L'Académie nouvelle

Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
L'Académie nouvelle

Forum d'archivage politique et scientifique

-25%
Le deal à ne pas rater :
PC Portable Gamer 16,1” HP Victus 16 – 16 Go /512 Go
749.99 € 999.99 €
Voir le deal

    Essai de typologie de la droite conservatrice

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
    Admin


    Messages : 20764
    Date d'inscription : 12/08/2013
    Localisation : France

    Essai de typologie de la droite conservatrice Empty Essai de typologie de la droite conservatrice

    Message par Johnathan R. Razorback Mar 9 Jan - 11:37

    https://academienouvelle.forumactif.org/f40-du-conservatisme-moderne-liberal

    https://en.wikipedia.org/wiki/Category:Conservatism_in_Europe

    https://plato.stanford.edu/entries/conservatism/#RatIdeCon

    "Pourquoi n’attacherait-on point sa cause à une tradition, puisqu’il n’est rien d’important dans les affaires humaines qui n’ait ses sources ou ses analogues dans d’autres temps ou dans d’autres lieux ?" (Louis Binaut, Des Idées libérales dans l’ancienne France. — Philippe de Commynes, Thomas Basin, le seigneur de la Roche, d’après les documens inédits récemment publiés, Revue des Deux Mondes, 2e, tome 10, 1857 (pp. 601-639), p.604).

    Introduction: Le problème de l'unité du conservatisme.
    Primat du commandement ? Problème de la désobéissance politique.

    "En 1818, Chateaubriand fonde le Conservateur, journal ultra. Après la réforme électorale de 1832, en Grande-Bretagne, qui élargissait le suffrage pour l’élection des représentants à la Chambre des Communes et donnait plus de poids aux villes, le parti tory prend le nom de Conservative party. À la même époque, l’adjectif konservativ devient d’usage courant en Allemagne." -Jérôme Grondeux, « Péguy conservateur ? », Mil neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle, 2002/1 (n° 20), p. 35-53.

    Limite au centre du conservatisme: le libéralisme (lequel trouve à sa gauche directe la social-démocratie et le radicalisme, qui forme le début de la gauche proprement dit, avec plus à gauche encore les différentes formes de socialisme et de communisme) ;

    Les trois familles de la droite:

    Définition générale de la droite: Partie de l'échiquier politique caractérisée généralement par la référence à la religion, à la tradition, à la famille, à la hiérarchie, sceptique ou hostile vis-à-vis de la modernité, de l'égalité (juridique) ; tenante d'une conception plutôt unanimiste ou "organique" de la société (religion commune, refus de la lutte des classes), mais reportant le clivage politique sur les différences entres nations et cultures. Partie ainsi nommée car elle s'est manifestée à l'origine lorsque les partis conservateurs ou réactionnaires se mirent à siéger (à partir de la Révolution française) à droite du président de l'Assemblée.

    Avant d'expliquer ce qu'est le conservatisme, il convient de délimiter, au sein de la droite, ce qu'il n'est pas:

    La frontière droite du conservatisme: la droite nationaliste (ou nationalisme*):

    *Ce choix terminologique implique: 1): que la volonté de créer un Etat-nation devrait être dénommée autrement (par exemple indépendantisme), car elle concerne une forme politique, alors que le nationalisme est un contenu ; 2): qu'il n'y a pas de nationalisme de gauche -ou de nationalisme "ouvert", comme dit Michel Winock- (il faut repenser en d'autres termes les formes de national-communisme ou encore de jacobinisme révolutionnaire).

    Les caractéristiques de la droite nationaliste.

    Elle diffère du conservatisme par la centralité qu'elle donne à une notion politique purement moderne: la Nation. D'une manière générale, si le conservatisme cherche à conserver ou à restaurer un certain nombre de traits d'Ancien Régime, le nationalisme présente des traits conflictuelles et "aventureux" (opposition "vrais français" / élites cosmopolites - étrangers, lutte grandiose contre la décadence...) ou partiellement modernistes, qui diffèrent de l'approche conservatrice. Le nationalisme est aussi fortement étatiste, ce qui n'est pas le cas de tous les conservateurs.

    "Je définis comme nationalistes, qu'il s'agisse du présent ou de périodes plus anciennes, des gens qui, à l'instigation d'un parti organisé, se proclament les vrais et les meilleurs Français en dénonçant -prétendument au nom de la nation et de ses intérêts- la présence dans notre pays d'une catégorie d'habitants qu'ils qualifient de traîtres ou d'étrangers." (Yves Lacoste, Vive la Nation. Destin d'une idée géopolitique, Fayard, 1997, 339 pages, p.16-17)

    « Le nationalisme révolutionnaire est un nationalisme populiste antilibéral menant la lutte de libération nationale et sociale contre ce qu’on nomme aujourd’hui le mondialisme. » -Alain Renault, Entretien au quotidien Présent, 25 septembre 2014.

    Certains courants de ce qui est dénommé ci-après conservatisme contre-révolutionnaire (particulièrement le "nationalisme intégral" de Maurras ou d'autres formes d'antisémitisme de droite) sont à cheval entre la droite du conservatisme et le nationalisme.

    Le nationalisme comporte un élément agressif, tournant vers l'intérieur (persécution de minorités, climat d'insécurité / suspicions / troubles politiques) et/ou l'extérieur (véhément diplomatique, militarisme).

    Le Comité Union et Progrès de la Révolution Jeune-Turque constitue un exemple de nationalisme (incluant racisme et social-darwinisme). Le Régime de Vichy constitue une autre illustration de la droite nationaliste (le bellicisme en moins, pour des raisons historiques de subordination à une puissance étrangère ayant son propre agenda). On pourrait aussi associer à ce courant Édouard Drumont, Paul Déroulède et le boulangisme, encore que le boulangisme présente des points communs avec le conservatisme social-moderne et plus spécifiquement le bonapartisme. On peut encore lui associer un Maurice Barrès, qui revendique d'ailleurs le terme.

