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    Gilles Deleuze & Félix Guattari, L'Anti-Œdipe + Mille plateaux & autres oeuvres

    Johnathan R. Razorback
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    Gilles Deleuze & Félix Guattari, L'Anti-Œdipe + Mille plateaux & autres oeuvres Empty Gilles Deleuze & Félix Guattari, L'Anti-Œdipe + Mille plateaux & autres oeuvres

    Message par Johnathan R. Razorback Sam 10 Oct - 20:44

    http://www.cequisecret.net/sites/secret/public/pdf/Deleuze_Gilles_Guattari_Felix_LAnti-Oedipe.pdf

    http://www.cequisecret.net/sites/secret/public/pdf/Mille-Plateaux-Gilles_Deleuze.pdf

    http://material-forces.blogspot.fr/2014/03/deleuze-guattari-textes-bibliographie.html

    http://1libertaire.free.fr/DeleuzeStructuralisme.html

    "La philosophie est l'art de former, d'inventer, de fabriquer des concepts."

    "Si le philosophe est l'ami ou l'amant de la sagesse, n'est-ce pas parce qu'il y prétend, s'y efforçant en puissance plutôt que la possédant en acte ?"

    "[La philosophie] n'est pas la réflexion, parce que personne n'a besoin de philosophie pour réfléchir sur quoi que ce soit: on croit beaucoup donner à la philosophie en en faisant l'art de la réflexion, mais on lui retire tout."

    "Si la philosophie a une origine grecque autant qu'on veut bien le dire, c'est parce que la cité, à la différence des empires ou des États, invente l'agôn comme règle d'une société des "amis", la communauté des hommes libres en tant que rivaux (citoyens)."

    "Il n'y a pas de concept simple. Tout concept a des composantes, et se définit par elles. [...] Tout concept renvoie à un problème [...] Tout concept à une histoire. [...] Chaque concept renvoie à d'autres concepts."

    "Un philosophe ne cesse pas de remanier ses concepts, et même d'en changer."

    "Un concept a toujours des composantes qui peuvent empêcher l'apparition d'un autre concept, ou au contraire qui ne peuvent elles-mêmes apparaître qu'au prix de l'évanouissement d'autres concepts."

    "Celui qui savait pleinement que l'immanence n'était qu'à soi-même, et ainsi qu'elle était un plan parcouru par les mouvements de l'infini, rempli par les ordonnées intensives, c'est Spinoza. Aussi est-il le prince des philosophes. Peut-être le seul à n'avoir passé aucun compromis avec la transcendance, à l'avoir pourchassé partout. [...] Il atteint des vitesses inouïes, des raccourcis si fulgurants qu'on ne peut plus parler que de musique, de tornade, de vent et de cordes."

    "On ne peut pas réduire la philosophie à sa propre histoire, parce que la philosophie ne cesse de s'arracher à cette histoire pour créer de nouveaux concepts qui retombent dans l'histoire, mais n'en viennent pas. Comment quelque chose viendrait-il de l'histoire ?"

    "On ne peut pas dire que le capitalisme à travers le Moyen Age soit la suite de la cité grecque. [...] Sous des raisons toujours contingentes, le capitalisme entraîne l'Europe dans une fantastique déterritorialisation relative."

    "C'est avec l'utopie que la philosophie devient politique, et mène au plus au point la critique de son époque."

    "Distinction dans l'action même entre les facteurs historiques et "la nué non-historique", entre l'état de choses et l'événement."

    "La philosophie moderne se reterritorialise sur la Grèce comme un rapport personnel. Ce sont les philosophes allemands surtout qui ont vécu le rapport avec la Grèce dans un rapport personnel. Mais justement ils se vivaient comme l'envers ou le contraire des Grecs, le symétrique inverse: les Grecs tenaient bien le plan d'immanence qu'ils construisaient dans l'enthousiasme de l'ivresse, mais ils devaient chercher avec quels concepts le remplir, pour ne pas retomber dans les figures d'Orient ; tandis que nous, nous avons des concepts, nous croyons les avoir, après tant de siècles de pensée occidentale, mais nous ne savons guère où les mettre, parce que nous manquons d'un véritable plan, distrait que nous sommes par la transcendance chrétienne."

    "Quel social-démocratie n'a pas donné l'ordre de tirer quand la misère sort de son territoire ou ghetto ?"

    "Les droits de l'homme ne disent rien sur les modes d'existence immanents de l'homme pourvu de droits. Et la honte [...] nous ne l'éprouvons pas seulement dans les situations extrêmes décrites par Primo Levi, mais dans des conditions insignifiantes, devant la bassesse et la vulgarité d'existence qui hante les démocraties, devant la propagation de ces modes d'existence et de pensée-pour-le-marché, devant les valeurs, les idéaux et les opinions de notre époque. [...] Nous ne sentons pas hors de notre époque, au contraire nous ne cessons de passer avec elle des compromis honteux."

    "Nous demandons seulement un peu d'ordre pour nous protéger du chaos."
    -Gilles Deleuze & Félix Guattari, Qu'est-ce que la philosophie ?, Les éditions de Minuit (coll. « Critique »), Paris, 1991, 206 pages.

    "Une phrase en nie d'autres, en empêche d'autres, contredit ou refoule d'autres phrases ; si bien que chaque phrase est encore engrossée de tout ce qu'elle ne dit pas, d'un contenu virtuel ou latent qui en multiplie le sens, et qui s'offre à l'interprétation, formant un "discours caché", véritable richesse en droit." (p.12)

    "Il se peut que Foucault, dans cette archéologie, fasse moins un discours de sa méthode que le poème de son œuvre précédente, et atteigne au point où la philosophie est nécessairement poésie." (p.27)

    "Science et poésie sont également savoir." (p.29)

    "Foucault n'a jamais pris l'écriture comme un but, comme une fin. C'est même cela qui en fait un grand écrivain, et qui met une joie de plus en plus grande dans ce qu'il écrit, un rire de plus en plus évident. [...] Il suffit que la haine soit assez vivante, pour qu'on puisse en tirer quelque chose, une grande joie, non pas d'ambivalence, non pas la joie de haïr, mais la joie de vouloir détruire ce qui mutile la vie." (p.31)

