https://helda.helsinki.fi/bitstream/handle/10138/301233/Salonen_Ansa_Pro_gradu_2019.pdf?sequence=2&isAllowed=y
"Nous présumons que les propriétés textuelles ne constituent pas une réalité extérieure et supplémentaire par rapport à ce qui serait considéré comme le contenu proprement philosophique. Au contraire, nous chercherons à démontrer que les traits du texte, y compris le discours rapporté, font partie de la pensée elle-même." (p.2)
"Au lieu de bâtir un système clos, comme le fait la philosophie traditionnelle, les auteurs proposent un système ouvert dans lequel les concepts ne se rapportent pas aux essences fixes (Somers-Hall, A. Bell & Williams 2018 : 2–3 ; Deleuze 1990 : 48). La question primordiale n’est plus : qu’est-ce qu’une chose ?, mais comment ?, quand ? ou dans quel cas ?" (p.3)
"Pour se détourner d’une philosophie des essences, les auteurs mettent en scène une multitude de concepts qui forment des réseaux sans constituer une structure déterminée, tels
que l’agencement, la territorialisation et la déterritorialisation, la stratification, les lignes de fuite, les devenirs-animaux, ou le corps sans organes [...] Or, à côté de l’abondance conceptuelle, la manière dont est composé Mille plateaux est d’une importance presque égale. Comme nous l’avons constaté, le livre se divise en plateaux – ainsi, selon De Beistegui (2018 : 9), les parties du livre sont comme des formations géologiques et le livre en soi comme une carte qui peut se lire de différentes manières. Les plateaux ne se succèdent pas dans une logique linéaire mais, en résonnant entre eux dans de multiples directions, ils peuvent, comme le suggèrent Deleuze et Guattari (MP : 33), être lus dans n’importe quel ordre." (p.3)
"Ils avancent l’idée d’un livre-rhizome qui ne représente pas le monde mais qui « fait rhizome avec le monde » (MP : 18), s’y connecte de multiples façons. Le rhizome, concept fondamental dans Mille plateaux, renvoie à un ensemble d’éléments hétérogènes qui ne sont pas dans une relation hiérarchique les uns par rapport aux autres, un ensemble qui n’a ni début ni fin et qui ne procède pas par pas par filiation mais par alliance." (p.4)
"Comme la philosophie se repose toujours sur la médiation du langage, on peut se demander si les mots qui constituent un texte de philosophie sont une simple surface transparente qui réfère à une réalité et à une vérité extérieures au discours. Les expérimentations stylistiques mettent en question cette présupposition en rendant manifestes la matérialité et l’opacité du langage (Haines 2015 : 542). Dans cette perspective-là, l’orientation littéraire et stylistique de Deleuze et Guattari consisterait à remettre en question
l’idée du discours philosophique comme l’ouvrage d’un sujet unifié, rationnel et souverain qui utilise le langage dans sa fonction référentielle pour révéler des vérités en dehors du discours." (p.5)
"Le concept de discours rapporté englobe, selon Rosier (2008 : 1), les formes langagières qui attribuent un fragment de discours à autrui. Derrière cette formulation simple se cache une réalité diverse, car la représentation du discours d’autrui a été abordée dans plusieurs cadres théoriques et les aspects mis en valeur varient selon le contexte. L’étude des traits
grammaticaux et linguistiques a abouti à une classification sur la base des traits formels ; c’est ainsi que les quatre types canoniques, à savoir discours direct rapporté, discours indirect rapporté, discours direct libre et discours indirect libre, ont été identifiés." (p.6)
"La pensée de Deleuze et Guattari n’adhère pas à une philosophie traditionnelle des essences. En revanche, les auteurs s’efforcent à penser à des choses en tant qu’agencements qui, composés d’éléments hétérogènes, affichent des tendances vers le changement et vers la stabilité [...] Dans cette optique-là, les phénomènes de stratification, qui consistent à « former des matières, à emprisonner des intensités ou à fixer des singularités dans des systèmes de résonance et de redondance » (MP : 54), correspondent à la tendance vers la stabilité, la structure et l’organisation.
Le lexique que Deleuze et Guattari appliquent pour rendre compte de la formation des strates est adopté de la linguistique. D’abord, ils empruntent à Hjelmslev les notions de matière, contenu, expression, forme et substance dont le linguiste a, comme ils le constatent (MP : 58), établi une grille pour rendre compte des strates dans le langage. Or, si Hjelmslev désigne par le terme de matière une masse informe de pensée dont les différentes langues configurent le sens, Deleuze et Guattari l’emploient pour désigner la matière au sens général (Bogue 2018 : 48–49). Ainsi, ils transforment le schéma sémiologique de Hjelmslev en ontologie (Bogue 2018 : 49). La Terre est traversée de cette matière informe qui, n’étant pas fixe et immobile, a des propriétés d’auto-organisation et d’autodifférenciation, c’est-à-dire de stratification (MP : 54 ; Bogue 2018 : 49).