    Le Front national appartient en bonne partie à ce courant, notamment des cadres comme Christian Bouchet (venu de l'extrême-droite européenne national-révolutionnaire). Le FN "du sud", avec une personnalité comme Marion Maréchal-Le Pen, a des similitudes avec le conservatisme de type réactionnaire. La ligne gaulliste social incarné un temps par Florian Philippot relevait quand à elle plus du conservatisme moderne-social.

    Un Pierre-Yves Rougeyron illustre bien une forme contemporaine de nationalisme républicain (on pourrait le qualifier de néo-barrésien).

    La droite nationaliste comme également une sous-famille qu'on peut dénommer droite fasciste (ou fascisme) ; Dont Gentile a donné une définition claire:

    Notons pour l'anecdote un cas de fascisme français hostile à Vichy et à l'hitlérisme, celui de Philippe Lamour.

    Figure intermédiaire à gauche: Emil Cioran (à vérifier) semble un contre-exemple, passé du fascisme de ses jeunes années à un positionnement conservateur, d'ailleurs critique de l'approche purement réactionnaire:
    « Une loi inexorable frappe et dirige sociétés et civilisations. Quand, faute de vitalité, le passé fait faillite, s’y cramponner ne sert à rien. Et pourtant, c'est cet attachement à des formes de vie désuètes, à des causes perdues ou mauvaises, qui rend pathétiques les anathèmes d’un Maistre ou d’un Bonald. Tout semble admirable et tout est faux dans la vision utopique ; tout est exécrable, et tout a l’air vrai, dans les constatations des réactionnaires. » (Emil Cioran, Joseph de Maistre. Essai sur la pensée réactionnaire, 1977).

    Ces frontières à (l'extrême)droite étant posée, j'en viens maintenant aux trois courants internes au conservatisme:

    -Le conservatisme réactionnaire (ou contre-révolutionnaire):

    "La Renaissance fut la résurrection, le culte, l'adoration fanatique du paganisme avec toutes ses idoles littéraires, artistiques, philosophiques, morales et religieuses ; la Renaissance engendra la Réforme ; la Réforme engendra l'impiété voltairienne ; l'impiété voltairienne engendra la Révolution française ; la Révolution française est le cataclysme moral le plus épouvantable qu'on ait jamais vu." (Jean-Joseph Gaume, Lettres à Monseigneur Dupanloup, évêque d'Orléans, sur le paganisme dans l'éducation, Gaume frères, 1852).

    "Cette idolâtrie des commencements, du paradis déjà réalisé, cette hantise des origines est la marque même de la pensée “réactionnaire”, ou, si l’on préfère “traditionnelle”." (Emil Cioran, Joseph de Maistre. Essai sur la pensée réactionnaire, 1977).

    Il s'agit de la droite dite contre-révolutionnaire ; rejetant toute accommodement non seulement avec la Révolution française, mais également d'autres régimes "modernes" comme le parlementarisme orléaniste ou le bonapartisme.
    ; https://fr.wikipedia.org/wiki/Cat%C3%A9gorie:Contre-r%C3%A9volutionnaire

    Le rejet de toute espèce de démocratie ou de république est un marqueur fort de ce courant, alors que des accommodements peuvent survenir dans les 2 autres types de conservatisme.

    C'est la forme de conservatisme la plus antagoniste des Lumières et du libéralisme. Ils rejettent tous les types de régime postérieures à 1789 (monarchie parlementaire, république libérale ou socialisante, césarisme militaire, dictature révolutionnaire). Imprégné d'une mentalité religieuse (laquelle doit être défendue par l'Etat, au besoin en persécutant les minorités), ils mettent volontiers en avant la faillite de la raison individuelle pour rejeter les prétentions réformatrices du libéralisme (anti-conctratualisme). Ils rejettent la liberté libérale et les doctrines qui la sous-tendent. Leur rejet de l'universalisme (libéral) les conduit souvent à un relativisme moral basé sur la diversité culturelle.

    Dans le domaine économique, ils sont plus prompts que d'autres conservateurs à manifester cette "mentalité économique d'Ancien Régime qui pense qu'entreprendre est toujours entreprendre aux dépens d'autrui." (Roger Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française, Éditions du Seuil, coll. Points, 2000 (1990 pour la première édition), 307 pages, p.71). Lorsqu'ils daignent émettre des théories économiques, ils inclinent au corporatisme et /ou au mercantilisme. De leur antilibéralisme découle un anticapitalisme, qu'ils peinent parfois à traduire en mesures concrètes. Il s'agit avant tout d'une critique culture, esthétique, philosophique et spirituelle de la modernité capitaliste et bourgeoise. Plus que les autres conservateurs (mais pas davantage que les fascistes), les réactionnaires ne manquent pas de vitupérer "l’hédonisme marchand de la société de consommation de masse" (Jason Hadjidinas (recteur de l’Université d’Athènes), Vouloir, n°10, 1984). C'est une critique "spiritualiste" de l'économie moderne, qui juge insuffisant et au fond complice l'anticapitalisme de la gauche qui "se contente de dénoncer l’exploitation économique" (Hadjidinas, ibid).

    Tension entre le modèle social féodal et l'absolutisme étatique ;

    Aile étatiste: Joseph de Maistre
    https://academienouvelle.forumactif.org/t996-jean-yves-pranchere-l-autorite-contre-les-lumieres-la-philosophie-de-joseph-de-maistre?highlight=Pranch%C3%A8re

    ; Louis de Bonald ; Donoso Cortès ;

    Augustin de Barruel ;

    Une deuxième période s'ouvre avec le parti ultra-royaliste sous la Restauration et la Monarchie de Juillet: Édouard de Fitz-James ; Mathieu de Montmorency-Laval (passé d'un conservatisme libéral au début de la Révolution à la réaction) ; Vincent-Marie Viénot de Vaublanc (qui a effectué une droitisation continue selon le même modèle que Montmorency-Laval, mais avec une période bonapartiste au milieu).