    "Qu'est-ce que le Pouvoir ? La définition de Foucault semble très simple, le pouvoir est un rapport de forces, ou plutôt tout rapport de forces est un "rapport de pouvoir". Comprenons d'abord que le pouvoir n'est pas une forme, par exemple la forme-Etat ; et que le rapport de pouvoir n'est pas entre deux formes, comme le savoir. En second lieu, la force n'est jamais au singulier, il lui appartient essentiellement d'être en rapport avec d'autres forces, si bien que toute force est déjà rapport, c'est-à-dire pouvoir: la force n'a pas d'autre objet ni sujet que la force. On n'y verra pas un retour au droit naturel, parce que le droit pour son compte est une forme d'expression, la Nature est forme de visibilité, et la violence un concomitant ou un conséquent de la force, mais non un constituant. Foucault est plus proche de Nietzsche (et de Marx aussi), pour qui le rapport de forces excède singulièrement la violence, et ne peut se définir par elle. C'est que la violence porte sur des corps, des objets ou des êtres déterminés dont elle détruit ou change la forme, tandis que la force n'a pas d'autre objet que d'autres forces, pas d'autre être que le rapport: c'est "une action sur l'action, sur des actions éventuelles, ou actuelles, futures ou présentes", c'est "un ensemble d'actions sur des actions possibles". On peut donc concevoir une liste, nécessairement ouverte, de variables exprimant un rapport de forces ou de pouvoir, constituant des actions sur actions: inciter, induire, détourner, rendre facile ou difficile, élargir ou limiter, rendre plus ou moins probable... . Telles sont les catégories de pouvoir. [...] Les grandes thèses de Foucault sur le pouvoir, telles que nous les avons vues précédemment, se développent en trois rubriques: le pouvoir n'est pas essentiellement répressif (puisqu'il "incite, suscite, produit") ; il s'exerce avant de se posséder (puisqu'il ne se possède que sous une forme déterminable, classe, et déterminée, Etat) ; il passe par les dominés non moins que par les dominants (puisqu'il passe par toutes les forces en rapport). Un profond nietzschéisme.
    On ne demande pas "qu'est-ce que le pouvoir ? et d'où vient-il ?", mais: comment s'exerce-t-il ? Un exercice de pouvoir apparaît comme un affect, puisque la force se définit elle-même par son pouvoir d'affecter d'autres forces (avec lesquelles elle est en rapport), et d'être affectée par d'autres forces. Inciter, susciter, produire (ou bien tous les termes de listes analogues) constituent des affects actifs, et être incité, être suscité, être déterminé à produire, avoir un effet "utile", des affects réactifs. Ceux-ci ne sont pas simplement le "contrecoup" ou l' "envers passif" de ceux-là, mais plutôt l' "irréductible vis-à-vis", surtout si l'on considère que la force affectée n'est pas sans une capacité de résistance. A la fois, c'est chaque force qui a un pouvoir d'affecter (d'autres) et d'être affecté (par d'autres encore), si bien que chaque force implique des rapports de pouvoir ; et c'est tout champ de forces qui répartit les forces en fonction de ces rapports et de leurs variations. [...]
    Le pouvoir d'être affecté est comme une matière de la force, et le pour d'affecter est comme une fonction de la force. Seulement, il s'agit d'une pure fonction, c'est-à-dire d'une fonction non-formalisée, saisie indépendamment des formes concrètes où elle s'incarne, des buts qu'elle sert et des moyens qu'elle emploie: physique de l'action, c'est une physique de l'action abstraite. Et il s'agit d'une pure matière, non-formée, prise indépendamment des substances formées, des êtres ou des objets qualifiés dans lesquels elle entrera: c'est une physique de la matière première ou nue. Les catégories de pouvoir sont donc les déterminations propres à des actions considérées comme "quelconques", et à des supports quelconques. Ainsi Surveiller et punir définit le Panoptique par la pure fonction d'imposer une tâche ou une conduite quelconques, sous la seule condition que la multiplicité soit peu nombreuse, et l'espace limité, peu étendu. On ne considère ni les formes qui donnent des buts et des moyens à la fonction (éduquer, soigner, châtier, faire produire), ni les substances formées sur lesquelles portent la fonction ("prisonniers, malades, écoliers, fous, ouvriers, soldats"...). Et en effet le Panoptique, à la fin du XVIIIème siècle, traverse toutes ces formes et s'applique à toutes ces substances: c'est en ce sens qu'il est une catégorie de pouvoir, pure fonction disciplinaire. Foucault le nommera donc diagramme, fonction qu'on "doit détacher de tout usage spécifique", comme de toute substance spécifiée. Et La Volonté de savoir considérera une autre fonction qui émerge en même temps: gérer et contrôler la vie dans une multiplicité quelconque, à condition que la multiplicité soit nombreuse (population), et l'espace étendu ou ouvert. C'est là que "rendre probable" prend son sens, parmi les catégories de pouvoir, et que s'introduisent les méthodes probabilitaires. Bref, les deux fonctions pures dans les sociétés modernes seront l' "anatomo-politique" et la "bio-politique", et les deux matières nues, un corps quelconque, une population quelconque. On pourra donc définir le diagramme de plusieurs façons qui s'enchaînent: c'est la présentation des rapports de forces propres à une formation ; c'est la répartition des pouvoirs d'affecter et des pouvoirs d'être affecté ; c'est le brassage des pures fonctions non-formalisées et des pures matières non-formées.
    Entre les rapports de forces qui constituent le Pouvoir et les relations de formes qui constituent le Savoir, ne faut-il pas dire ce que nous disions pour les deux formes, les deux éléments formels du savoir ? Entre le pouvoir et le savoir, il y a différence de nature, hétérogénéité ; mais il y a aussi présupposition réciproque, et captures mutuelles ; et il y a enfin primat de l'un sur l'autre. D'abord différence le pouvoir ne passe pas par des formes, mais seulement par des forces. Le savoir concerne des matières formées (substances) et des fonctions formalisées, réparties segment par segment sous les deux grandes conditions formelles, voir et parler, lumière et langage: il est donc stratifié, archivé, doué d'une segmentarité relativement dure. Le pouvoir, au contraire, est diagrammatique: il mobilise des matières et des fonctions non-stratifiées, et procède avec une segmentarité très souple. En effet, il ne passe pas par des formes, mais par des points, points singuliers qui marquent chaque fois l'application d'une force, l'action ou la réaction d'une force par rapport à d'autres, c'est-à-dire un affect comme "état de pouvoir toujours local et instable". D'où une quatrième définition du diagramme: c'est une émission, une distribution d'une singularités. A la fois locaux, instables et diffus, les rapports de pouvoir n'émanent pas d'un point central ou d'un foyer unique de souveraineté, mais vont à chaque instant "d'un point à un autre" dans un champ de forces, marquant des inflexions, des rebroussements, des retournements, des tournoiements, des changements de direction, des résistances. C'est pourquoi ils ne sont pas "localisables" dans telle ou telle instance. Ils constituent une stratégie, comme exercice du non-stratifié, et "les stratégies anonymes" sont presque muettes et aveugles, puisqu'elles échappent aux formes stables du visible et de l'énonçable." (p.77-80)

    "Les sciences de l'homme ne sont pas séparables des rapports de pouvoir qui les rendent possibles." (p.81)

    "Il faudrait confronter la pensée de Foucault et la sociologie des "stratégies" de Pierre Bourdieu: en quel sens celle-ci constitue une micro-sociologie. Peut-être faudrait-il rapporter les deux à la micro-sociologie de Tarde." (p.81)

    "La lutte pour une subjectivité moderne passe par une résistance aux deux formes actuelles d'assujettissement, l'une qui consiste à nous individuer d'après les exigences du pouvoir, l'autre qui consiste à attacher chaque individu à une identité sue et connue, bien déterminée une fois pour toutes. La lutte pour la subjectivité se présente alors comme droit à la différence, et droit à la variation, à la métamorphose." (p.113)

    "Que toute forme soit précaire est évident, puisqu'elle dépend des rapports de forces et de leurs mutations." (p.138)
    -Gilles Deleuze, Foucault, Les éditions de Minuit (coll. « Critique »), Paris, 1986.


    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Mar 14 Juin - 17:55, édité 2 fois


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

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    Message par Johnathan R. Razorback Sam 1 Juil - 21:03

    http://palimpsestes.fr/textes_philo/deleuze/DeleuzeNietzsche.pdf

    « Même l’existentialisme a gardé de nos jours un goût effarant […] proprement dialectique qui le sépare de Nietzsche. »
    (Gilles Deleuze, Nietzsche : sa vie, son œuvre, avec un exposé de sa philosophie, Paris, Presses Universitaires de France , 1965, 101 pages, p.22).

