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    Albert Thibaudet, Les Romantiques et les Parnassiens de 1870 à 1914

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Albert Thibaudet, Les Romantiques et les Parnassiens de 1870 à 1914 Empty Albert Thibaudet, Les Romantiques et les Parnassiens de 1870 à 1914

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 8 Juin - 16:18

    http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Romantiques_et_les_Parnassiens_de_1870_%C3%A0_1914

    « La guerre civile la plus sanglante de l’histoire de France. »

    "La gloire que, durant ce même quart de siècle, connut Paul Déroulède se légitime mieux, et fait partie du climat des années quatre-vingts. Il figura la poésie patriotique parce qu’on le connaissait comme le poète patriote, et que les Chants du Soldat étaient les chants d’un soldat courageux dont on savait les sacrifices tangibles à la patrie. Ils puisaient leur prestige dans une destinée voulue, consacrée tout entière à l’entretien du patriotisme et à un service aussi militaire que pouvait le fournir un officier devenu civil par accident physique. Ils étaient gauches, oratoires, étrangers aux coupes et aux artifices parnassiens, mais leur allant, leur pas de chasseur à pied, leur sincérité, leur appel direct aux sentiments de tous, leur valurent une diffusion immense. Les écoliers les apprenaient, et en 1914 ils habitaient encore la mémoire de milliers de territoriaux. Écrits pour former la génération de la revanche, ils ne prétendaient pas lui survivre, ils n’ont même pas survécu, comme livre, à l’affaire Dreyfus, qui limita à un parti politique l’influence de Déroulède." (p.842)

    "Mais qu’il s’agisse de la passion amoureuse ou de la passion civique, la passion, dans la poésie française, n’a guère survécu au romantisme. [...] C’était tout le romantisme qui avait continué à tenir la poésie pour l’exaltation de ce qui tient au cœur humain, individuellement, nationalement, politiquement, religieusement. Les Parnassiens, en se déclarant impassibles, en jouant sur cette question de la passion, et contre elle, les destinées de la poésie, ont engagé et marqué l’avenir, notre présent. Puis le symbolisme est venu, qui a tordu le cou à l’éloquence poétique. Qu’il y ait là une diminution, ceci ne nous permet pas d’en douter, que la fin de la poésie de combat a entraîné à bref délai la fin du grand combat pour la poésie." (p.843-844)

    p.849.

    "La vérité est que les Fleurs du Mal transforment et retournent le romantisme, avec ces trois ferments, aujourd’hui encore agissants une poésie chrétienne, une poésie urbaine, une poésie critique.

    Une poésie, chrétienne et une vraie ! Une vraie, c’est-à-dire le contraire de la poésie chrétienne à la Chateaubriand, qui était décorative, glorieuse, lyrique. Pas de christianisme vrai sans la conscience du péché, le sens du péché, un sens dont on ne sait comment Baudelaire s’est trouvé le posséder comme Pascal. Or, s’il existe bien en France, pour les philosophes, un grand pays de vie intérieure venu des Grecs, d’autre part il semble que la vibration poétique, l’appel à la sensibilité générale et au lecteur commun, ne coïncident, dans cet ordre de la vie intérieure, qu’avec des thèmes chrétiens, même si ces thèmes ne font que servir de mythe, et si la croyance authentique ne donne pas. Le péché originel, ses récurrences personnelles, les drames de l’enfer et du ciel, l’examen de conscience, la confession, la damnation et le salut, le démon et la Madone, sont poétisés intérieurement et réellement par les
    Fleurs du Mal, comme ils l’ont été extérieurement et décorativement par le Génie du Christianisme. Les grands romantiques, et même Vigny dans le Mont des Oliviers, ont fait un usage poétique des idées chrétiennes. Baudelaire, et cela nous introduit dans un autre monde, en fait une profession poétique, voisine de la confession religieuse.

    Une poésie urbaine. Né à Paris comme Musset, brûlé jeune comme lui par la vie de Paris, transposant comme lui ce feu en poisons, Baudelaire a succédé complètement à Musset comme poète de la vie profonde de Paris, Victor Hugo restant le poète de ses fêtes, de ses épiphanies. La poésie de Baudelaire suit « les plis sinueux des vieilles capitales ». Elle donne une voix au péché multiplié qui y coule, à ses lumières et à ses fards, à ses luxures et à ses secrètes pensées. Elle ne les « chante » pas, elle les vit. Les
    Fleurs du Mal les traitent en profondeur et les exposent en réalité, comme les Méditations ou les Contemplations ont fait des lacs, des forêts et de la mer, comme Racine a fait de la cour. Sans Baudelaire, Musset serait aujourd’hui beaucoup plus grand, car Baudelaire l’a déclassé : le Paris de Musset est devenu le Paris factice que les étrangers voient au café, le Parisien de Musset est retombé en acteur romantique, cependant que le cœur mis à nu de Baudelaire devenait, dans Paris, le cœur même de l’homme moderne.

    Enfin une poésie critique, la poésie d’un esprit critique. Comme il a compris Delacroix et Wagner, Baudelaire a compris l’homme de son temps. Il l’a vu en analyste, et non plus, comme les romantiques, en lyrique généreux. Son sentiment chrétien de la vie pécheresse est enté sur la clairvoyance dure et sur la sensualité lucide du XVIIIe siècle. Après Baudelaire il faudra exiger de plus en plus des poètes non pas des « idées », mais une intelligence critique révolutionnaire, un
    non ! plus fort infligé à l’habitude, au conformisme, au tout fait."
    -Albert Thibaudet, Les Romantiques et les Parnassiens de 1870 à 1914, La Revue de Paris, 1933.


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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