Un autre apport d’une théorie linguistique est fait pour rendre compte des processus de formation des strates. La stratification passe par une double articulation, terme provenant de
Martinet, chez qui il désigne la distinction entre morphèmes, unités signifiantes les plus petites, et phonèmes, qui sont les unités les plus petites qui permettent de différencier des significations sans avoir de signification en soi (Bogue 2018 : 48). Deleuze et Guattari appliquent cette notion pour illustrer la composition des strates en général, la première articulation correspondant à la constitution du contenu et la seconde, à la constitution de l’expression(MP : 54, 58). Dans le schéma complexe que bâtissent Deleuze et Guattari, le contenu et l’expression ont tous les deux une forme et une substance, et les différents processus qui organisent la matière en strates sont désignés par des termes comme codage et décodage ou territorialisation et déterritorialisation.
L’exemple le plus simple que fournissent Deleuze et Guattari (MP : 55) de la stratification est la formation des roches sédimentaires. La stratification ne concerne pourtant pas seulement la formation des strates géologiques : comme le remarque Bogue (2018 : 47), le choix du terme est significatif car il renvoie déjà dans son sens général non seulement à un phénomène géologique mais aussi à l’organisation d’une structure sociale hiérarchique.
Deleuze et Guattari distinguent en effet trois types de stratification : physique, organique et alloplastique, ou humaine. Leur tâche est de démontrer que des phénomènes aussi différents que la prise de forme de la matière inorganique, l’évolution des espèces ou le langage humain peuvent être décrits en s’appuyant sur les mêmes concepts. Selon les termes de Bogue [...] la double articulation est un phénomène qui couvre toute organisation de matière sur tous les niveaux, de sorte que l’humain n’est qu’un produit des processus de stratification. Le terme ‘alloplastique’ que Deleuze et Guattari emploient au lieu de ‘humain’ réfère au fait que le propre de l’homme est de pouvoir entraîner des modifications sur les autres strates (en grec, allos = autre)." (pp.29-30)
"Le contexte du texte est tellement inhabituel qu’il est difficile d’imputer avec certitude le discours au protagoniste. Les ambiguïtés liées à l’attribution de la parole peuvent aussi être prises, selon les termes de Mellet, pour une cohabitation de voix. Plutôt que de se partager entre des locuteurs distincts, le discours semble souvent glisser d’une voix à une autre de sorte qu’il est impossible de distinguer entre les différents sujets parlants. Le pronom ‘nous’, qui en principe ancre le discours à une certaine situation d’énonciation, change de référent au cours du texte." (pp.46-47)
"Les phénomènes abordés au sein de disciplines comme la chimie cellulaire sont examinés d’une manière détaillée, si bien qu’un lecteur qui n’est pas spécialiste de ces domaines peut avoir du mal à suivre le fil de la pensée." (p.59)
"En se défaisant des conventions de genre qui, en général, participent à la configuration du sens, le plateau 3 rend impossible une lecture totalisante qui traiterait le texte soit comme une simple parodie, soit comme un traitement scientifique sérieux. Comme nous l’avons suggéré, Mille plateaux refuse d’être traité comme un livre clos auquel on pourrait attribuer un sens définitif. Les différents enjeux qui se rapportent à la polyphonie, relevés par nous dans le corpus, jouent un rôle important dans le caractère ouvert et indéterminé du texte." (p.60)
"Deleuze a tendance à considérer la philosophie comme une série d’histoires à raconter. [...] Pour penser en termes de mouvement au lieu des essences fixes, la philosophie doit « devenir littérature »." (p.63-64)
"La polyphonie du texte se rapporte à l’idée que Deleuze et Guattari font du philosophe : il n’est lui-même le sujet de son énonciation et de son énoncé qu’en tant qu’une enveloppe d’un discours collectif qui le traverse. Une multitude de voix et de personnages conceptuels, adoptés quelquefois des sources littéraires, parle dans son discours. [...] La particularité de Mille plateaux semble alors résider dans le fait qu’il ne fait pas de distinction entre les personnages fictifs et les personnages réels, les deux participant à pied d’égalité à la polyphonie du texte. La littérature, comme nous l’avons suggéré, n’est pas traitée comme un univers extérieur et séparé de celui dans lequel opère la philosophie." (pp.65-66)
-Helsingin Yliopisto, "« Toutes sortes de voix dans une voix ». Le discours rapporté dans Mille plateaux de G. Deleuze et F. Guattari", Mémoire de master de philologie française, Département des langues modernes, Université de Helsinki, Mars 2019, 71 pages.
