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    Babette E. Babich, La fin de la pensée ? Philosophie analytique contre philosophie continentale

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Messages : 20711
    Date d'inscription : 12/08/2013
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    Babette E. Babich, La fin de la pensée ? Philosophie analytique contre philosophie continentale Empty Babette E. Babich, La fin de la pensée ? Philosophie analytique contre philosophie continentale

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 5 Aoû - 10:20

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Babette_Babich

    "Les chercheurs,  de formation « continentale » -c’est-à-dire ceux qui sont formés dans l’esprit herméneutique et historique, qui s’ouvrent à la lecture de Dilthey et de Nietzsche, de Bergson et de Heidegger, d’Adorno et de Derrida, ainsi qu’à d’autres— n’ont pas tendance, à quelques exceptions près, à rejeter la philosophie analytique quand ils la rencontrent.  En revanche, une pareille tolérance intellectuelle n’est pas observée chez les philosophes, anglophones ou non, formés dans la tradition philosophique analytique —formation qui est aujourd’hui de plus en plus d’actualité dans le cadre des universités françaises. Les philosophes « continentaux » ont tendance à considérer la philosophie analytique comme une manière de philosopher, certes différente de la leur, mais pour le moins authentique." (pp.7-8 )

    "Les départements de philosophie d’orientation  « continentale » ont toujours recruté, et respecté les travaux des philosophes de formation analytique. De leur côté, les philosophes analytiques refusent agressivement de rendre la faveur.  Ce n’est pas seulement le fait que, quand ils sont dans un département soi-disant « pluraliste », ils déplorent ouvertement leur situation et la quittent pour d’autres postes quand ils le peuvent —car, étant donné les normes de classification prédominantes, un département « continental » sera toujours mal classé— mais ils s’ingénient à défaire tout pluralisme, cherchant à offrir les postes à des chercheurs de formation analytique et à limiter les chances des candidats d’une orientation plus continentale.

    En conséquence, nous rencontrons le phénomène bâtard de philosophes de formation analytique qui travaillent sur des thèmes qu’ils croient continentaux. Ceci signifie généralement qu’ils « lisent » Husserl ou Heidegger, ou Nietzsche ou même Deleuze (qui, il faut le dire, peut-être à cause de son style résiste moins que Derrida, à ce genre de traitement) en les traduisant dans une langue analytique, traduction qui est nécessairement abus ou même trahison. Si la philosophie continentale est définie —comme je le fais, stylistiquement— comme un style de philosophie, un style pensif, avec une oreille pour l’histoire, constitué par une herméneutique, et articulé comme le font Derrida et Adorno, Arendt et Merleau-Ponty, tout comme Nietzsche et Bataille ou bien Heidegger, il faut dire que la philosophie continentale est aujourd’hui en déclin. Il y a de moins en moins d’enseignants de formation continentale traditionnelle. En conséquence,  et pour cette même raison, une tradition qui aurait pu être  enseignée est en train de disparaître." (pp.8-9)

    "Les neurobiologistes, entre autres, qui ont refusé d’élire Derrida au Collège de France l’ont qualifié « d’astrologue, » qualification pour laquelle ils n’ont pas cru nécessaire d’offrir une argumentation scientifique. En outre, la comparaison avec l’astrologie n’est pas un accident si on considère l’opposition fanatique entre la science contemporaine et l’astrologie comme l’a démontré un document de 1975 condamnant l’astrologie et signé par 186 scientifiques." (p.11)

    "La distinction principale entre la philosophie continentale et la philosophie analytique vient du fait que la première embrasse le questionnement comme tel et se trouve donc en opposition à l’analyse dont le projet central est de dissoudre ou de résoudre ou d’éliminer, donc de nier qu’il y ait des problèmes finalement récalcitrants en soi. Comme la philosophie contemporaine née avec la reconnaissance de Kant du supposé manque de progrès en philosophie (c’est-à-dire en « métaphysique »), par contraste avec le succès manifeste des mathématiques et des sciences physiques, le programme philosophique caractéristique de l’empirisme anglo-saxon et de la logique cherche à calquer la méthode de la philosophie, non moins sur la rigueur mathématique ou la pratique expérimentale des sciences naturelles, que sur les modèles théoriques de la science ou l’axiomatique de la logique ou d’un autre idéal rationnel. " (pp.13-14)

    "La philosophie continentale diffère de la philosophie analytique du fait qu’elle n’aspire pas à trouver sa justification rationnelle dans la science elle-même." (p.14)

