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    Jean-Jacques Wunenburger, Bachelard, une phénoménologie de la spatialité. La poétique de l’espace de Bachelard et ses effets scénographiques

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Jean-Jacques Wunenburger, Bachelard, une phénoménologie de la spatialité. La poétique de l’espace de Bachelard et ses effets scénographiques Empty Jean-Jacques Wunenburger, Bachelard, une phénoménologie de la spatialité. La poétique de l’espace de Bachelard et ses effets scénographiques

    Message par Johnathan R. Razorback Mar 6 Fév - 10:30

    https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-d-esthetique-2017-2-page-99.htm?contenu=article

    "Cette philosophie de l’imagination, qui rompt en grande partie avec la tradition réductrice et suspicieuse, mobilise les acquis récents de la psychanalyse (S. Freud et C.G. Jung surtout) et de la phénoménologie (Ed. Husserl, J-P. Sartre, M. Merleau-Ponty), censées saisir le dynamisme immédiat des productions psychiques avant qu’elles ne soient stabilisées en représentations."

    "La voie la plus sûre consiste à saisir l’image spatiale dans les états de spontanéité onirique où la conscience, libre de tout savoir et de la contamination du concept, l’appréhende dans l’immédiateté et spontanéité. On met ainsi au jour des « images naturelles », qui viennent de la nature, on atteint ainsi l’image « fondamentale », « première », « princeps », en tant qu’elle est absolument originaire, c’est-à-dire « avant la pensée, avant le récit, avant l’émoi ». Elle est en quelque sorte anhistorique, puisqu’elle ne vieillit pas, elle agit en nous en devenant véritablement sujet au lieu d’être complément, tout en constituant la matière première de l’imagination."

    "Sa poétique porte sur une entité verbo-acoustique-iconique qui active sous toutes ses formes les mêmes principes. Sa phénoménologie de l’émergence des images informées et informantes a priori, tout en trouvant dans le langage un support privilégié d’études, s’applique en fait à toutes les formes de surgissement d’images, quel que soit le support sensoriel et expressif."

    "La représentation archétypale obéit donc à une sorte de logique transcendantale, déjà adoptée par E. Kant, où une représentation résulte d’une impression sensible mise en forme par les catégories de l’esprit."

    "Bachelard sait que l’imagination conduit aussi bien aux ténèbres qu’à la lumière, à la mélancolie qu’au bonheur, à la névrose qu’à la joie, mais il se détourne méthodiquement du versant morbide de l’imagination, celui de la psychopathologie."

    "Jugeant que l’immensité cosmique, par son absence de limites, stérilise l’imagination, il a exploré et privilégié les processus et les états de miniaturisation des espaces. Le petit, par sa disposition, favorise la spectacularisation, la rassurante domination scopique, la pensée de survol, tout en favorisant des espaces creux, accueillants et chauds (nid, coquille). L’espace miniaturisé permet aussi de concentrer des valeurs au lieu de les disséminer. En nous invitant à nous installer dans un monde fermé, intime, qui active l’imagination du dedans, la miniature favorise en même temps toute une série d’attachements aux objets naturels ou techniques qui concentrent, conjuguent, amplifient, les valeurs d’intimité et de maternité. Bachelard aime évoquer la richesse induite de son univers d’objets familiers (son « chosier ») qui, chacun à sa manière, active et attise les mêmes valeurs sécurisantes et apaisantes."

    "Les rythmes temporalisent l’espace en y organisant des différenciations discontinues, qui deviennent des médiateurs perceptifs originaires."

    "Les images spatiales ne se réduisent pas à des propriétés oculaires mais déclenchent dans le psychisme et le langage des métaphores auditives. Par là Bachelard arrache l’imagination spatiale aux seules propriétés de la « res extensa » et l’enrichit de connotations sonores qui élargissent la richesse et l’ampleur des qualités attribuées à un espace. La spatialité ne devrait donc pas être réduite à la géométrie qui ne mobilise qu’une partie fragmentaire des propriétés ressenties par le sujet. Il convient donc de faire appel aux dimensions polysensorielles de l’imagination, en particulier celles de l’oreille. Même sans être associé à une musique, l’espace s’expérimente phénoménologiquement en s’inscrivant dans la matière sonore qui lui confère une ampleur nouvelle, qui dépasse psychiquement et oniriquement les propriétés de l’extension."