"Nous présumons que les propriétés textuelles ne constituent pas une réalité extérieure et supplémentaire par rapport à ce qui serait considéré comme le contenu proprement philosophique. Au contraire, nous chercherons à démontrer que les traits du texte, y compris le discours rapporté, font partie de la pensée elle-même." (p.2)
"Au lieu de bâtir un système clos, comme le fait la philosophie traditionnelle, les auteurs proposent un système ouvert dans lequel les concepts ne se rapportent pas aux essences fixes (Somers-Hall, A. Bell & Williams 2018 : 2–3 ; Deleuze 1990 : 48). La question primordiale n’est plus : qu’est-ce qu’une chose ?, mais comment ?, quand ? ou dans quel cas ?" (p.3)
"Pour se détourner d’une philosophie des essences, les auteurs mettent en scène une multitude de concepts qui forment des réseaux sans constituer une structure déterminée, tels
que l’agencement, la territorialisation et la déterritorialisation, la stratification, les lignes de fuite, les devenirs-animaux, ou le corps sans organes [...] Or, à côté de l’abondance conceptuelle, la manière dont est composé Mille plateaux est d’une importance presque égale. Comme nous l’avons constaté, le livre se divise en plateaux – ainsi, selon De Beistegui (2018 : 9), les parties du livre sont comme des formations géologiques et le livre en soi comme une carte qui peut se lire de différentes manières. Les plateaux ne se succèdent pas dans une logique linéaire mais, en résonnant entre eux dans de multiples directions, ils peuvent, comme le suggèrent Deleuze et Guattari (MP : 33), être lus dans n’importe quel ordre." (p.3)
"Ils avancent l’idée d’un livre-rhizome qui ne représente pas le monde mais qui « fait rhizome avec le monde » (MP : 18), s’y connecte de multiples façons. Le rhizome, concept fondamental dans Mille plateaux, renvoie à un ensemble d’éléments hétérogènes qui ne sont pas dans une relation hiérarchique les uns par rapport aux autres, un ensemble qui n’a ni début ni fin et qui ne procède pas par pas par filiation mais par alliance." (p.4)
"Comme la philosophie se repose toujours sur la médiation du langage, on peut se demander si les mots qui constituent un texte de philosophie sont une simple surface transparente qui réfère à une réalité et à une vérité extérieures au discours. Les expérimentations stylistiques mettent en question cette présupposition en rendant manifestes la matérialité et l’opacité du langage (Haines 2015 : 542). Dans cette perspective-là, l’orientation littéraire et stylistique de Deleuze et Guattari consisterait à remettre en question
l’idée du discours philosophique comme l’ouvrage d’un sujet unifié, rationnel et souverain qui utilise le langage dans sa fonction référentielle pour révéler des vérités en dehors du discours." (p.5)
"Le concept de discours rapporté englobe, selon Rosier (2008 : 1), les formes langagières qui attribuent un fragment de discours à autrui. Derrière cette formulation simple se cache une réalité diverse, car la représentation du discours d’autrui a été abordée dans plusieurs cadres théoriques et les aspects mis en valeur varient selon le contexte. L’étude des traits
grammaticaux et linguistiques a abouti à une classification sur la base des traits formels ; c’est ainsi que les quatre types canoniques, à savoir discours direct rapporté, discours indirect rapporté, discours direct libre et discours indirect libre, ont été identifiés." (p.6)
"La pensée de Deleuze et Guattari n’adhère pas à une philosophie traditionnelle des essences. En revanche, les auteurs s’efforcent à penser à des choses en tant qu’agencements qui, composés d’éléments hétérogènes, affichent des tendances vers le changement et vers la stabilité [...] Dans cette optique-là, les phénomènes de stratification, qui consistent à « former des matières, à emprisonner des intensités ou à fixer des singularités dans des systèmes de résonance et de redondance » (MP : 54), correspondent à la tendance vers la stabilité, la structure et l’organisation.
Le lexique que Deleuze et Guattari appliquent pour rendre compte de la formation des strates est adopté de la linguistique. D’abord, ils empruntent à Hjelmslev les notions de matière, contenu, expression, forme et substance dont le linguiste a, comme ils le constatent (MP : 58), établi une grille pour rendre compte des strates dans le langage. Or, si Hjelmslev désigne par le terme de matière une masse informe de pensée dont les différentes langues configurent le sens, Deleuze et Guattari l’emploient pour désigner la matière au sens général (Bogue 2018 : 48–49). Ainsi, ils transforment le schéma sémiologique de Hjelmslev en ontologie (Bogue 2018 : 49). La Terre est traversée de cette matière informe qui, n’étant pas fixe et immobile, a des propriétés d’auto-organisation et d’autodifférenciation, c’est-à-dire de stratification (MP : 54 ; Bogue 2018 : 49).
