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    Michel Mansuy, Bachelard et Lautréamont, I. La psychanalyse de la bête humaine

    Johnathan R. Razorback
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    Michel Mansuy, Bachelard et Lautréamont, I. La psychanalyse de la bête humaine Empty Michel Mansuy, Bachelard et Lautréamont, I. La psychanalyse de la bête humaine

    Message par Johnathan R. Razorback Mar 3 Sep - 9:10


    "Il n'est pas interdit de penser que depuis la publication du Feu il s'intéressait tout particulièrement aux sources mystérieuses de l'inspiration poétique et par suite au surréalisme dont les théories sur l'écriture automatique recoupent celles de la psychanalyse. Voilà pourquoi Lautréamont cite non seulement Rolland de Renéville, poète et théoricien d'une poésie baignée de mysticisme, mais aussi Breton, Paul Eluard et Jean Cazaux dont la plaquette sur l'écriture automatique n'est pas sans valeur. Du surréalisme à Isidore Ducasse il n'y a qu'un pas, puisque à la veille de la seconde guerre mondiale Breton et ses amis vouent encore un culte fervent aux Chants de Maldoror, cette explosion de violence qui symbolise pour eux la révolte contre toute convention." (p.27)

    "Les visions animales de Lautréamont appartiennent en gros à deux espèces: celles qui déchirent et celles qui sucent, les bêtes à griffes et les bêtes à ventouses : rapaces, crabes et requins, ou pieuvres, araignées, vampires. Si les dernières sont un peu lentes et visqueuses, elles ne manquent pas d'une vigueur cruelle. Les autres ont pour trait distinctif une extrême rapidité dans l'attaque et une agressivité qui leur fait la patte agile et le bec prompt comme un ressort. Toutes trahissent chez le jeune rêveur qui les a conçues (à part quelques accès de faiblesse) un débordement de vigueur et le propos délibéré de répondre à la malveillance par la morsure." (p.32)

    "Bachelard appelle complexe de Lautréamont négatif cette tendance, partout visible dans l'œuvre kafkienne, à revêtir les formes animales les plus rétrécies par l'inquiétude." (p.33)

    "La notion d'agressivité à laquelle Bachelard confère tant d'importance est d'origine psychanalytique. Les emprunts à Roger Caillois ne sont pas moins nets et renforcent chez Bachelard certaines tendances crypto-bergsoniennes qui refusent de céder à son habituel anti-bergsonisme." (p.34)

    "Positif ou négatif, le complexe de Lautréamont apparaît dès lors comme le retentissement, sur le plan de l'imagination, des deux grands moteurs qui poussent l'être vivant. Les visions de Kafka symbolisent l'instinct de mort, celles de Maldoror la passion. L'un est au creux, l'autre à la crête de la vague." (p.35)

    "Selon Bergson, alors que l'animal s'était engagé dans la voie de l'instinct, l'homme a pris celle de l'intelligence, mais comme cette intelligence, trop individualiste, risquait de nuire à la cohésion du groupe, ses écarts devaient être contenus par la fonction fabulatrice et les mythes collectifs. Cette théorie paraît à Bachelard insuffisante pour expliquer l'évolution. Car l'animal avec son instinct, l'homme avec son intelligence et ses mythes peuvent bien s'adapter au monde ambiant, on comprend mal comment ils se sont dépassés eux-mêmes pour donner naissance soit à des variétés animales supérieures, soit à une humanité plus évoluée. Il faut donc, dès l'origine, supposer dans l'être vivant non une simple tension, mais une initiative, une constante agressivité, une volonté de vaincre. [...]
    Au commencement aussi l'appétit des formes, visible partout et notamment dans le besoin que nous signalions d'accoler une image à une pulsion obscure. La vie a un besoin constant d'habiller de formes palpables la matière et la force, et même il faut qu'elle leur invente sans cesse des parures nouvelles." (pp.44-45)

    "Le poète a pour mission de prolonger le mouvement créateur de l'imagination vitale. L'élan animal qui le porte, les secrètes visions archétypales, il doit les parer de formes encore inédites. Il lui est donc interdit de copier purement et simplement, avec réalisme, les êtres que la nature a déjà inventés et qu'elle étale sous ses yeux. Exclue aussi l'imitation des poèmes antérieurs, exclue la mise en œuvre d'une technique toute faite." (p.47)

    "Le destin de la poésie n'est pas sans analogies avec celui de la connaissance scientifique : la seconde rompt avec le donné immédiat et, par une élaboration géométrique puis algébrique du réel, construit un univers entièrement nouveau et bien ordonné. De même la poésie. Elle assume au centre du psychisme un monde obscur qui aspire à l'image et le soumet à une métamorphose continue pour en faire un moi tout neuf. Elle est, pour Bachelard, une re-création de l'homme.
    Mais non pas, cependant, une voyance." (p.48)

    "Parmi les œuvres existantes, celle de Mallarmé répond souvent à l'attente de Bachelard. [...]
    En définissant la poésie, Bachelard se réfère implicitement au surréalisme." (pp.48-49)
    -Michel Mansuy, "Bachelard et Lautréamont, I. La psychanalyse de la bête humaine", Études françaises, 1(1), 1965, 26–51.


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