"Le mot « émotion » vient du latin « emovere, emotum » (enlever, secouer) et de « movere » (se mouvoir). En effet, les dictionnaires du XVIIe et du XVIIIe siècles décrivent les émotions en termes de « mouvement », c’est-à-dire en usant d’un vocabulaire comportemental. Cependant, le mot « mouvement » peut aussi, dans l’acception de l’époque, se référer à des « mouvements de l’âme », c’est-à-dire à des états subjectifs internes." (p.1)
"Paul et Anne Kleinginna ont analysé et classifié 92 définitions, en montrant qu’il y a peu de points communs entre elles, et que la plupart sont trop vagues. Ils ont suggéré une définition opératoire que nous reprenons à notre compte : « Les émotions sont le résultat de l’interaction entre des facteurs subjectifs et objectifs, réalisée par des systèmes neuronaux ou endocriniens, qui peuvent :
• induire des expériences telles que des sentiments d’éveil, de
plaisir ou de déplaisir ;
• générer des processus cognitifs tels que des réorientations pertinentes sur le plan perceptif, des évaluations, des étiquetages ;
• activer des ajustements physiologiques globaux ;
• induire des comportements qui sont, le plus souvent, expressifs, dirigés vers un but et adaptatifs. »
Dans cette définition, on peut noter la présence de trois composantes fondamentales :
• la composante comportementale ;
• la composante physiologique ;
• et la composante cognitive/subjective." (p.2)
"L’émotion se distingue de l’humeur par différents aspects :
• la vitesse de déclenchement (rapide pour les émotions, lente pour l’humeur) ;
• la fréquence d’apparition (faible pour les émotions et élevée pour l’humeur) ;
• l’intensité subjective (forte pour les émotions, faible pour l’humeur) ;
• l’aptitude à identifier les éléments déclencheurs (facile pour les émotions et difficile pour l’humeur) ;
• la durée (quelques secondes ou minutes pour les émotions et plusieurs heures ou jours pour l’humeur) ;
• l’effet sur l’attention (respectivement fort et faible) ;
• la présence d’une composante physiologique et comportementale (respectivement présente et absente) ;
• la spécificité (les émotions permettent l’action, alors que l’humeur modifie les processus cognitifs comme la créativité et la flexibilité) ;
• l’intentionnalité (les émotions concernent un élément précis : « J’ai peur du lion », « Je suis fâché contre X », tandis que ce trait est absent de l’humeur)." (p.3)
"Un monde nouveau commence à s’ouvrir à nous : celui de la compréhension et de la connaissance scientifique des émotions." (p.7)
"On demanda à des étudiants de réaliser des petits travaux de calcul mental, en les stressant et en les mettant sous pression par différents moyens. Ces étudiants commirent alors de graves erreurs, inacceptables pour leur niveau universitaire. La raison en est simple ; la peur provoque dans le cerveau la libération d’hormones qui entravent le fonctionnement des zones nécessaires au raisonnement abstrait." (p.
"De tout temps, les marketeurs ont voulu se distinguer des commerciaux et des vendeurs. De tout temps, ils ont également voulu ne pas être considérés comme des responsables de la publicité. Pour ce faire, ils se sont toujours abrités derrière des mots et des définitions de plus en plus complexes. C’est pourquoi aujourd’hui il y a autant de définitions du mot « marketing » qu’il y a de publications sur le sujet. On trouve ainsi « le marketing de combat », « le marketing latéral », « le marketing préhistorique », « le nouveau marketing », « le marketing transactionnel » (valeur perçue), « le marketing relationnel » (relation dans la durée), pour ne citer que les plus connus. À ces types de marketing sont venues s’ajouter d’autres définitions :
• « Le marketing est une conception de la politique commerciale qui part du principe que la fonction fondamentale des entreprises consiste à créer une clientèle et à la conserver, et qui permet aux entreprises d’exploiter au maximum toutes les ressources dont elles disposent. » (Theodore Levitt)
• « Le marketing est l’effort d’adaptation des organisations à des marchés concurrentiels, pour influencer en leur faveur le comportement de leurs publics, par une offre dont la valeur perçue est durablement supérieure à celle des concurrents. » (Jacques Lendrevie et Denis Lindon)
• « Le marketing est l’ensemble des techniques et études d’applications qui ont pour but de prévoir, constater, susciter, renouveler ou stimuler les besoins des consommateurs et adapter de manière continue l’appareil productif et commercial aux besoins ainsi déterminés. » (Philip Kotler)." (p.17)
"En 1895, King Gillette invente le rasoir qui va révolutionner le monde et faire sa fortune. Ce n’est pas un manager, pas plus qu’un entrepreneur. C’est tout simplement un inventeur fasciné par ceux qui réussissent. Il admire William Painter qui, lui, a inventé la capsule pour les bouteilles de bière. Il veut, lui aussi, inventer quelque chose d’aussi simple qui le rendra riche et célèbre. Il cherche une idée comme la capsule, c’est-à-dire quelque chose que l’on utilise, puis que l’on jette. Car si un produit est jetable, le client est obligé de revenir l’acheter à nouveau et c’est un moyen de vraiment gagner de l’argent, se dit-il. Pendant quatre ans, il cherche la poule aux œufs d’or, mais ne trouve rien. Puis un beau matin, alors qu’il se rase devant sa glace, il invente, en un clin d’œil, la lame de rasoir jetable. Jusque-là, rien de bien extraordinaire… [...]