    "Nietzsche se dresse à la fois contre la haute idée de fondement qui laisse les valeurs indifférentes à leur propre origine, et contre l'idée d'une simple dérivation causale ou d'un plat commencement, qui pose une origine indifférente aux valeurs." (p.2)

    "La critique n'est pas une ré-action du re-sentiment, mais l'expression active d'un mode d'existence actif: l'attaque et non la vengeance, l'agressivité naturelle d'une manière d'être, la méchanceté divine sans laquelle on ne saurait imaginer la perfection." (p.3)

    "Nous ne trouverons jamais le sens de quelque chose (phénomène humain, biologique ou même physique), si nous ne savons pas quelle est la force qui s'approprie la chose, qui l'exploite, qui s'en empare ou s'exprime en elle. Un phénomène n'est pas une apparence ni même une apparition, mais un signe, un symptôme qui trouve son sens dans une force actuelle." (p.3)

    "
    (pp.3-4)

    "Dans l'idée pluraliste qu'une chose a plusieurs sens, dans l'idée qu'il y a plusieurs choses, et "ceci et puis cela" pour une même chose, nous voyons la plus haute conquête de la philosophie, la conquête du vrai concept, sa maturité, et non pas son renoncement ni son enfance. Car l'évaluation de ceci et de cela, la délicate pesée des choses et de sens de chacune, l'estimation des forces qui définissent à chaque instant les aspects d'une chose et de ses rapports avec les autres, -tout cela (ou tout ceci) relève de l'art le plus haut de la philosophie, celui de l'interprétation. Interpréter et même évaluer, c'est peser. La notion d'essence ne s'y perd pas, mais prend une nouvelle signification ; car tous les sens ne se valent pas. Une chose a autant de sens qu'il y a de forces capables de s'en emparer. Mais la chose elle-même n'est pas neutre, et se trouve plus ou moins en affinité avec la force qui s'en empare actuellement. Il y a des forces qui ne peuvent s'emparer de quelque chose qu'en lui donnant un sens restrictif et une valeur négative. On appellera essence au contraire, parmi tous les sens d'une chose, celui que lui donne la force qui présente avec elle le plus d'affinité." (pp.4-5)

    [Chapitre II: Actif et réactif]

    "Il n'y a pas seulement chez Nietzsche une descendance kantienne, mais une rivalité mi-avouée mi-cachée." (p.59)

    "
    (pp.60-61)

    "Ce que Nietzsche appelle noble, haut, maître, c'est tantôt la force active, tantôt la volonté affirmative. Ce qu'il appelle bas, vil, esclave, c'est tantôt la force réactive, tantôt la volonté négative." (p.62)

    "De trois manières l'œuvre de Nietzsche est dirigée contre la dialectique: celle-ci méconnaît le sens, parce qu'elle ignore la nature des forces qui s'approprient concrètement les phénomènes ; elle méconnaît l'essence, parce qu'elle ignore l'élément réel dont dérivent les forces, leurs qualités et leurs rapports ; elle méconnaît le changement et la transformation, parce qu'elle se contente d'opérer des permutations entre termes abstraits et irréels." (p.182)

    "Nous avons toutes raisons de supposer chez Nietzsche une connaissance profonde du mouvement hégélien, de Hegel à Stirner lui-même." (p.187)
    -Gilles Deleuze, Nietzsche et la Philosophie, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Bibliothèque de philosophie contemporaine », 1962, 232 pages.



    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Dim 4 Déc - 12:36, édité 8 fois


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    Message par Johnathan R. Razorback Lun 31 Juil - 19:22

    « Anti-hégélianisme généralisé : la différence et la répétition ont pris la place de l’identique et du négatif, de l’identité et de la contradiction. Car la différence n’implique le négatif, et ne se laisse porter jusqu’à la contradiction, que dans la mesure où on continue de la subordonner à l’identique. Le primat de l’identité, de quelque manière que celle-ci soit conçue, définit le monde de la réprésentation. Mais la pensée moderne naît de la faillite de la représentation, comme de la perte des identités, et de la découverte de toutes les forces qui agissent sous la représentation de l’identique. Le monde moderne est celui des simulacres. L’homme n’y survit plus à Dieu, l’identité du sujet ne survit pas à celle de la substance. Toutes les identités ne sont que simulées, produites comme un « effet » optique par un jeu plus profond qui est celui de la différence et de la répétition. » (p.1)

    « La différence, n’étant pas subordonnée à l’identique, n’irait pas ou « n’aurait pas à aller » jusqu’à l’opposition et la contradiction. » (p.2)

    « La belle âme dit : nous sommes différents, mais non pas opposés… […] Nous croyons que, lorsque les problèmes atteignent au degré de positivité qui leur est propre, et lorsque la différence devient l’objet d’une affirmation correspondante, ils libèrent une puissance d’agression et de sélection qui détruit la belle-âme. » (p.2)

    « La problématique et la différentiel déterminent des luttes ou des destructions par rapport auxquelles celles du négatif ne sont que des apparences. » (p.3)

    [Introduction]

    "La répétition n'est pas la généralité. La répétition doit être distinguée de la généralité, de plusieurs façons. Toute formule impliquant leur confusion est fâcheuse: ainsi quand nous disons que deux choses se ressemblent comme deux gouttes d'eau ; ou lorsque nous identifions « il n'y a de science que du général » et « il n'y a de science que de ce qui se répète ». La différence est de nature entre la répétition et la ressemblance, même extrême. La généralité présente deux grands ordres, l'ordre qualitatif des ressemblances et l'ordre quantitatif des équivalences. Les cycles et les égalités en sont les symboles. Mais, de toute manière, la généralité exprime un point de vue d'après lequel un terme peut être échangé contre un autre, un terme, substitué à un autre. L'échange ou la substitution des particuliers définit notre conduite correspondant à la généralité. C'est pourquoi les empiristes n'ont pas tort de présenter l'idée générale comme une idée particulière en elle-même, à condition d'y joindre un sentiment de pouvoir la remplacer par toute autre idée particulière qui lui ressemble sous le rapport d'un mot. Au contraire, nous voyons bien que la répétition n'est une conduite nécessaire et fondée que par rapport à ce qui ne peut être remplacé. La répétition comme conduite et comme point de vue concerne une singularité inéchangeable, insubstituable." (p.7)

    "Répéter, c'est se comporter, mais par rapport à quelque chose d'unique ou de singulier, qui n'a pas de semblable ou d'équivalent. Et peut-être cette répétition comme conduite externe fait-elle écho pour son compte à une vibration plus secrète, à une répétition intérieure et plus profonde dans le singulier qui l'anime. La fête n'a pas d'autre paradoxe apparent: répéter un « irrecommençable ». Non pas ajouter une seconde et une troisième fois à la première, mais porter la première fois à la « nième » puissance. Sous ce rapport de la puissance, la répétition se renverse en s'intériorisant; comme dit Péguy, ce n'est pas la fête de la Fédération qui commémore ou représente la prise de la Bastille, c'est la prise de la Bastille qui fête et qui répète à l'avance toutes les Fédérations ; ou c'est le premier nymphéa de Monet qui répète tous les autres. On oppose donc la généralité, comme généralité du particulier, et la répétition comme universalité du singulier. On répète une œuvre d'art comme singularité sans concept, et ce n'est pas par hasard qu'un poème doit être appris par cœur. La tête est l'organe des échanges, mais le cœur, l'organe amoureux de la répétition." (pp.7-Cool

    "La généralité est de l'ordre des lois. Mais la loi détermine seulement la ressemblance des sujets qui y sont soumis, et leur équivalence à des termes qu'elle désigne. Loin de fonder la répétition, la loi montre plutôt comment la répétition resterait impossible pour de purs sujets de la loi — les particuliers. Elle les condamne à changer. Forme vide de la différence, forme invariable de la variation, la loi astreint ses sujets à ne l'illustrer qu'au prix de leurs propres changements. Sans doute y a-t-il des constantes autant que des variables dans les termes désignés par la loi; et dans la nature, des permanences, des persévérations, autant que des flux et des variations. Mais une persévération ne fait pas davantage une répétition. Les constantes d'une loi sont à leur tour les variables d'une loi plus générale." (p.Cool

    "La répétition appartient à l'humour et à l'ironie; elle est par nature transgression, exception, manifestant toujours une singularité contre les particuliers soumis à la loi, un universel contre les généralités qui font loi." (p.12)

    "Opposer la répétition aux lois de la Nature. Kierkegaard déclare qu'il ne parle même pas du tout de la répétition dans la nature, des cycles ou des saisons, des échanges et des égalités. Bien plus: si la répétition concerne le plus intérieur de la volonté, c'est parce que tout change autour de la volonté, conformément à la loi de nature. D'après la loi de nature, la répétition est impossible. C'est pourquoi Kierkegaard condamne, sous le nom de répétition esthétique, tout effort pour obtenir la répétition des lois de la nature, non seulement comme l'épicurien, mais fût-ce comme le stoïcien, en s'identifiant au principe qui légifère. On dira que, chez Nietzsche, la situation n'est pas si claire. Pourtant les déclarations de Nietzsche sont formelles. S'il découvre la répétition dans la Physis elle-même, c'est parce qu'il découvre dans la Physis quelque chose de supérieur au règne des lois: une volonté se voulant elle-même à travers tous les changements, une puissance contre la loi, un intérieur de la terre qui s'oppose aux lois de la surface. Nietzsche oppose son hypothèse à l'hypothèse cyclique. Il conçoit la répétition dans l'éternel retour comme Être, mais il oppose cet être à toute forme légale, à l'être-semblable autant qu'à l'être-égal." (pp.13-14)

