurer autant qu'il est en lui le bien des autres [...] c'est proprement ne valoir rien que de n'être utile à personne."
-René Descartes, Discours de la méthode. Pour bien conduire sa raison, et chercher la vérité dans les sciences, 1637.
"Nous étudions les sciences utiles ou pour les avantages qu’on en retire dans la vie, et pour ce plaisir qu’on trouve dans la contemplation du vrai, et qui, dans ce monde, est presque le seul bonheur pur et sans mélange."
"Les sciences sont tellement liées ensemble qu’il est plus facile de les apprendre toutes à la fois que d’en détacher une seule des autres. Si donc on veut sérieusement chercher la vérité, il ne faut pas s’appliquer à une seule science ; elles se tiennent toutes entre elles et dépendent mutuellement l’une de l’autre."
"Nous devons lire les ouvrages des anciens, parce que c’est un grand avantage de pouvoir user des travaux d’un si grand nombre d’hommes, premièrement pour connaitre les bonnes découvertes qu’ils ont pu faire, secondement pour être averti de ce qui reste encore à découvrir. Il est cependant à craindre que la lecture trop attentive de leurs ouvrages ne laisse dans notre esprit quelques erreurs qui y prennent racine malgré nos précautions et nos soins."
"On pourrait peut-être se demander pourquoi à l’intuition nous ajoutons cette autre manière de connaitre par déduction, c’est-à-dire par l’opération, qui d’une chose dont nous avons la connaissance certaine, tire des conséquences qui s’en déduisent nécessairement."
"L’âme humaine possède je ne sais quoi de divin où sont déposés les premiers germes des connaissances utiles, qui, malgré la négligence et la gêne des études mal faites, y portent des fruits spontanés."
"Quelquefois, en effet, en parcourant une suite de propositions de la plus grande évidence, si nous venons à en oublier une seule, fût-ce la moins importante, la chaîne est rompue, notre conclusion perd toute sa certitude."
"Il faut donc commencer par des choses faciles, mais avec méthode, pour nous accoutumer à pénétrer par les chemins ouverts et connus, comme en nous jouant, jusqu’à la vérité intime des choses. Par ce moyen nous deviendrons insensiblement, et en moins de temps que nous ne pourrions l’espérer, capables de déduire avec une égale facilité de principes évidents un grand nombre de propositions qui nous paraissent très difficiles et très embarrassées."
"L’intelligence seule est capable de concevoir la vérité. Elle doit cependant s’aider de l’imagination, des sens et de la mémoire, afin de ne laisser sans emploi aucun de nos moyens."
"Sont purement intellectuelles les choses que l’intelligence connaît à l’aide d’une certaine lumière naturelle, et sans le secours d’aucune image corporelle. Or il en est un grand nombre de cette espèce ; et, par exemple, il est impossible de se faire une image matérielle du doute, de l’ignorance, de l’action de la volonté, qu’on me permettra d’appeler volition, et de tant d’autres choses, que cependant nous connaissons effectivement, et si facilement qu’il nous suffit pour cela d’être doués de raison. Sont purement matérielles les choses que l’on ne connaît que dans les corps, comme la figure, l’étendue, le mouvement, etc. Enfin il faut appeler communes celles qu’on attribue indistinctement aux corps et aux esprits, comme l’existence, l’unité, la durée, et d’autres semblables."
"L’idée du néant, de l’instant, du repos, n’est pas une idée moins vraie que celle de l’existence, de la durée, du mouvement."
"Les savants sont d’habitude assez ingénieux pour trouver le moyen de répandre des ténèbres même dans les choses qui sont évidentes par elles-mêmes."
"La plus grande partie des questions sur lesquelles les savants disputent ne sont presque toujours que des questions de mots."
"Nous entendons par étendue tout ce qui a de la longueur, de la largeur et de la profondeur, sans rechercher si c’est un corps véritable ou seulement un espace."
-René Descartes, Règles pour la direction de l’esprit, 1628.