    "La métaphysique spéculative est une occupation très commune chez les philosophes analytiques." (note 2 p.27)

    "En contraste avec Bergson, il reste parfaitement acceptable entre les chercheurs « établis » de citer Bachelard." (p.25)

    "Comme le note Lancelin, malgré sa prédominance mondiale, la façon analytique de philosopher est particulièrement irritante en France, conséquence directe, à mon avis, de son style agressif. Les français ne prennent pas volontiers une deuxième place dans un concours culturel ; par contre, la philosophie analytique se doit de nier toute valeur à la philosophie traditionnelle, y compris la philosophie française." (p.29)

    "Aujourd’hui on présente des philosophes analytiques en annonçant, comme l’a fait Bouveresse dans Le Nouvel Observateur, qu’ils ne sont pas du courant dominant." (p.30)

    "La France pouvait autrefois se vanter d’avoir préservé la possibilité d’une pensée révolutionnaire, capable de contester le cœur de l’establishment intellectuel. Elle ne le peut plus." (p.31)

    "Cette ouverture à l’investigation en profondeur s’oppose à l’ « analyse » (c’est-à-dire la dissolution/résolution ou l’élimination/déni de problèmes jugés irréels ou faux) des questions de la tradition philosophique qui résistent obstinément à l’analyse. La philosophie analytique, par contre, manifeste :  

    « une conception déflationniste de la philosophie —conception selon laquelle les problèmes philosophiques sont de faux problèmes, qu’il s’agit de dissoudre plutôt que de résoudre »  

    comme l’écrit John Skorupski dans sa contribution à un très mince volume intitulé Le progrès de la philosophie analytique. À l’opposé de cette attitude de modestie facile et calculatrice, par son approche la philosophie continentale tend à intensifier les problèmes philosophiques (sous l’effet de la passion de Heidegger pour ce qu’il appelle « penser » aussi bien que de la grandiloquence stylistique qui caractérise Nietzsche ou, plus récemment, Jean Baudrillard)." (pp.36-37)

    "La bonne philosophie serait celle qui est bien écrite (le style d’écriture étant défini d’un point de vue analytique), bien formée, et prenant la forme de formules —ou clairement argumentée et par conséquent facile à comprendre (cette facilité de compréhension est aussi importante dans le monde universitaire que dans l’univers de la publicité et de la télévision), ce qui est bien sûr une question de clarté et d’argumentation, définies en tant que telles d’un point de vue analytique —c’est-à-dire aussi avec le dernier Quine et Davidson— d’un point de vue logique. La mauvaise philosophie est ainsi tout ce qui ne se conforme pas à ce modèle, en d’autres termes à tout ce qui est considéré comme de la « bonne » philosophie — surtout si cette « mauvaise » philosophie a la réputation d’être difficile à lire ou à comprendre." (p.43)

    "Ce que cette défense de la clarté et de la simplicité passe sous silence, c’est que la mise en place de la tradition analytique a résulté d’une institutionnalisation plutôt que d’un véritable débat. Ce qui a assuré la domination de la profession de philosophe dont jouit maintenant cette tradition, ce n’est pas un triomphe de la clarté." (p.13)

    "Traiter la philosophie de Nietzsche non pas selon ses propres termes, avec leur complexité propre, mais selon les normes de l’exigence logique ou les discours acceptés du moment ne peut rendre justice à Nietzsche (de même qu’un tel traitement stérilise Adorno, Heidegger, et tant d’autres)." (pp.53-54)

    "Ceux qui pratiquent la philosophie dite continentale, parfois désignée par le terme de philosophie « européenne contemporaine », se trouvent aussi marginalisés en termes professionnels en Europe (sur « le continent ») que dans les pays anglo-saxons. Comme le font remarquer nos collègues européens, le type de philosophie professionnelle qui se trouve maintenant pratiqué (ou plutôt qui est maintenant désirable) en Europe continentale est celui que l’on peut trouver à Cambridge (qu’il s’agisse de la ville anglaise ou de son éponyme américaine). Cette marginalisation s’explique par de nombreuses raisons, mais la plus évidente est peut-être le scientisme universel qui caractérise notre époque d’information technoscientifique, manifesté par le prestige encore jamais contredit des approches analytiques logiques et linguistiques de la philosophie et par l’importance croissante de la science cognitive dans le même domaine.