    "Le théâtre, c'est le mouvement réel ; et de tous les arts qu'il utilise, il extrait le mouvement réel. Voilà qu'on nous dit : ce mouvement, l'essence et l'intériorité du mouvement, c'est la répétition, non pas l'opposition, non pas la médiation. Hegel est dénoncé comme celui qui propose un mouvement du concept abstrait, au lieu du mouvement de la Physis et de la Psyché. Hegel substitue le rapport abstrait du particulier avec le concept en général, au vrai rapport du singulier et de l'universel dans l'Idée. Il en reste donc à l'élément réfléchi de la « représentation », à la simple généralité. Il représente des concepts, au lieu de dramatiser les Idées : il fait un faux théâtre, un faux drame, un faux mouvement. Il faut voir comme Hegel trahit et dénature l'immédiat pour fonder sa dialectique sur cette incompréhension, et introduire la médiation dans un mouvement qui n'est plus que celui de sa propre pensée, et des généralités de cette pensée. Les successions spéculatives remplacent les coexistences, les oppositions viennent recouvrir et cacher les répétitions. Quand on dit que le mouvement, au contraire, c'est la répétition, et que c'est là notre vrai théâtre, on ne parle pas de l'effort de l'acteur qui « répète » dans la mesure où la pièce n'est pas encore sue. On pense à l'espace scénique, au vide de cet espace, à la manière dont il est rempli, déterminé, par des signes et des masques, à travers lesquels l'acteur joue un rôle qui joue d'autres rôles, et comment la répétition se tisse d'un point remarquable à un autre en comprenant en soi les différences. (Quand Marx critique aussi le faux mouvement abstrait ou la médiation des hégéliens, il se trouve lui-même porté à une idée, qu'il indique plutôt qu'il ne la développe, idée essentiellement « théâtrale » : pour autant que l'histoire est un théâtre, la répétition, le tragique et le comique dans la répétition, forment une condition du mouvement, sous laquelle les « acteurs » ou les « héros > produisent dans l'histoire quelque chose d'effectivement nouveau.) Le théâtre de la répétition s'oppose au théâtre de la représentation, comme le mouvement s'oppose au concept et à la représentation qui le rapporte au concept. Dans le théâtre de la répétition, on éprouve des forces pures, des tracés dynamiques dans l'espace qui agissent sur l'esprit sans intermédiaire, et qui l'unissent directement à la nature et à l'histoire, un langage qui parle avant les mots, des gestes qui s'élaborent avant les corps organisés, des masques avant les visages, des spectres et des fantômes avant les personnages — tout l'appareil de la répétition comme < puissance terrible >." (pp.18-19)

    « La théorie de la répétition historique de Marx, telle qu'elle apparaît notamment dans le Dix-huit Brumaire, tourne autour du principe suivant qui ne semble pas avoir été suffisamment compris par les historiens : que la répétition en histoire n'est pas une analogie ou un concept de la réflexion de l'historien, mais d'abord une condition de l'action historique elle-même. Dans de très belles pages, Harold Rosenberg a mis ce point en lumière : les acteurs, les agents de l'histoire ne peuvent créer qu'à condition de s'identifier à des figures du passé ; c'est en ce sens que l'histoire est un théâtre. » (p.125)
    -Gilles Deleuze, Différence et répétition, PUF, coll. Épiméthée, 1993 (1968 pour la première édition), 409 pages.


    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Lun 7 Fév - 18:36, édité 8 fois


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    Gilles Deleuze & Félix Guattari, L'Anti-Œdipe + Mille plateaux & autres oeuvres Empty Re: Gilles Deleuze & Félix Guattari, L'Anti-Œdipe + Mille plateaux & autres oeuvres

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 20 Oct - 16:48

    "Chez Sade apparaît un étrange spinozisme -un naturalisme et un mécanisme pénétrés d'esprit mathématique." (p.19)

    "Chez Masoch de même, les mots d'ordre et les descriptions se dépassent vers un plus haut langage. Mais cette fois, tout est persuasion, et éducation. […] Nous sommes devant une victime qui cherche un bourreau, et qui a besoin de le former, de le persuader, et de faire alliance avec lui pour l'entreprise la plus étrange. […] C'est pourquoi aussi le masochiste élabore des contrats, tandis que le sadique abomine et déchire tout contrat. Le sadique a besoin d'institutions, mais le masochiste, de relations contractuelles." (p.20)

    "Du corps à l'œuvre d'art, de l'œuvre d'art aux Idées, il y a toute une ascension qui doit se faire à coups de fouet. […] s'il y a du spinozisme chez Sade, et une raison démonstrative, il y a du platonisme chez Masoch, et une imagination dialectique." (p.21)

    "De Masoch, contrairement à Sade, il faut dire qu'on n'a jamais été aussi loin, avec autant de décence. Tel est l'autre aspect de la création romanesque de Masoch: un roman d'atmosphère, un art de suggestion. Les décors de Masoch, les châteaux sadiques sont sous les lois brutales de l'ombre et de lumière, qui accélèrent les gestes de leurs habitants cruels. Mais les décors de Masoch, leurs lourdes tentures, leur encombrement intime, boudoirs et penderies, font régner un clair-obscur d'où se détachent seulement des gestes et des souffrances en suspens." (p.32)

    "Le sadisme de Séverin est une terminaison: on dirait que, à forcer d'expier, et de satisfaire un besoin d'expier, le héros masochiste se permet enfin ce que les punitions étaient censées lui interdire. […]
    Le "masochisme" du héros sadique, à son tour, apparaît à l'issue des exercices sadiques, comme leur limite extrême et la sanction d'infamie glorieuse qui les couronne. Le libertin ne redoute pas qu'on lui fasse ce qu'il fait aux autres. Les douleurs qu'on lui inflige sont de derniers plaisirs, et non pas parce qu'elles viendraient satisfaire un besoin d'expier ou un sentiment de culpabilité, mais au contraire parce qu'elles le confirment dans une puissance inaliénable et lui donnent une certitude suprême
    ." (pp.34-35)

    "Jamais un vrai sadique ne supportera une victime masochiste (une des victimes des moines précise dans Justine: "Ils veulent être certains que leurs crimes coûtent des pleurs, ils renverraient une fille qui se rendrait à eux volontairement"). Mais pas davantage un masochiste ne supportera un bourreau vraiment sadique. Sans doute a-t-il besoin d'une certaine nature pour la femme-bourreau ; mais il doit former cette "nature", l'éduquer, la persuader suivant son projet le plus secret, qui échouerait pleinement avec une sadique." (p.36)

    "L'idéal masochiste a pour fonction de faire triompher la sentimentalité dans la glace et par le froid. […] La sensualité est déniée, elle n'existe plus comme sensualité." (p.46)

