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    Maurice Dommanget, Le curé Meslier. Athée, communiste & révolutionnaire sous Louis XIV

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Maurice Dommanget, Le curé Meslier. Athée, communiste & révolutionnaire sous Louis XIV Empty Maurice Dommanget, Le curé Meslier. Athée, communiste & révolutionnaire sous Louis XIV

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 16 Juin - 11:21



    "Jean Meslier naquit à Mazerny, village dépendant du duché de Rethel, province de Champagne, aujourd’hui commune de 160 habitants rattachée au canton d’Omont, arrondissement de Mézières.

    Voici, rigoureusement respecté, l’acte de baptême tel qu’il a été inscrit sur le plus ancien registre paroissial de Mazerny (1655 à 1680) : Le quinziesme juin 1664 Jean Melhé fils de gerard mellier et de forienne braidy ses perre et mere a esté baptize à Leghze de Mazerny — ses parin et marine sont Jean Lancereaux et Eleine  braidy sa femme de La paroisse de Raïllicourt.

    Remarquons que l’acte de baptême orthographie le nom de Meslier de deux façons différentes : Mellié et Mellier mais par la suite et de bonne heure, Jean ayant cru devoir signer Meslier, ainsi du reste que ses frère et sœur Garlage et Jeanne, c’est cette forme orthographique qui a prévalu.

    Comme le fait remarquer Albert Noël: Le nom de Mellier est assez commun dans les Ardennes." (p.11)

    "Le village de Mazerny, sur une pente et légèrement à l’écart de la route de Mézières à Châlons-sur-Marne par Poix-Perron et Attigny, groupait autour d’un château et d’une église le gros des habitants. Le terroir comprenait des prés, des bois, quelques buissons et des terres à la culture difficile mais de bon rapport en blé, encore plus en avoine. Il y avait sur la hauteur un moulin à vent et sur le ruisseau des Puiselets un autre moulin mais qui, faute d’eau, ne pouvait tourner la plupart du temps. L'intérieur du village était occupé par des clos peuplés d’arbres fruitiers et de bonnes chènevières dont le produit se joignait à celui des terres et à la vente des moutons et des bovins.

    Les cultivateurs labouraient à cheval ou au hoyau. Il y avait 25 charrues environ. La propriété du sol appartenait au seigneur pour les trois quarts. Quant aux possesseurs de lopins de terre, ils étaient assujettis à tant de droits, notamment le droit de terrage à la seizième gerbe, le cens, la banalité, la dîme à la quinzième gerbe, qu’en fait ils n’étaient que « fermiers dans leurs propriétés ». Pour accroître leurs ressources, les habitants, qui pouvaient être une soixantaine, confectionnaient sur des métiers la serge, nom donné alors à une étoffe légère de laine. C’est ainsi que le père de Jean Meslier ajoutait à la petite culture et à l’élevage, la pratique de l’industrie à domicile. Les titres le qualifient de « marchand » et, bien loin d’être un simple « ouvrier en serge » comme Voltaire l’a accrédité, il jouissait d’une certaine aisance. Boulliot rectifiant Voltaire le donne comme « propriétaire et fabricant de laine ». Il possédait tout près de Mazerny, au « Mazeaux de Hagnicourt » une maison comprenant une cuisine, une chambre basse, un fournil, une étable, une grange avec un Jardin et un petit verger. Gérard Meslier possédait encore à Hagnicourt, 140 verges de pré, savoir 60 au lieu-dit Sivry-Fontaine et le reste en parts égales aux Larges prés et à La Presse plus de 22 quarterons de terre dont 10 et demi au lieu-dit Busigny. Ces biens figurent dans l'inventaire de l’acte de donation dont il est parlé plus loin." (p.12)

    "Le parrainage est alors, selon une heureuse formule, un « réactif social » qui ne trompe pas ! Or, Gérard Meslier est pris assez souvent comme parrain et, en outre, sa signature très convenable n’est pas d’un rustre. Par contre, celle de sa femme Symphorienne, Forienne ou Forrienne Braidy, est plutôt d’une illettrée. C’était, à la naissance de Jean, une femme de quarante-cinq ans, de trois ans plus âgée que son mari.