    "Bachelard rompt en grande partie avec les conceptions de l’imagination régie par les seules lois de l’association (de Hume à Freud) pour leur préférer la logique symbolique, à la fois libre et liée. En effet, un symbolisant n’est pas lié à un symbolisé par une simple habitude ni par une convention associative mais par un rapport caché qui unit le propre et le figuré, le sens premier et le sens second. Par là, Bachelard valide une épistémologie de la motivation forte de la symbolisation qui introduit une sorte de fil nécessaire entre l’image et son réseau de significations latentes. Cette conception des formes de l’espace dotées de valences symboliques, est très archaïque puisqu’elle a été déjà adoptée par les pythagoriciens pour qui toute réalité quantitative (géométrique) est inséparable d’une valeur qualitative. Il en résulte que ces images ne sont pas des éléments réductibles à une sémiotique mais relèvent d’une sémantique onirique."

    "Dimension cognitive, nommée « dialectique », qui doit permettre à l’imagination spatiale et matérielle de passer du dehors au dedans et du dedans au dehors. Elle suit ainsi une rythmique cognitive qui densifie et active le psychisme. La spatialité dans la poétique onirique induit ainsi dans la pensée des opérations de compréhension qui déploie les virtualités des images. Bachelard a particulièrement mis en avant l’ambivalence (double valeur positive et négative d’un élément ou d’une forme) et la bipolarisation corollaire. Les pôles opposés d’une image doivent donc être conçus comme deux faces d’un même être tourné en sens contraires. La bipolarité désigne une organisation spécifique et irréductible qui est à la fois une et double. Dialectiser l’image consiste à faire vibrer ensemble les deux versants d’une image. Sous couvert du patronage de la dialectique, Bachelard définit donc un mécanisme dynamique qui exploite une figure tensorielle d’inspiration énergétiste. La poétique fait de l’opposition vivante et violente le moteur de la rêverie en ce qu’elle saisit la synthèse des opposés en un acte unique pour ensuite l’explorer de manière alternative."

    "La relation à l’espace par le langage, l’image perceptive oculaire et les retentissements acoustiques, [conduit] parfois dans la rêverie, à son apogée, à mettre fin à la dualité sujet-objet, à la spectacularisation passive et favorise des expériences d’immersion et de fusion. Cette situation limite, explorée aussi par la phénoménologie de Merleau-Ponty et même par Heidegger, à la même époque, ouvre sur une expérience participative qui produit un vécu d’empathie et de symbiose, de plus en plus souvent recherché de nos jours par des installations et des performances artistiques multi-sensorielles. À la différence de la perception réaliste, l’image poétique des matières et des espaces rend possible une liaison, une adhésion forte entre le sujet et le monde conduisant jusqu’à des formes d’entrelacement voire de fusion."

    "G. Bachelard va jusqu’à prêter à la rêverie une sorte de dissolution des limites et de réversibilité des espaces du dedans et du dehors, passant ainsi dans une logique de l’entrelacs et du chiasme, chère à Merleau-Ponty. Si tous les espaces donnent lieu à une dialectique du dedans et du dehors qui échangent ainsi leurs positions, même la rêverie de la maison, l’imagination cosmique nous permet de toucher à une sorte d’expérience-limite où les phénomènes extérieurs de la nature se subjectivent au point de conquérir sur nous une ascendance quasi animiste. Dans toute rêverie des choses, le dehors s’intériorise, s’invagine pour se subjectiver comme intimité, et à l’inverse, l’intériorité subjective se dilate et devient coextensive avec l’immensité du dehors."

    "L’espace perçu est une donnée complexe, ambiguë et instable. Il peut être traité soit par et à travers l’abstraction scientifique, soit par et à travers la rêverie poétique. Dans le premier cas, le perçu est subsumé sous des concepts, dans le second cas, le perçu est surchargé par une imagination antécédente, mais il n’est pas sûr que l’on rencontre jamais un monde perçu en soi, absolu. Le perçu est toujours surchargé d’images, qui sont soit évacuées, détachées, soit amplifiées."

    "La force d’un espace scénographique vient de sa capacité à déclencher une imagination créatrice qui vient transformer l’espace réel en le surchargeant d’images, de sensations subjectives, de valences symboliques, d’expériences subliminales, mais qui vont conférer à la réalité perçue une transcendance ontologique, une consistance de monde."
    -Jean-Jacques Wunenburger, « Bachelard, une phénoménologie de la spatialité. La poétique de l’espace de Bachelard et ses effets scénographiques », Nouvelle revue d’esthétique, 2017/2 (n° 20), p. 99-111. DOI : 10.3917/nre.020.0099. URL : https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-d-esthetique-2017-2-page-99.htm



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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