« Les défaites d’Athènes face à la Macédoine en 338 et 322 mettaient fin pour toujours à son rôle de grande puissance. Pour beaucoup, historiens aussi bien que profanes, cela signifiait du même coup la fin de l’histoire d’Athènes –comme s’il n’existait d’histoire digne d’intérêt que dans le cercle restreint des puissances politiques majeures-, raison pour laquelle l’attention s’est détournée des cités pour se porter sur les monarchies. » (p.19)
« Si Athènes ne fut pas toujours une puissance souveraine mais qu’elle eut souvent, en politique étrangère, à suivre la Macédoine et plus tard Rome, les Athéniens réglèrent néanmoins toujours seuls leurs affaires intérieures avec une efficacité digne d’éloge et une remarquable stabilité des institutions. » (p.20)
« Jusqu’à la fin du IIIe siècle, Athènes trouva à maintes reprises auprès des rois d’Égypte un appui qui, cependant, ne suffit pas toujours à assurer la liberté de la cité face à la Macédoine.
Le déclin de la puissance ptolémaïque et, une fois encore, les menaces provenant des Antigonides déterminèrent Athènes, en l’an 200, à demander l’aide de Rome. Ce fut un acte lourd de conséquence, même indépendamment du fait que le Sénat avait d’ores et déjà décidé, sans tenir compte d’Athènes, de déclarer la guerre au roi de Macédoine. Car même si ce n’est pas à cause de la volonté d’Athènes que les Romains pénétrèrent en Grèce avec leurs troupes, ils purent néanmoins, par la suite, alléguer que c’étaient les Athéniens qui les y avaient fait venir. Athènes s’engagea alors si rapidement dans le sillage de la politique romaine que la cité se trouva bientôt, aux côtés de Rome, opposée à d’autres Grecs.
Il ne faut pas, en effet, se dissimuler que la politique d’Athènes, à partir de la fin du IIIe siècle, est opportuniste, tournée tout entière vers son seul profit. Dans les années 260 encore, la cité, à la tête d’une coalition en guerre contre le roi de Macédoine Antigone Gonatas, avait servi, parallèlement à ses propres intérêts, ceux d’autres Etats grecs. L’issue malheureuse de la guerre l’incita à changer d’attitude. Lorsque, trente ans plus tard, la libération de 229 rendit à nouveau possible une politique indépendante, le repli sur soi et l’égoïsme étaient déjà sensibles chez les Athéniens, et ce comportement leur attira le blâme d’un Polybe.
Sur cette voi-là, certes, la cité athénienne ne pouvait guère récolter de gloire, mais c’était une voie réalite, qui servait la paix à la fois extérieure et intérieure. En se tenant à l’écart des guerres de grande envergure, elle préserva la vie de ses citoyens et put améliorer le niveau de vie de la population attique dans son ensemble.
Rien n’est moins justifié que l’affirmation, présent chez bien des modernes, selon laquelle l’engagement des citoyens aurait faibli à l’époque hellénistique. Elle n’est, en fait, qu’une conséquence de la théorie erronée qui voudrait que l’histoire d’Athènes se fût achevée avec ses défaites militaires contre les armées macédoniennes. Or, même par la suite, le fonctionnement de la justice et des cultes publics, l’entretien de la ville, les finances et toutes les autres branches de l’administratio restèrent l’affaire des seuls citoyens ; à quoi s’ajoutait, dans les périodes d’indépendance, la politique extérieure. En tout état de cause, c’était assez pour requérir la participation régulière des citoyens aux tâches multiples qu’il s’agissait d’exécuter. L’Assemblée du peuple se réunissait au minimum trente-six fois par année et le Conseil chaque jour, excepté lors des fêtes les plus importantes. La liste des jurés, mis à jour chaque année, contenait, avant comme après Chéronée, les noms de 6000 citoyens parmi lesquels on tirait au sort, de cas en cas, les participants aux diverses cours de justice, parfois plus de 1500 pour un seul tribunal. Certains décrets du Peuple, et, parmi eux, ceux (relativement fréquents) octroyant la citoyenneté à des étrangers, exigeaient la présence de 6000 votants ; or la documentation laisse apparaître avec une quasi-certitude que, dans la plupart des assemblées, ce quorum, représentant pourtant la totalité du corps civique, était atteint sans difficulté. En certaines circonstances, au lieu du vote habituel à main levée, c’est le scrutin secret qui était prescrit, que l’on effectuait au moyen de jetons.
