"Qu’il soit très difficile et peut-être impossible de trouver des prises de position politiques explicites dans les écrits de Simondon, c’est bien là ce qui permet d’expliquer le débat concernant la signification politique de sa philosophie de l’individuation et de sa philosophie de la technique, développées respectivement dans L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information (ILFI) et Du mode d’existence des objets techniques (MEOT). D’une part il y a ceux qui (comme Balibar, Combes ou Toscano), s’appuyant en particulier sur ILFI, ont essayé de prolonger les propos de Gilles Deleuze, pour qui cet ouvrage aurait pu fournir les bases d’une ontologie du « collectif transindividuel » capable de contrer efficacement l’individualisme méthodologique qui domine la plus grande partie de la pensée politique contemporaine. D’autre part il y a ceux qui (comme Stiegler, De Boever ou Feenberg), s’appuyant au contraire principalement sur MEOT, ont prolongé la lecture marcusienne de la relation entre technique et société chez Simondon. Mais seule une étude conjointe de ces deux textes peut nous permettre de révéler leurs véritable enjeux politiques, et d’éclairer le sens intrinsèquement politique de la pensée de Simondon."
"Un système, et ceci à tous les niveaux – physique, biologique, psycho-collectif –, peut survivre seulement s’il possède une marge suffisante d’indétermination qui lui permet de changer. Cette ouverture porte avec soi, naturellement, un risque, mais faire l’économie de ce risque signifie oblitérer la survie du système en tant que tel. Les interventions qui visent l’interruption de l’inertie automatique du système sont nécessaires pour contrer ses tendances entropiques. Dans sa théorie des systèmes sociaux, Simondon définit une telle intervention, périlleuse mais nécessaire, comme un « acte de gouvernement ». Un tel acte d’invention politique est moins un événement révolutionnaire qu’un risque « évolutif » qui doit être pris. Tant qu’une situation est riche en possibilités (i.e. métastable), un acte de gouvernement reste possible. Casser un ordre établi est toujours un acte dangereux, mais c’est un acte nécessaire pour arrêter la dissolution de l’ordre."
"Toute lecture politique du travail de Simondon doit saisir comment le problème de la technique y est posé dans la perspective de la conversion historique de la forme-travail à la demande de productivité dans le capitalisme avancé, ce qui entraîne la réduction de la technique au travail. Dans cette conjoncture, la productivité devient l’unique norme organisant la relation entre les humains et leur milieu techno-symbolique, mais aussi la relation entre les humains. Mais cette norme n’est pas inhérente au système technique, elle est plutôt la projection idéologique d’une anthropologie préindustrielle dans les technologies industrielles et post-industrielles."
"Simondon peut ainsi affirmer qu’à l’échelle globale des sociétés contemporaines, l’homme devrait être considéré comme « technicien de l’espèce humaine », car chaque intervention dans le système technique se manifeste sous la forme d’instabilités environnementales qui requièrent des reconfigurations techno-symboliques ultérieures. Le danger, de son point de vue, consiste en ceci que ces techniciens de l’humain soient seulement des technocrates ou des conservateurs, ce qui fait que la prise en charge de l’évolution technologique assume nécessairement la forme purement homéostatique et reproductive (et par conséquent entropique) soit d’une adaptation passive à finalités préétablies, soit d’une réaction idéologique active fondée sur des fins mythiques. La possibilité d’institutionnaliser l’ouverture du système technique à partir d’en bas, en commençant par programmer à nouveau les capacités cognitives individuelles vers des processus collectifs d’individuation qui puissent non seulement résister, mais aussi inventer et expérimenter dans le milieu techno-symbolique humain qu’il appelle culture, est absolument centrale dans son programme pédagogique."
-Andrea Bardin, "Simondon et la politique", 15 février 2019 : https://www.implications-philosophiques.org/non-classe/simondon-et-la-politique/
https://www.academia.edu/28504032/LE_SENS_DE_LAVENIR_Exigences_et_apories_du_politique_chez_Simondon
https://journals.openedition.org/appareil/2373
"Un système, et ceci à tous les niveaux – physique, biologique, psycho-collectif –, peut survivre seulement s’il possède une marge suffisante d’indétermination qui lui permet de changer. Cette ouverture porte avec soi, naturellement, un risque, mais faire l’économie de ce risque signifie oblitérer la survie du système en tant que tel. Les interventions qui visent l’interruption de l’inertie automatique du système sont nécessaires pour contrer ses tendances entropiques. Dans sa théorie des systèmes sociaux, Simondon définit une telle intervention, périlleuse mais nécessaire, comme un « acte de gouvernement ». Un tel acte d’invention politique est moins un événement révolutionnaire qu’un risque « évolutif » qui doit être pris. Tant qu’une situation est riche en possibilités (i.e. métastable), un acte de gouvernement reste possible. Casser un ordre établi est toujours un acte dangereux, mais c’est un acte nécessaire pour arrêter la dissolution de l’ordre."
"Toute lecture politique du travail de Simondon doit saisir comment le problème de la technique y est posé dans la perspective de la conversion historique de la forme-travail à la demande de productivité dans le capitalisme avancé, ce qui entraîne la réduction de la technique au travail. Dans cette conjoncture, la productivité devient l’unique norme organisant la relation entre les humains et leur milieu techno-symbolique, mais aussi la relation entre les humains. Mais cette norme n’est pas inhérente au système technique, elle est plutôt la projection idéologique d’une anthropologie préindustrielle dans les technologies industrielles et post-industrielles."
"Simondon peut ainsi affirmer qu’à l’échelle globale des sociétés contemporaines, l’homme devrait être considéré comme « technicien de l’espèce humaine », car chaque intervention dans le système technique se manifeste sous la forme d’instabilités environnementales qui requièrent des reconfigurations techno-symboliques ultérieures. Le danger, de son point de vue, consiste en ceci que ces techniciens de l’humain soient seulement des technocrates ou des conservateurs, ce qui fait que la prise en charge de l’évolution technologique assume nécessairement la forme purement homéostatique et reproductive (et par conséquent entropique) soit d’une adaptation passive à finalités préétablies, soit d’une réaction idéologique active fondée sur des fins mythiques. La possibilité d’institutionnaliser l’ouverture du système technique à partir d’en bas, en commençant par programmer à nouveau les capacités cognitives individuelles vers des processus collectifs d’individuation qui puissent non seulement résister, mais aussi inventer et expérimenter dans le milieu techno-symbolique humain qu’il appelle culture, est absolument centrale dans son programme pédagogique."
-Andrea Bardin, "Simondon et la politique", 15 février 2019 : https://www.implications-philosophiques.org/non-classe/simondon-et-la-politique/
https://www.academia.edu/28504032/LE_SENS_DE_LAVENIR_Exigences_et_apories_du_politique_chez_Simondon
https://journals.openedition.org/appareil/2373