    Roger Gougenot des Mousseaux ; Antoine Blanc de Saint-Bonnet ; René de La Tour du Pin ; voire Gustave Le Bon ;

    -Charles Maurras: "Magnifique appareil militaire, sacerdotal ou doctoral qui distingue les exposés de Maistre, Bonald..." -Charles Maurras, Paru dans les Cahiers du Cercle Proudhon, n° 1 de janvier 1912 (le texte date de 1910).

    Paul-Henri Lanjuinais ; Augustin Cochin ; Charles Benoist ; Pierre Boutang ; Marcel Lefebvre (lequel déclarait: "La liberté de conscience, la liberté des cultes, la liberté de la presse, sont des libertés empoisonnées.") ; Claude Polin ;

    Par opposition tant à la Révolution qu'à Napoléon, par son ralliement à l'ultra-royalisme durant la Restauration, François-René de Chateaubriand peut être considérer comme bon représentant du conservatisme proprement réactionnaire. Néanmoins, son romantisme de type résigné diffère d'un Maistre qui croit possible un rétablissement à l'identique de l'Ancien Régime (ce qui en fait très paradoxalement un réactionnaire "optimiste"). Moins politiques, Charles Baudelaire et Jules Barbey d'Aurevilly, se réclamant de Maistre, peuvent néanmoins être mentionnés ici. Ou encore Balzac ("J’écris à la lueur de deux Vérités éternelles : la Religion, la Monarchie, deux nécessités que les événements contemporains proclament, et vers lesquelles tout écrivain de bon sens doit essayer de ramener notre pays. [...] je me range du côté de Bossuet et de Bonald." -Balzac, Avant-propos à la Comédie Humaine, juillet 1842, in Œuvres complètes de H. de Balzac, A. Houssiaux, 1855, 1, pp. 17-32, p.24). Au XXème siècle, on peut penser à un Alexandre Soljénitsyne et à sa critique chrétienne et agrarienne de la modernité et du capitalisme.

    Dans le contexte allemand, le courant völkisch (Paul de Lagarde, Julius Langbehn, etc.) peut être rattaché à ce type réactionnaire de conservatisme, ainsi que le nietzschéen Oswald Spengler (à cheval entre les völkisch et la Révolution Conservatrice, laquelle était beaucoup plus "moderne" et pour partie fasciste).

    Il pourrait être tentant de rapprocher Patrick Buisson de ce courant, quoiqu'il ait œuvré à une convergence de toutes les droites: « La droite réactionnaire, qu'on la nomme contre-révolutionnaire, légitimiste, traditionaliste ou qu'elle évolue sous la bannière du catholicisme social, s'inscrit d'emblée dans une opposition radicale, aussi philosophique que politique, au libéralisme et au capitalisme. Les choix fondamentaux en jeu sont la solidarité collective avant l'émancipation individuelle, la communauté naturelle plutôt que la sociabilité contractuelle, l'enracinement local contre le déracinement cosmopolite. Toute une littérature réactionnaire s'attache à dénoncer avec horreur les effets ravageurs de la mutation économique engendrée par la révolution industrielle, aussi bien l'exploitation du prolétariat que la dégradation morale corrélative de la bourgeoisie, les deux étant jugés contradictoires avec ce qu'exige l' "art politique", soit les conditions d'un ordre social juste. » (Patrick Buisson, La cause du peuple, Perrin, 2016).

    Figures intermédiaires à droite: Lucien Rebatet en France et Julius Evola en Italie (avec, s'agissant de ce dernier, les mêmes remarques que pour A. d. Benoist) ont eu des parcours politique évoluant de la droite contre-révolutionnaire vers la droite fasciste. La récupération par les fascismes du XXe siècle du thème contre-révolutionnaire du complot judéo-maçonnique et jacobin (remanié en complot judéo-maçonnique et bolchevik pour les besoins de la cause) illustre encore, comme l'antisémitisme dont il participe, la porosité, voire la filiation, entre droite réactionnaire et droite fasciste.

    « Rome nous offrait son exemple. Maurras lui-même expliquait souvent la belle étymologie du « fascisme », de toutes les forces de la nation réunies. Nous n’ignorions pas que Mussolini, de son côté, saluait notre vieux maître comme l’un de ses précurseurs. » (Lucien Rebatet, Les décombres).

    Citons aussi le cas d'Ernest Seillière, passé du conservatisme contre-révolutionnaire au vichysme.

    Frédéric Le Play, par son profil technocratique et sa collaboration avec Napoléon III, paraît tendre vers le conservatisme moderne-social. Notons d'un ailleurs que l'un de ses héritiers, Albert de Mun, a été classé dans ce courant, alors qu'un autre, La Tour du Pin, est resté du côté des réactionnaires. [modifier]

    -Le conservatisme moderne-social ;

    « Une suprématie de l'Etat sur l'économie n'est réalisable qu'au moyen d'une organisation unie, du type d'un Ordre. [...] Le fascisme, tout comme le communisme, a besoin d'un tel appareil pour dominer l'économie. » -Carl Schmitt, en 1929. Cité par Louis Dupeux in La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.

    Conservatisme le plus étatiste, centralisateur, autoritaire (légitimité charismatique) ; dans son évolution tardive, ce courant peut accepter la démocratie mais difficilement le libéralisme politique (il souhaite un primat du pouvoir exécutif) et a fortiori le libéralisme économique.

