https://fr.wikipedia.org/wiki/Guy_Di_M%C3%A9o
« La géographie sociale ne se confond pas avec la description des espaces dans lesquels évoluent les sociétés. Elle ne se borne pas à l’étude des répartitions humaines et à la classification des paysages, ce qui est plutôt le propos de la géographie humaine. Elle ne s’arrête pas à « l’étude de la distribution dans l’espace des phénomènes sociaux » (G. W. Hoke, The Study of Social Geography, 1907). Elle ne se contente pas, non plus, de repérer les inégalités sociospatiales et les formes d’injustice qu’elles produisent. Comme l’ont écrit Armand Frémont (La géographie sociale, 1984), puis Jean-Bernard Racine (Geographica Helvetica, 1986), « l’objet de la géographie sociale est –avant tout- l’étude des rapports existant entre rapports sociaux et rapports spatiaux ». Elle fournit une explication des faits géographiques de caractère social.
Rappelons que les rapports sociaux naissent et se développent dans le cadre de la production, du travail, de la parenté, de l’amitié, des loisirs et de toute forme d’échange ou de rencontre caractérisant et accompagnant la vie sociale. Ce sont des rapports consensuels, neutres ou conflictuels, spontanés ou codifiés. Ils concernent l’ensemble des relations que tout individu entretient, de manière formelle (sociabilité déclinant rôles et statuts normalisés : père, fils, étudiante, professeur…) ou informelle (sociabilité plus aléatoire des croisements et des rencontres fortuites : le voisin, la boulangère, la passante…), au cours de son existence. Ils forment la charpente et le contenu de la vie sociale.
Quant aux rapports spatiaux, ils correspondent aux liens que les individus et les groupes tissent avec les espaces géographiques, les paysages, les lieux et les territoires où ils vivent, qu’ils parcourent ou qu’ils se représentent. Certains relèvent de l’affect et de la culture, convoquent l’imaginaire, parfois l’idéologie : se sentir d’ici ou de là, de ce lieu particulier, Breton, Français, Européen ; mais aussi considérer Lourdes ou La Mecque comme des lieux saints et sacrés… D’autres rapports spatiaux sont fonctionnels et économiques (être client de tel centre de services, travailler dans cette usine), politiques et juridiques (être électeur ou élu de cette commune, propriétaire de cette ou de cette maison). […]
La géographie sociale aborde aussi les relations de l’être humain aux lieux. Ceux-ci façonnent celui-ci, au même titre que le tissu des rapports sociaux et spatiaux. En retour, chaque regard humain contribue à sécréter la substance des lieux, soit leur contenu et leur forme. » (p.7-
« Cette géographie s’attache à ne jamais isoler de ses racines sociales la manifestation spatiale d’un phénomène culturel. Derrière la variété des cultures, mettre l’accent sur les structures sociospatiales qui les engendrent et qui les portent leur masque permet de relever, partout, la présence de valeurs humaines universelles (universaux). A ce titre, la géographie sociale est bien un humanisme. » (p.10)
« L’explication sociale reste longtemps le parent pauvre d’une science géographique empreinte de naturalisme. » (p.11)
« Bien qu’historien, Lucien Febvre, auteur en 1922 d’un ouvrage intitulé La Terre et l’évolution humaine, fut sans doute le premier théoricien francophone de la géographie. » (p.11)
« Pierre George (L’environnement, 1971) le définissait comme un « système de relations entre des dynamiques sociales, économiques, spatiales et un champ de forces physico-chimique et biologique ».
