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    Emmanuel, Questions quodlibétiques

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Emmanuel, Questions quodlibétiques Empty Emmanuel, Questions quodlibétiques

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 7 Juin - 15:42

    https://lesopinionsdesphilosophes.wordpress.com/2016/10/22/questions-quodlibetiques-partie-2/

    Texte très intéressant,
    Je commence à être en désaccord à partir de la Section II de la partie 1, où vous écrivez : « Pour sortir de cette mauvaise passe, la philosophie n’a semble-t-il qu’une alternative : soit elle en revient à la nature des Anciens, soit elle s’efforce de trouver un meilleur substitut à cette nature. Ce substitut ne peut être, efficacité de justification oblige, que « l’histoire » en ce sens qu’elle seule donne aux « faits » un sens. »
    Aussi bien conceptuellement qu’historiquement, cela me semble être une fausse antinomie : on peut (et on a pu) évacuer la notion antique de la nature au profit d’une conception moderne de la nature, elle-même différente et plus en moins novatrice selon les auteurs et les périodes.
    Il s’ensuit que je ne vous accorderais pas que « seule la philosophie classique oppose une résistance parfaitement justifiée au nihilisme et au relativisme de toute époque ». Au mieux, je pourrais éventuellement être d’accord qu’une telle résistance implique la reprise de certains éléments de la philosophie prémoderne, mais il faudrait entrer dans le détail concret pour en débattre.

    "La « loi naturelle » n’est pas une « loi écrite », mais elle n’est pas non plus une « loi orale » si l’on voulait entendre par-là une « tradition » humaine qui devrait être pensée séparément de la vie politique, bref, la « loi naturelle » n’est pas non plus une quelconque loi religieuse. Si elle nous apparaît ainsi à première vue, c’est que nous la pensons trop souvent comme Antigone l’a pensée, en s’opposant et pour s’opposer à Créon, aux exigences propres de la vie politique. Tels que les classiques la pensent, ou la donnent à penser, la « loi naturelle » est l’expression intellectuelle de l’ordre des choses, telle que celle-ci permette à l’homme comme individu et à la communauté politique dans son ensemble de se mettre et de se conduire sur le chemin qui conduit à ses fins, ou d’accomplir la destinée humaine."

    "Elle n’est pas une « loi rationnelle », mais elle est l’expression  intellectuelle la plus poussée, telle que celle-ci se déploie dans la nature (qui est son fondement et son principe), et dont le propos est d’examiner la nature. La « loi naturelle » n’est donc jamais une « loi de la nature ». Nous n’avons pas une connaissance immédiate de la « loi naturelle », et c’est en cela qu’elle est une expression intellectuelle. Nous n’avons qu’un pressentiment de la « loi naturelle », que nous exprimons et laissons exprimer dans nos opinions morales et politiques, sur ce qui est bon et juste, ou mal et injuste. Mais l’expression de la « loi naturelle » est le résultat d’une quête intellectuelle, qui vise le vrai au-delà des opinions. Cette quête et cette expression est  la philosophie elle-même, son chemin en tant qu’il est tracé par sa fin."
    -Emmanuel, Questions quodlibétiques (Partie 2), IV, 22 octobre 2016.

    "Nul n’a exprimé plus clairement qu’Aristote à quoi ressemblerait une philosophie politique générale (incluant son éthique et sa politique plus proprement dit) qui s’établirait dans la tradition socratique. On prend souvent de nos jours Aristote pour un « pragmatique », qu’on oppose au soi-disant « idéalisme » platonicien. Quoiqu’il en soit de l’interprétation de Platon, et de celle du Socrate de Platon, on ne saurait dire à coup sûr faire d’Aristote un politicien, ni un partisan de la « raison d’Etat » (au sens large où nous l’avons fait entrer dans la conversation). Il y a au contraire, une hiérarchie des fins, du point de vue de la nature, et nous devons toujours viser la justice dans nos actions, soit individuelles soit politique. Mais Aristote sait bien qu’il peut y avoir des cas extrêmes, des situations exceptionnelles qui justifient des moyens drastiques, loin de ce que la justice politique exige la plupart du temps. L’homme politique avisé saura faire ce qu’il se doit, selon la justice. Il se peut bien que la justice requiert parfois des actions qui en d’autres temps seraient injustes."