    D'une manière générale, l'opposition à la modernité est moins radicale chez les conservateurs "modernes-sociaux" que dans le conservatisme réactionnaire. Les appels à la tradition ou les légitimations traditionalistes du pouvoir sont plus rares dans ce courant (d'où son côté "moderne"). Les problématiques culturelles ou philosophiques les intéressent beaucoup moins que la restauration d'un pouvoir fort (monarchique ou impérial) contre le régime parlementaire, la séparation libérale des pouvoirs ou la contestation socialiste ou anarchiste de l'Etat. Les conservateurs "modernes-sociaux" n'apprécient guère le capitalisme ; ils ne sont souvent pas avares de législation "sociale" et autres règlementations visant à "rendre le capitalisme tolérable" (selon la formule d'Arnaud Teyssier à propos de Philippe Séguin, admirateur notoire du social-bonapartisme du Second Empire).

    Ce courant est richement pourvu en hommes d'Etat tels que: Napoléon Bonaparte ; Napoléon III ; Patrice de Mac Mahon ; Otto von Bismarck ; Gustav Stresemann ; Winston Churchill ; François de La Rocque ; Charles de Gaulle et une bonne part du courant gaulliste jusqu'à Philippe Séguin ;

    Aile corporatrice: Albert de Mun ;

    Pensons aussi au "gaullo-bonapartiste" Eric Zemmour (« Conservatisme et libéralisme se livrent une guerre sourde depuis des décennies : que le principe d’autorité et le respect des traditions, des enracinements et des nations, qui définit le conservatisme, est miné par le libéralisme qui fait de l’individu et du marché les seuls maîtres de notre destin. » -Eric Zemmour, « Conservateur et libéral, la grande tension », Le Figaro, 1er décembre 2016).

    Une bonne partie du catholicisme social, mais également ses variantes comme le distributivisme de G. K. Chesterton et les courants cherstertoniens jusqu'au "socialisme bleu" de John Milbank et au "Red Toryism" d'un Phillip Blond, relève du conservatisme moderne-social. D'autres catholiques sociaux, précocement démocrate comme Frédéric Ozanam ou attachés à davantage d'idées de gauche (tendance socialisantes/égalitaires), sont plutôt à ranger dans la famille des sociaux-démocrates ; la démocratie chrétienne serait ainsi, comme le principe républicain, transversale à l'axe gauche/droite. Un conservateur républicain comme Pierre de Chambrun se situe dans ces eaux-là.

    Thomas Hobbes, théoricien anti-traditionnel de l'absolutisme, semble un bon précurseur du conservatisme moderne-social, artificialité du politique, Etat absolu, nivellement des corps intermédiaires entre individu et Léviathan.

    Sans vouloir recréer des généalogies fantaisistes, le côté autocratique du conservatisme moderne-social, le positivisme juridique qu'on serait tenté d'induire du "pragmatisme" de ses hommes d'Etat, est bien dans la manière de Hobbes, pour lesquels c'est le droit positif qui crée la justice, la propriété, etc., ce qui est indissociable d'un étatisme prononcé, notamment économique: « L’État détermine de façon discrétionnaire le système des droits de propriété, garantit les contrats, produit les règles et institutions de marché, et dans cet ordre la liberté des contractants peut jouer, mais sans que l’État leur laisse la bride sur le cou : il les contrôle, à tous moments il peut intervenir, interdire, revoir les droits de propriétés, et c’est encore lui, enfin, qui anime la circulation par ses recettes et ses dépenses publiques. » (Pierre Dockès, « Hobbes et l’économique », Astérion [En ligne], 5 | 2007, mis en ligne le 13 avril).

    Thomas Carlyle, critique romantique de la révolution industrielle mais attaché aux "droits des Anglais", avec son culte de héros et sa biographie de Frédéric II de Prusse comme modernisateur et inventeur d'une nouvelle culturelle, peut être rattaché au conservatisme moderne-social.

    D'une manière général, ce courant est moderne en ceci qu'il ne jette pas sur la Révolution française l'anathème radical lancé par les contre-révolutionnaires. Ainsi de Napoléon Bonaparte, ancien rousseauiste. Ainsi de Carlyle (« L'historien anglais Carlyle célèbre à son tour la Révolution, en 1837, pour sa destruction d'un Ancien Régime corrompu. » -Jean Tulard, Jean-François Fayard & Alfred Fierro, Histoire et dictionnaire de la Révolution française. 1789-1799, Éditions Robert Lafont, coll. Bouquins, 2002 (1987 pour la première édition), 1223 pages, p.1153). Pour un Maurice Barrès ou un De Gaulle, la Révolution appartient à l'histoire française et doit être intégrée dans un récit patriotique capable de rassembler les "familles spirituelles" françaises.

    Peut-être pourrait-on ranger dans ce type de conservatisme les néo-conservateurs états-uniens. Un courant concurrent du leur, celui de Patrick Buchanan, semble en tout cas bien coller à la catégorie de conservatisme moderne-social: "Les buchananiens admettent ouvertement qu’ils sont étatistes. Ils détestent et ridiculisent le capitalisme, le laissez-faire, les marchés libres et le libre-échange, la richesse, les élites et la noblesse ; et ils promeuvent un nouveau conservatisme populiste – prolétarien en fait – qui amalgame conservatisme social et culturel avec politique économique sociale ou socialiste. Ainsi, confirme [Samuel] Francis, « alors que la gauche pourrait gagner l’américain moyen par ses mesures économiques, elle le perd par son radicalisme social et culturel, et alors que la droite pourrait attirer l’américain moyen par la loi, l’ordre et la défense de la normalité sexuelle, la morale et la religion conventionnelles, les institutions sociales traditionnelles, l’invocation du nationalisme et patriotisme, elle le perd quand elle ressasse ses vieilles formules d’économie bourgeoise »." (Hans-Hermann Hoppe, Du Conservatisme et du Libertarianisme, in Democracy, the God that failed). Notez qu'une telle position se distingue mal du nationalisme. Ajoutez-y le bellicisme, la dénonciation de la décadence des élites et le rejet de la démocratie, et vous arrivez tout naturellement au fascisme.