Tout au long des trois siècles que dura l’époque hellénistique, la cité conserva au surplus son rôle directeur dans les domaines intellectuel et artistique. Il n’est guère que dans le champ de la philogie –cette science alors naissante qui avait pour objet les œuvres des auteurs classiques, la critique et l’explication des textes- où Athènes céda le pas à la société de savants réunie au Mouseion d’Alexandrie par les Ptolémées, jusqu’à ce qu’en 145 avant J.C. le roi régnant alors eût chassé de la ville et de l’Égypte tous ces érudits. » (p.22-24)
« A la fausse nouvelle de la mort du jeune roi de Macédoine Alexandre, les Thébains s’avisèrent de se soulever, sans préparation, contre la garnison étrangère qui leur était imposée et ils payèrent très cher cette imprudence : à la fin de l’été 335, leur ville fut détruite de fond en comble. Les chefs politiques d’Athènes, au contraire, en dépit de leurs divergences d’opinion, se comportèrent de façon beaucoup plus réfléchie. Même s’ils faillirent s’y lancer, ils se tinrent à l’écart de l’aventure thébaine comme aussi, quatre ans plus tard, du soulèvement du roi de Sparte Agis, qui, au printemps 330, s’acheva par la défaite de celui-ci à Mégalépolis en Arcadie face à Antipatros, le représentant d’Alexandre en Europe. » (p.25)
« Lorsque le soleil, en ce jour d’été 338, se coucha sur Chéronée, un millier d’Athéniens, sans parler d’autres morts, gisaient sur le champ de bataille. Par ailleurs, deux mille hommes étaient tombés aux mains de Philippe. Les pertes était lourdes pour un Etat qui comptait au plus trente mille citoyens mâles adultes, y compris les viellards et les hommes impropres au service. Mais si grave que fût le désastre, aussi accablant le sentiment d’échec, Athènes se mit aussitôt en état d’assurer sa défense. En toute hâte, on consolida la muraille et, pour ce faira, on alla jusqu’à détruire des tombes privées du Céramique. […] Comme membre du Conseil, Hypéride proposa d’octroyer le droit de cité aux étrangers résidents et la liberté aux esclaves capables et désireux de combattre, et aussi d’enrôler les cinq cents conseilliers. Mais ces propositions, tombant sous le coup d’une action en illégalité, furent rejetées. Fidèle à sa tradition, Athènes accorda l’hospitalité à tous ceux qui, parmi ses alliés, fuyaient leur patrie, en particulier aux citoyens de Thèbes, d’Acarnanie et des cités d’Eubée. La flotte athénienne n’avait subi aucun dommage et restait une force redoutable.
Face à pareille détermination, Philippe eut l’intelligence de ne pas poursuivre les hostilités mais chercha un rapprochement avec Athènes en vue d’établir la paix. […]
Le roi laissait à Athènes son autonomie pleine et entière dans les affaires intérieures ; il obligeait en revanche la cité à dissoudre sa Ligue maritime et à entrer dans la Ligue hellénique conçue par Philippe, au sein de laquelle elle devait être privée de toute initiative politique. Les Athéniens cédaient au roi leurs possessions de l’Égée septentrionale mais ils étaient peut-être dédommagés par l’acquisition d’Oropos à la frontière attico-béotienne : ce faisant, Philippe privait les Béotiens de cette ville, avec son territoire et le sanctuaire d’Amphiaraos. Athènes restait en possession des îles de Salamine, Délos et Samos –cette dernière était occupée depuis 365/4 par des citoyens athéniens- comme aussi de Lemnos, d’Imbros et de Skyros. Tous les prisonniers furent libérés sans rançon et conduits à Athènes par le fils de Philippe, Alexandre. Après quoi, des honneurs furent conférés au roi, à son fils et à quelques hauts personnages de la cour.
