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    Lucie Fabry, Présentation du Matérialisme rationnel de Gaston Bachelard

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Lucie Fabry, Présentation du Matérialisme rationnel de Gaston Bachelard Empty Lucie Fabry, Présentation du Matérialisme rationnel de Gaston Bachelard

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 1 Juil 2024 - 13:07

    https://shs.hal.science/halshs-03155869/file/Fabry_pre%cc%81sentation%20e%cc%81dition%20critique%20mate%cc%81rialisme%20rationnel%20Bachelard%20puf%202021.pdf

    "Gaston Bachelard publie Le matérialisme rationnel (MR) aux Presses universitaires de France en 1953, à 69 ans. Il est alors titulaire d’une chaire d’histoire et de philosophie des sciences à la Sorbonne et directeur de l’Institut d’histoire des sciences et des techniques. Il allait se retirer de ces fonctions au cours des deux années suivantes, cédant la place à Georges Canguilhem, et être élu en 1955 à l’Académie des sciences morales et politiques, où il succède à Édouard Le Roy.

    Dernier ouvrage épistémologique de Gaston Bachelard, Le matérialisme rationnel constitue, à bien des égards, un aboutissement, où l’ensemble des ressources que l’auteur a élaborées au cours de son œuvre est mis au service d’une étude de la notion de matière. La matière se situe en effet au point de convergence des voies d’analyse que Bachelard a tracées depuis la fin des années 1920 : elle est d’abord un objet de rêverie, ainsi que l’ont montré les ouvrages que Bachelard a consacrés aux quatre éléments, depuis La psychanalyse du feu (1938) jusqu’à La terre et les rêveries de la volonté (1948). Mais la matière est également un concept philosophique, dont Bachelard étudie l’histoire, poursuivant l’étude des philosophies atomistes qu’il a entamée dans Les intuitions atomistiques (1932) et étoffant une critique de la philosophie qui a pris un rôle croissant dans son œuvre épistémologique à partir du Nouvel esprit scientifique (1934). La matière est, enfin, un objet de connaissance scientifique, au sein de la chimie et de la physique, disciplines que Bachelard a enseignées au collège de Bar-sur-Aube de 1919 à 1930 et qui ont occupé l’essentiel de son travail de philosophie des sciences.

    Objet de rêveries, objet philosophique, objet scientifique : ce sont ces différentes figures de la matière que Le matérialisme rationnel se propose d’articuler, en mettant au premier plan la question des conditions de l’élaboration d’une connaissance scientifique de la matière qui romprait avec les rapports oniriques à la matérialité.

    "Choisissant d’appeler matérialisme la connaissance de la matière, de la même manière qu’il appelle métallisme la connaissance des métaux (p. 242) ou énergétisme celle de l’énergie (p. 280). Les problématiques philosophiques qui accompagnent traditionnellement la notion de matérialisme –comme celle de savoir si l’on doit reconnaître l’existence d’entités immatérielles, ou celle de savoir si les phénomènes sociaux ou culturels sont définis par leurs conditions matérielles d’existence– sont ainsi presque complètement absentes du Matérialisme rationnel. Un autre aspect des innovations linguistiques de Gaston Bachelard est que la notion de matérialisme apparaît presque toujours, sous sa plume, assortie d’un adjectif. En consultant l’index des noms communs à la fin de ce volume, on ne trouvera ainsi pas moins d’une quarantaine d’épithètes que Bachelard associe au matérialisme : à côté du matérialisme rationnel, on trouve ainsi un matérialisme imaginaire, un matérialisme nucléaire, un matérialisme chimique, et même un matérialisme idéaliste, qui serait une contradiction dans les termes si Bachelard suivait les usages courants de cette notion. Ces adjectifs contiennent, sous une forme condensée et parfois surprenante, l’ensemble des thèses de Bachelard sur la connaissance de la matière. On peut en effet commencer à se repérer dans cette pluie d’épithètes en s’appuyant sur deux thèses cardinales de l’épistémologie bachelardienne : 1) celle qui affirme, depuis La formation de l’esprit scientifique (1938), qu’il existe une rupture entre la connaissance préscientifique, sous le signe de l’inconscient et de l’imaginaire, et la connaissance scientifique, sous le signe de la rationalité et de l’expérimentation ; 2) celle qui soutient, depuis Le rationalisme appliqué (1949), que la connaissance scientifique prend la forme d’une pluralité de « rationalismes régionaux » (RA, chap. VII), autrement dit, d’une pluralité de voies de recherche théoriques et expérimentales relativement autonomes, qui peuvent être amenées à se rejoindre par des efforts d’unification.

