http://www.academia.edu/3595499/_De_l_homme_%C3%A0_la_mati%C3%A8re_pour_une_ontologie_difficile._Marx_avec_Simondon._
"Selon Simondon, la distinction ontologique entre matière et forme serait dérivée du modèle fourni par une activité humaine déterminée : le travail. Mais cette activité aurait été conçue par Aristote de façon extérieure par rapport à l’expérience technique directe de l'artisan, qui travaille la matière et en connaît les formes toujours singulières. Ceci aurait condamné Aristote à transposer dans le champ ontologique et épistémologique - sous la forme de la dualité matière/forme – ce qui est au départ une relation sociale hiérarchique."
"L’individuation… est entièrement traversé par l’effort de combattre le mythe de la passivité de lamatière - bien avant le seuil au-delà duquel on rencontre les êtres vivants."
"La position de Simondon devrait nous permettre de déconstruire tout le discours philosophique impliquant que les hommes, grâce aux machines, exercent leur pouvoir libre sur une matière dont ils subiraient autrement les lois éternelles. Un autre discours est peut-être possible, dans lequel la relation entre l’homme et la matière serait une interaction médiée par les machines en tant qu’épicentres du système. Dans une telle perspective, tout dualisme de l’homme et de la matière serait inévitablement abandonné, dans le but de décrire les systèmes sociaux au sein desquels différents processus et différentes modalités relationnelles sont entrelacés comme des couches relatives à différents types d’objets ou, si l’on préfère, de sujets. Si ce qui importe est la primauté ontologique des processus, ce qui existe en acte est toujours un système de processus d’individuation dans lequel les individus structurés ne sont pas simplement classés selon des essences génériques ou spécifiques. C'est à partir d’une telle vue anti-essentialiste que Simondon entend développer son « ontologie difficile » - ainsi que je l’ai nommée - du collectif, en concevant un système social ouvert par une continue relance de l'invention à travers la réactivation des schèmes de la technicité, totalement indisponibles aux mythologies mystificatrices qui caractérisaient, selon Simondon, les trois modèles technocratiques dominants : pragmatisme, communisme marxiste et national-socialisme. Car ces derniers supposent tous l'existence d'un point de vue – tout à fait idéal, voire imaginaire – propre à une subjectivité humaine qu'une anthropologie devrait définir. Au contraire, la lutte contre l’indistinction conceptuelle sur laquelle ces « doctrines » s’appuient pour produire « l’assoupissement des foules »exige une particulière attention épistémologique, qui pousse à la reformulation continue du concept d’homme et du concept de matière."
"Le thème de la technicité a tendance à occuper, dans son œuvre, la place vide du conflit (et donc de la subjectivité politique). Ceci est peut-être ce qui fait que ses écrits les plus « politiques » adoptent une perspective œcuménique et écologiste qui frôle parfois l'ingénuité."
"Ce qui joue une véritable fonction démystificatrice et anti-idéologique, parce qu’anti-identitaire dans l’œuvre de Simondon, c’est surtout l’épistémologie qu’il présente dans L’individuation… Cette épistémologie anti-identitaire va en effet jusqu'à démanteler des « couples conceptuels » (forme/matière, actif/passif, sujet/objet, liberté/nécessité) qui régissent depuis des siècles de fausses alternatives, à tous niveaux : physique, chimique, psychologique et sociologique. Mais surtout, l'épistémologie de L'individuation… déconstruit cette machine conceptuelle qu’est l'opposition ontologique entre liberté et nécessité, institution clé d'une prétendue « différence ontologique » entre l'homme et la matière. Et Simondon veut démonter cette machine sans réduire l’homme à un supposé déterminisme naturel.
Pour accomplir une telle opération conceptuelle, on doit abandonner la perspective d’une défense à tout prix de la position stratégique que non seulement l’anthropologie, mais aussi Bergson et même Canguilhem, assurent à l’homme. C’est précisément par rapport à cela que la pensée de Simondon me semble se montrer capable de dépasser le cadre des réflexions proposées par Canguilhem lui-même : on pourrait rappeler le changement de sens que Simondon donne au concept d’ « historicité » dans L’individuation… Ce concept, traditionnellement utilisé dans le but d'établir une « différence ontologique » entre l’homme et l’animal, fait l'objet dans sa thèse d’un élargissement qui le projette sur tous les champs de l’être, bien au-delà des limites que les sciences humaines lui imposent. Ce que Simondon appelle « historicité » est précisément l’événementialité qui marque tout processus d'individuation : physique, chimique, biologique, et pas seulement psycho-social."
"Une théorie politique cohérente avec une philosophie de l’individuation exige plutôt la reconfiguration continue de la notion de matière et, conjointement, une anthropogenèse dans le double sens de découverte et d'invention du domaine de l’humain. Voilà comment la philosophie de Simondon pourrait induire, encore une fois, une pensée matérialiste, mais ni déterministe ni, peut-être, dialectique."