C’est à Corinthe, où Philippe avait convoqué des délégués de tous les Etats grecs, qu’en l’absence de Sparte –qui ignora l’invitation- fut signée l’hivers suivant (338/7) la paix générale. Elle fut suivie par la création d’une Ligue hellénique. Tous les Etats membres devaient envoyer des délégués au Conseil fédéral (Synédrion), l’organe législatif. Philippe était le chef (hégémon) de l’armée fédérale et pouvait, à ce titre, convoquer des réunions et faire des propositions. On a retrouvé à Athènes des fragments de cette constitution. Le Conseil fédéral décida, sur proposition du roi de Macédoine, la guerre commune contre le roi des Perses, comme si ce projet, qui ne visait en réalité que l’intérêt de Philippe en concrétisant une idée d’Isocrate, correspondait à l’objectif général des membres de la Ligue. Or, bien des Grecs auraient préféré s’entendre avec le roi achéménide contre Philippe. L’Empire perse ne constituait plus, depuis longtemps, une menace pour la Grèce, car s’il tenait encore debout militairement, ce n’était plus tant grâce à ses propres forces que le biais des très nombreux mercenaires qui gagnaient au service du Grand Roi le pain qu’ils ne pouvaient trouver chez eux. Selon la version grecque officielle, cette guerre imminente était censée venger l’expédition de Xercès contre la Grèce en 480. Une avant-garde macédonienne, placée sous le commandement d’Attalos et de Parménion, gagna aussitôt l’Asie Mineure par voie de terre et ouvrit les hostilités. Le plan de roi Philippe était de prendre lui-même en main la conduite des opérations. Avant qu’il ne pût le réaliser, il fut assassiné, en été 336, alors qu’il célébrait à Aigai (Vergina) le mariage de sa fille Cléopâtre avec le roi d’Épire Alexandre. Quelles qu’aient pu être les véritables raisons de l’attentat, elles doivent être cherchées exclusivement dans les luttes de clans de la cour macédonienne.
La guerre en Asie, engagée par Philippe et poursuivie par Alexandre en 334, laissa pour douze ans Athènes à l’écart du brasier de l’actualité politique. Non pas que la cité restât tout à fait étrangère à cette expédition : elle dut fournir vingt trières à la flotte d’Alexandre, sans doute aussi des cavaliers ; et en 333, à Issos, beaucoup de citoyens athéniens qui avaient combattu comme mercenaires dans l’armée de Darius furent faits prisonniers des Macédoniens. La nécessité pour Athènes de tenir compte de tous ces hommes –parmi lesquels les équipages des navires étaient en même temps des otages aux mains d’Alexandre- détermina et affecta pendant longtemps les relations de la cité avec le roi. Par ailleurs, Philippe, à la fin de son règne, aussi bien qu’Alexandre (mis à part la dernière année de sa vie) se gardèrent de toute intervention dans les affaires intérieures d’Athènes. » (p.30-32)
« La nouvelle de l’assassinat du roi Philippe fut accueillie à Athènes par des démonstrations de joie : sur proposition de Démosthènes, le Conseil décida d’offrir un sacrifice d’action de grâces et le Peuple accorda des honneurs posthumes aux meurtriers punis de mort après l’attentat. Mais les Athéniens ne s’en tinrent pas à ces manifestations ; ils prirent langue avec d’autres Etats grecs, avec des représentants perses et avec Attalos, l’un des deux chefs d’armée en Asie Mineure, qui semblait nourrir lui-même l’espoir d’occuper le trône vacant. Par ces interventions Athènes rompait la paix fédérale. Hypéride donna libre cours à ce sentiment anti-macédonien lors du procès de Philippidès, qui eut lieu peu après la mort du roi. Mais ce fut bientôt la désillusion, puisqu’il s’avéra qu’en réalité non seulement Alexandre était l’héritier incontesté du trône de son père, mais qu’en outre il prenait immédiatement les mesures adéquates pour consolider sa position d’hégémon des Grecs. Athènes put s’estimer heureuse d’obtenir de sa part, grâce à une ambassade conduite par Démade, la confirmation de la paix.