    La thèse selon laquelle la matière est investie par des « forces symbolisantes qui préexistent dans l’inconscient » (FES, p. 48) n’apparaît pas pour la première fois en 1942 dans L’eau et les rêves, mais dès 1938 dans La formation de l’esprit scientifique, où Bachelard n’étudie pas des ouvrages de poésie, mais des traités qui ont l’ambition d’établir une connaissance objective de la matière. La thèse fondamentale de Bachelard dans l’analyse des premières étapes de la connaissance, qu’il exprime ici dans une formule empruntée au psychanalyste Carl Gustav Jung, est en effet que « toute recherche prolongée sur un objet inconnu détermine un attrait presque irrésistible pour l’inconscient, attrait qui l’amène à se projeter dans l’inconnaissable de l’objet » (p. 66). Bachelard rassemble ainsi sous la notion de connaissance préscientifique un ensemble de démarches qui prétendent fournir une connaissance du réel, mais dont les motivations et les opérations révèlent, à l’analyse critique, des racines inconscientes qui contreviennent à cet objectif avoué.

    Parcourant un corpus considérable de textes sur la matière, Bachelard poursuit ainsi la tâche d’une psychanalyse de la connaissance qu’il avait entamée dans La formation de l’esprit scientifique, en s’attachant à déceler, sous la surface de discours qui prétendent établir une connaissance de la matière, « la sourde persistance de l’inconscient » (p. 98). Au premier chapitre du Matérialisme rationnel, Bachelard se penche ainsi sur des textes cosmologiques et alchimiques qui ordonnent la diversité matérielle en un système: il reconnaît dans les doctrines sur les quatre éléments une forme de « rationalisme arithmétique » qui présente certaines ressemblances avec les efforts de classification des éléments chimiques ; mais c’est aussitôt pour préciser que ce rationalisme arithmétique apparaît ici « sous des formes prématurées » (p. 81). Ce qui guide ces classifications, ce n’est pas en effet un dialogue serré entre les hypothèses théoriques et les vérifications expérimentales, mais ce que Bachelard appelle, en s’inspirant de Jung, une « arithmétique inconsciente », où les nombres « ne servent plus à compter » mais sont des « avatars de la sexualité » (p. 97). Il propose ainsi un commentaire d’un passage du Timée où Platon expose les relations entre les éléments « sous une forme quasi algébrique », en montrant que ce texte se situe dans une « zone moyenne où inconscient et conscient restent conjoints » et peut ainsi être l’objet de deux lectures, l’une qui montre « comment les 4 substances élémentaires sont prises rapidement dans la lumière du logos », l’autre qui décèle le jeu de la « conscience obscure » derrière « cet ordre substantiel que la conscience claire traduit en proportions » (p. 103 sq.).

    À ce geste qui consiste à déceler les valorisations inconscientes qui hantent les discours sur la matière s’ajoute le geste revendiqué par Bachelard depuis ses manifestes de 1951 sur l’histoire récurrente, qui consiste à les juger à la lumière de la science du présent. Bachelard opère ainsi une distinction entre l’alchimie et la préchimie, en présentant la première comme une connaissance préscientifique qui fait obstacle à la science, et en affirmant que la seconde, au contraire, « prépare le matérialisme scientifique » (p. 83). Il s’agit moins pour lui de distinguer deux périodes dans ce qu’il appelle la « préhistoire de la chimie » (p. 38), que de se demander si le texte qu’il a sous les yeux apparaît rétrospectivement comme une étape positive ou comme un obstacle à l’élaboration de la connaissance scientifique contemporaine de la matière.