Gillette va mettre huit ans pour concevoir le produit. William E. Nickerson, ingénieur diplômé du MIT (Massachusetts Institute of Technology), va perfectionner l’idée et apporter au marché le rasoir Gillette que nous connaissons aujourd’hui. Que se passe-t-il ensuite ? En 1903, c’est-à-dire la première année, 51 rasoirs sont vendus ainsi que 168 lames ; c’est calamiteux. La seconde année, 90 884 rasoirs et 123 648 lames sont vendus ; c’est encourageant.
Les quatre années qui suivent vont être extraordinaires : les ventes de rasoirs augmentent de 400 % par an et les lames de 1 000 % ! On ouvre un magasin à Londres et l’on choisit une effigie à Monsieur Gillette, avec de beaux cheveux noirs ondulés et de fines moustaches comme emblème de la marque. Comme on est astucieux, on place ce portrait de King Gillette au centre d’un billet d’un dollar où se trouve généralement l’effigie de George Washington. En 1918, les ventes de rasoirs atteignent le million d’unités, et 120 millions de lames sont vendues – pendant la Première Guerre mondiale, cerise sur le gâteau, le gouvernement américain décide d’équiper tous ses soldats et ses marins du fameux rasoir.
Le brevet pris par Gillette tombe dans le domaine public le 15 novembre 1921. Des milliers d’industriels japonais sont en attente de lancer un rasoir similaire. Pour les experts de l’époque, cela risque d’être un coup d’arrêt au succès du génial inventeur et de sa marque. Mais rien n’y fait. Six mois avant la date fatidique, Gillette lance une série de nouveaux modèles et surtout son « One dollar razor » : c’est le moyen de faire essayer le produit au plus grand nombre pour vendre ensuite des lames. La technique s’avère foudroyante. On vend chez Gillette le rasoir à prix coûtant ! On vient d’inventer une nouvelle façon de faire des affaires. Mieux : avec cette technique, Gillette comprend qu’il faut vendre le produit partout et passe un accord avec le grossiste Wrigley qui lui commande un million de rasoirs pour les distribuer gratuitement, en promotion pour tout achat d’épice, de café ou de boîtes de conserve.
Sans avoir fait Harvard, sans techniques savantes de marketing, les ingénieurs et commerciaux de Gillette avaient déjà trouvé à l’époque toutes les techniques que nous qualifions de « modernes » pour vendre et résister à la concurrence. Dans ses trente et quelques premières années de vie, l’entreprise a fait aussi bien que nous le ferions aujourd’hui avec toutes nos techniques de segmentation, nos outils de géomarketing, notre lobbying et nos dogmes sur l’image de marque… Gillette s’est soucié du point de vue du consommateur, la firme a réalisé des focus groups et des workshops pour comprendre les attentes de ses clients et de ses non-clients. Alors, finalement, qu’en est-il du marketing d’aujourd’hui par rapport à celui de Gillette ?" (p.18)
"Pourquoi le baron Bic a-t-il si bien réussi dans les rasoirs, les stylos, les briquets, et pourquoi a-t-il fait un tel flop avec ses parfums ? Pourquoi Renault, qui compte parmi les meilleurs fabricants de voitures au monde et qui a créé la Twingo et la Clio qui ont eu un grand succès, a-t-il lamentablement échoué avec sa Velsatis et son Avantime ? Pourquoi la Classe A de Mercedes a-t-elle été boudée par le marché ? Pourquoi, encore, à la fin des années 1980, le lancement du quotidien Le Sport, qui voulait concurrencer L’Équipe, s’est-il soldé par un échec retentissant ? Toutes ces entreprises avaient des services marketing performants roués à l’étude des consommateurs, disposant de toutes les informations possibles et de tous les tests envisageables. Et pourtant, rien n’y a fait : le public n’a pas voulu de leurs produits. [...]
Nous ne savons tout simplement pas encore parfaitement, quoi qu’en disent certains, comment fonctionne le consommateur. Il dit des choses qu’il ne fait pas, et fait des choses que cinq minutes avant il jurait ne jamais faire. Il y a, c’est évident et tout le monde le sait, une énorme différence entre les attitudes et les comportements. La question est de savoir comment trier le bon grain de l’ivraie, ou encore : que reste-t-il pour se faire une opinion sur ce que les spécialistes des études vous indiquent sur votre produit afin d’agir à bon escient ?
Nous ne savons pas non plus comment la publicité agit sur l’individu. Ce qui plaît aux créatifs et à ceux qui commandent la publicité n’est pas forcément compris et accepté par le public que l’on veut conquérir.
En ce troisième millénaire, personne ne peut dire avec certitude, dans une campagne de publicité ou sur un packaging, ce qui fait vendre ou acheter. On entend souvent dire que 50 % de la publicité ne sert à rien, mais qu’on ne sait pas quels sont les 50 % qui fonctionnent !" (pp.26-27)
"La marque n’est pas la conséquence d’un raisonnement chez le consommateur, mais bien la conséquence d’une émotion attendue de plaisir. Notons que la notion de marque, c’est-à-dire de signal au sens où nous venons de le préciser, n’est pas propre à Nestlé, Danone, Ariel ou à toute autre « grande marque », pour reprendre le vocabulaire utilisé par les marketeurs. La marque de café Casino, la marque Quechua ou la marque Produits Repères de E. Leclerc sont, au même titre que ces grandes marques, des signaux qui rappellent au consommateur le plaisir qu’il a eu en dégustant ces produits ou en les payant moins cher, ou encore en montrant à la voisine son sens de l’économie." (p.33)
"
(p.34)
-Georges Chétochine, Le marketing des émotions, Groupe Eyrolles, 2008, 198 pages.