http://gboss.ca/manifeste/manifeste.html
http://www.gboss.ca/contrat_social_hume_spinoza.html
"On retrouve l’essentiel des thèses de Hobbes à la fois chez Hume et Spinoza. Tous les deux reprennent déjà la conception d’un état de nature déterminé par un jeu des passions tel que, sans organisation sociale, les hommes s’y trouvent en conflit les uns avec les autres, incapables de survivre isolés dans cet état de guerre, et donc obligés de rechercher la société comme le moyen de les tirer d’une situation invivable. Tous deux considèrent l’état de nature comme caractérisé par une liberté de principe totale, en deçà de toutes les contraintes juridiques, qui ne sont que des institutions artificielles apparaissant avec l’état social. Autrement dit, avec Hobbes, Hume et Spinoza adoptent un même point de départ pour leur réflexion politique, celui de la science naturelle, dans laquelle l’homme apparaît comme un être naturel semblable aux autres, demandant à être étudié dans une science qui s’est dépouillée de tout point de vue moral à priori, et devient ainsi capable de saisir l’homme en deçà des jugements et des règles morales, comme la source dont va surgir, justement par la civilisation, le monde juridico-moral. C’est pourquoi on retrouve également chez Hume et chez Spinoza le déterminisme hobbien, qui nie tout libre arbitre, puisque c’est à condition d’être soumis à la loi de la nature comme les autres êtres que l’homme peut devenir objet de science. Nos deux penseurs acceptent aussi l’idée du contrat social comme principe explicatif permettant de comprendre la relation juridique du citoyen à l’État. Ils suivent Hobbes dans sa méfiance face aux prétentions du pouvoir des prêtres, comme un des éléments perturbateurs majeurs dans la société, et adhèrent au principe de la soumission de la religion, au moins dans ses formes extérieures, à l’autorité politique. Ils acceptent aussi l’exigence d’une limitation naturelle du pouvoir de l’État sur l’individu, déterminée par la nature de l’homme et l’impossibilité de modifier directement en lui certains ressorts sans le détruire, comme lorsqu’on veut contraindre sa pensée par le commandement, dans l’espoir vain de pouvoir obliger quelqu’un à croire à l’encontre de ce qu’il croit en fait. De même, la méfiance face au point de vue moraliste et utopiste, que condamne la vision déterministe du comportement humain, les conduit comme Hobbes à insister en retour sur les limites étroites de ce domaine d’autonomie individuelle dans lequel le pouvoir politique ne peut rien. Et c’est pourquoi, si tous les trois reconnaissent la possibilité de la rébellion, ils s’opposent à y voir autre chose qu’un moyen extrême, que la raison ne justifie pas selon ses règles générales, si bien qu’il convient pour tous trois de s’opposer par exemple à la valorisation antique du tyrannicide. Le même refus du libre arbitre conduit également Hume et Spinoza à s’accorder dans le sentiment hobbien de l’inertie des sociétés et à refuser les ambitions de bouleversements radicaux sous prétexte d’améliorations, pour préférer les réformes qui conservent le type de gouvernement en place. Et dans mille autres détails encore, on peut voir les deux penseurs se rejoindre dans le fond hobbien de leur pensée politique, comme par exemple dans l’idée que les États sont entre eux comme des hommes à l’état de nature, non tenus par les principes qui régissent la morale du citoyen, ou dans cette autre idée qu’une capacité naturelle de se gouverner par la raison créerait automatiquement une société de sages et rendrait inutile l’institution de l’État. Bref, on pourrait allonger indéfiniment la liste de ces points d’accord, et voir comment c’est finalement la grande partie de la doctrine hobbienne qui se retrouverait comme lieu de convergence de celles de Spinoza et de Hume."
"Non seulement Hume montre comment on peut comprendre la constitution des sociétés en considérant également le jeu des passions, sans faire intervenir un contrat social, mais il se livre, lui, contrairement à Spinoza, à une critique explicite de l’idée que la légitimité des gouvernements reposerait sur un tel contrat."
"En revanche, il y a un point où nos deux philosophes s’écartent de Hobbes, à savoir leur sympathie pour la démocratie."