    "Masoch […] a toutes les raisons de croire à l'art, et aux immobilités et aux réflexions de la culture. Les arts plastiques, comme il les voit, éternisent leur sujet, suspendant un geste ou une attitude. Cette cravache ou cette épée qui ne s'abaissent pas, cette fourrure qui ne s'ouvre pas, ce talon qui n'en finit pas de s'abattre, comme si le peintre n'avait renoncé au mouvement que pour exprimer une attente plus profonde, plus proche des sources de la vie et de la mort. Le goût des scènes figées, comme photographiées, stéréotypées ou peines, se manifeste dans les romans de Masoch au plus haut degré d'intensité. […]
    Appartient essentiellement au masochisme une expérience de l'attente et du suspens. Les scènes masochistes comportent de véritables rites de suspension physique, ligotage, accrochage, crucifixion. Le masochiste est morose, mais le mot "morose" qualifie d'abord le retard ou le délai. On a souvent remarqué que le complexe plaisir-douleur était insuffisant à définir le masochisme ; mais même l'humiliation, l'expiation, le châtiment, la culpabilité ne suffisent pas. On nie à juste titre que le masochiste soit un être étrange qui trouve son plaisir dans la douleur. On remarque que le masochiste est comme tout le monde, qu'il trouve son plaisir là où les autres le trouvent, mais simplement qu'une douleur préalable, ou une punition, une humiliation servent chez lui de conditions indispensables à l'obtention du plaisir. Un tel mécanisme toutefois reste incompréhensible si on ne le rapporte pas à la forme, et notamment à la forme de temps qui le rend possible. C'est pourquoi il est fâcheux de partir du complexe plaisir-douleur comme d'une matière qui se prêterait en tant que telle à toutes les transformations, à commencer par la prétendue transformation sado-masochiste. En fait, la forme du masochisme est l'attente. Le masochiste est celui qui vit l'attente à l'état pur. Il appartient à la pure attente de se dédoubler en deux flux simultanés, l'un qui représente ce qu'on attend, et qui tarde essentiellement, toujours en retard et toujours remis, l'autre qui représente quelque chose à quoi l'on s'attend, et qui seul pourrait précipiter la venue de l'attendu. Qu'une telle forme, un tel rythme de temps avec ses deux flux, soit précisément rempli par une certaine combinaison plaisir-douleur, c'est une conséquence nécessaire. La douleur vient effectuer ce qu'on attend. Le masochiste attend le plaisir comme quelque chose qui est essentiellement en retard, et s'attend à la douleur comme à une condition qui rend possible enfin (physiquement et moralement) la venue du plaisir. Il recule donc le plaisir tout le plaisir tout le temps nécessaire pour qu'une douleur elle-même attendue le rende permis. L'angoisse masochiste prend ici la double détermination d'attendre infiniment le plaisir, mais en s'attendant intensément à la douleur.
    La dénégation, le suspens, l'attente, le fétichisme et le phantasme, forment la constellation proprement masochiste
    ." (p.62-63)

    "Si l'on demande sous quelles influences l'image classique de la loi fut renversée et détruite, il est certain que ce ne fut pas sous la découverte d'une relativité, d'une variabilité des lois. Car cette relativité était pleinement connue et comprise dans l'image classique ; elle en faisait nécessairement partie. La vraie raison est ailleurs. On en trouverait l'énoncé le plus rigoureux dans la Critique de la raison pratique de Kant. Kant dit lui-même que la nouveauté de sa méthode est que la loi n'y dépend plus du Bien, mais au contraire le Bien de la loi. Cela signifie que la loi n'a plus à se fonder, ne peut plus se fonder sur un principe supérieur d'où elle tirerait son droit. Cela signifie que la loi doit valoir par elle-même et se fonder sur elle-même, qu'elle n'a donc pas d'autre ressource que sa propre forme. C'est la première fois, dès lors, qu'on peut, qu'on doit parler de LA LOI, sans autre spécification, sans indiquer un objet. L'image classique ne connaissait que les lois, spécifiées comme telles ou telles d'après les domaines du Bien et les circonstances du Mieux. Lorsque Kant parle au contraire de "la" loi morale, le mot morale désigne seulement la détermination de ce qui reste absolument indéterminé: la loi morale est la représentation d'une pure forme, indépendante d'un contenu et d'un objet, d'un domaine et de circonstances. La loi morale signifie LA LOI, la forme de la loi, comme excluant tout principe supérieur capable de la fonder. En ce sens, Kant est un des premiers qui rompent avec l'image classique de la loi, et qui nous ouvrent une image proprement moderne. La révolution copernicienne de Kant dans la Critique de la raison pure consistait à faire tourner les objets de la connaissance autour du sujet ; mais celle de la Raison pratique, qui consiste à faire tourner le Bien autour de la Loi, est sans doute beaucoup plus importante. Sans doute exprimait-elle des changements importants dans le monde. Sans doute aussi exprimait-elle les dernières conséquences d'un retour à la foi judaïque par-delà le monde chrétien ; peut-être même annonçait-elle le retour à une conception pré-socratique (oedipienne) de la loi, par-delà le monde platonicien. Reste que, en faisant de LA loi un fondement ultime, Kant dotait la pensée moderne d'une de ses dimensions principales: l'objet de la loi se dérobe essentiellement." (pp.72-73)

    "Tous les romans de Masoch le développent, dans des figures variées: la femme idéale chasse l'ours ou le loup ; elle organise ou préside une communauté agricole ; elle fait subir à l'homme une nouvelle naissance." (p.82)

    "Hermann Hesse écrivit un curieux roman, Démian, où se mêlent les thèmes nietzschéens et masochistes." (p.84)

    "Le moi masochiste n'est écrasé qu'en apparence. Quelle dérision, quel humour, quelle révolte invincible, quel triomphe se cachent sous un moi qui se déclare si faible ? La faiblesse du moi est le piège tendu par le masochiste, qui doit amener la femme au point idéal de la fonction qui lui est assignée. Si le masochiste manque de quelque chose, c'est plutôt de surmoi, non pas du tout de moi." (p.105)
    -Gilles Deleuze, Présentation de Sacher-Masoch. Le froid et le cruel, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Arguments », 2007 (1967 pour la première édition), 118 pages.



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    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 4 Mar - 10:58

    "Un livre n'a pas d'objet ni de sujet, il est fait de matières diversement formées, de dates et de vitesses très différentes." (p.9)

    "On ne sait pas encore ce que le multiple implique quand il cesse d'être attribué, c'est-à-dire quand il est élevé à l'état de substantif." (p.10)

    "Il ne suffit pas de dire Vive le multiple, bien que ce cri soit difficile à pousser. Aucune habileté typographique, lexicale ou même syntaxique ne suffira à le faire entendre. Le multiple, il faut le faire) non pas en ajoutant toujours une dimension supérieure, mais au contraire le plus simplement, à force de sobriété, au niveau des dimensions dont on dispose, toujours n-l (c'est seulement ainsi que l'un fait partie du multiple, en étant toujours soustrait). Soustraire l'unique de la multiplicité à constituer ; écrire à n - 1. Un tel système pourrait être nommé rhizome. Un rhizome comme tige souterraine se distingue absolument des racines et radicelles. Les bulbes, les tubercules sont des rhizomes. Des plantes à racine ou radicelle peuvent être rhizomorphes à de tout autres égards : c'est une question de savoir si la botanique, dans sa spécificité, n'est pas tout entière rhizomorphique. Des animaux même le sont, sous leur forme de meute, les rats sont des rhizomes. Les terriers le sont, sous toutes leurs fonctions d'habitat, de provision, de déplacement, d'esquive et de rupture. Le rhizome en lui-même a des formes très diverses, depuis son extension superficielle ramifiée en tous sens jusqu'à ses concrétions en bulbes et tubercules. Quand les rats se glissent les uns sous les autres . Il y a le meilleur et le pire dans le rhizome : la pomme de terre et le chiendent, la mauvaise herbe. Animal et plante, le chiendent, c'est le crab-grass. Nous sentons bien que nous ne convaincrons personne si nous n'énumérons pas certains caractères approximatifs du rhizome.

    1° et 2° Principes de connexion et d'hétérogénéité : n'importe quel point d'un rhizome peut être connecté avec n'importe quel autre, et doit l'être. C'est très différent de l'arbre ou de la racine qui fixent un point, un ordre
    ." (p.13)

    "Il n'y a pas de langue en soi, ni d'universalité du langage, mais un concours de dialectes, de patois, d'argots, de langues spéciales. Il n'y a pas de locuteur-auditeur idéal, pas plus que de communauté linguistique homogène. La langue est, selon une formule de Weinreich, « une réalité essentiellement hétérogène ». Il n'y a pas de langue-mère, mais prise de pouvoir par une langue dominante dans une multiplicité politique. La langue se stabilise autour d'une paroisse, d'un évêché, d'une capitale. Elle fait bulbe. Elle évolue par tiges et flux souterrains, le long des vallées fluviales, ou des lignes de chemins de fer, elle se déplace par taches d'huile. On peut toujours opérer sur la langue des décompositions structurales internes : ce n'est pas fondamentalement différent d'une recherche de racines. Il y a toujours quelque chose de généalogique dans l'arbre, ce n'est pas une méthode populaire. Au contraire, une méthode de type rhizome ne peut analyser le langage qu'en le décentrant sur d'autres dimensions et d'autres registres. Une langue ne se referme jamais sur elle-même que dans une fonction d'impuissance.