    "En ce qui concerne les « choses politiques » il semble que le premier à avoir rejeté explicitement la philosophie politique des « classiques » soit Machiavel. Machiavel est en quelque sorte le premier théoricien de la « raison d’Etat » : son Prince est un catalogue de recettes en vue de conserver et accroître le pouvoir, et il faut concevoir  ce but tel qu’il est déconnecté de tout idéal de justice naturelle. Machiavel est véritablement pragmatique : il ne pense qu’en termes d’efficacité politique."

    "Chez Thrasymaque et chez les sophistes en général, ou pour mieux le dire, chez les « conventionnalistes » Antiques comme les Epicuriens, la société civile, la vie politique, le domaine de la convention de manière générale sont au contraire dépréciés, et le mode de vie convenable à l’homme apparaît comme celui du jardin, ou celui de la duplicité sophistique de l’individu « affranchi » de la convention mais dont la demeure se trouve toujours sur les terres de la convention. Il y a, quoiqu’il en soit, un égal mépris pour « la justice » et la question socratique « qu’est-ce que la justice » chez eux comme chez Machiavel."

    "Selon Aristote, la situation politique concrète peut exiger que soit prises des mesures qui en temps ordinaires seraient une offense à la justice. La différence est que ces mesures exceptionnelles sont toujours pensées ou devraient toujours être prises afin de viser à la justice elle-même. Il est juste de protéger la communauté politique de ses ennemis, qui pourraient se montrer particulièrement retords et qu’il faudrait bien imiter pour en venir à bout. Les « classiques » ne se sont jamais fait une vision « idéaliste » du métier politique. Mais ils pensaient qu’en tout temps, il vise la justice et ne doit jamais y faillir. Pour Machiavel, la « vertu » du Prince n’a rien de juste, elle est un art nécessaire à tout moment comme si tous ces moments étaient également en besoin d’un tel art. Plus précisément, Machiavel pense en fait que l’essence des « choses politiques » et les recettes d’action à tirer de cette considération, se laissent plus facilement saisir à considérer les situations les plus tourmentées, celles-ci étant les plus révélatrices, car les choses humaines sont trop changeantes pour qu’on puisse en tirer des règles générales. Tout doit donc se passer comme si la communauté était en état de guerre permanent, comme si le pouvoir était toujours en danger, pour que les seules options sérieusement envisageables soient la fondation, le maintien du pouvoir ou son expansion."
    -Emmanuel, Questions quodlibétiques (Partie 3), VI, 26 octobre 2016.

    "On serait amené à penser que l’origine de l’individualisme de la philosophie politique moderne se déploie en écho de ses sources historiques, dans l’ « idéalisme » de la pensée prémoderne, soit plus précisément, du stoïcisme et de l’épicurisme des humanistes, et surtout, de la logico-métaphysique occamienne."
    -Emmanuel, Questions quodlibétiques (Partie 6), IX, 11 novembre 2016.

    "La réponse adéquate au nihilisme comme distinct d’un simple scepticisme, ou comme vivant de relativisme, ne peut être que celle qui consiste, non seulement à découvrir un « ordre moral », mais à le dé-couvrir comme l’ordre qui s’impose à la pensée : l’ordre naturel, celui qu’exprime la loi naturelle et la destinée humaine ; non pas un ordre moral bêtement saisissable dans l’histoire, ni une morale pensée par une pensée « idéaliste » (un principe abyssal), ni l’ordre moral historico-pensée d’un « idéalisme historiciste » qui « fait-réalité-morale » (un principe qui se fait subjectivement fondement); il nous faut pour cela re-trouver le réel (ce qui est naturel et moral), c’est-à-dire plus profondément –et ce point est capital : en partir, car on ne le re-trouve qu’à condition de reconnaître qu’il se trouve (un fondement-principe qui est)."