"Comme le constate également le Traité théologico-politique, il est vrai que jamais les hommes ne peuvent s’abandonner à la société au point qu’ils cessent d’être hommes pour devenir malléables à volonté. [...] Par suite, il est exclu que la société détruise dans les individus ce qui les fait hommes sans se détruire à son tour. Et même, tout ce qui, dans les membres de la société, constitue ce par quoi."
"[Pour Spinoza, l'état de nature étant hobbesien et sans notions morales] il n’est pas possible de fonder le pouvoir de l’État sur la reconnaissance antérieure d’un ordre moral."
"Si Hume estime comme Hobbes et Spinoza que la dissolution du gouvernement conduit à la plus désastreuse anarchie, il n’y voit pas un retour à l’état de nature, parce que les hommes conservent leurs habitudes de citoyens et tendent d’un désir ardent vers le rétablissement de la société. Sur ce point, dans le Traité politique, qui tient davantage compte de la perspective historique concrète, Spinoza rejoint d’ailleurs Hume en constatant que les hommes civilisés ne peuvent plus retourner vraiment à l’état de nature, mais seulement changer de gouvernement."
"[Hobbes et Spinoza] ne comprennent pas le contrat social de telle manière qu’il laisse au citoyen la possibilité de s’en retirer au moindre prétexte. Le contrat explique la structure d’un rapport de puissance objectif qui est déterminant, et donne dans les faits au souverain seul le pouvoir de l’interpréter, tant que celui-ci ne détruit pas son propre pouvoir en le rendant véritablement intolérable. Et c’est pourquoi le contrat n’apparaît pas, sinon exceptionnellement et de manière tout à fait contingente, comme un événement historique, mais comme le produit d’une analyse théorique de la structure rationnelle de l’État. Aussi, dans cette perspective non plus, le fait qu’un pouvoir politique se soit installé par conquête ou usurpation ne représente aucune objection contre lui, dès qu’il a réussi à s’imposer véritablement."
"Hume n’accepte pas l’opposition tranchée entre état policé et état de nature. Ainsi que nous l’avons vu, tandis qu’il est porté à considérer l’état de nature pur comme fictif — un peu comme l’âge d’or, mais inversé —, il admet l’existence de sociétés sans gouvernement ou avec des formes imparfaites de gouvernement. Or ces sociétés n’en sont pas moins des produits de la convention, et non des structures purement naturelles. Il existe donc en elles des structures de type juridique qui ne sont pas naturelles pour autant. Ainsi, sans que le droit, l’obligation, la propriété, ainsi que la justice dont tous les trois dépendent, soient naturels, ils peuvent néanmoins avoir une existence hors de la société policée, dans les formes plus lâches de sociétés restreintes, familiales ou tribales. Il faut donc dire que le droit et la justice ne sont pas naturels, en ce qu’ils impliquent la société, d’une part, et pourtant qu’ils ne présupposent pas pour autant l’existence d’un gouvernement, d’autre part. Car, contrairement au pacte, qui n’admet pas de degrés — car il est ou n’est pas —, la convention existe à divers degrés, si bien que les structures de la vie sociale qui supposent la convention peuvent exister et se trouver réalisées également à divers degrés dans des formes de vie sociale plus ou moins lâches.
En tout état de cause, le droit ne peut pas avoir de réalité naturelle, antérieure à la société, vu que, pour Hume, il découle de la justice, qui est une invention des hommes apparaissant avec la société."
"[Pour Hume et Spinoza] la nature est en soi dépourvue d’intentions morales, et le droit ne naît que d’une certaine perspective que les hommes font apparaître en découvrant les principes de la vie sociale et politique. A proprement parler, la perspective du droit est celle de l’homme en société, et le droit n’apparaît dans la nature que par projection. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il tend alors à se résorber totalement dans la puissance, qui seule est vraiment naturelle. Il semble alors de peu d’importance que Spinoza préfère définir un droit naturel qui se confond dans la puissance et y disparaît à la limite, ou que Hume préfère ne parler de droit que dans le monde humain, une fois que l’invention de l’artifice de la justice et des règles morales a eu lieu."