    Le pluralisme cohérent de la chimie moderne était centré sur « l’examen d’une systématique des substances élémentaires », et ne consacrait qu’un chapitre terminal à l’examen des « substances composées » (PCCM, p. 22) ; l’ordre des priorités est comme inversé dans Le matérialisme rationnel, qui reprend la question de « la systématique moderne des corps simples » au chapitre III, mais consacre les chapitres IV et V à la question du « matérialisme composé », c’est-à-dire à l’étude de la manière dont des atomes se combinent au sein de molécules. En comparant ces deux ouvrages, on pourra malgré tout chercher à cerner les évolutions fines de la pensée de Bachelard: elles le conduisent à insister toujours davantage sur le fait que la chimie n’a pas pour fin de découvrir un ordre naturel, mais d’introduire un ordre dans le réel.

    Tout au long du Matérialisme rationnel, Bachelard combat en effet une conception de la chimie qui lui assignerait principalement pour tâche de recenser et de décrire des espèces naturelles (p. 59). Contre cette conception, Bachelard insiste sur le fait que cette science est rationaliste – il s’agit moins de recenser une diversité que d’établir un système cohérent –et productive– il s’agit moins de recueillir des spécimens que de produire des entités. Il présente ainsi la chimie comme une « science constructive de la matière » (p. 192), « une science de la transformation radicale des substances naturelles » (p. 76). Cette position le conduit à conférer une importance particulière aux éléments comme le technétium ou le prométhéum (p. 167), dont l’existence avait été postulée par la classification périodique des éléments chimiques, et qui ont été produits artificiellement dans des accélérateurs de particules : loin d’y voir des cas limites, Bachelard y voit des expériences emblématiques de la manière générale dont la chimie constitue ses objets, affirmant que, même pour les éléments que l’on pourrait trouver à l’état naturel, « le chimiste doit, en quelque manière, les refaire […] pour les mettre à égalité de “facticité” avec les autres corps créés par l’homme » (p. 60). La production de substances artificielles vient ainsi fournir de nouveaux arguments en faveur de la notion bachelardienne de phénoménotechnique, élaborée au début des années 1930, selon laquelle la démarche scientifique met à l’épreuve ses hypothèses théoriques en s’efforçant de produire artificiellement des entités conformes à celles-ci.

    Cette revendication du caractère factice des substances chimiques conduit Bachelard à faire sienne la fameuse déclaration du chimiste Auguste Laurent, qui écrivait que « La chimie d’aujourd’hui est devenue la science des corps qui n’existent pas » (p. 60). François Dagognet et Bernadette Bensaude-Vincent ont cependant montré que l’usage que Bachelard fait de cette citation la détourne de son sens originel : il s’agissait initialement d’un reproche adressé à certaines procédures d’analyse chimique, accusées de dénaturer les phénomènes qu’elles se proposaient d’étudier. Qu’il soit délibéré ou non, ce détournement de citation a des implications philosophiques profondes. Dans la génération qui précède directement celle de Bachelard, les philosophes conventionnalistes avaient également insisté sur l’artificialité des substances chimiques : parmi eux, Gaston Milhaud avait notamment souligné que le phosphore étudié par les chimistes n’était pas une donnée naturelle, mais une entité qui présentait exclusivement les propriétés entrant dans la définition théorique du phosphore qui s’est imposée dans la chimie d’une époque. Milhaud voyait cependant là un argument qui devait limiter les prétentions de la chimie à établir une connaissance du réel, dans une direction qui se rapproche davantage du sens originel de la formule d’Auguste Laurent. On doit alors se demander comment Bachelard a pu soutenir la thèse selon laquelle la chimie crée les corps qu’elle étudie, sans reprendre à son compte les conclusions qu’en tiraient les auteurs conventionnalistes

    [...] Il cherche à rejeter à la fois l’idée que la connaissance chimique doit être le reflet fidèle d’un ordre naturel et l’idée que la chimie ne constituerait qu’un ensemble de conventions sans valeur objective. Cette ambition de tenir à égale distance le réalisme et le conventionnalisme fait tout l’intérêt de la position bachelardienne, qui veut être en cela fidèle à l’attitude scientifique, dont Bachelard affirme qu’elle sait « se tenir en une position moyenne entre la philosophie réaliste et la philosophie sceptique » (p. 201).