    Le ralliement de Carl Schmitt au parti nazi après 1933 constitue d'ailleurs un passage du conservatisme moderne-social à la droite fasciste (même si son admiration pour le fascisme italien est antérieure, elle n'a pas trouvé de traduction dans une attitude nettement anti-républicaine avant 1933) ;

    Figure intermédiaire à droite: La description suivante me paraît bien refléter la "zone" de rencontre entre les courants moderne-social et réactionnaire: "Les conservateurs se méfiaient de l’insistance mise par les libéraux sur la séparation et l’équilibre des pouvoirs, et préféraient la concentration de ces pouvoirs entre les mains d’un responsable unique, capable de « mettre de l’ordre » dans des sociétés présentées comme anarchiques, et ils s’opposaient carrément au principe de la neutralité de l’État. La forme de conservatisme que je décris ici n’entendait nullement tenir l’État à l’écart de toute activité de régénération morale. Pour la majorité de ses partisans conservateurs, cette tâche régénératrice, traditionnellement associée à l’enseignement et à l’approfondissement de la religion chrétienne, devait au contraire orienter entièrement l’action des autorités publiques." (Roberto Gargarella, « Le cycle tragique du libéralisme latino-américain (1810-1860) », Amérique Latine Histoire et Mémoire. Les Cahiers ALHIM [En línea], 11 | 2005, Publicado el 21 septiembre 2007, consultado el 07 febrero 2018).

    Citons aussi la radicalisation à droite d'un André Tardieu.

    Figure intermédiaire à gauche : Edmund Burke ;
    Par son romantisme conservateur hostile à la modernité industrielle et bourgeoise, par le fait qu'il soit (contrairement à un Montesquieu) une figure de référence pour des conservateurs contemporains (réactionnaire comme Patrick Buisson ou moderne-social comme le bonapartiste Eric Zemmour), par son soutien à l'impérialisme colonial, par son rejet catégorique de la démocratie, Burke doit être exclut en définitive du conservatisme "libéral".

    Soit dit en passant: "Conservatism’s popular association with laissez-faire capitalism is also debatable; it has been associated as much with feudal romanticism as with capitalism. Feudalism is a contested label for the economic system prevalent in Europe from after the decline of the Roman Empire until the 16th century, and which rested on the holding of land in return for labour; in France, it persisted as the ancien regime up till the French Revolution. A sympathiser with the ancien regime such as Burke could therefore be regarded as a feudal romantic. [...] Like some socialists, many 19th century conservatives reacted against industrialism and laissez-faire capitalism with a feudal nostalgia. Marx contrasted the warmth and security of feudalism with the inhumanity of capitalism, but rejected “feudal idyllics”, dismissing Disraeli and “feudal socialists” for failing to comprehend “the march of modern history”." ( https://plato.stanford.edu/entries/conservatism/ )

    Dans la mesure où Burke rejetait la doctrine des droits naturels, sa défiance envers l'Etat devrait aussi s'expliquer par une nostalgie de l'ère féodale, avec ses structures hiérarchiques et la dispersion des autorités au sein de plusieurs pôles "naturels" (“the age of chivalry is gone. That of the sophists, economists and calculators has succeeded” écrivait-il). Voir du libéralisme là-dedans revient abusivement à confondre le libéralisme avec la défense de la décentralisation, qu'on retrouve pourtant dans des courants bien distincts, comme certains courants chrétiens (non-conformistes des années 30, anarchisme de Tolstoï ou de Jacques Ellul), le maurrasisme, l'européisme façon G.R.E.C.E, ou encore chez les anarcho-collectivistes, tout particulièrement les proudhoniens (jusqu'à un Michel Onfray).

    -Le conservatisme libéral ;

    « La liberté est un état, une manière d’être, non un être réel et positif. C’est pourquoi nous voyons comment une civilisation, qui adopte la liberté pour son principe créateur sans s’inquiéter d’autre chose, n’aboutit à aucun résultat, ou à des résultats négatifs. » -L’évêque catalan Josep Torras i Bages, La Traditio Catalana, 1892.

    "[Paternalism holds that] the purpose of the state is to promote the welfare, religion and morality of its subjects, and not only to protect their rights."
    -Frederick C. Beiser.

    "La pensée conservatrice n'est pas libérale, fondamentalement."
    -Serge Audier, L'histoire des idées comme philosophie politique.

    "La marque des conservateurs, du fait même qu’ils adhèrent à une certaine vision « holiste » de l’origine des rapports sociaux et politiques, est plutôt de mélanger les deux genres, et de considérer qu’il est de la responsabilité de la puissance publique d’être le garant, même par la contrainte et la violence, du respect par tous des valeurs constitutives de la Communauté et de son identité."
    -Henri Lepage, préface à James Buchanan, Les limites de la liberté : entre l’anarchie et le Léviathan.

    Le conservatisme libéral (à ne pas confondre avec le libéralisme à tendance conservatrice) correspond plus ou moins à la droite orléaniste "libérale" de René Rémond. Les conservateurs-libéraux acceptent une partie de l'héritage de la Révolution (en général la phase de monarchie constitutionnelle, mais difficilement la république), quoi qu'avec un enthousiasme encore moins net que cela peut-être le cas chez les libéraux (libéraux-conservateurs en particuliers).