"L’honnête homme n’a pas besoin d’avoir lu tous les livres, ni d’avoir appris soigneusement tout ce qu’on enseigne dans les écoles. Il y a plus, son éducation serait mauvaise s’il avait consacré trop de temps aux lettres. Il y a beaucoup d’autres choses à faire dans la vie, et il doit la diriger de manière que la plus grande partie lui en reste pour faire de belles actions, que sa propre raison devrait lui apprendre, s’il ne recevait de leçons que d’elle seule."
"Le lecteur ne sera pas fâché de trouver ici une voie plus abrégée, et que les vérités que j’avancerai lui agréeront, quoique je ne les emprunte pas à Platon ou à Aristote, mais qu’elles auront par elles-mêmes de la valeur, comme l’argent qui a tout autant de prix qu’il sorte de la bourse d’un paysan ou de la trésorerie."
"L’âme des plantes et des animaux diffère de la nôtre."
"Je ne veux pas être mis au nombre de ces artisans sans talents, qui ne s’appliquent qu’à restaurer de vieux ouvrages, parce qu’au fond ils sont incapables d’en achever de neufs."
"Celui qui, comme lui, est plein d’opinions toutes faites et prévenu de cent préjugés, peut difficilement se livrer à la seule lumière de la nature ; il s’est depuis longtemps accoutumé à céder à l’autorité plutôt qu’à prêter l’oreille à la voix de sa propre raison. Il aime mieux interroger les autres, peser ce qu’ont écrit les anciens, que de se consulter lui-même sur le jugement qu’il doit porter ; et comme dès son enfance il a pris pour la raison ce qui n’étoit appuyé que sur l’autorité des préceptes, maintenant il donne son autorité pour une raison, et il veut se faire payer par les autres le tribut qu’autrefois il a payé aux autres."
-René Descartes, Recherche de la vérité par les lumières naturelles.
https://fr.wikisource.org/wiki/%C5%92uvres_de_Descartes/%C3%89dition_Cousin
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"Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée; car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent: mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices aussi bien que des plus grandes vertus; et ceux qui ne marchent que fort lentement peuvent avancer beaucoup davantage, s'ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent et qui s'en éloignent."
"La raison [...] seule chose qui nous rend hommes et nous distingue des bêtes."
"La lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés."
"Il est bon de savoir quelque chose des mœurs de divers peuples, afin de juger des nôtres plus sainement, et que nous ne pensions pas que tout ce qui est contre nos modes soit ridicule et contre raison, ainsi qu'ont coutume de faire ceux qui n'ont rien vu. Mais lorsqu'on emploie trop de temps à voyager, on devient enfin étranger en son pays; et lorsqu'on est trop curieux des choses qui se pratiquaient aux siècles passés, on demeure ordinairement fort ignorant de celles qui se pratiquent en celui-ci."
"Comme la multitude des lois fournit souvent des excuses aux vices, en sorte qu'un état est bien mieux réglé lorsque, n'en ayant que fort peu, elles y sont fort étroitement observées; ainsi, au lieu de ce grand nombre de préceptes dont la logique est composée, je crus que j'aurais assez des quatre suivants, pourvu que je prisse une ferme et constante résolution de ne manquer pas une seule fois à les observer.
Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle; c'est-à-dire, d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute.
Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerais, en autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux résoudre. Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusques à la connaissance des plus composés, et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.
Et le dernier, de taire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre."
"Lorsqu'il n'est pas en notre pouvoir de discerner les plus vraies opinions, nous devons suivre les plus probables."
"Je m'avisai de faire une revue sur les diverses occupations qu'ont les hommes en cette vie, pour tâcher à faire choix de la meilleure; et, sans que je veuille rien dire de celles des autres, je pensai que je ne pouvais mieux que de continuer en celle-là même où je me trouvais, c'est-à-dire que d'employer toute ma vie à cultiver ma raison, et m'avancer autant que je pourrais en la connaissance de la vérité, suivant la méthode que je m'étais prescrite. J'avais éprouvé de si extrêmes contentements depuis que j'avais commencé à me servir de cette méthode, que je ne croyais pas qu'on en put recevoir de plus doux ni de plus innocents en cette vie; et découvrant tous les jours par son moyen quelques vérités qui me semblaient assez importantes et communément ignorées des autres hommes, la satisfaction que j'en avais remplissait tellement mon esprit que tout le reste ne me touchait point."