-Gilbert Boss, La portée du contrat social chez Hume et Spinoza, Munich, 1998.
http://www.gboss.ca/pubinternet.html
http://www.gboss.ca/contrat_social_hume_spinoza.html
"On retrouve l’essentiel des thèses de Hobbes à la fois chez Hume et Spinoza. Tous les deux reprennent déjà la conception d’un état de nature déterminé par un jeu des passions tel que, sans organisation sociale, les hommes s’y trouvent en conflit les uns avec les autres, incapables de survivre isolés dans cet état de guerre, et donc obligés de rechercher la société comme le moyen de les tirer d’une situation invivable. Tous deux considèrent l’état de nature comme caractérisé par une liberté de principe totale, en deçà de toutes les contraintes juridiques, qui ne sont que des institutions artificielles apparaissant avec l’état social. Autrement dit, avec Hobbes, Hume et Spinoza adoptent un même point de départ pour leur réflexion politique, celui de la science naturelle, dans laquelle l’homme apparaît comme un être naturel semblable aux autres, demandant à être étudié dans une science qui s’est dépouillée de tout point de vue moral à priori, et devient ainsi capable de saisir l’homme en deçà des jugements et des règles morales, comme la source dont va surgir, justement par la civilisation, le monde juridico-moral. C’est pourquoi on retrouve également chez Hume et chez Spinoza le déterminisme hobbien, qui nie tout libre arbitre, puisque c’est à condition d’être soumis à la loi de la nature comme les autres êtres que l’homme peut devenir objet de science. Nos deux penseurs acceptent aussi l’idée du contrat social comme principe explicatif permettant de comprendre la relation juridique du citoyen à l’État. Ils suivent Hobbes dans sa méfiance face aux prétentions du pouvoir des prêtres, comme un des éléments perturbateurs majeurs dans la société, et adhèrent au principe de la soumission de la religion, au moins dans ses formes extérieures, à l’autorité politique. Ils acceptent aussi l’exigence d’une limitation naturelle du pouvoir de l’État sur l’individu, déterminée par la nature de l’homme et l’impossibilité de modifier directement en lui certains ressorts sans le détruire, comme lorsqu’on veut contraindre sa pensée par le commandement, dans l’espoir vain de pouvoir obliger quelqu’un à croire à l’encontre de ce qu’il croit en fait. De même, la méfiance face au point de vue moraliste et utopiste, que condamne la vision déterministe du comportement humain, les conduit comme Hobbes à insister en retour sur les limites étroites de ce domaine d’autonomie individuelle dans lequel le pouvoir politique ne peut rien. Et c’est pourquoi, si tous les trois reconnaissent la possibilité de la rébellion, ils s’opposent à y voir autre chose qu’un moyen extrême, que la raison ne justifie pas selon ses règles générales, si bien qu’il convient pour tous trois de s’opposer par exemple à la valorisation antique du tyrannicide. Le même refus du libre arbitre conduit également Hume et Spinoza à s’accorder dans le sentiment hobbien de l’inertie des sociétés et à refuser les ambitions de bouleversements radicaux sous prétexte d’améliorations, pour préférer les réformes qui conservent le type de gouvernement en place. Et dans mille autres détails encore, on peut voir les deux penseurs se rejoindre dans le fond hobbien de leur pensée politique, comme par exemple dans l’idée que les États sont entre eux comme des hommes à l’état de nature, non tenus par les principes qui régissent la morale du citoyen, ou dans cette autre idée qu’une capacité naturelle de se gouverner par la raison créerait automatiquement une société de sages et rendrait inutile l’institution de l’État. Bref, on pourrait allonger indéfiniment la liste de ces points d’accord, et voir comment c’est finalement la grande partie de la doctrine hobbienne qui se retrouverait comme lieu de convergence de celles de Spinoza et de Hume."
"Non seulement Hume montre comment on peut comprendre la constitution des sociétés en considérant également le jeu des passions, sans faire intervenir un contrat social, mais il se livre, lui, contrairement à Spinoza, à une critique explicite de l’idée que la légitimité des gouvernements reposerait sur un tel contrat."
"En revanche, il y a un point où nos deux philosophes s’écartent de Hobbes, à savoir leur sympathie pour la démocratie."