Disons, en résumé, que si le milieu met plus l’accent sur les forces biophysiques qui s’exercent sur les humains, l’environnement place plutôt ceux-ci au centre (acteurs) de la relation homme-nature. » (p.13)
« Dès le XVIe siècle […] l’économiste Jean Bodin avait remis en question la posture déterministe qui faisait de son temps autorité. En bon chrétien, il concevait mal un monde uniquement soumis aux caprices de ses milieux physiques et distinguait deux ordres supérieurs à la nature : la volonté divine et le libre arbitre des humains. Ce fut aussi l’un des premiers à relever un paradoxe qui met à mal le déterminisme physique : les mêmes peuples passent successivement par des périodes de grandeurs et de décadence, alors qu’ils n’évoluent dans des espaces physiques inchangés, ou simplement modifiées à la marge. Comment expliquer ce phénomène sans recourir à la responsabilité des hommes et de leurs mécaniques sociales, à celle de leurs choix économiques, politiques et idéologiques ? » (p.15)
« L’on doit sans doute à Élisée Reclus d’avoir reconnu le premier, à la fin du XIXe siècle, dans un cadre théorique clairement formulé, la capacité progressive des sociétés à contrôler l’espace physique et à se dégager de son emprise. D’esprit très indépendant, éloigné de l’institution universitaire française, il avait su se nourrir des grands courants de la pensée progressiste de son siècle : positivisme, darwinisme, marxisme, anarchisme. Il s’inspirait aussi des travaux du sociologue Frédéric Le Play. […]
Imprégnée d’histoire, la géographie sociale d’Élisée Reclus (L’homme et la terre, publié de 1905 à 1908) reposait sur l’analyse des interactions intervenant entre deux « milieux » : le « milieu statique » formé des « milieux naturels », sources de potentialités et de contraintes ; le « milieu dynamique », nécessairement changeant, constitué par l’entrelacs des rapports sociaux de tous ordres. Pour Reclus, au gré de son développement, l’humanité se libère des contraintes de la nature. Elle tend ainsi à renforcer sa maîtrise des milieux naturels et, conjointement, à consolider ses cohésions sociales. Si le progrès techniques constitue l’un des moteurs de cette évolution, la lutte des classes (influence du marxisme), les changements politiques, économiques et sociaux qu’elle suscite, contribuent aussi à cette dynamique. La vision sociale de Reclus ne disqualifiait nullement l’individu en tant qu’acteur central de ce mouvement historique. Pour lui, c’est par la somme des initiatives et des efforts personnels que la société avance et que son rapport à l’espace s’améliore, devient plus performant et plus juste. Précisons que c’est dans La Réforme sociale, journal créé en 1881 par Le Play, que l’expression de « géographie sociale », fut employée pour la première fois par Paul de Rousiers, commentant La Nouvelle Géographie universelle de Reclus, publiée entre 1875 et 1894. » (p.16-17)
« [Maximilien Sorre] invite le géographe à « se tourner vers la sociologie » (Rencontres de la géographie et de la sociologie, 1957) et trace les grandes lignes d’une fructueuse coopération interdisciplinaire. » (p.18)
« Tout pouvoir central (Etat) a besoin de relais géographiques aux échelons moyens et inférieurs de l’espace. […] C’est à ce prix que son empreinte institutionnelle a des chances de pénétrer dans l’épaisseur du tissu social. » (p.29)
« Pour P[ierre] George, « les hommes naissent inégaux en fait », mais « inégaux suivant le lieu et la société où ils naissent ». Le lieu revêt donc un sens fondamental pour qui veut comprendre les sociétés humaines. » (p.37)
« Initiée par le sociologue marxiste Henri Lefebvre (La production de l’espace, 1974), l’idée d’espace vécu a fait son chemin en géographie. » (p.40)
« Spatialités et temporalités sont insécables. » (p.63)
« Un effort considérable de l’humanité, accompli depuis des siècles, a consisté à se donner des étalons communément acceptés du temps. Au-delà de ces normes qui fonctionnent comme une grille d’interprétation du temps cosmique, les sociétés et les individus inventent des temporalités particulières. » (p.64)
« [La postmodernité] correspond à une époque et à un régime de société : les nôtres. Il s’agit du fruit, plus ou moins direct, de la « chute des murs » (fin des années 1980) et d’une mondialisation/globalisation qui s’effectue sous l’impulsion d’un néocapitalisme libéral ne rencontrant que peu d’entraves de la part de secteurs publics en très net recul. » (p.187)
-Guy Di Méo, Introduction à la géographie sociale, Armand Colin, coll. Cursus.Géographie, 2014, 189 pages.