Cependant, moins d’un an plus tard, la cité s’aventurait très loin –jusqu’à frôler la catastrophe-, et cela à la seule rumeur qu’Alexandre était mort dans un combat contre les Illyriens. Les Thébains se soulevèrent alors contre la domination macédonienne, et le roi des Perses fit parvenir en Grèce d’importantes sommes d’argent destinées aux opposants à la Macédoine. A Athènes, cependant, les magistrats refusèrent d’accepter l’argent perse ; mais Démosthène, à titre privé, toucha un assez gros montant et, avec d’autres, il fournit des armes et du matériel à Thèbes. L’insurrection de cette cité avait été allumée par des bannis thébains qui, déjà précédemment, avaient trouvé refuge à Athènes. L’Assemblée athénienne sa solidarité par un traité bilatéral, qui, dans ces circonstances, ne pouvait être dirigé que contre la Macédoine. C’est alors aussi que l’Athénien Iphikratès, fils du célèbre général homonyme, dut se rendre à la cour du nouveau Grand Roi, Darius III. Comme on croyait mort le chef de la Ligue hellénique à qui on avait prêté le serment de fidélité, Démostène et Lycurgue étaient décidés à tout tenter pour se débarrasser de la tutelle macédonienne. Un contingent athénien fut mobilisé pour aller soutenir les Thébains ; mais il n’avait pas encore passé les frontières de l’Attique que parvenait la nouvelle qu’Alexandre était en vie et qu’il campait déjà avec son armée devant Thèbes.
La nouvelle de la prise et de la destruction complète de cette ville ne tarda pas à se répandre : elle parvint à Athènes au début d’octobre 335, à l’occasion de la fête des Grands Mystères. Peu après fut notifié aux Athéniens, qui s’étaient gravement compromis, l’ultimatum d’Alexandre exigeant la livraison des huits citoyens les plus coupables –et parmi eux Démosthènes et Lycurgue- ainsi que des Thébains qui, fuyant leur patrie conquise, avaient pu trouver asile à Athènes. Il est tout à l’honneur de la cité qu’en dépit des menaces qui assortissaient le message d’Alexandre, elle n’accéda pas à cette requête mais s’efforça d’engager des négociations ; et il est tout à l’honneur d’Alexandre d’avoir souscrit aux demandes des ambassadeurs, qui n’étaient autres que Démade et Phocion. Dans cette décision a pu peser le fait que le roi était pressé de donner un nouvel élan à la guerre restée en suspens contre l’Empire perse et d’en prendre personnellement la direction.