    3 Principe de multiplicité : c'est seulement quand le multiple est effectivement traité comme substantif, multiplicité, qu'il n'a plus aucun rapport avec l'Un comme sujet ou comme objet, comme réalité naturelle ou spirituelle, comme image et monde. Les multiplicités sont rhizomatiques, et dénoncent les pseudo-multiplicités arborescentes. Pas d'unité qui serve de pivot dans l'objet, ni qui se divise dans le sujet. Pas d'unité ne serait-ce que pour avorter dans l'objet, et pour « revenir » dans le sujet. Une multiplicité n'a ni sujet ni objet, mais seulement des déterminations, des grandeurs, des dimensions
    ." (p.14)

    "Il n'y a pas de points ou de positions dans un rhizome, comme on en trouve dans une structure, un arbre, une racine. Il n'y a que des lignes." (p.15)

    "Un rhizome peut être rompu, brisé en un endroit quelconque, il reprend suivant telle ou telle de ses lignes et suivant d'autres lignes. On n'en finit pas avec les fourmis, parce qu'elles forment un rhizome animal dont la plus grande partie peut être détruite sans qu'il cesse de se reconstituer. Tout rhizome comprend des lignes de segmentarité d'après lesquelles il est stratifié, territorialisé, organisé, signifié, attribué, etc. ; mais aussi des lignes de déterritorialisation par lesquelles il fuit sans cesse. Il y a rupture dans le rhizome chaque fois que des lignes segmentaires explosent dans une ligne de fuite, mais la ligne de fuite fait partie du rhizome. Ces lignes ne cessent de se renvoyer les unes aux autres. C'est pourquoi on ne peut jamais se donner un dualisme ou une dichotomie, même sous la forme rudimentaire du bon et du mauvais. On fait une rupture, on trace une ligne de fuite, mais on risque toujours de retrouver sur elle des organisations qui restratifient l'ensemble, des formations qui redonnent le pouvoir à un signifiant, des attributions qui reconstituent un sujet - tout ce qu'on veut, depuis les résurgences œdipiennes jusqu'aux concrétions fascistes. Les groupes et les individus contiennent des micro-fascismes qui ne demandent qu'à cristalliser." (p.16)

    "Comment les mouvements de déterritorialisation et les procès de reterritorialisation ne seraient-ils pas relatifs, perpétuellement en branchement, pris les uns dans les autres ?L'orchidée se déterritorialise en formant une image, un calque de guêpe ; mais la guêpe se reterritorialise sur cette image. La guêpe se déterritorialise pourtant, devenant elle-même une pièce dans l'appareil de reproduction de l'orchidée ; mais elle reterritorialise l'orchidée, en en transportant le pollen. La guêpe et l'orchidée font rhizome, en tant qu'hétérogènes. On pourrait dire que l'orchidée imite la guêpe dont elle reproduit l'image de manière signifiante (mimesis, mimétisme, leurre, etc.). Mais ce n'est vrai qu'au niveau des strates - parallélisme entre deux strates telles qu'une organisation végétale sur l'une imite une organisation animale sur l'autre. En même temps il s'agit de tout autre chose : plus du tout imitation, mais capture de code, plus-value de code, augmentation de valence, véritable devenir, devenir-guêpe de l'orchidée, devenir orchidée de la guêpe, chacun de ces devenirs assurant la dé territorialisation d'un des termes et la reterritorialisation de l'autre, les deux devenirs s'enchaînant et se relayant suivant une circulation d'intensités qui pousse la déterritorialisation toujours plus loin. Il n'y a pas imitation ni ressemblance, mais explosion de deux séries hétérogènes dans la ligne de fuite composée d'un rhizome commun qui ne peut plus être attribué, ni soumis à quoi que ce soit de signifiant." (p.17)

    "Nous sommes fatigués de l'arbre. Nous ne devons plus croire aux arbres, aux racines ni aux radicelles, nous en avons trop souffert. Toute la culture arborescente est fondée sur eux, de la biologie à la linguistique. Au contraire, rien n'est beau, rien n'est amoureux, rien n'est politique, sauf les tiges souterraines et les racines aériennes, l'adventice et le rhizome. Amsterdam, ville pas du tout enracinée, ville-rhizome avec ses canaux-tiges, où l'utilité se connecte à la plus grande folie, dans son rapport avec une machine de guerre commerciale." (p.22)

    "Systèmes acentrés, réseaux d'automates finis, où la communication se fait d'un voisin à un voisin quelconque, où les tiges ou canaux ne préexistent pas, où les individus sont tous interchangeables, se définissent seulement par un état à tel moment, de telle façon que les opérations locales se coordonnent et que le résultat final global se synchronise indépendamment d'une instance centrale." (p.26)

    "N'y a-t-il pas en Orient, notamment en Océanie, comme un modèle rhizomatique qui s'oppose à tous égards au modèle occidental de l'arbre ? Haudricourt y voit même une raison de l'opposition entre les morales ou les philosophies de la transcendance, chères à l'Occident, celles de l'immanence en Orient : le Dieu qui sème et qui fauche, par opposition au Dieu qui pique et déterre (la piqûre contre la semaille). Transcendance, maladie proprement européenne . Et ce n'est pas la même musique, la terre n'y a pas la même musique . Et ce n'est pas du tout la même sexualité : les plantes à graines, même réunissant les deux sexes, soumettent la sexualité au modèle de la reproduction ; le rhizome au contraire est une libération de la sexualité non seulement par rapport à la reproduction, mais par rapport à la génitalité. Chez nous, l'arbre s'est planté dans les corps, il a durci et stratifié même les sexes. Nous avons perdu le rhizome ou l'herbe." (p.28)

    "II faudrait faire une place à part à l'Amérique. Bien sûr, elle n'est pas exempte de la domination des arbres et d'une recherche des racines. On le voit jusque dans la littérature, dans la quête d'une identité nationale, et même d'une ascendance ou généalogie européennes (Kérouac repart à la recherche de ses ancêtres). Reste que tout ce qui s'est passé d'important, tout ce qui se passe d'important procède par rhizome américain : beatnik, underground, souterrains, bandes et gangs, poussées latérales successives en connexion immédiate avec un dehors. Différence du livre américain avec le livre européen, même quand l'américain se met à la poursuite des arbres. Différence dans la conception du livre. « Feuilles d'herbe ». Et ce ne sont pas en Amérique les mêmes directions : c'est à l'Est que se font la recherche arborescente et le retour au vieux monde. Mais l'Ouest rhizomatique, avec ses Indiens sans ascendance, sa limite toujours fuyante, ses frontières mouvantes et déplacées. Toute une « carte » américaine à l'Ouest, où même les arbres font rhizome." (p.29)

    "Un plateau est toujours au milieu, ni début ni fin. Un rhizome est fait de plateaux." (p.32)

    "Pas facile de percevoir les choses par le milieu, et non de haut en bas ou inversement, de gauche à droite ou inversement : essayez et vous verrez que tout change . Ce n'est pas facile de voir l'herbe dans les choses et les mots." (p.34)

    "On écrit l'histoire, mais on l'a toujours écrite du point de vue des sédentaires, et au nom d'un appareil unitaire d'Etat, au moins possible même quand on parlait de nomades. Ce qui manque, c'est une Nomadologie, le contraire d'une histoire." (p.34)