« La géographie sociale ne se confond pas avec la description des espaces dans lesquels évoluent les sociétés. Elle ne se borne pas à l’étude des répartitions humaines et à la classification des paysages, ce qui est plutôt le propos de la géographie humaine. Elle ne s’arrête pas à « l’étude de la distribution dans l’espace des phénomènes sociaux » (G. W. Hoke, The Study of Social Geography, 1907). Elle ne se contente pas, non plus, de repérer les inégalités sociospatiales et les formes d’injustice qu’elles produisent. Comme l’ont écrit Armand Frémont (La géographie sociale, 1984), puis Jean-Bernard Racine (Geographica Helvetica, 1986), « l’objet de la géographie sociale est –avant tout- l’étude des rapports existant entre rapports sociaux et rapports spatiaux ». Elle fournit une explication des faits géographiques de caractère social.
Rappelons que les rapports sociaux naissent et se développent dans le cadre de la production, du travail, de la parenté, de l’amitié, des loisirs et de toute forme d’échange ou de rencontre caractérisant et accompagnant la vie sociale. Ce sont des rapports consensuels, neutres ou conflictuels, spontanés ou codifiés. Ils concernent l’ensemble des relations que tout individu entretient, de manière formelle (sociabilité déclinant rôles et statuts normalisés : père, fils, étudiante, professeur…) ou informelle (sociabilité plus aléatoire des croisements et des rencontres fortuites : le voisin, la boulangère, la passante…), au cours de son existence. Ils forment la charpente et le contenu de la vie sociale.
Quant aux rapports spatiaux, ils correspondent aux liens que les individus et les groupes tissent avec les espaces géographiques, les paysages, les lieux et les territoires où ils vivent, qu’ils parcourent ou qu’ils se représentent. Certains relèvent de l’affect et de la culture, convoquent l’imaginaire, parfois l’idéologie : se sentir d’ici ou de là, de ce lieu particulier, Breton, Français, Européen ; mais aussi considérer Lourdes ou La Mecque comme des lieux saints et sacrés… D’autres rapports spatiaux sont fonctionnels et économiques (être client de tel centre de services, travailler dans cette usine), politiques et juridiques (être électeur ou élu de cette commune, propriétaire de cette ou de cette maison). […]
La géographie sociale aborde aussi les relations de l’être humain aux lieux. Ceux-ci façonnent celui-ci, au même titre que le tissu des rapports sociaux et spatiaux. En retour, chaque regard humain contribue à sécréter la substance des lieux, soit leur contenu et leur forme. » (p.7-
« Cette géographie s’attache à ne jamais isoler de ses racines sociales la manifestation spatiale d’un phénomène culturel. Derrière la variété des cultures, mettre l’accent sur les structures sociospatiales qui les engendrent et qui les portent leur masque permet de relever, partout, la présence de valeurs humaines universelles (universaux). A ce titre, la géographie sociale est bien un humanisme. » (p.10)
« L’explication sociale reste longtemps le parent pauvre d’une science géographique empreinte de naturalisme. » (p.11)
« Bien qu’historien, Lucien Febvre, auteur en 1922 d’un ouvrage intitulé La Terre et l’évolution humaine, fut sans doute le premier théoricien francophone de la géographie. » (p.11)
« Pierre George (L’environnement, 1971) le définissait comme un « système de relations entre des dynamiques sociales, économiques, spatiales et un champ de forces physico-chimique et biologique ».