"Tout mon dessein ne tendait qu'à m'assurer, et à rejeter la terre mouvante et le sable pour trouver le roc ou l'argile."
"Mais parce qu'alors je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensai qu'il fallait que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse comme absolument faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s'il ne resterait point après cela quelque chose en ma créance qui fût entièrement indubitable. Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu'il n'y avait aucune chose qui fût telle qu'ils nous la font imaginer; et parce qu'il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matières de géométrie, et y font des paralogismes, jugeant que j'étais sujet à faillir autant qu'aucun autre, je rejetai comme fausses toutes les raisons que j'avais prises auparavant pour démonstrations; et enfin, considérant que toutes les mêmes pensées que nous avons étant éveillés nous peuvent aussi venir quand nous dormons, sans qu'il y en ait aucune pour lors qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m'étaient jamais entrées en l'esprit n'étaient non plus vraies que les illusions de mes songes. Mais aussitôt après je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi qui le pensais fusse quelque chose; et remarquant que cette vérité, je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchais.
Puis, examinant avec attention ce que j'étais, et voyant que je pouvais feindre que je n'avais aucun corps, et qu'il n'y avait aucun monde ni aucun lieu où je fusse; mais que je ne pouvais pas feindre pour cela que je n'étais point; et qu'au contraire de cela même que je pensais à douter de la vérité des autres choses, il suivait très évidemment et très certainement que j'étais; au lieu que si j'eusse seulement cessé de penser, encore que tout le reste de ce que j'avais jamais imaginé eût été vrai, je n'avais aucune raison de croire que j'eusse été; je connus de là que j'étais une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser, et qui pour être n'a besoin d'aucun lieu ni ne dépend d'aucune chose matérielle; en sorte que ce moi, c'est-à-dire l'âme, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même qu'elle est plus aisée à connaître que lui, et qu'encore qu'il ne fût point, elle ne l'aurait pus d'être tout ce qu'elle est.
Après cela je considérai en général ce qui est requis à une proposition pour être vraie et certaine; car puisque je venais d'en trouver une que je savais être telle, je pensai que je devais aussi savoir en quoi consiste cette certitude. Et ayant remarqué qu'il n'y a rien du tout en ceci, je pense, donc je suis, qui m'assure que je dis la vérité, sinon que je vois très clairement que pour penser il faut être, je jugeai que je pouvais prendre pour règle générale que les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies, mais qu'il y a seulement quelque difficulté à bien remarquer quelles sont celles que nous concevons distinctement."
"Les philosophes tiennent pour maxime, dans les écoles, qu'il n'y a rien dans l'entendement qui n'ait premièrement été dans le sens, où toutefois il est certain que les idées de Dieu et de l'âme n'ont jamais été; et il me semble que ceux qui veulent user de leur imagination pour les comprendre font tout de même que si, pour ouïr les sons ou sentir les odeurs, ils se voulaient servir de leurs yeux: sinon qu'il y a encore cette différence, que le sens de la vue ne nous assure pas moins de la vérité de ses objets que font ceux de l'odorat ou de l'ouïe; au lieu que ni notre imagination ni nos sens ne nous sauraient jamais assurer d'aucune chose si notre entendement n'y intervient."
"On peut bien concevoir qu'une machine soit tellement faite qu'elle profère des paroles, et même quelle en profère quelques unes à propos des actions corporelles qui causeront quelque changement en ses organes, comme, si on la touche en quelque endroit, qu'elle demande ce qu'on lui veut dire; si en un autre, qu'elle crie qu'on lui fait mal, et choses semblables; mais non pas qu'elle les arrange diversement pour répondre au sens de tout ce qui se dira en sa présence, ainsi que les hommes les plus hébétés peuvent faire. [...] d'où vient qu'il est moralement impossible qu'il y en ait assez de divers en une machine pour la faire agir en toutes les occurrences de la vie de même façon que notre raison nous fait agir."