Athènes avait ainsi frisé la catastrophe. Démosthène, Lycurgue et leurs amis politiques firent preuve désormais d’une grande prudence, tandis que Démade et Phocion, à qui l’on devait la sauvegarde de la paix, étaient, bien entendu, directement intéressés à son mantien. Il était devenu clair pour chacun qu’il fallait se résigner, du moins pour l’instant, à l’hégémonie macédonienne. Quant à s’y accomoder durablement, seule une minorité de citoyens y était prête. Toutefois, si l’on voulait un jour recouvrer la liberté, il fallait d’abord s’atteler à une rénovation en profondeur, sur le plan matériel et moral, de maintes institutions. C’est Lycurgue qui conçut l’ensemble du programme et qui, en même temps, comme responsable des finances publiques, eut la possibilité de le réaliser. » (p.33-35)
« Les forteresses de l’Attique (Éleusis, Panakton, Phylè, Rhamnonte, Sounion). » (p.36)
« Les mercenaires athéniens qui furent faits prisonniers au printemps 334, lors de la première victoire d’Alexandre sur les Perses, remportée sur les bords du Granique, avaient joué leur rôle dans cette résistance (encore que, dans leur majorité, ils aient dû entrer au service du roi des Perses bien des années plus tôt, donc dès avant la décision des Etats grecs de la Ligue de Corinthe de mener la guerre contre lui sous la conduite d’Alexandre). Ce dernier n’avait en principe pas à leur en vouloir d’avoir combattu –avec d’autres Grecs- du côté des Perses ; mais il les envoya tout de même, chargés de chaînés, en Macédoine pour les soumettre aux travaux forcés. […] A plusieurs reprises, Athènes demanda au roi leur libération, qui leur fut finalement accordée au printemps 331. Ce traitement cruel pourrait s’expliquer par le fait qu’en embrassant la cause des Perses, ces hommes démentissaient la prétention officielle d’Alexandre de faire de l’expédition une guerre de revanche de la Grèce contre la Perse. La contradiction était d’autant plus frappante que c’était surtout Athènes qui avait été victime, en 480, de l’agression perse et des destructions causées par les hommes de Xercès. » (p.37)
« Alexandre, de son côté, avait motif de se plaindre d’Athènes car, au cours du premier hiver de la guerre, la flotte perse fit relâche dans l’île de Samos et s’y approvisionna en vivres et en eau. Or, Samos était depuis tente ans une possession d’Athènes exploitée par des colons athéniens. La surveillance de l’île était confiée à l’un des dix stratèges annuels avec le titre de « stratège pour Samos ». Le fait que celui-ci ait laissé la population de l’île soutenir les Perses, que ce soit par conviction ou par impuissance, ne peut avoir échappé à Alexandre. Cet incident, qui constituait une violation des devoirs d’Athènes envers la Ligue, pourrait avoir pesé sur sa décision, dix ans plus tard, d’enlever Samos aux Athéniens. » (p.38)
« Lorsqu’il arriva, peu de temps après, la nouvelle de la mort du roi d’Épire en Italie, les Athéniens envoyèrent une ambassade de condoléances aussi bien à Olympias qu’à sa fille Cléopâtre, veuve du roi.
Cet échange d’ambassades survenait de nouveau à une époque de grande tension car, en été 331, les Spartiates, sous le commandement du roi Agis et avec le soutien de plusieurs Etats grecs, étaient entrés en guerre contre la Macédoine ; et Athènes, en tant qu’alliée de Sparte, avait été sur le point de prêter main-forte à ce roi. Déjà un décrêt était pris pour soutenir Agis avec une escadre, et s’il ne fut pas exécuté, ce n’est que grâce à une habile manœuvre de Démade, qui aurait dû se charger du financement de l’opération. » (p.39)
« Impressionnant est tout ce que l’on perçoit, pendant ce petit nombre d’années, en fait de réformes, de constructions publiques et de mesures de consolidation de l’économie et des finances athéniennes. La défaite de Chéronée, loin d’abattre les esprits, a stimulé l’énergie d’Athènes. » (p.41)
« Le nombre des navires guerre, soit trières traditionnelles, soit tétrères –vaisseaux de plus grand tonnage qui avaient tendance à les remplacer- croissait d’année en année. La jeunesse athénienne était préparée au service militaire avec plus de sérieux et d’intensité que jamais depuis que la loi d’Épikratès sur l’éphébie était entrée en vigueur. » (p.42)
