http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1968_num_66_91_5445
"La pensée nietzschéenne se caractérise par une violente réaction anti-intellectualiste. Une des notions principales où celle-ci se manifeste, est celle de chaos. Le monde, c.-à-d. l'étant en totalité, qui s'articule comme volonté de puissance, n'est nullement une totalité empreinte de sens, ni un organisme (ein Organismus), ni un processus gigantesque de devenir qui serait finalisé par un but ultime, une cause finale. Le monde est essentiellement chaos.
Toutefois le concept de chaos a chez Nietzsche, en particulier d'après l'interprétation heideggérienne, un sens propre et nuancé. Qu'on se garde du caractère unilatéral dont ce concept est revêtu aussi bien dans l'irrationalisme que dans l'intellectualisme. On ne peut le voir autrement que comme désordre absolu et opacité sans faille. Un concept-limite d'une telle vision nous semble être la conception sartrienne de l'en-soi. Sans doute l'absence de sens, le manque d'ordre appartiennent-ils au chaos nietzschéen, mais celui-ci implique aussi la volonté de puissance comme principe de la position de valeurs. Il est la vie qui devient, le dynamisme se transcendant sans cesse, vie et dynamique qui sont par conséquent origine de valeur et partant d'intelligibilité.
L'interprétation heideggérienne de Nietzsche offre quant à la notion de chaos une particularité surprenante. Heidegger trouve pour la portée du concept de chaos une lumière intéressante dans l'étymologie du mot. Chaos (en grec), explique-t-il, vient du verbe chainô, ce qui signifie Gähnen = baîllir, auseinanderklaffen = s'ouvrir brusquement. Il s'agit, prétend Heidegger, de voir les rapports entre Chaos et alètheia. L'explique originelle de l'essence de l'alètheia comme der sich öffnende Abgrund doit être prise en considération. Nous voilà en plein paradoxe ! D'après Heidegger le chaos nietzschéen ne serait pas tellement éloigné de l'alètheia. Il faudra évidemment distinguer méticuleusement cette dernière de l'intelligibilité de l'être telle que la conçoit l'intellectualisme de quelque nature qu'il soit (réalisme ou idéalisme).
L'enjeu de la thèse du monde comme chaos est au fond la réaction contre toute espèce de Vermenschung de l'être, d'anthropomorphisme ontologique. Anthropomorphisme que d'admettre une forme immanente dans l'étant. Anthropomorphisme que d'attribuer à l'étant la finalité. Anthropomorphisme enfin que de qualifier le monde comme rationnel. Et sommet de l'anthropomorphisme que de défendre une thèse aussi fantastique que celle qui soutient que tout le rationnel est réel et tout le réel rationnel."
"La métaphysique de Nietzsche est, dans l'interprétation heideggérienne, l'accomplissement de la métaphysique. Elle épuise les possibilités de son essence. L'oubli de l'être et l'identification de l'être et de l'étant, devaient irrémédiablement aboutir à la priorité ontologique de l'étant qu'est l'homme, c'est-à-dire de la subjectivité. La métaphysique de la subjectivité devait, à son tour, nécessairement aboutir à la métaphysique de la subjectivité absolue de la volonté de puissance."
"A la suite de Platon, toute métaphysique a admis l'existence d'un monde suprasensible, un monde de l'être véritable, qui fonde ontologiquement le monde du devenir. D'après elle le monde suprasensible constitue une vérité éternelle en soi, qui est absolue, c'est-à-dire, non relative à ce qui la conditionnerait. Or, selon l'intuition fondamentale de Nietzsche, les mondes suprasensibles ne signifient pas autre chose que des ensembles de positions de valeurs, ensembles qu'il faut comprendre en fonction de la volonté de puissance et par conséquent comme relatifs à elle."
"Le nihilisme de Nietzsche, comme l'a très bien vu E. Fink, inclut sa philosophie de l'histoire. Le nihilisme n'est pas seulement une histoire, ni le trait fondamental de l'histoire occidentale, mais il est la logique de cette histoire, sa loi."
"Le monde qui s'articule comme volonté de puissance n'a pas de valeur. Il est, comme il a été dit, chaos. Cela signifie qu'il n'a, considéré dans son ensemble, ni but ni sens."
"Il se trouve, prétend Heidegger, que, par sa thèse de l'éternel retour du même, Nietzsche prend rang parmi les métaphysiciens occidentaux et même parmi les platoniciens. En effet, explique-t-il, l'éternel retour du même constitue la présence de ce qui est par essence instable en tant que tel dans la plus haute stabilité, dans le cercle de l'éternel retour. Car l'éternel retour du même est fixité et présence permanente. Chez Nietzsche, prétend Heidegger, être et devenir ne divergent qu'en apparence."
"Avec Descartes naît la conception de la vérité comme certitude. Ici a lieu le renversement important de la vérité comme représentation assimilatrice à la vérité comme certitude de la conscience. La vérité est à comprendre dans la perspective de l'idée de subjectivité. L'homme est devenu l'unique sujet, l'unique hypokeimenon véritable. Il est l'étant par lequel tout étant en tant que tel peut être "justifié". L'homme est le fondement et la mesure de la vérité. L'accueil d'un eidos situé en dehors de la conscience par exemple est remplacé par la per-ception, la possession d'un objet de conscience. Même Hegel conserve la vérité comme certitude."