Un autre apport d’une théorie linguistique est fait pour rendre compte des processus de formation des strates. La stratification passe par une double articulation, terme provenant de
Martinet, chez qui il désigne la distinction entre morphèmes, unités signifiantes les plus petites, et phonèmes, qui sont les unités les plus petites qui permettent de différencier des significations sans avoir de signification en soi (Bogue 2018 : 48). Deleuze et Guattari appliquent cette notion pour illustrer la composition des strates en général, la première articulation correspondant à la constitution du contenu et la seconde, à la constitution de l’expression(MP : 54, 58). Dans le schéma complexe que bâtissent Deleuze et Guattari, le contenu et l’expression ont tous les deux une forme et une substance, et les différents processus qui organisent la matière en strates sont désignés par des termes comme codage et décodage ou territorialisation et déterritorialisation.
L’exemple le plus simple que fournissent Deleuze et Guattari (MP : 55) de la stratification est la formation des roches sédimentaires. La stratification ne concerne pourtant pas seulement la formation des strates géologiques : comme le remarque Bogue (2018 : 47), le choix du terme est significatif car il renvoie déjà dans son sens général non seulement à un phénomène géologique mais aussi à l’organisation d’une structure sociale hiérarchique.
Deleuze et Guattari distinguent en effet trois types de stratification : physique, organique et alloplastique, ou humaine. Leur tâche est de démontrer que des phénomènes aussi différents que la prise de forme de la matière inorganique, l’évolution des espèces ou le langage humain peuvent être décrits en s’appuyant sur les mêmes concepts. Selon les termes de Bogue [...] la double articulation est un phénomène qui couvre toute organisation de matière sur tous les niveaux, de sorte que l’humain n’est qu’un produit des processus de stratification. Le terme ‘alloplastique’ que Deleuze et Guattari emploient au lieu de ‘humain’ réfère au fait que le propre de l’homme est de pouvoir entraîner des modifications sur les autres strates (en grec, allos = autre)." (pp.29-30)
"Le contexte du texte est tellement inhabituel qu’il est difficile d’imputer avec certitude le discours au protagoniste. Les ambiguïtés liées à l’attribution de la parole peuvent aussi être prises, selon les termes de Mellet, pour une cohabitation de voix. Plutôt que de se partager entre des locuteurs distincts, le discours semble souvent glisser d’une voix à une autre de sorte qu’il est impossible de distinguer entre les différents sujets parlants. Le pronom ‘nous’, qui en principe ancre le discours à une certaine situation d’énonciation, change de référent au cours du texte." (pp.46-47)
"Les phénomènes abordés au sein de disciplines comme la chimie cellulaire sont examinés d’une manière détaillée, si bien qu’un lecteur qui n’est pas spécialiste de ces domaines peut avoir du mal à suivre le fil de la pensée." (p.59)
"En se défaisant des conventions de genre qui, en général, participent à la configuration du sens, le plateau 3 rend impossible une lecture totalisante qui traiterait le texte soit comme une simple parodie, soit comme un traitement scientifique sérieux. Comme nous l’avons suggéré, Mille plateaux refuse d’être traité comme un livre clos auquel on pourrait attribuer un sens définitif. Les différents enjeux qui se rapportent à la polyphonie, relevés par nous dans le corpus, jouent un rôle important dans le caractère ouvert et indéterminé du texte." (p.60)
"Deleuze a tendance à considérer la philosophie comme une série d’histoires à raconter. [...] Pour penser en termes de mouvement au lieu des essences fixes, la philosophie doit « devenir littérature »." (p.63-64)
"La polyphonie du texte se rapporte à l’idée que Deleuze et Guattari font du philosophe : il n’est lui-même le sujet de son énonciation et de son énoncé qu’en tant qu’une enveloppe d’un discours collectif qui le traverse. Une multitude de voix et de personnages conceptuels, adoptés quelquefois des sources littéraires, parle dans son discours. [...] La particularité de Mille plateaux semble alors résider dans le fait qu’il ne fait pas de distinction entre les personnages fictifs et les personnages réels, les deux participant à pied d’égalité à la polyphonie du texte. La littérature, comme nous l’avons suggéré, n’est pas traitée comme un univers extérieur et séparé de celui dans lequel opère la philosophie." (pp.65-66)
-Helsingin Yliopisto, "« Toutes sortes de voix dans une voix ». Le discours rapporté dans Mille plateaux de G. Deleuze et F. Guattari", Mémoire de master de philologie française, Département des langues modernes, Université de Helsinki, Mars 2019, 71 pages.