    "L'Etat a été le modèle du livre et de la pensée : le logos, le philosophe-roi, la transcendance de l'Idée, l'intériorité du concept, la république des esprits, le tribunal de la raison, les fonctionnaires de la pensée, l'homme législateur et sujet. Prétention de l'Etat à être l'image intériorisée d'un ordre du monde, et à enraciner l'homme. Mais le rapport d'une machine de guerre avec le dehors, ce n'est pas un autre « modèle », c'est un agencement qui fait que la pensée devient elle-même nomade, le livre une pièce pour toutes les machines mobiles, une tige pour un rhizome." (p.36)

    "Où allez-vous ? d'où partez--vous ? où voulez-vous en venir ? sont des questions bien inutiles. Faire table rase, partir ou repartir à zéro, chercher un commencement, ou un fondement, impliquent une fausse conception du voyage et du mouvement (méthodique, pédagogique, initiatique, symbolique...). Mais Kleist, Lenz ou Büchner ont une autre manière de voyager comme de se mouvoir, partir au milieu, par le milieu." (p.36)

    "C'est la littérature américaine, et déjà anglaise, qui ont manifesté ce sens rhizomatique, ont su se mouvoir entre les choses, instaurer une logique du ET, renverser l'ontologie, destituer le fondement, annuler fin et commencement. Ils ont su faire une pragmatique. C'est que le milieu n'est pas du tout une moyenne, c'est au contraire l'endroit où les choses prennent de la vitesse. Entre les choses ne désigne pas une relation localisable qui va de l'une à l'autre et réciproquement, mais une direction perpendiculaire, un mouvement transversal qui les emporte l'une et l'autre, ruisseau sans début ni fin, qui ronge ses deux rives et prend de la vitesse au milieu." (p.37)

    [2. 1914 . Un seul ou plusieurs loups ?]

    "Un corps sans organes n'est pas un corps vide et dénué d'organes, mais un corps sur lequel ce qui sert d'organes (loups, yeux de loups, mâchoires de loups ?) se distribuent d'après des phénomènes de foule, suivant des mouvements brownoïdes, sous forme de multiplicités moléculaires. Le désert est peuplé. C'est donc moins aux organes qu'il s'oppose, qu'à l'organisation des organes en tant qu'elle composerait un organisme. Le corps sans organes n'est pas un corps mort, mais un corps vivant, d'autant plus vivant, d'autant plus grouillant qu'il a fait sauter l'organisme et son organisation. Des poux sautent sur la plage de la mer. Les colonies de la peau. Le corps plein sans organes est un corps peuplé de multiplicités. Et le problème de l'inconscient, à coup sûr, n'a rien à voir avec la génération, mais avec le peuplement, la population." (p.42)

    "Revenons à cette histoire de multiplicité) car ce fut un moment très important, lorsqu'on créa un tel substantif précisément pour échapper à l'opposition abstraite du multiple et de l'un, pour échapper à la dialectique, pour arriver à penser le multiple à l'état pur, pour cesser d'en faire le fragment numérique d'une Unité ou Totalité perdues, ou au contraire l'élément organique d'une Unité ou Totalité à venir - et pour distinguer plutôt des types de multiplicité. C'est ainsi qu'on trouve chez le mathématicien-physicien Riemann la distinction des multiplicités discrètes et des multiplicités continues (ces dernières ne trouvant le principe de leur métrique que dans des forces agissant en elles).

    Puis chez Meinong et chez Russell la distinction des multiplicités de grandeur ou de divisibilité, extensives, et des multiplicités de distance, plus proches de l'intensif. Ou bien, chez Bergson, la distinction des multiplicités numériques ou étendues, et des multiplicités qualitatives et durantes. Nous faisons à peu près la même chose en distinguant des multiplicités arborescentes et des multiplicités rhizomatiques. Des macro- et des micro-multiplicités. D'une part des multiplicités extensives, divisibles et molaires ; unifiables, totalisables, organisables ; conscientes ou préconscientes - et d'autre part des multiplicités libidinales inconscientes, moléculaires, intensives, constituées de particules qui ne se divisent pas sans changer de nature, de distances qui ne varient pas sans entrer dans une autre multiplicité, qui ne cessent pas de se faire et de se défaire en communiquant, en passant les unes dans les autres à l'intérieur d'un seuil, ou par-delà, ou en deçà. Les éléments de ces dernières multiplicités sont des particules ; leurs relations, des distances ; leurs mouvements, des brownoïdes ; leur quantité, des intensités, des différences d'intensité.

    Il n'y a là qu'une base logique. Elias Canetti distingue deux types de multiplicité qui tantôt s'opposent et tantôt se pénètrent : de masse et de meute. Parmi les caractères de masse, au sens de Canetti, il faudrait noter la grande quantité, la divisibilité et l'égalité des membres, la concentration, la sociabilité de l'ensemble, l'unicité de la direction hiérarchique, l'organisation de territorialité ou de territorialisation, l'émission de signes. Parmi les caractères de meute, la petitesse ou la restriction du nombre, la dispersion, les distances variables indécomposables, les métamorphoses qualitatives, les inégalités comme restes ou franchissements, l'impossibilité d'une totalisation ou d'une hiérarchisation fixes, la variété brownienne des directions, les lignes de déterritorialisation, la projection de particules. Sans doute n'y a-t-il pas plus d'égalité, pas moins de hiérarchie dans les meutes que dans les masses, mais ce ne sont pas les mêmes. Le chef de meute ou de bande joue coup par coup, il doit tout remettre en jeu à chaque coup, tandis que le chef de groupe ou de masse consolide et capitalise des acquis. La meute, même dans ses lieux, se constitue sur une ligne de fuite ou de déterritorialisation qui fait partie d'elle-même, à laquelle elle donne une haute valeur positive, tandis que les masses n'intègrent de telles lignes que pour les segmentariser, les boucher, les affecter d'un signe négatif.

    Canetti remarque que, dans la meute, chacun reste seul en étant pourtant avec les autres (ainsi les loups-chasseurs) ; chacun mène sa propre affaire en même temps qu'il participe à la bande." (pp.45-47)

    "On reconnaît la position schizo, être à la périphérie, tenir par une main ou un pied... On y opposera la position paranoïaque du sujet de masse, avec toutes les identifications de l'individu au groupe, du groupe au chef, du chef au groupe ; être bien pris dans la masse, se rapprocher du centre, ne jamais rester en bordure sauf en service commandé." (p.47)

    [3. 10.000 av. j .-c. - La géologie de la morale (pour qui elle se prend, la terre ?)]

    "Les substances ne sont rien d'autre que des matières formées. Les formes impliquent un code, des modes d'encodage et de décodage. Les substances comme matières formées se réfèrent à des territorialités, à des degrés de territorialisation et de déterritorialisation." (p.55)

    "C'était une illusion de croire que la structure fût le dernier mot de la terre ." (p.55)

    "Rompre avec la dualité forme-contenu." (p.58)