Disons, en résumé, que si le milieu met plus l’accent sur les forces biophysiques qui s’exercent sur les humains, l’environnement place plutôt ceux-ci au centre (acteurs) de la relation homme-nature. » (p.13)
« Dès le XVIe siècle […] l’économiste Jean Bodin avait remis en question la posture déterministe qui faisait de son temps autorité. En bon chrétien, il concevait mal un monde uniquement soumis aux caprices de ses milieux physiques et distinguait deux ordres supérieurs à la nature : la volonté divine et le libre arbitre des humains. Ce fut aussi l’un des premiers à relever un paradoxe qui met à mal le déterminisme physique : les mêmes peuples passent successivement par des périodes de grandeurs et de décadence, alors qu’ils n’évoluent dans des espaces physiques inchangés, ou simplement modifiées à la marge. Comment expliquer ce phénomène sans recourir à la responsabilité des hommes et de leurs mécaniques sociales, à celle de leurs choix économiques, politiques et idéologiques ? » (p.15)
« L’on doit sans doute à Élisée Reclus d’avoir reconnu le premier, à la fin du XIXe siècle, dans un cadre théorique clairement formulé, la capacité progressive des sociétés à contrôler l’espace physique et à se dégager de son emprise. D’esprit très indépendant, éloigné de l’institution universitaire française, il avait su se nourrir des grands courants de la pensée progressiste de son siècle : positivisme, darwinisme, marxisme, anarchisme. Il s’inspirait aussi des travaux du sociologue Frédéric Le Play. […]
Imprégnée d’histoire, la géographie sociale d’Élisée Reclus (L’homme et la terre, publié de 1905 à 1908) reposait sur l’analyse des interactions intervenant entre deux « milieux » : le « milieu statique » formé des « milieux naturels », sources de potentialités et de contraintes ; le « milieu dynamique », nécessairement changeant, constitué par l’entrelacs des rapports sociaux de tous ordres. Pour Reclus, au gré de son développement, l’humanité se libère des contraintes de la nature. Elle tend ainsi à renforcer sa maîtrise des milieux naturels et, conjointement, à consolider ses cohésions sociales. Si le progrès techniques constitue l’un des moteurs de cette évolution, la lutte des classes (influence du marxisme), les changements politiques, économiques et sociaux qu’elle suscite, contribuent aussi à cette dynamique. La vision sociale de Reclus ne disqualifiait nullement l’individu en tant qu’acteur central de ce mouvement historique. Pour lui, c’est par la somme des initiatives et des efforts personnels que la société avance et que son rapport à l’espace s’améliore, devient plus performant et plus juste. Précisons que c’est dans La Réforme sociale, journal créé en 1881 par Le Play, que l’expression de « géographie sociale », fut employée pour la première fois par Paul de Rousiers, commentant La Nouvelle Géographie universelle de Reclus, publiée entre 1875 et 1894. » (p.16-17)
« [Maximilien Sorre] invite le géographe à « se tourner vers la sociologie » (Rencontres de la géographie et de la sociologie, 1957) et trace les grandes lignes d’une fructueuse coopération interdisciplinaire. » (p.18)
« Tout pouvoir central (Etat) a besoin de relais géographiques aux échelons moyens et inférieurs de l’espace. […] C’est à ce prix que son empreinte institutionnelle a des chances de pénétrer dans l’épaisseur du tissu social. » (p.29)
« Pour P[ierre] George, « les hommes naissent inégaux en fait », mais « inégaux suivant le lieu et la société où ils naissent ». Le lieu revêt donc un sens fondamental pour qui veut comprendre les sociétés humaines. » (p.37)
« Initiée par le sociologue marxiste Henri Lefebvre (La production de l’espace, 1974), l’idée d’espace vécu a fait son chemin en géographie. » (p.40)
« Spatialités et temporalités sont insécables. » (p.63)
« Un effort considérable de l’humanité, accompli depuis des siècles, a consisté à se donner des étalons communément acceptés du temps. Au-delà de ces normes qui fonctionnent comme une grille d’interprétation du temps cosmique, les sociétés et les individus inventent des temporalités particulières. » (p.64)
« [La postmodernité] correspond à une époque et à un régime de société : les nôtres. Il s’agit du fruit, plus ou moins direct, de la « chute des murs » (fin des années 1980) et d’une mondialisation/globalisation qui s’effectue sous l’impulsion d’un néocapitalisme libéral ne rencontrant que peu d’entraves de la part de secteurs publics en très net recul. » (p.187)
-Guy Di Méo, Introduction à la géographie sociale, Armand Colin, coll. Cursus.Géographie, 2014, 189 pages.