    Il s’agit d’une question de style. Quand la philosophie analytique est la seule approche ou le seul projet stylistique reconnu, elle gouverne le monde universitaire (qui dans notre configuration culturelle, devient le seul lieu où survit encore la philosophie)." (p.55)

    "[La philosophie continentale] s’efforce de garder toujours à l’esprit le sens de la philosophie en tant qu’amour de la sagesse. L’objet de cette recherche de la sagesse, c’est le sens tel qu’il est compris par les êtres vivants. Ainsi l’on dit souvent que l’objet de la philosophie c’est le sens de la vie. Quand la philosophie analytique se préoccupe de questions morales, elle cherche à formuler des règles et des méthodes pour résoudre des problèmes. Les approches continentales de ces questions morales —illustrées par exemple par Nietzsche et sa critique généalogique de la moralité– consistent à mettre en évidence les paradoxes que présentent ces questions." (pp.59-60)

    "Si l’on présentait une définition de l’amour qui ne soulignerait pas sa très paradoxale et insaisissable essence, on n’aurait même pas commencé à penser l’amour, encore moins d’en rendre compte en termes philosophiques." (p.62)

    "Il est significatif que, entre toutes les réponses fournies par la philosophie analytique, aucune ne semble opératoire ou capable d’endurance, et ce même pour les analytiques eux mêmes. C’est pourquoi, ayant apparemment épuisé leur propre mandat et avec lui leur propre projet, les philosophes analytiques ont commencé à se tourner vers la philosophie continentale. Non pas, hélas, sur le mode du rapprochement, et certainement pas en invitant ceux qui pratiquent la philosophie continentale à se joindre au débat, mais seulement, comme si leurs propres thèmes analytiques les ennuyaient à mourir, en reprenant les thèmes (et les noms, tels que ceux de Nietzsche, Heidegger et Deleuze) de la philosophie continentale. Car la tradition analytique a été délibérément mise en faillite (par la logique interne de la méthode analytique), bien que ce soit elle qui ait produit sa propre faillite." (p.65)

    "Parmi les commentateurs il ne s’en trouve pas un pour faire autre chose que d’admirer le brio avec lequel Sokal est venu en montrer aux postmodernes, aux derridiens, aux féministes, aux anthropologues et sociologues des sciences et autres constructivistes en matière de société." (p.71)

    "Dans la mesure où il y a effectivement eu un changement dans l’attitude du public à l’égard de la science, ce changement ne doit pas être interprété comme une marque de méfiance mais au contraire comme l’excès de confiance de l’approbation et de l’enthousiasme moderne, qui à notre époque postmoderne prend de plus en plus la forme de la déception et de l’impatience — non pas à l’égard de l’idéal du progrès scientifique mais plutôt et exclusivement quant à sa lenteur. Loin de provenir d’une perspective anti-scientifique, cette déception résulte d’une confiance démesurée du public envers la science." (p.83)

    "Ce que Sokal dit présenter, ce ne sont pas des conclusions mais seulement une « spéculation provisoire et préliminaire ». Ce qui est en question, ce n’est donc pas l’exactitude du physicien quant à ce qu’il présente mais la manière dont il articule les « implications philosophiques et politiques » de certains « développements dans le domaine de la physique ». De plus, ce que Sokal se propose de présenter n’est pas un compte-rendu de ces développements (ce qui serait impossible puisqu’il s’engage à ne pas recourir au langage symbolique qui est nécessaire à un tel compte-rendu, c’est-à-dire celui des mathématiques, le langage de la physique) mais ce qui se donne explicitement comme une interprétation nécessairement présentée en dilettante, puisque la formation de Sokal est en physique et non pas en philosophie (même pas en philosophie analytique), ni en science politique ou en critique de la culture. Les « implications philosophiques et politiques » qu’il propose ne sont ainsi pas tirées par un expert. [...]