    "Nous avons bon espoir de pouvoir réconcilier l’aspect individuel et l’aspect politique de la liberté humaine."

    "Une action fille de l’ignorance n’est pas libre, car elle nous conduit vers une conséquence que nous ne voulions pas comme telle, nous qui cherchions le bien et conduisions notre action selon cette fin ; notre action n’est pas libre, qui nous échappe, qui s’échappe malgré nous. Le prudent, et surtout le sage, sont bien plus libres que l’ignorant, qui savent mieux que lui ce qu’ils font. Il y a donc, de ce point de vue, des degrés de liberté, derrière les actions humaines, qui dépendent des hommes eux-mêmes."

    "Il ne suffit pas pour être pleinement libre de ne pas être contraint, ou d’avoir une volonté. Il faut encore que l’homme n’agisse pas contre lui-même, que sa nature dynamique (ou érotique) le demeure, soit qu’elle soit constamment orientée vers ses fins naturelles. Il n’y a pas de destinée humaine qui soit sans liberté humaine ; la destinée humaine n’est suivie/connue qu’en toute liberté, et la liberté humaine n’est telle que suivant la destinée humaine. Tel est l’ordre naturel."

    "Dans toute cette tragique « réalité » fort contemporaine, il semble n’y avoir plus de place pour un régime politique où se déploie pleinement pour s’accomplir la liberté humaine, au sens antique et – croyons-nous – authentique. De ce point de vue, on pourrait et on devrait, même, parler d’une « civilisation homicide », en décrivant les réalisations de l’ « idéal libéral »."
    -Emmanuel, Questions quodlibétiques (Partie 7), X, 25 novembre 2016.

    "La « nature » des modernes n’est pas ce qui se donne à voir, puis à penser, elle n’est pas ce qui est (to oti), mais elle est « ce qui est » tel que cela est cause-causé et pensé à travers le prisme rationnel de la causalité (to dioti). A cet égard, quoiqu’il en soit des différences entre tous les penseurs du « droit naturel » moderne, tous sont d’accord pour concevoir « la nature » et la « nature humaine » selon cette logique de l’efficacité : non plus « la nature ne fait rien en vain » (c’est-à-dire : sans qu’il y ait une fin assignable à tout mouvement de toute substance, chez Aristote), mais « la nature ne fait rien qui ne soit efficace » (il n’y rien qui ne soit déterminé selon une ligne d’efficience). Le déterminisme causal est soit clairement affirmé par elle (Hobbes, Spinoza), soit plane sur la philosophie politique moderne comme un spectre (Locke, Rousseau). Ce déterminisme causal qui fait « la nature » fait déjà l’histoire, et l’historicisme en ce sens que nulle autre « nature » n’est plus pensable, ni par conséquent, nulle « loi naturelle » qui dépende d’une telle « nature » autre et autrement pensée."

    "Il n’y a pas chez Spinoza, de coupure entre l’ « état de nature » et la vie politique : parce que le pouvoir d’une essence et son « droit naturel » coïncident tout à fait. Il y a cependant une différence qualitative, ou pour ainsi dire, en termes de « bonté », entre telle ou telle autre formation politique, de même qu’entre tel ou tel mode de vie proprement humain. La vie bonne et la vie politique la meilleure est celle conforme à la raison, par opposition, non pas d’avec la « nature », la « nature humaine », le « droit naturel », ou encore, les passions humaines (vertus ou vices) qui sont autant d’expressions du « désir » ou du « pouvoir » de « la nature », mais en opposition d’avec l’imagination. L’imagination, qui nous fait « nous figurer une chose comme présente », est le véritable contraire de la raison. Ainsi, l’imagination est-elle la cause humaine trop humaine de la religion, par exemple, des religions issues de la tradition biblique. La vie bonne et la vie politique la meilleure sont celles qui ne sont pas fondées sur l’imagination, mais sur la raison, qui est connaissance et conformité à la fois d’avec « la nature », mieux, qui est la « nature » et sa pouvoir intrinsèque. La raison est la réalité-même, Dieu ou « la nature », comme essence et puissance. La vie politique la meilleure est ainsi la parfaite réalisation de la raison, c’est-à-dire de « la nature ». Jamais sans doute il ne pouvait être affirmé avec autant de force que la « loi naturelle » n’est autre que le déploiement « non entravé » de la « nature », de « la nature humaine », bref, du « droit naturel » moderne ainsi conçu."
    -Emmanuel, Questions quodlibétiques (Partie 8 ), XI, 26 décembre 2016.