    Leur divergence d'avec le libéralisme est nettement moins forte que cela n'est le cas pour les autres courants conservateurs. Néanmoins ce "libéralisme" demeure superficiel, les "conservateurs-libéraux" n'hésitent pas à le trahir sur des points fondamental, si bien qu'on peut se demander si ce "libéralisme" ne relève pas plus d'un besoin de se différencier au sein de la droite, ou d'un calcul politique conjoncturel, plutôt que d'une véritable "synthèse" doctrinale. Ils seront donc parfois "libéraux", ou plutôt pro-marché en économie (du moins en parole) à la différence des modèles corporatistes ou étatistes des autres courants conservateurs, et plus favorable à la séparation des pouvoirs ou à une modération dans l'intervention de l'Etat, laquelle reste nécessaire pour maintenir certains idéaux ou mœurs traditionnelles, ainsi que la stabilité sociale. Comme dirait Roger Scruton: "Je n’ai jamais exprimé mon conservatisme sous forme de doctrine économique. L’accentuation sur l’économie me semblait fausse : pour moi l’enjeu principal était la culture et le sens de l’ordre moral qui avaient été minés par la révolution soixante-huitarde. J’ai ensuite évolué, le marché libre est pour moi une partie d’un ensemble plus important, la culture de la liberté et le respect des formes sociales héritées. [...] Dans le monde moderne, il y a une obligation permanente de provisionner pour ceux qui sont en bas car ils ne pourront pourvoir à leur salut par eux-mêmes dans nos énormes sociétés. Il doit y avoir une forme de redistribution pour conjurer le ressentiment. Il faut une politique de subsistance pour les plus pauvres." (Roger Scruton, Entretien avec Eugénie Bastié, 2 février 2017, http://revuelimite.fr/r-scruton-le-conservatisme-est-la-philosophie-de-lattachement )

    Leur passéisme, leur attachement aux communautés pré-industrielles, aux traditions, les poussent à critiquer ou à contester différentes formes de centralisation politique.

    Ils peuvent enfin se rallier à la démocratie, mais alors le risque est grand de franchir la frontière qui sépare le conservatisme libéral du libéralisme conservateur.

    « Tout prédestinait Montesquieu à devenir le guide spirituel de l’Amérique créole. Il était un aristocrate libéral-conservateur, intelligent, constructif, partisan des institutions anglaises bien que nullement désireux de les importer aveuglément, conscient du fait que les idées générales doivent être modifiées et atténuées selon le temps et les lieux ; averti de l’importance du temps qui seul mûrit les institutions politiques, et par-dessus tout convaincu de la valeur de la liberté plutôt que de l’égalité. En fait, il croyait à la liberté parce que, entre autres choses, elle aide à créer une saine inégalité. Ce fut Montesquieu qui apprit au monde entier la valeur d’une aristocratie dévouée au bien public, ainsi qu’il l’avait observée en étudiant, avec des yeux étrangers, l’aristocratie anglaise. Tout cela aurait suffi pour faire de Montesquieu le guide-né de la pensée créole. »
    -Salvador de Madariaga, Le déclin de l’Empire espagnol d’Amérique, Albin Michel, 1986 (1958 pour la première éditionfrançaise, 1947 pour la première édition anglaise), 522 pages, p.271.

    Héritiers des monarchomaques: http://hydre-les-cahiers.blogspot.fr/2018/02/les-monarchomaques.html

    On peut citer en France: Jean-Joseph Mounier ; Le comte de Montlosier ; La Fayette ; François Guizot ; François-Auguste Mignet ; Jacques Piou ; Louis Rougier ; Louis Baudin ; François Fillon ; Alain Juppé ; Pierre Manent ; Laetitia Strauch-Bonart. On peut aussi penser au blogueur Aristide Renou.

    En Grande-Bretagne et aux USA: David Hume ; Benjamin Disraeli ; Richard M. Weaver ; Mart Laar ; Margaret Thatcher ; Enoch Powell ; Robert Nisbet ; Roger Scruton ; Michael Oakeshott ; Irving Babbitt ; Thomas Sowell ;

    Un José Ortega y Gasset relève peut-être de cette sensibilité.

    Voir aussi Wilhelm Röpke, qui, bien qu'opposant au nazisme et économiste interlocuteur de L. v. Mises, n'était que modérément libéral de part son romantisme résigné et sa nostalgie du monde rural traditionnel (« W. Röpke, dont la critique radicale du capitalisme moderne et de la société de consommation évoque bien des pages de Arendt ou de l'École de Francfort. » -Serge Audier, Machiavel, conflit et liberté, Librairie philosophique J. Vrin, coll. Contextes, 2005, p.26).

    "A plan to resist all planning may be better than its opposite, but it belongs to the same style of politics. And only in a society already deeply infected with Rationalism will the conversion of the traditional resources of resistance to the tyranny of Rationalism into a self-conscious ideology be considered a strengthening of those resources. It seems that now, in order to participate in politics [one must have] a doctrine…. (Oakeshott 1991 [1962]: 212)"

    Frontière à droite: Je retiens l'évolution politique de Charles Benoist (1861-1931), passé d'un conservatisme libéral-républicain au conservatisme réactionnaire de l'Action française. Le catholique chilien Jaime Guzmán pose aussi d'intéressants problèmes de classification.

    Le libéralisme-conservateur, à la frontière gauche du conservatisme "libéral":

    "À titre personnel. Voilà le petit détail qui fait, je crois, que le terme « libéral-conservateur » associe deux qualificatifs qui ne sont pas situés au même niveau. « Libéral » renvoie au principe général de responsabilité et de liberté des personnes dans une société qui valorise les droits naturels, c’est-à-dire la liberté, la propriété et la sécurité, tandis que « conservateur » donne une indication sur les préférences spécifiques de la personne qui parle. Préférences que, dans un contexte libéral, elle est parfaitement en droit d’avoir, mais qui ne sauraient s’imposer à tout le monde." (https://www.contrepoints.org/2018/01/15/307423-on-etre-liberal-conservateur ).

    Exemple de libéraux-conservateurs: François-Antoine de Boissy d'Anglas ; Alexis de Tocqueville ; Alain Laurent ; Bruno Spagnoli ;

    Il y a certes bien des traits conservateurs chez un Tocqueville (défiance envers la centralisation qui, par le nivellement des élites traditionnelles, produit une massification susceptible de débouché sur la tyrannie de la majorité ou l'apathie politique ; valorisation sociale et morale du christianisme ; souci du prestige national allant jusqu'à une politique colonisatrice ; acceptation de "politiques sociales" pour contrer la progression du socialisme révolutionnaire dans la classe prolétarienne, ainsi qu'un certain scepticisme devant les effets socio-économique de la révolution industrielle ; absence de rationalisme politique qui pourrait par exemple se traduire par un libéralisme de type contractualiste).