"Comme le constate également le Traité théologico-politique, il est vrai que jamais les hommes ne peuvent s’abandonner à la société au point qu’ils cessent d’être hommes pour devenir malléables à volonté. [...] Par suite, il est exclu que la société détruise dans les individus ce qui les fait hommes sans se détruire à son tour. Et même, tout ce qui, dans les membres de la société, constitue ce par quoi."
"[Pour Spinoza, l'état de nature étant hobbesien et sans notions morales] il n’est pas possible de fonder le pouvoir de l’État sur la reconnaissance antérieure d’un ordre moral."
"Si Hume estime comme Hobbes et Spinoza que la dissolution du gouvernement conduit à la plus désastreuse anarchie, il n’y voit pas un retour à l’état de nature, parce que les hommes conservent leurs habitudes de citoyens et tendent d’un désir ardent vers le rétablissement de la société. Sur ce point, dans le Traité politique, qui tient davantage compte de la perspective historique concrète, Spinoza rejoint d’ailleurs Hume en constatant que les hommes civilisés ne peuvent plus retourner vraiment à l’état de nature, mais seulement changer de gouvernement."
"[Hobbes et Spinoza] ne comprennent pas le contrat social de telle manière qu’il laisse au citoyen la possibilité de s’en retirer au moindre prétexte. Le contrat explique la structure d’un rapport de puissance objectif qui est déterminant, et donne dans les faits au souverain seul le pouvoir de l’interpréter, tant que celui-ci ne détruit pas son propre pouvoir en le rendant véritablement intolérable. Et c’est pourquoi le contrat n’apparaît pas, sinon exceptionnellement et de manière tout à fait contingente, comme un événement historique, mais comme le produit d’une analyse théorique de la structure rationnelle de l’État. Aussi, dans cette perspective non plus, le fait qu’un pouvoir politique se soit installé par conquête ou usurpation ne représente aucune objection contre lui, dès qu’il a réussi à s’imposer véritablement."
"Hume n’accepte pas l’opposition tranchée entre état policé et état de nature. Ainsi que nous l’avons vu, tandis qu’il est porté à considérer l’état de nature pur comme fictif — un peu comme l’âge d’or, mais inversé —, il admet l’existence de sociétés sans gouvernement ou avec des formes imparfaites de gouvernement. Or ces sociétés n’en sont pas moins des produits de la convention, et non des structures purement naturelles. Il existe donc en elles des structures de type juridique qui ne sont pas naturelles pour autant. Ainsi, sans que le droit, l’obligation, la propriété, ainsi que la justice dont tous les trois dépendent, soient naturels, ils peuvent néanmoins avoir une existence hors de la société policée, dans les formes plus lâches de sociétés restreintes, familiales ou tribales. Il faut donc dire que le droit et la justice ne sont pas naturels, en ce qu’ils impliquent la société, d’une part, et pourtant qu’ils ne présupposent pas pour autant l’existence d’un gouvernement, d’autre part. Car, contrairement au pacte, qui n’admet pas de degrés — car il est ou n’est pas —, la convention existe à divers degrés, si bien que les structures de la vie sociale qui supposent la convention peuvent exister et se trouver réalisées également à divers degrés dans des formes de vie sociale plus ou moins lâches.
En tout état de cause, le droit ne peut pas avoir de réalité naturelle, antérieure à la société, vu que, pour Hume, il découle de la justice, qui est une invention des hommes apparaissant avec la société."
"[Pour Hume et Spinoza] la nature est en soi dépourvue d’intentions morales, et le droit ne naît que d’une certaine perspective que les hommes font apparaître en découvrant les principes de la vie sociale et politique. A proprement parler, la perspective du droit est celle de l’homme en société, et le droit n’apparaît dans la nature que par projection. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il tend alors à se résorber totalement dans la puissance, qui seule est vraiment naturelle. Il semble alors de peu d’importance que Spinoza préfère définir un droit naturel qui se confond dans la puissance et y disparaît à la limite, ou que Hume préfère ne parler de droit que dans le monde humain, une fois que l’invention de l’artifice de la justice et des règles morales a eu lieu."
-Gilbert Boss, La portée du contrat social chez Hume et Spinoza, Munich, 1998.
http://www.gboss.ca/pubinternet.html