    "Nous ne voulons pas dire que l’ « idéalisme » propre à la philosophie moderne soit la source du « relativisme », par le nihilisme dans lequel elle gît, mais qu’elle échoue à lui barrer tout à fait la route, en raison de son nihilisme de fond."

    "La philosophie a fait défection face à l’ancien adversaire sophiste, voire, celui-ci a pris le contrôle de la place. On pourrait suivre à la trace dans le domaine de la philosophie politique et morale, le triomphe posthume de Protagoras, en observant l’installation dans la cité philosophique du sens proprement hédoniste du thème du bonheur et de la vie bonne. En son sens moral en effet, la formule de Protagoras en revient à exprimer une doctrine selon laquelle il n’appartient à tout un chacun que de vivre comme il lui plaît, ou de se porter que vers ce vers quoi il est tour à tour porté par lui-même et lui seul, selon une nature rigoureusement individualisée et dûment neutralisée en tout ce qu’elle pourrait impliquer qui dépasse ce simple mécanisme de la poursuite par chacun de son « bon plaisir »."

    "Kant veut nous conduire sur la route du « progrès moral », parce qu’il en pince pour la morale, Dieu et lui savent pourquoi, car il semble bien normal, voire bien « naturel » que l’homme s’en passe, ou qu’il se passe d’une morale non-hédoniste."

    "Par hédonisme nous entendrons donc toute doctrine qui prône un mode de vie tel consistant en ce que chacun recherche le plaisir, ou plus profondément, qui identifie le bien à l’agréable du point de vue de la destinée humaine, ou qui pense que le mode de vie propre à l’homme et proprement humain est celui qui permet de vivre une vie de plaisir, ou qui affirme que l’acquisition par l’homme de ce qui fait son plaisir est l’élément essentiel faisant son bonheur."

    "L’épicurisme se représente la vie politique comme le fruit de la convention, c’est-à-dire de l’ « humanité » de l’homme à l’exclusion de sa « naturalité ». En nous exprimant ainsi, nous faisons se manifester un point d’accord entre Locke et l’épicurisme : le caractère non-naturel de la vie politique. Mais il est d’autant plus évident que ce point d’accord est un foyer de divergence, car l’épicurisme en tire une conclusion diamétralement opposée à celle qu’en tire Locke, à savoir, qu’il n’est pas bon pour l’homme qu’il participe à la vie politique."

    "L’homme qui cherche véritablement son avantage est d’abord celui qui raisonne bien, c’est-à-dire qui est capable de faire le calcul des peines et du plaisir que lui procurera telle ou telle action, tel ou tel choix, tel ou tel objet de choix. Evidemment, une telle capacité de raisonnement suppose plus largement, ou s’insère dans une capacité intellectuelle primordiale par rapport à elle, à savoir, celle qui permet la connaissance du but de la vie, ou de la destinée humaine, ou pour le dire plus précisément, la connaissance de ce que la nature humaine est telle qu’elle doit être « tendue » vers la saisie de son avantage (et plus profondément encore : la connaissance de ce que la nature humaine « tend » vers la saisie d’un tel avantage. Car si elle n’y « tendait » pas, quelle légitimité aurait-on à vouloir l’y faire tendre ?). C’est ainsi que la philosophie, dans le cadre d’une doctrine hédoniste, est perçue comme un instrument éthique de premier ordre : en ce qu’elle permet d’établir une telle connaissance, tandis qu’en même temps, la philosophie est une chose de deuxième ordre : en ce qu’elle n’est qu’un instrument au service de l’éthique hédoniste."