    Un premier exemple de cette attitude est fourni par les développements que Bachelard consacre à la question de l’identification et de l’isolement des corps simples ou substances homogènes au chapitre II, qui prolongent une réflexion entamée dès l’Essai sur la connaissance approchée (chap. V) et poursuivie dans Le pluralisme cohérent de la chimie moderne (chap. II). Contre le réalisme, il affirme que les techniques mises en œuvre par la chimie ne cherchent pas à retrouver une « pureté naturelle » (p. 140) : il s’agit de produire une entité qui présente des propriétés déterminées, et non de débarrasser une substance de ses scories. La pureté d’une substance est ainsi définie par des critères et des méthodes de purification qui varient selon le degré de développement des connaissances chimiques et les fins poursuivies. Bachelard doute même que ces différentes techniques de purification se laissent facilement ordonner selon des degrés de pureté croissants, car il reconnaît qu’elles peuvent présenter une certaine hétérogénéité. Il refuse cependant d’admettre qu’une substance chimique ne soit qu’un découpage pragmatique ou contingent, en soulignant que les chimistes n’accepteraient pas de définir leurs substances avec une telle désinvolture : le travail de la cité savante consiste précisément à justifier les procédures d’identification et de purification des substances chimiques, en mobilisant des arguments qui permettent d’assurer l’existence d’une « confiance réciproque, [d’une] confiance discutée, entre les divers savants compétents d’une même époque » (p. 200). Bachelard réunit certains de ces arguments au chapitre III, qui restitue les développements théoriques et expérimentaux qui ont fondé la « confiance discutée » des chimistes contemporains dans la valeur objective de la classification périodique des éléments chimiques initiée par Mendeleïev.

    On retrouve ce même mouvement dans les chapitres IV à VI à propos de la valeur réaliste des représentations graphiques des molécules chimiques que sont les formules développées ou des schémas. Là encore, l’ennemi premier est ce que Bachelard appelle le réalisme naïf, qu’il attribue à Émile Meyerson, et qui consisterait à croire que ces schémas donnent une représentation des molécules qui serait analogue aux dessins que nous pouvons faire des objets offerts à notre perception directe. Creusant l’écart entre la connaissance chimique et la connaissance commune, Bachelard soutient que la forme des molécules est calculée et inférée plutôt que constatée – les techniques qui pourraient nous donner le sentiment d’une visualisation directe des molécules reposant elles-mêmes sur un ensemble de médiations théoriques et expérimentales qui la distinguent de l’immédiateté du voir. Et cependant Bachelard refuse d’admettre que les schémas moléculaires soient simplement conventionnels, et souligne que les chimistes disposent de « documents réalistes précis sur la forme des molécules » (p. 189). Restituant l’histoire des formules développées des composés du carbone ou de la molécule d’eau, Bachelard fait état d’un symbolisme appliqué (p. 249), où les schémas ont pour fonction de résumer le savoir théorique et expérimental d’une époque et de suggérer des expériences – la représentation graphique possédant une logique propre qui doit cependant être contrôlée, pour éviter que « se confiant à l’autonomie des symboles, la pensée se schématise et se détache des enseignements précis de l’expérience » (p. 245).