"La pensée nietzschéenne se caractérise par une violente réaction anti-intellectualiste. Une des notions principales où celle-ci se manifeste, est celle de chaos. Le monde, c.-à-d. l'étant en totalité, qui s'articule comme volonté de puissance, n'est nullement une totalité empreinte de sens, ni un organisme (ein Organismus), ni un processus gigantesque de devenir qui serait finalisé par un but ultime, une cause finale. Le monde est essentiellement chaos.
Toutefois le concept de chaos a chez Nietzsche, en particulier d'après l'interprétation heideggérienne, un sens propre et nuancé. Qu'on se garde du caractère unilatéral dont ce concept est revêtu aussi bien dans l'irrationalisme que dans l'intellectualisme. On ne peut le voir autrement que comme désordre absolu et opacité sans faille. Un concept-limite d'une telle vision nous semble être la conception sartrienne de l'en-soi. Sans doute l'absence de sens, le manque d'ordre appartiennent-ils au chaos nietzschéen, mais celui-ci implique aussi la volonté de puissance comme principe de la position de valeurs. Il est la vie qui devient, le dynamisme se transcendant sans cesse, vie et dynamique qui sont par conséquent origine de valeur et partant d'intelligibilité.
L'interprétation heideggérienne de Nietzsche offre quant à la notion de chaos une particularité surprenante. Heidegger trouve pour la portée du concept de chaos une lumière intéressante dans l'étymologie du mot. Chaos (en grec), explique-t-il, vient du verbe chainô, ce qui signifie Gähnen = baîllir, auseinanderklaffen = s'ouvrir brusquement. Il s'agit, prétend Heidegger, de voir les rapports entre Chaos et alètheia. L'explique originelle de l'essence de l'alètheia comme der sich öffnende Abgrund doit être prise en considération. Nous voilà en plein paradoxe ! D'après Heidegger le chaos nietzschéen ne serait pas tellement éloigné de l'alètheia. Il faudra évidemment distinguer méticuleusement cette dernière de l'intelligibilité de l'être telle que la conçoit l'intellectualisme de quelque nature qu'il soit (réalisme ou idéalisme).
L'enjeu de la thèse du monde comme chaos est au fond la réaction contre toute espèce de Vermenschung de l'être, d'anthropomorphisme ontologique. Anthropomorphisme que d'admettre une forme immanente dans l'étant. Anthropomorphisme que d'attribuer à l'étant la finalité. Anthropomorphisme enfin que de qualifier le monde comme rationnel. Et sommet de l'anthropomorphisme que de défendre une thèse aussi fantastique que celle qui soutient que tout le rationnel est réel et tout le réel rationnel."
"La métaphysique de Nietzsche est, dans l'interprétation heideggérienne, l'accomplissement de la métaphysique. Elle épuise les possibilités de son essence. L'oubli de l'être et l'identification de l'être et de l'étant, devaient irrémédiablement aboutir à la priorité ontologique de l'étant qu'est l'homme, c'est-à-dire de la subjectivité. La métaphysique de la subjectivité devait, à son tour, nécessairement aboutir à la métaphysique de la subjectivité absolue de la volonté de puissance."
"A la suite de Platon, toute métaphysique a admis l'existence d'un monde suprasensible, un monde de l'être véritable, qui fonde ontologiquement le monde du devenir. D'après elle le monde suprasensible constitue une vérité éternelle en soi, qui est absolue, c'est-à-dire, non relative à ce qui la conditionnerait. Or, selon l'intuition fondamentale de Nietzsche, les mondes suprasensibles ne signifient pas autre chose que des ensembles de positions de valeurs, ensembles qu'il faut comprendre en fonction de la volonté de puissance et par conséquent comme relatifs à elle."
"Le nihilisme de Nietzsche, comme l'a très bien vu E. Fink, inclut sa philosophie de l'histoire. Le nihilisme n'est pas seulement une histoire, ni le trait fondamental de l'histoire occidentale, mais il est la logique de cette histoire, sa loi."
"Le monde qui s'articule comme volonté de puissance n'a pas de valeur. Il est, comme il a été dit, chaos. Cela signifie qu'il n'a, considéré dans son ensemble, ni but ni sens."
"Il se trouve, prétend Heidegger, que, par sa thèse de l'éternel retour du même, Nietzsche prend rang parmi les métaphysiciens occidentaux et même parmi les platoniciens. En effet, explique-t-il, l'éternel retour du même constitue la présence de ce qui est par essence instable en tant que tel dans la plus haute stabilité, dans le cercle de l'éternel retour. Car l'éternel retour du même est fixité et présence permanente. Chez Nietzsche, prétend Heidegger, être et devenir ne divergent qu'en apparence."
"Avec Descartes naît la conception de la vérité comme certitude. Ici a lieu le renversement important de la vérité comme représentation assimilatrice à la vérité comme certitude de la conscience. La vérité est à comprendre dans la perspective de l'idée de subjectivité. L'homme est devenu l'unique sujet, l'unique hypokeimenon véritable. Il est l'étant par lequel tout étant en tant que tel peut être "justifié". L'homme est le fondement et la mesure de la vérité. L'accueil d'un eidos situé en dehors de la conscience par exemple est remplacé par la per-ception, la possession d'un objet de conscience. Même Hegel conserve la vérité comme certitude."