    Avant de se fixer à Mazerny, les époux avaient habité l’une des localités voisines, Montigny-sur-Vence. Gérard y est qualifié de « fermier » le 21 février 1655 quand il fait baptiser sa fille Jeanne. Outre celle-ci et Jean, il y eut d’autres enfants, tous nés à Mazerny. Antoinette fut baptisée le 4 janvier 1670. Elle devait mourir le 7 février 1737 -huit ans plus tard que son frère — après avoir légué ses meubles à sa sœur Jeanne. [...] Quant à Marie, la dernière, baptisée le 16 octobre 1672, elle épousa le marchand Pierre Régnier le 28 décembre 1702." (p.13)

    "Le maître d’école Jean Mairy lui apprit à lire et à écrire. Aussi, à huit ans, le 16 octobre 1672, la signature du petit Meslier apparaît déjà sur le registre de la paroisse en qualité de parrain de sa sœur Marie. Le 4 août 1678, quand il a quatorze ans, on peut constater les progrès qu’il a faits. Il signe ‘à une fine écriture non plus Jean Mellier mais Jean « Meslier », au bas de l’acte de baptême de Jean, fils de son maître d’école et de Catherine Baudeloche.

    En cette année 1678 on peut admettre, avec presque tous les biographes, que Jean Meslier a été confié à un curé du voisinage qui lui a enseigné le latin. Comme il avait montré des dispositions à l” étude, ses parents songeaient à en faire un ecclésiastique. Le sacerdoce offrait à leurs yeux, écrit Meslier, « un état de vie plus doux, plus paisible et plus honorable que celui du commun des hommes".

    Peut-être faut-il faire remonter ce départ de Mazerny après la première communion de Jean qui doit se situer vers 1675, à l’âge de onze ans. Et comme l’usage était fréquent à J'époque et dans la région de tonsurer tout jeunes les futurs ecclésiastiques, il se peut que le petit bonhomme se soit vu déjà conférer la tonsure. Diderot, que son oncle destinait au sacerdoce, devait lui aussi la recevoir encore enfant le 22 août 1726, du vivant même de Meslier." (p.14)

    "Jacques Aubry, curé de Mazerny et porte-parole de la tradition, confirme qu'il entra au séminaire par soumission « aux volontés de son père » mais « sans goût pour l’état ecclésiastique »." (pp.14-15)

    "Grâce aux bontés de ce curé et aussi, sans nul doute, grâce à l'appoint de ses parents, Meslier put entrer au séminaire de Reims. Il y reçut une formation solide dont étaient dépourvus bien des postulants au sacerdoce." (p.15)

    "On ne peut qu’être frappé du fait qu’à Villers-le-Tourneur, village proche de Mazerny où il y eut jusqu’en 1689 des hérétiques, resta en fonction jusqu’en 1678 comme ministre du culte, Pierre Béguin, futur pasteur protestant à Bois-le-Duc en Wallonnie, où il mourut en juin 1680. L’original Tyssot de Pator qui l’a bien connu, le peint comme un chevalier de la double figure. En public, il soutenait pathétiquement en une «langue diserte » et d’une façon inimitable les mystères de la religion ; mais en secret, peu d’impies les profanaient davantage." (p.15)

    "Le supérieur du séminaire de Reims était alors Jacques Callou, chanoine de Notre-Dame, bienfaiteur de l’hôpital Saint-Marcoul. On le considère comme l’un des plus pieux et des plus charitables chanoines du siècle. Il a été directeur de conscience de Jean-Baptiste de la Salle, le fondateur de l’Institut des frères des écoles chrétiennes, rémois d’origine qui fut, lui aussi, chanoine de Notre-Dame. Callou passe pour avoir protégé Meslier. Il devait mourir le 7 juin 1714 à 88 ans." (p.16)

    "L’abbé Aubry nous informe d’ailleurs que Meslier « sut alors surmonter toutes ses répugnances pour son nouvel état ». Il rapporte que le jeune homme montra un « caractère toujours sombre et des plus flegmatiques ». Dans les récréations, ajoute-t-il, il était le plus souvent seul à l’écart ; aussi tous ceux de son cours le regardaient-ils comme un génie singulier." (p.17)

    "Reims était depuis longtemps un foyer actif de jansénisme, et le prélat Charles-Maurice Le Tellier (1642-1710), archevêque depuis 1671, était, malgré son amour immodéré des richesses, ouvertement favorable à l’hérésie." (p.17)

    "Son esprit mûrissant avec l’âge, sa raison s’affermissant à la lecture den Descartes qu’il affectionnait *”, plus il constata e mmes », plus il reconnut « la
    l ” Dans ces notoire la culture intensive de la piété qui se faisait autour de lui, les prêches, les sermons répétés, le jalonnement de
    chaque journée par des prières et des cérémonies, les fréquentes confessions
    et communions s’ajoutant aux leçons et dissertations sur des sujets ad hoc, bien
    loin de créer la ferveur, ne pouvaient que le rebuter." (p.17)

    "Le 13 février 1687, par acte passé devant M Lallemant et Richard, notaires «au bourg de Poix », le père Meslier constitua en faveur de son fils « étudiant en théologie qui a dessein de se faire pourvoir de l’ordre de prestrise » un patrimoine que l’oncle Jacques Nicard, de Raillicourt, porteur d’une lettre spéciale, accepta au nom de Jean. Et, conformément à l’usage, c’est le curé de Mazerny et d’Hagnicourt, J. Brochet, qui publia le titre patrimonial de son futur confrère, au cours de trois messes successives. Personne ne fit opposition et la chose fut publiquement acquise et régulièrement attestée le 3 mars 1687.