    "Tout hédonisme a besoin, pour ne pas verser dans « l’hédonisme vulgaire », de faire reposer la morale et la moralité qu’il prône sur la raison humaine. Il tend par-là à considérer que la « nature érotique de l’homme » consiste essentiellement en sa raison."

    "Il n’y aura donc de bien humain et moral en hédonisme que ce en quoi consiste l’avantage de chaque-un, et dont la forme est révélée par la raison. C’est dire que la raison y tient lieu de la nature humaine en tant que principe ou mesure de la vie bonne. Et c’est encore dire que la raison est le principal constitutif de l’homme : c’est voir l’homme tel qu’il se révèle d’abord un « dualisme » entre sa raison et « le reste » de ce qui le constitue, tel que ce « reste » n’apparaît comme tel que du point de vue de la raison. (Insistons sur le fait qu’un tel « dualisme » n’interdit aucunement qu’il ne soit pensé par ailleurs comme un effet de la pensée elle-même, et que l’on puisse donc en toute cohérence, le penser comme devant s’abolir en un « monisme » de fond, selon l’expression duquel en définitive, « la nature » toute entière ou l’homme en particulier est tout d’un même métal. Nous n’avons donc pas à nous soucier immédiatement de savoir si l’hédonisme est un « matérialisme » ou son contraire, ou un savant mélange des deux, pour le cerner sur le plan et d’un point de vue de philosophie morale)."

    "Les « classiques » répondaient à tout hédonisme suivant deux lignes sur le plan exclusivement moral : 1) La vertu ou les vertus ne sont pas la raison ni les expressions de la raison, mais les dispositions naturelles (hexis) de la nature humaine  ou l’ensemble de ces dispositions, et ultimement, l’accomplissement de ces dispositions en excellences (arèté); et 2) Notre nature n’est pas notre raison, ni même notre intellect, mais notre intellect (et partant ce que nous pourrions appeler notre raison) est une partie de notre nature. De cela, on peut tirer une troisième ligne d’opposition : 3) Notre « désir naturel » est comme ce qui en nous cor-respond à nos fins, ou notre tendance au bien au sens proprement moral comme au sens plus vaste qui fait de lui l’accomplissement réel de notre nature. Enfin, les « classiques » s’accordaient avec l’hédonisme des sophistes, quoique cet accord ne se fasse que sur des fondements différents en un sens radicalement différent, sur ce point que le logos est la partie la plus digne de la nature humaine, et partant, l’intellectualité est l’aspect le plus important dans la conduite de la vie humaine. Il faut cependant noter que les « classiques » pensaient une telle intellectualité comme une fin majeure de la vie humaine bien conduite plutôt que comme le nécessaire point de départ de la vie bonne. Pour le dire plus simplement, les « classiques » ne pensaient pas que « bien penser » soit « le principe de la morale », pour reprendre la formule de Pascal, mais plutôt que la vie bonne, au sens le plus fort de cette expression, consiste en l’accomplissement de l’intellectualité humaine, ce qu’ils nommaient philosophie. Pour commencer à comprendre ce que nous voulons dire par-là, on peut déjà prendre la mesure de ces faits que les « classiques » ne réduisaient pas l’éducation morale à la philosophie, ni ne faisaient du cursus studiorum philosophique son point de départ ; ou encore et surtout, qu’ils ne sont jamais adressés en morale, en philosophie morale, à « l’homme rationnel » ni à la seule « raison » en l’homme."

    "Spinoza refuse toute explication finaliste de ce qui est, et que du même coup il refuse toute conception du désir comme tension vers son objet. Cette « essence désireuse » qu’est l’homme spinoziste tient alors lieu de notre nature désirante comme fondement de notre mouvement et de notre conduite vers l’objet de notre désir. Cette substitution d’une « nature désireuse » à la nature des « choses humaines » n’est pas seulement une opposition théorique, elle est aussi une opposition pratique. Car une telle substitution empêche l’homme qui la vit de se mettre en conformité avec ces exigences de sa nature, et ultimement, elle l’empêche de le faire « en connaissance de cause » soit de la manière la plus excellente."