    Tocqueville reste pourtant fondamentalement un libéral, fût-ce d'une "espèce nouvelle" (selon sa propre expression). En témoigne son enthousiasme pour la civilisation états-unienne (libérale et républicaine) et pour la Révolution française: « Messieurs, qu’est-ce qui a brisé toutes ces entraves qui de tous côtés arrêtaient le libre mouvement des personnes, des biens, des idées ? Qu’est-ce qui a restitué à l’homme sa grandeur individuelle, qui est sa vraie grandeur, qui ? La révolution française elle-même. » -Alexis de Tocqueville, Études économiques, politiques et littéraires, Michel Lévy, 1866 (Œuvres complètes, vol. IX, pp. 536-552), p.543. C'est moi qui souligne, car si l'on connaît la critique tocquevillienne de l'individualisme (entendu comme repli sur la sphère privée, laissant le champ libre à la croissance étatique), elle n'implique aucunement un rejet de la liberté des Modernes au profit d'une conception organicisme ou traditionaliste de l'ordre politique et social, mais bien plutôt une double valorisation de la participation civique-démocratique et du lien privé associatif (y compris des liens confessionnels). Quand à sa défense de la liberté, elle semble aussi de fondements "rationalistes" (jusnaturalisme, utilitarisme) que de références à la tradition.

    Est-il besoin de souligner l'écart entre cette position et celle d'un Burke, d'un Montlosier, etc. ?
    Notons du reste que Tocqueville était détesté de l'Action française pour sa thèse suivant laquelle la Révolution n'était que la conséquence inéluctable de la centralisation monarchique. Une thèse pourtant partagée par un contre-révolutionnaire comme Evola.

    Autres conservateurs non-classés (par manque de connaissances de leurs positions précises et peut-être aussi en raison des limites de la typologie proposée): Simón Bolívar ; Hegel ; Friedrich Nietzsche ; Ernest Renan ; Georges Clemenceau ; Emmanuel Mounier ; Denis de Rougemont ; Jacques Ellul ; Alain de Benoist ; Julien Freund ; Henry Louis Mencken ; Leo Strauss ; Mencius Moldbug ; Eric Hoffer ; Russell Kirk ; Irving Kristol ; Eric Voegelin ; Paul Gottfried ; Hans Jonas ; Marcel de Corte ; Ernst Kantorowicz ; J. R. R. Tolkien ; Georges Bernanos ; T. S. Eliot ; Guillaume Bernard ; François Huguenin ; Alexandre Dougine ; John Ruskin ; Louis Veuillot ; Adolphe Thiers ; Thomas Ernest Hulme ; Corine Pelluchon ; Philippe Ariès ; Lionel Groulx ; Henri de Kérillis ;

    Conclusion I: L'hétérogénéité de la droite conservatrice.

    On place dans le même courant doctrinal général un Maurras, rallié à Vichy, et un Charles de Gaulle qui en fut l'adversaire acharné.

    Bienveillance pour le fascisme (italien) de conservateurs comme Maurras, Churchill, La Rocque, Schmitt. Le conservateur n'est pas par nature un anti-fasciste.

    Bien sûr, soutenir qu'à l'inverse que tous les conservateurs seraient des crypto-fascistes est éminemment stupide:
    "I hope those who shouted "Fascist" and "Nazi" are aware that before they were born I was fighting against Fascism and Nazism." (Enoch Powell).

    Conclusion II: Éléments de réponse à la question "Qu'est-ce que le conservatisme ?"

    Symptôme de la difficulté de définition, le Vocabulaire technique et critique de la philosophie d'André Lalande (PUF, 2016 (1926 pour la première édition), 1376 pages), ne comporte pas d'entrée "conservatisme" (alors qu'il comporte par exemple une entrée pour "libéralisme"). Il comporte néanmoins une entrée "traditionalisme", définit au sens B comme la "Doctrine d'après laquelle on doit conserver les formes politiques et religieuses traditionnelles, lors même qu'on ne saurait les justifier intellectuellement, parce qu'on les considère comme l'expression légitime et la révélation spontanée des vrais besoins d'une société, la libre critique qu'en fait la raison étant nécessairement superficielle, inadéquate et, par suite, malfaisante." (p.1141).

    Qu'est-ce que le conservateur cherche à conserver ? L'Ancien Régime.
    Ou du moins, certaines caractéristiques de celui-ci.

    L' "Ancien Régime" n'étant pas identiques selon les pays, les différences nationales entre les traditions conservatrices ne doivent pas surprendre.

    Un éléments d'explications des tensions internes au conservatisme réside d'ailleurs dans le fait que ce n'est pas nécessairement la même phase de l'Ancien Régime qu'il s'agit de conserver. Schématiquement, le primat donné à la période absolutiste par rapport à la période féodale favorisera un centralisme étatique poussé et un primat de l'exécutif (si tant est que les pouvoirs soient séparés).

    Rapport au temps: Cycle ;

    Décadence: "La décadence apparaît comme le sens de l'histoire, en ceci qu'on constate, au sein de l'histoire, la disparition des civilisations de type “traditionnel” et l'avènement de plus en plus précis, général, planétaire, d'une nouvelle civilisation commune de type “moderne”." -Julius Evola, Explorations (1974).

    "L’Occident n’est pas en déclin — il est au contraire en expansion — mais il est le déclin. Et il l’est depuis ses fondements, depuis son décollage idéologique au XVIIIe siècle."
    -Guillaume Faye, L’Occident comme déclin, 1985.