"Bien qu'il y ait plusieurs animaux qui témoignent plus d'industrie que nous en quelques unes de leurs actions, on voit toutefois que les mêmes n'en témoignent point du tout en beaucoup d'autres: de façon que ce qu'ils font mieux que nous ne prouve pas qu'ils ont de l'esprit, car à ce compte ils en auraient plus qu'aucun de nous et feraient mieux en toute autre chose; mais plutôt qu'ils n'en ont point, et que c'est la nature qui agit en eux selon la disposition de leurs organes: ainsi qu'on voit qu'un horloge, qui n'est composé que de roues et de ressorts, peut compter les heures et mesurer le temps plus justement que nous avec toute notre prudence."
"Après l'erreur de ceux qui nient Dieu, laquelle je pense avoir ci-dessus assez réfutée, il n'y en a point qui éloigne plutôt les esprits faibles du droit chemin de la vertu, que d'imaginer que l'âme des bêtes soit de même nature que la nôtre, et que par conséquent nous n'avons rien à craindre ni à espérer après cette vie, non plus que les mouches et les fourmis; au lieu que lorsqu'on sait combien elles diffèrent, on comprend beaucoup mieux les raisons qui prouvent que la nôtre est d'une nature entièrement indépendante du corps, et par conséquent qu'elle n'est point sujette à mourir avec lui; puis, d'autant qu'on ne voit point d'autres causes qui la détruisent, on est naturellement porté à juger de là qu'elle est immortelle."
"Pour ce qui touche les mœurs, chacun abonde si fort en son sens, qu'il se pourrait trouver autant de réformateurs que de têtes, s'il était permis à d'autres qu'à ceux que Dieu a établis pour souverains sur ses peuples, ou bien auxquels il a donné assez de grâce et de zèle pour être prophètes, d'entreprendre d'y rien changer; et, bien que mes spéculations me plussent fort, j'ai cru que les autres en avoient aussi qui leur plaisaient peut-être davantage. Mais, sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j'ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s'est servi jusques à présent, j'ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu'il est en nous le bien général de tous les hommes: car elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie; et qu'au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui feraient qu'on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie; car même l'esprit dépend si fort du tempérament et de la disposition des organes du corps, que, s'il est possibles de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusques ici, je crois que c'est dans la médecine qu'on doit le chercher."
"Chaque homme est obligé de procurer autant qu'il est en lui le bien des autres [...] c'est proprement ne valoir rien que de n'être utile à personne."
-René Descartes, Discours de la méthode. Pour bien conduire sa raison, et chercher la vérité dans les sciences, 1637.
"Nous étudions les sciences utiles ou pour les avantages qu’on en retire dans la vie, et pour ce plaisir qu’on trouve dans la contemplation du vrai, et qui, dans ce monde, est presque le seul bonheur pur et sans mélange."
"Les sciences sont tellement liées ensemble qu’il est plus facile de les apprendre toutes à la fois que d’en détacher une seule des autres. Si donc on veut sérieusement chercher la vérité, il ne faut pas s’appliquer à une seule science ; elles se tiennent toutes entre elles et dépendent mutuellement l’une de l’autre."
"Nous devons lire les ouvrages des anciens, parce que c’est un grand avantage de pouvoir user des travaux d’un si grand nombre d’hommes, premièrement pour connaitre les bonnes découvertes qu’ils ont pu faire, secondement pour être averti de ce qui reste encore à découvrir. Il est cependant à craindre que la lecture trop attentive de leurs ouvrages ne laisse dans notre esprit quelques erreurs qui y prennent racine malgré nos précautions et nos soins."
"On pourrait peut-être se demander pourquoi à l’intuition nous ajoutons cette autre manière de connaitre par déduction, c’est-à-dire par l’opération, qui d’une chose dont nous avons la connaissance certaine, tire des conséquences qui s’en déduisent nécessairement."
"L’âme humaine possède je ne sais quoi de divin où sont déposés les premiers germes des connaissances utiles, qui, malgré la négligence et la gêne des études mal faites, y portent des fruits spontanés."