    Rien que de très normal dans tout cela. Pour accéder à la prêtrise, l’acolyte devait contracter, en plus de l’obligation morale de « garder inviolablement la chasteté » et de réciter chaque jour le bréviaire, l’obligation matérielle, pour ne point être « diverti de ses fonctions », d’être pourvu d’un titre de bénéfice ou de patrimoine, s’élevant à 50 livres au moins, somme portée à 100 livres au début du siècle suivant. Peu après la constitution de son patrimoine, Jean Meslier devenait sous-diacre le 29 mars 1687, puis diacre à Reims le 10 avril 1688. Après avoir rempli quelque temps les fonctions de vicaire à la campagne, Jean Meslier fut nommé prêtre à Châlons-sur-Marne le 18 décembre 1688, en vertu d’un dimissoire commun à tous les ordinands puis, deux jours après, sur les conseils de Callou, son ancien directeur, l'archevêque de Reims, Mgr Le Tellier, pourvut le jeune prêtre de la cure d’Étrépigny*. Il en prit possession et fut installé par le doyen de Mézières, Estienne Cagniart, le 7 janvier 1689." (pp.18-19)

    "Le village d’Étrépigny sur le plateau vêtu par la forêt de Mazarin, entre la Meuse et son affluent de gauche la Vence, est situé à trois lieues sud de Mézières-Charleville et à un peu plus d’une demi-lieue de Flize. Désigné naguère sous les noms de Stirpignis, Strepigni, Esterpigni, Estrepeigny, Estrepigny, Trépigny, Tarpigny, il fait actuellement partie de l’arrondissement de Mézières, canton de Flize, et compte 165 habitants. À l’époque de Meslier, il en comptait à peu près autant puisqu’ un dénombrement de 1720 lui donne trente-sept feux. C’était peu, mais c’était beaucoup par rapport à un passé relativement récent car en vérité, comme tous les villages-frontière ravagés par les guerres incessantes, Etrépigny avait sérieusement remonté la pente. D’autant plus que jusqu'aux réformes de Fabert, le célèbre gouverneur de Sedan, la masse et la répartition injuste des impôts s’étaient ajoutées aux méfaits de la soldatesque. Les impôts devaient encore peser lourdement sur le village du temps de Meslier, si l’on en juge par les relevés cadastraux de 1657. Ces relevés établissent que le village devait payer à Luxembourg 1.351 livres, payer à Rocroi, payer en argent 144 livres pour les gardes de Mézières, acquitter 626 livres de taille proprement dite, 510 livres de taille nouvelle sans compter toutes sortes d’autres impositions : l’astreinte aux corvées, à la fourniture du bois et naturellement toute la série des droits seigneuriaux et ecclésiastiques. Il y avait notamment à acquitter le droit de banalité sur la mouture des grains au moulin du Rapeau qu’actionnait le ruisseau de Balaives.

    Les terres labourables du terroir donnant surtout de l’avoine et du blé, comprenaient 169 arpents. Et comme l’arpent de la région variait de 38 à 45ares d’aujourd’hui, on peut estimer que cet ensemble représentait 65 à 76 hectares. On comptait 55 arpents de bois et broussailles et quelque vaine pâture dont 19 arpents appartenaient en propre aux habitants. Il y avait 103 arpents de pré, 60 au seigneur, 18 aux habitants en propre, le reste aux censes. Les clos du village peuplés d’arbres fruitiers donnaient surtout de bonnes prunes dont on tirait une eau-de-vie savoureuse qui se fait toujours.

    La population comprenait des cultivateurs, des scieurs de long et des bûcherons. Il y avait même une sage-femme qui opérait également dans les environs. Comme les habitants de Mazerny, les paysans d’Etrépigny joignaient le travail industriel à domicile au travail agricole. Mais alors que les premiers trouvaient leur débouché à Rethel, les seconds étaient tributaires de Sedan. Il s’agissait toujours de confectionner des étoffes. Le transport se faisait par des moyens primitifs puisque de mémoire d'homme, à la fin du siècle dernier, on portait encore à Sedan en brouettes les pièces de drap travaillées sur métiers à navettes, et on rapportait de même la matière première." (p.19-20)
    -Maurice Dommanget, Le curé Meslier. Athée, communiste & révolutionnaire sous Louis XIV, Coda & l'Institut français d'histoire sociale, 2008, 366 pages.



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