    "Pour la plupart des penseurs de la décadence, ce qui a été perdu est un monde organique, avec une tête, des hiérarchies acceptées, des hommes solidaires les uns des autres par nécessité (et non par choix comme l'entend le Contrat social). De ce point de vue, le libéralisme est, pour beaucoup, plus haïssable que le socialisme, car il provoque la désagrégation de l'Etat et la ruine de la société, sur lesquelles les révolutions collectivistes s'installent. [...] La décadence provient de l'affaiblissement ou de la fin des anciennes élites."
    -Michel Winock, « L'éternelle décadence », Lignes 1988/3 (n° 4), p. 61-68, p.4.

    Bien entendu, l'anti-progressisme historique que je souligne ici n'est pas nécessairement une règle absolue. Guizot croyait par exemple fermement à l'inéluctabilité du Progrès.

    L'illégitimité de la raison:

    La modernité se caractérise par une confiance générale dans la raison humaine = humanisme.

    Qui n'exclut pas une discussion des limites de la raison (Spinoza, Kant, etc.).

    A l'inverse, on trouve dans le conservatisme un rejet plus ou moins radical de la légitimité de la raison humaine. Ce primat de l'héritage transmis, familier, sur la pensée critique, peut aller jusqu'à un véritable éloge du préjugé (Burke, Maistre, etc.).

    "Le prophète de la décadence .valorise l'instinct, l'habitude, les préjugés, les réflexes conditionnés par des générations d'humains qui ont vêcu sur la même terre, au détriment de la raison raisonnante, de la raison prétentieuse et égarée par les maîtres d'école et les intellectuels."
    -Michel Winock, « L'éternelle décadence », Lignes 1988/3 (n° 4), p. 61-68, p.6.

    Le conservatisme se confond donc parfois avec son image courante de "défense du statu quo". La nouveauté est sinon toujours mauvaise, sinon toujours suspecte, du moins fondamentalement incapable d'avoir autant de valoir que ce qui précède. Ce qui peut amener à des paradoxes car la nouveauté douteuse d'une époque devient parfois la tradition sacré de conservateurs d'une époque ultérieure.
    De plus, comment juger de la valeur de différents conservatismes religieux ou nationaux ? Comment défendre le "retour" à des institutions ayant cessé d'exister, si la vraie raison de réside que dans la permanence ?

    « Pour le philosophe espagnol [Cortès], pénétré d'augustinisme, c'est une évidence absolue que, "dans son infirmité, l'entendement humain ne peut inventer la vérité ni la découvrir ; mais il la voit quand on la lui présente". [...] La raison humaine étant infirme, elle ne peut accéder à la vérité qu'à la condition qu'une "autorité infaillible et enseignante [...] la lui montre". Cette autorité qui seule peut présenter la vérité à la raison, c'est l'Église. »
    -Pierre-André Taguieff, "Le paradigme traditionaliste: horreur de la modernité et antilibéralisme. Nietzsche dans la rhétorique réactionnaire", in Luc Ferry, André Comte-Sponville, et al., Pourquoi nous ne sommes pas nietzschéens, Grasset, 1991, 305 pages, pp.219-305, p.240-241.

    Autre exemple au siècle suivant: "Le véritable péché, le péché contre l'Esprit Saint peut-être, l'irrémissible péché, est le péché d'hérésie, celui de penser par et pour nous-mêmes.
    On a déjà entendu dire, ici en Espagne, qu'être libéral – autrement dit, hérétique – était pire que d'être assassin, voleur, ou adultère. Le plus grave de tous les péchés est de ne pas obéir à l'Église, dont l'infaillibilité nous dispense de tout usage de la raison.
    " (Miguel de Unamuno, Du Sentiment tragique de la vie chez les hommes et chez les peuples, 1913).

    Comme le conservateur reconnaît-il l'infaillibilité ou la légitimité de l'autorité (envers laquelle il est prêt à sacrifier ce que le libéral estime être ses droits et ceux d'autrui) ? Il n'y a que deux solutions. Ou bien cette décision est arbitraire. Ou bien cette décision présuppose la critique de la validité de l'autorité, mais alors le fondement ultime de la légitimité n'est pas l'autorité (politique) mais la raison individuelle qui l'établit comme telle. Le caractère absurde de l'obéissance passive, déresponsabilisée, a été établie depuis bien longtemps:

    « Si nous voulions faire dépendre la confiance que nous avons en notre raison de l'assentiment de quelque instance supérieure, par exemple de celui d'un pape infaillible ou d'un livre sacré, alors surgirait la question: à quoi reconnaissons-nous la compétence de cette instance supérieure, quelle marque distinctive avons-nous de son infaillibilité ? Nous devrions déjà posséder cette marque d'infaillibilité avant de pouvoir reconnaître comme telle cette instance supérieure. Nous ne pourrions tirer cette marque distinctive que de notre propre raison. C'est pourquoi nous serions dans un cercle si nous voulions faire dépendre la compétence de notre raison de la sanction de quelque autorité extérieure. »
    -Léonard Nelson, "Qu'est-ce que le libéralisme ?", 1910, repris in Certitudes de la raison, Paris, Beauchesne, coll. Bibliothèque des "archives de philosophie", numéro 39, 1982 (1975 pour la première édition allemande), 267 pages, p.36.

    Rapport à la hiérarchie: à l'aise ;

    Rapport aux inégalités économiques:



    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Lun 29 Oct - 14:01, édité 68 fois


    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
    Admin


    Messages : 20764
    Date d'inscription : 12/08/2013
    Localisation : France

    Essai de typologie de la droite conservatrice Empty Re: Essai de typologie de la droite conservatrice

    Message par Johnathan R. Razorback Mar 20 Fév - 11:08

    Critique conservatrice et critique marxiste de l'abstraction:


    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


      La date/heure actuelle est Ven 22 Nov - 19:28