"Quelquefois, en effet, en parcourant une suite de propositions de la plus grande évidence, si nous venons à en oublier une seule, fût-ce la moins importante, la chaîne est rompue, notre conclusion perd toute sa certitude."
"Il faut donc commencer par des choses faciles, mais avec méthode, pour nous accoutumer à pénétrer par les chemins ouverts et connus, comme en nous jouant, jusqu’à la vérité intime des choses. Par ce moyen nous deviendrons insensiblement, et en moins de temps que nous ne pourrions l’espérer, capables de déduire avec une égale facilité de principes évidents un grand nombre de propositions qui nous paraissent très difficiles et très embarrassées."
"L’intelligence seule est capable de concevoir la vérité. Elle doit cependant s’aider de l’imagination, des sens et de la mémoire, afin de ne laisser sans emploi aucun de nos moyens."
"Sont purement intellectuelles les choses que l’intelligence connaît à l’aide d’une certaine lumière naturelle, et sans le secours d’aucune image corporelle. Or il en est un grand nombre de cette espèce ; et, par exemple, il est impossible de se faire une image matérielle du doute, de l’ignorance, de l’action de la volonté, qu’on me permettra d’appeler volition, et de tant d’autres choses, que cependant nous connaissons effectivement, et si facilement qu’il nous suffit pour cela d’être doués de raison. Sont purement matérielles les choses que l’on ne connaît que dans les corps, comme la figure, l’étendue, le mouvement, etc. Enfin il faut appeler communes celles qu’on attribue indistinctement aux corps et aux esprits, comme l’existence, l’unité, la durée, et d’autres semblables."
"L’idée du néant, de l’instant, du repos, n’est pas une idée moins vraie que celle de l’existence, de la durée, du mouvement."
"Les savants sont d’habitude assez ingénieux pour trouver le moyen de répandre des ténèbres même dans les choses qui sont évidentes par elles-mêmes."
"La plus grande partie des questions sur lesquelles les savants disputent ne sont presque toujours que des questions de mots."
"Nous entendons par étendue tout ce qui a de la longueur, de la largeur et de la profondeur, sans rechercher si c’est un corps véritable ou seulement un espace."
-René Descartes, Règles pour la direction de l’esprit, 1628.
"L’honnête homme n’a pas besoin d’avoir lu tous les livres, ni d’avoir appris soigneusement tout ce qu’on enseigne dans les écoles. Il y a plus, son éducation serait mauvaise s’il avait consacré trop de temps aux lettres. Il y a beaucoup d’autres choses à faire dans la vie, et il doit la diriger de manière que la plus grande partie lui en reste pour faire de belles actions, que sa propre raison devrait lui apprendre, s’il ne recevait de leçons que d’elle seule."
"Le lecteur ne sera pas fâché de trouver ici une voie plus abrégée, et que les vérités que j’avancerai lui agréeront, quoique je ne les emprunte pas à Platon ou à Aristote, mais qu’elles auront par elles-mêmes de la valeur, comme l’argent qui a tout autant de prix qu’il sorte de la bourse d’un paysan ou de la trésorerie."
"L’âme des plantes et des animaux diffère de la nôtre."
"Je ne veux pas être mis au nombre de ces artisans sans talents, qui ne s’appliquent qu’à restaurer de vieux ouvrages, parce qu’au fond ils sont incapables d’en achever de neufs."
"Celui qui, comme lui, est plein d’opinions toutes faites et prévenu de cent préjugés, peut difficilement se livrer à la seule lumière de la nature ; il s’est depuis longtemps accoutumé à céder à l’autorité plutôt qu’à prêter l’oreille à la voix de sa propre raison. Il aime mieux interroger les autres, peser ce qu’ont écrit les anciens, que de se consulter lui-même sur le jugement qu’il doit porter ; et comme dès son enfance il a pris pour la raison ce qui n’étoit appuyé que sur l’autorité des préceptes, maintenant il donne son autorité pour une raison, et il veut se faire payer par les autres le tribut qu’autrefois il a payé aux autres."
-René Descartes, Recherche de la vérité par les lumières naturelles.
Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Ven 14 Oct - 14:51, édité 1 fois