    "Tout hédonisme « philosophique » vit d’un « idéalisme » de fond, qui consiste à ignorer la principialité de ce qui est, ou plus précisément, les conséquences de la principialité de ce qui est. Car il lui faut bien accepter que ce qui est principe, au moins « en son ordre », mais « l’idéalisme » refuse d’en tirer la conséquence que ce qui est est principe de notre connaissance (à raison : il ne peut pas en être ainsi vu que la cohérence exige que l’on maintienne la séparation entre les deux ordres de la raison et de ce qui est). Il préfère poser une dualité entre ce qui est et la raison, même s’il est obligé de poser par ailleurs que ces deux ordres sont rigoureusement « parallèles » (Spinoza), et surtout, même s’il est contraint de penser que « l’ordre du tout » est tel qu’il est susceptible d’une compréhension rationnelle intégrale, soit : fonctionne selon ce que l’on appelle depuis Leibniz le « principe de causalité » et surtout, le « principe d’identité »."

    "Nous savons que notre position implique, théoriquement et pratiquement, que l’on ne puisse pas démontrer ce qui est ou relève de l’évidence. Ce qui est est et est tel qu’il se donne à voir, et on ne peut le voir autrement qu’à le regarder autrement, ou à ce que notre regard manque à la lumière. Qu’on ne puisse pas démontrer que ce qui est est, ou le caractère évident de l’être de ce qui est constitue d’ailleurs une très bonne raison de ne pas s’engager sur la voie de l’ « idéalisme », car nul de sensé ne voudrait s’avancer sur un chemin qu’il sait d’avance être une impasse. Or la voie qu’emprunte l’ « idéalisme » est précisément celle qui le forcera à « prouver » que ce qui est est, afin que la principialité qu’il confère à « la raison » ne puisse pas être mise en défaut."

    "Ce qui est est bon en son ordre ; l’être est la mesure de la bonté. Parce que l’être bon ou la bonté ne peut véritablement se dire que de l’être."

    "Qu’est-ce donc que le bien ? Le bien est la convenance entre les étants, ou ce qui convient selon l’ordre du tout. Le bien, au sens le plus ardent, est la fin, ou l’être accompli de l’étant qui tend vers elle, c’est-à-dire déjà, les vertus-excellences dans le cas de l’homme. Mais encore, le bien est l’ordre du tout lui-même. La vie bonne est ainsi la vie d’excellence, celle qui conduit l’homme à son accomplissement, à l’accomplissement de sa nature désirante ; elle est cette vie qui se déploie conformément à la destinée humaine, cette destinée humaine qui se dessine à l’examen de l’ordre du tout. Le bien est le caractère bon de ce qui est, au regard de ce qui est, des actions humaines conformes à ce qui est y compris (et des actions humaines en premier lieu, vu l’être de la philosophie), tant dans leur aspect personnel que dans leur aspect politique. Enfin, et par-dessus tout, le bien c’est l’être-même. A la vue de ce qu’est le bien, il apparaît trop clairement que tout hédonisme échoue à le penser et à le proposer. Son « avantage », ou les différentes formes de son « bon plaisir » qu’il prône sont bien loin de pouvoir s’y substituer ou d’en rendre une image fidèle. Nous ne pouvons ici mieux faire que de nous répéter, en espérant que notre formule puisse rendre désormais un son plus juste : l’hédonisme n’est ni vrai ni bon, car il vit et fait vivre de l’ignorance de ce qui est vrai et bon."
    -Emmanuel, Questions quodlibétiques (Partie 9), XIII, 2 mars 2017.
    https://lesopinionsdesphilosophes.wordpress.com/2017/03/02/questions-quodlibetiques-partie-9/comment-page-1/#comment-510

    "Il faut en fait, se mettre en quête de ce qu’est la « loi naturelle », ou mieux, l’ordre des choses, et le bien humain (individuel et politique) que toute construction politique et sociale se doit de respecter."
    -Emmanuel, Du sexe des anges en politique, 6 octobre 2016.


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