    Cependant, alors que le texte de Sokal dans ST s’ouvre par ces mises en garde si modestes, son texte dans LF est écrit sur un tout autre ton.  Dans ce dernier, il proclame avec une indignation malveillante le succès de son propre canular dans ST, se réservant le droit d’être à la fois juge, jury et bourreau à l’égard d’entières disciplines qui ne sont pas les siennes. Il est pourtant parfaitement évident que Sokal ne comprend pas le sens de ses propres phrases — il semble considérer ses propres mises en garde comme un simple équivalent des déclarations protocolaires dans les textes scientifiques à auteurs multiples, déclarations à caractère purement formel et extérieures au texte proprement dit plutôt que véritables mises en garde. Il ne semble pas non plus comprendre à quoi sert la critique réflexive. En somme, Sokal n’a aucune idée de la complexité et de la portée de ce que l’on peut faire avec des mots. Les textes qui se présentent sous forme spéculative et critique et tirent des implications que leur auteur estime être d’ordre « philosophique et politique » se soumettent à un jugement du même ordre de la part de leurs lecteurs. L’objectif de tels textes, dont la nature est non-assertive, n’est pas de rendre compte de faits mais d’inviter à poursuivre une réflexion ; en tant que lecture des possibles, ils sont sujets à question. De tels textes ne sont soumis à aucune obligation de suivre la logique d’un physicien, en particulier celle d’un physicien qui ne pense pas ce qu’il dit. Autrement dit, bien que le texte de Sokal se présente comme émanant de l’autorité d’un physicien (à la fois pour le texte de ST et pour celui de LF), son texte de ST n’argumente pas à partir de cette autorité, pour la simple raison qu’il ne constitue pas un argument. Si les textes spéculatifs et interprétatifs vont au-delà des limites habituelles, c’est précisément en tant qu’ils constituent des lectures alternatives. Un discours porteur de sens n’est pas tenu d’observer les modèles ordinaires de la logique (même s’il se peut qu’il le fasse). La spéculation philosophique ne suit pas toujours ces modèles –ce qui constitue un point essentiel mais aussi la source d’inévitables paradoxes et obscurités. Et il est crucial de noter qu’une réflexion sur la valeur fondamentale des constructions logiques ne peut pas suivre ces modèles.  C’est la raison pour laquelle, de Nietzsche à Davidson (sans parler de Duhem et de Quine —et les experts en systèmes mathématiques et formels pourraient ajouter d’autres noms à la liste, en plus de ceux de Gödel et de Turing), la critique de la logique et de la vérité ne peut être fondée sur la logique ou la vérité." (pp.87-89)

    "Les philosophes qui se donnent pour projet de remettre en question la science, la raison ou la vérité se trouvent systématiquement accusés de l’offense —du crime– d’irrationalisme et par conséquent relégués —dans le meilleur des cas— au statut de poètes (comme Nietzsche), de mystiques (comme Heidegger et parfois Wittgenstein) ou de romantiques (comme ils le sont tous les trois)." (p.93)

    " [Pour la philosophie, contrairement à la science] il demeure possible non seulement de poursuivre l’idéal de la vérité, mais aussi de toujours poser cette question: « pourquoi la vérité ? »." (p.93)

    "La question de la réalité objective du monde en-dehors de la connaissance que nous en avons est une question absurde, non pas parce qu’il serait manifeste que le monde objectivement réel est donné qu’il y ait ou non un sujet humain de connaissance — la logique même de cette assertion, de ce que voudrait dire pour le monde d’être donné sans qu’il existe une entité à laquelle il puisse être donné, exclut la possibilité d’une telle assertion — mais parce que, pour reprendre une autre métaphore nietzschéenne, il est absurde de se demander à quoi ressemblerait le monde si nous pouvions l’observer après nous avoir coupé notre tête. Ce que sont « réellement et objectivement » les choses est inconnaissable, et non pas jusqu’ici ou provisoirement inconnaissable mais intrinsèquement inconnaissable, parce que le monde tel qu’il est susceptible d’être connu par l’intermédiaire d’une investigation humaine et subjective, si scientifique et si objectivement réglée qu’elle puisse être, ne peut constituer un objet en tant que tel que pour un sujet de connaissance." (p.96)

    "Les physiciens et les scientifiques en général ont une conception très simple de la réalité, de la vérité et de l’objectivité et (comme en attestent les études sociales et historiques de la science) ils constituent des témoins notoirement peu fiables de leur propre pratique. En un mot, ils sont incompétents en tant que philosophes de la science. Mais le manque de fiabilité des scientifiques quand il s’agit de rendre compte de la science ne fait que refléter les limites de la capacité des agents à réfléchir à leur propre action, et de toute façon la valeur de la science est d’ordre pratique [!]. La science constitue un travail qualifié et, dans ce sens, un savoir-faire ou un art. Les scientifiques savent comment faire des choses. Cela ne veut pas dire que la science ait à voir avec la pensée. Car ce que le calcul engage, ce n’est pas la réflexion mais la production d’effets, dans certaines limites, pour des apparences." (p.97)
    -Babette E. Babich, La fin de la pensée ? Philosophie analytique contre philosophie continentale, L'Harmattan, 2012, 118 pages.



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