    "On appelait matière le plan de consistance ou le Corps sans Organes, c'est-à-dire le corps non formé, non organisé, non stratifié ou déstratifié, et tout ce qui coulait sur un tel corps, particules submoléculaires et subatomiques, intensités pures, singularités libres préphysiques et prévitales. On appelait contenu les matières formées, qui devaient dès lors être considérées de deux points de vue, du point de vue de la substance en tant que telles matières étaient « choisies », et du point de vue de la forme en tant qu'elles étaient choisies dans un certain ordre (substance et forme de contenu). On appellerait expression les structures fonctionnelles qui devaient elles-mêmes être considérées de deux points de vue, celui de l'organisation de leur propre forme, et celui de la substance en tant qu'elles formaient des composés (forme et substance d'expression ). Il y avait toujours dans une strate une dimension de l'exprimable ou de l'expression, comme condition d'une invariance relative : par exemple, les séquences nucléiques étaient inséparables d'une expression relativement invariante par laquelle elles déterminaient les composés, organes et fonctions de l'organisme. Exprimer, c'est toujours chanter la gloire de Dieu. Toute strate étant un jugement de Dieu, ce ne sont pas seulement les plantes et les animaux, les orchidées et les guêpes qui chantent ou s'expriment, ce sont les rochers et même les fleuves, toutes
    les choses stratifiées de la terre. Voilà donc que la première articulation concerne le contenu) et la seconde r expression. La distinction des deux articulations ne passe pas entre formes et substances, mais entre contenu et expression, l'expression n'ayant pas moins de substance que le contenu, et le contenu, pas moins de forme que l 'expression. Si la double articulation coïncide parfois avec moléculaire et molaire, et parfois ne coïncide pas, c'est parce que le contenu et l'expression tantôt se répartissent ainsi, tantôt se répartissent autrement. Entre le contenu et l'expression, il n'y a jamais correspondance ni conformité, mais seulement isomorphisme avec présupposition réciproque . Entre le contenu et l'expression, la distinction est toujours réelle) à des titres variés, mais on ne peut pas dire que les termes préexistent à la double articulation. C'est elle qui les distribue suivant son tracé dans chaque strate, et qui constitue leur distinction réelle. (Entre la forme et la substance, au contraire, il n'y a pas distinction réelle, mais seulement mentale ou modale : les substances n'étant que des matières formées, on ne pouvait concevoir de substances sans forme, même si dans certains cas l'inverse était possible.)" (pp.58-59)

    "Qu'est-ce qui faisait l 'unité, la diversité d'une strate ? La matière, la pure matière du plan de consistance (ou d'inconsistance) est hors strates. Mais, sur une strate, les matériaux moléculaires empruntés aux substrates peuvent être les mêmes, sans que les molécules le soient pour autant. Les éléments substantiels peuvent être les mêmes sur toute la strate, sans que les substances le soient. Les relations formelles ou les liaisons peuvent être les mêmes sans que les formes le soient. L'unité de composition de la strate organique, en biochimie, se définit au niveau des matériaux et de l'énergie, des éléments substantiels ou des radicaux, des liaisons et réactions. Mais ce ne sont pas les mêmes molécules, les mêmes substances ni les mêmes formes." (p.60)

    "Ainsi la strate organique n'avait aucune matière vitale spécifique, puisque la matière était la même pour toutes les strates, mais elle avait une unité spécifique de composition, un seul et même Animal abstrait, une seule et même machine abstraite prise dans la strate, et présentait les mêmes matériaux moléculaires, les mêmes éléments ou composants anatomiques d'organes, les mêmes connexions formelles. Ce qui n'empêchait pas que les formes organiques fussent différentes entre elles, non moins que les organes ou les substances composées, non moins que les molécules. Il importait fort peu que Geoffroy ait choisi comme unités substantielles les éléments anatomiques, plutôt que des radicaux de protéines et d'acides nucléiques. D'ailleurs il invoquait déjà tout un jeu de molécules. L'important, c'était le principe de l'unité et de la variété de la strate : isomorphisme des formes sans correspondance, identité des éléments ou composants sans identité des substances composées ." (p.61)

    « Toute politique est à la fois macropolitique et micropolitique. Soit des ensembles du type perception, ou sentiment : leur organisation molaire, leur segmentarité dure, n'empêche pas tout un monde de micropercepts inconscients, d'affects inconscients, segmentations fines, qui ne saisissent ou n'éprouvent pas les mêmes choses, qui se distribuent autrement, qui opèrent autrement. Une micro-politique de la perception, de l'affection, de la conversation, etc. Si l'on considère les grands ensembles binaires, comme les sexes, ou les classes, on voit bien qu'ils passent aussi dans des agencements moléculaires d'une autre nature, et qu'il y a double dépendance réciproque. Car les deux sexes renvoient à de multiples combinaisons moléculaires, qui mettent en jeu non seulement l'homme dans la femme et la femme dans l'homme, mais le rapport de chacun dans l'autre avec l'animal, la plante, etc, mille petits-sexes. Et les classes sociales renvoient elles-mêmes à des « masses » qui n'ont pas le même mouvement, pas la même répartition, pas les mêmes objectifs ni les mêmes manières de lutter. Les tentatives pour distinguer masse et classe tendent effectivement vers cette limite : que la notion de masse est une notion moléculaire, procédant par un type de segmentation irréductible à la segmentarité molaire de classe. Pourtant les classes sont bien taillées dans les masses, elles les cristallisent. Et les masses ne cessent pas de couler, de s'écouler des classes. » (p.260)

    « Les masses ne subissent pas passivement le pouvoir ; elle ne « veulent » pas non plus être réprimées dans une sorte d'hystérie masochiste ; elles ne sont pas davantage trompées, par un leurre idéologique. Mais le désir n'est jamais séparable d'agencements complexes qui passent nécessairement par des niveaux moléculaires, micro-formations qui façonnent déjà les postures, les attitudes, les perceptions, les anticipations, les sémiotiques, etc. Le désir n'est jamais une énergie pulsionnelle indifférenciée, mais résulte lui-même d'un montage élaboré, d'un engineering à hautes interactions : toute une segmentarité souple qui traite d'énergies moléculaires, et détermine éventuellement le désir à être déjà fasciste. Les organisations de gauche ne sont pas les dernières à secréter leurs micro-fascismes. C'est trop facile d'être anti-fasciste au niveau molaire, sans voir le fasciste qu'on est soi-même, qu'on entretient et nourrit, qu'on chérit soi-même, avec des molécules, personnelles et collectives. » (p.262)

    « On dit à tort (notamment dans le marxisme) qu'une société se définit par ses contradictions. Mais ce n'est vrai qu'à grande échelle. Du point de vue de la micro-politique, une société se définit par ses lignes de fuite, qui sont moléculaires. » (p.263)

    « Mai 68 en France était moléculaire, et ses conditions d'autant plus imperceptibles du point de vue de la macro-politique. » (p.264)

    « Ce qui définit le totalitarisme, ce n’est pas l'importance d'un secteur public, puisque l'économie dans beaucoup de cas reste libérale. » (p.273)

    « Tant que la classe ouvrière se définit par un statut acquis, ou même par un État théoriquement conquis, elle apparaît seulement comme “capital”, partie du capital (capital variable), et ne sort pas du plan du capital. Tout au plus le plan devient-il bureaucratique. En revanche, c’est en sortant du plan du capital, en ne cessant pas d’en sortir, qu’une masse devient sans cesse révolutionnaire... »

    « Si les minorités ne constituent pas des États viables, culturellement, politiquement, économiquement, c’est parce que la forme-État ne convient pas, ni l’axiomatique du capital, ni la culture correspondante. » (p.590)
    -Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille Plateaux. Capitalisme et schizophrénie 2, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Critique », 1980, 645 pages.




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    Message par Johnathan R. Razorback Ven 25 Fév - 15:15

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    Message par Johnathan R. Razorback Ven 25 Fév - 15:16

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    Message par Johnathan R. Razorback Ven 25 Fév - 15:16

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    Message par Johnathan R. Razorback Ven 25 Fév - 15:16

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    Message par Johnathan R. Razorback Ven 25 Fév - 15:26

    "[Chapitre 1: Les machines désirantes]

    Ça fonctionne partout, tantôt sans arrêt, tantôt discontinu. Ça respire, ça chauffe, ça mange. Ça chie, ça baise. Quelle erreur d'avoir dit le ça. Partout ce sont des machines, pas du tout métaphoriquement: des machines de machines, avec leurs couplages, leurs connexions. Une machine-organe est branchée sur une machine-source : l'une émet un flux,
    que l'autre coupe. Le sein est une machine qui produit du lait, et la bouche, une machine couplée sur celle-là. La bouche de l'anorexique hésite entre une machine à manger, une machine anale, une machine à parler, une machine à respirer (crise d'asthme). C'est ainsi qu'on est tous bricoleurs; chacun ses petites machines. Une machine-organe
    pour une machine-énergie, toujours des flux et des coupures." (p.7)
    -Gilles Deleuze & Félix Guattari, L'Anti-Œdipe (Capitalisme et schizophrénie Tome 1), Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Critique », 1972, 494 pages.




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