-Andrea Bardin, “De l’homme à la matière, pour une ontologie difficile. Marx avec Simondon.”, Cahiers Simondon, n° 5, 2013, p. 25-43
"Selon Simondon, la distinction ontologique entre matière et forme serait dérivée du modèle fourni par une activité humaine déterminée : le travail. Mais cette activité aurait été conçue par Aristote de façon extérieure par rapport à l’expérience technique directe de l'artisan, qui travaille la matière et en connaît les formes toujours singulières. Ceci aurait condamné Aristote à transposer dans le champ ontologique et épistémologique - sous la forme de la dualité matière/forme – ce qui est au départ une relation sociale hiérarchique."
"L’individuation… est entièrement traversé par l’effort de combattre le mythe de la passivité de lamatière - bien avant le seuil au-delà duquel on rencontre les êtres vivants."
"La position de Simondon devrait nous permettre de déconstruire tout le discours philosophique impliquant que les hommes, grâce aux machines, exercent leur pouvoir libre sur une matière dont ils subiraient autrement les lois éternelles. Un autre discours est peut-être possible, dans lequel la relation entre l’homme et la matière serait une interaction médiée par les machines en tant qu’épicentres du système. Dans une telle perspective, tout dualisme de l’homme et de la matière serait inévitablement abandonné, dans le but de décrire les systèmes sociaux au sein desquels différents processus et différentes modalités relationnelles sont entrelacés comme des couches relatives à différents types d’objets ou, si l’on préfère, de sujets. Si ce qui importe est la primauté ontologique des processus, ce qui existe en acte est toujours un système de processus d’individuation dans lequel les individus structurés ne sont pas simplement classés selon des essences génériques ou spécifiques. C'est à partir d’une telle vue anti-essentialiste que Simondon entend développer son « ontologie difficile » - ainsi que je l’ai nommée - du collectif, en concevant un système social ouvert par une continue relance de l'invention à travers la réactivation des schèmes de la technicité, totalement indisponibles aux mythologies mystificatrices qui caractérisaient, selon Simondon, les trois modèles technocratiques dominants : pragmatisme, communisme marxiste et national-socialisme. Car ces derniers supposent tous l'existence d'un point de vue – tout à fait idéal, voire imaginaire – propre à une subjectivité humaine qu'une anthropologie devrait définir. Au contraire, la lutte contre l’indistinction conceptuelle sur laquelle ces « doctrines » s’appuient pour produire « l’assoupissement des foules »exige une particulière attention épistémologique, qui pousse à la reformulation continue du concept d’homme et du concept de matière."
"Le thème de la technicité a tendance à occuper, dans son œuvre, la place vide du conflit (et donc de la subjectivité politique). Ceci est peut-être ce qui fait que ses écrits les plus « politiques » adoptent une perspective œcuménique et écologiste qui frôle parfois l'ingénuité."
"Ce qui joue une véritable fonction démystificatrice et anti-idéologique, parce qu’anti-identitaire dans l’œuvre de Simondon, c’est surtout l’épistémologie qu’il présente dans L’individuation… Cette épistémologie anti-identitaire va en effet jusqu'à démanteler des « couples conceptuels » (forme/matière, actif/passif, sujet/objet, liberté/nécessité) qui régissent depuis des siècles de fausses alternatives, à tous niveaux : physique, chimique, psychologique et sociologique. Mais surtout, l'épistémologie de L'individuation… déconstruit cette machine conceptuelle qu’est l'opposition ontologique entre liberté et nécessité, institution clé d'une prétendue « différence ontologique » entre l'homme et la matière. Et Simondon veut démonter cette machine sans réduire l’homme à un supposé déterminisme naturel.
Pour accomplir une telle opération conceptuelle, on doit abandonner la perspective d’une défense à tout prix de la position stratégique que non seulement l’anthropologie, mais aussi Bergson et même Canguilhem, assurent à l’homme. C’est précisément par rapport à cela que la pensée de Simondon me semble se montrer capable de dépasser le cadre des réflexions proposées par Canguilhem lui-même : on pourrait rappeler le changement de sens que Simondon donne au concept d’ « historicité » dans L’individuation… Ce concept, traditionnellement utilisé dans le but d'établir une « différence ontologique » entre l’homme et l’animal, fait l'objet dans sa thèse d’un élargissement qui le projette sur tous les champs de l’être, bien au-delà des limites que les sciences humaines lui imposent. Ce que Simondon appelle « historicité » est précisément l’événementialité qui marque tout processus d'individuation : physique, chimique, biologique, et pas seulement psycho-social."
"Une théorie politique cohérente avec une philosophie de l’individuation exige plutôt la reconfiguration continue de la notion de matière et, conjointement, une anthropogenèse dans le double sens de découverte et d'invention du domaine de l’humain. Voilà comment la philosophie de Simondon pourrait induire, encore une fois, une pensée matérialiste, mais ni déterministe ni, peut-être, dialectique."
-Andrea Bardin, “De l’homme à la matière, pour une ontologie difficile. Marx avec Simondon.”, Cahiers Simondon, n° 5, 2013, p. 25-43