    Bachelard apporte finalement une réponse dynamique à la question du réalisme des notions et des représentations chimiques, en proposant de suivre l’évolution de la valeur réalistique que l’on attribue à une notion. Il montre ainsi que des conventions auxquelles on peut reconnaître d’abord un certain arbitraire connaissent progressivement une « maturation réalistique » (p. 202) à mesure qu’augmentent et se diversifient les arguments qui les justifient. Les notions les mieux établies deviennent alors les postulats fondamentaux de domaines de recherche où elles font preuve d’une fécondité qui fonde le « légitime dogmatisme de la pensée scientifique » (p. 241) dans l’affirmation que ces notions incontournables désignent bien une réalité. Bachelard souligne cependant que le « dogmatisme scientifique est un dogmatisme qui s’émousse » et qui s’accompagne d’un « doute potentiel » (p. 202) susceptible de remettre en question les notions les mieux établies. Cette « usure de l’absolu des notions premières » (p. 206) tient, selon Bachelard, à ce que tout savoir scientifique est « soumis à une auto-critique » et à ce que, souvent, « une acquisition nouvelle provoque des rectifications récurrentes qui peuvent remonter jusqu’aux notions de base » (p. 203). Bachelard nous propose ainsi de suivre la carrière de la notion de valence, notion fondamentale de la chimie dont Georges Champetier a finalement affirmé qu’elle apparaissait « comme une notion assez artificielle dont la nécessité ne se fait plus absolument sentir », lorsqu’elle a été remplacée par « les notions plus nettes d’électrovalence et de coordinence » (p. 206). Malgré ce déclassement, la notion de valence appartient cependant à ce que Bachelard appelle le savoir sanctionné, par opposition au savoir périmé, ce qui se traduit par le fait qu’« on ne conçoit guère un enseignement qui, dans une première partie de la culture, ne restituerait pas un véritable dogmatisme » à cette notion (p. 204), et qui permet qu’elle ait toujours cours dans certains domaines de la chimie la plus récente, même si les chimistes s’en servent désormais « avec des réserves » (p. 207).

    S’il désavoue ainsi le conventionnalisme dans sa prétention à désigner le statut de l’ensemble des concepts scientifiques, Bachelard reconnaît en revanche que le conventionnalisme correspond à l’une des franges du « spectre philosophique » (p. 160) qu’il mobilise pour désigner les différentes phases de cette maturation réalistique des notions scientifiques. Cette zone du spectre philosophique correspondrait au statut des notions émergentes – comme la notion de mésomérie, étudiée au chapitre VI, où Bachelard mentionne la suggestion faite par Adolphe Pacault d’organiser « un référendum pour savoir si la mésomérie correspondait à un phénomène réel » (p. 257) – ou des notions déclassées, comme la notion de valence, dont Champetier soulignait finalement l’artificialité. En restituant les évolutions de la valeur réalistique des notions scientifiques –c’est-à-dire, de la tendance des scientifiques à croire qu’une notion désigne un phénomène réel–, Bachelard est ainsi conduit à présenter le réalisme comme une « fonction philosophique » dont on ne peut pas se passer (p. 227), soulignant par là que la question la plus pertinente n’est pas celle de savoir si l’on est pour ou contre le réalisme, mais celle de savoir quels sont les critères et les procédures qui peuvent légitimement nous conduire à attribuer ou à dénier une réalité à quelque chose.

    Bachelard ne cesse en effet d’y répéter que « le philosophe ne veut pas travailler, le philosophe ne veut même pas suivre le long et patient travail de la science de la matière » (p. 187). On pourra objecter que cette vision caricaturale des philosophes rend particulièrement peu justice à l’intérêt pour la science en général, et pour la chimie en particulier, qui caractérisait la philosophie française du premier XXe siècle. Mais il faut surtout souligner que Le matérialisme rationnel présente un effort continu pour renouveler les questions philosophiques traditionnelles au contact de la science contemporaine : ainsi le chapitre II sur la purification des substances homogènes nourrit-il une réflexion sur la relation entre substance et accident, quand les chapitres IV et V développent, à l’occasion de l’étude des combinaisons entre les éléments chimiques et des structures moléculaires, une réflexion sur la relation entre tout et partie, et sur la relation entre matière et forme ; le chapitre VI s’appuie quant à lui sur la physique quantique pour esquisser une nouvelle ontologie fondée sur la notion d’énergie, quand le chapitre VII cherche à renouveler la question de l’objectivité des qualités sensibles à la lumière des dernières connaissances physiques et chimiques sur la couleur. Aussi la technicité des développements de Bachelard sur la covalence ou la mésomérie ne devra-t-elle pas masquer le fait que Le matérialisme rationnel constitue, au-delà du domaine de l’épistémologie de la chimie, un ouvrage philosophique de premier ordre."
    -Lucie Fabry, présentation de Gaston Bachelard, Le matérialisme rationnel, Paris, Presses universitaires de France, 2021.



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