« Athènes fut sérieusement touchée par une durable pénurie de blé qui, entre 331 et 324, mit toute la Grèce et le bassin égéen dans une situation difficile. […] Il faut mettre en relation avec cette crise persistante d’approvisionnement un décret de l’Assemblée datant de 325/4 qui ordonne de fonder une base militaire sur l’Adriatique. Son but explicite était d’assurer la sécurité des transports et la protection contre les pirates étrusques. Une flotte fut équipée à cet effet et elle appareilla sous le commandement du stratège Miltiadès du dème de Lakiadai. Toutefois, on ne sait rien des suites de l’entreprise. » (p.44-45)
« C’est aussi à l’époque de Lycurgue, peu après la destruction de Thèbes par Alexandre, qu’Aristote rentra à Athènes après plus de douze ans d’absence. Parmi les œuvres des années immédiatement consécutives figure sa description de l’Etat athénien (Constitution d’Athènes), qui est presque entièrement conservée grâce à un papyrus de Londres découverts en Égypte en 1891. Sur les 158 textes de ce type consacrés par l’école péripatéticienne à la plupart des Etats grecs, c’est le seul qui soit parvenu jusqu’à nous. Il fut composé entre 335 et 330 avant J. C., peut-être par Aristote lui-même. La première partie, la plus longue (chapitre 1 à 41), présente le développement de la constitution athénienne jusqu’aux premières années du IVème siècle ; la seconde partie (chapitre 42 à 69) donne une description systématique des institutions et de leur fonctionnement à l’époque de la rédaction de l’ouvrage. On a supposé, mais ce n’est pas une certitude, que c’est à l’invitation de Lycurgue qu’Aristote revint s’établir à Athènes. En tout cas, la commande faite à Lysippe d’une statue de Socrate n’a guère pu provenir que de Lycurgue, et son érection au Pompeion coïncida avec la réhabilitation publique du philosophe. » (p.47)
« En 321 le régent du royaume Perdiccas, exécutant la volonté d’Alexandre, avait restitué l’île [de Samos] à ses premiers habitants. » (p.51)
« Dès que se fut confirmée la nouvelle de la mort d’Alexandre le Grand, l’aspiration à se libérer de la tutelle macédonienne prévalut dans la plupart des cités grecques […] Il y eut des exceptions, comme Sparte, qui subissait encore les séquelles de la guerre d’Agis, ou la Béotie, dont les différentes cités s’étaient partagé le territoire de Thèbes après la destruction de la ville et avaient donc intérêt au maintien de l’ordre établi. Mais dans leur majorité les Etats grecs étaient en effervescence. A Rhodes, on expulsa la garnison macédonienne ; à Athènes, Léosthénès put désormais agir à découvert. […]
Dans le Péloponnèse, Démosthène s’efforçait de rallier les cités à une coalition dirigée contre la Macédoine et réussit, lui l’exilé, à emporter l’adhésion là où les envoyés officiels d’Athènes n’avaient rien pu obtenir. A la suite de ce succès, son parent Démon parvint à le faire réhabiliter : Démosthène rentra alors triomphalement à Athènes –un accueil qui n’était pas sans évoquer celui d’Alcibiade à son retour d’exil- et il se réconcilia avec Hypéride. L’Assemblée vota en faveur de la guerre, afin de libérer la Grèce et les cités occupées par des garnisons macédoniennes, et elle décréta la mobilisation de la flotte et de l’armée. Furent appelés aux armes tous les citoyens jusqu’à quarante ans, c’est-à-dire la moitié des quarante-deux classes mobilisables. Trois tribus reçurent l’ordre de défendre l’Attique ; les sept autres devaient se tenir prêtres à passer à l’offensive.
A Athènes, l’atmosphère n’était pas favorable à ceux qui entretenaient de bons rapports avec des personnalités macédoniennes. Ainsi, parce qu’il avait proposé de reconnaître la divination d’Alexandre, Démada fut condamné pour « introduction d’un nouveau dieu » à une amende de 10 talents et, comme il ne pouvait pas la payer, il fut privé de ses droits civiques. D’autres hommes politiques, tels Pythéas et Kallimédon, surnommé « le Crabe », abandonnèrent la cité et se rendirent au camp des Macédoniens auprès d’Antipatros. Aristote également, dont les liens d’amitié avec le régent étaient notoires, quitta Athènes vers la fin de l’année 323 et alla s’établir dans la maison de sa mère Chalcis dans l’île d’Eubée, laquelle, à l’exception de la cité de Carystos, restait fidèle à l’alliance macédonienne. C’est que, comme dans le cas de Démade, une action pour impiété (graphè asébeias) avait été intentée contre lui parce qu’il avait, presque vingt ans auparavant, composé en l’honneur de son beau-père, le tyran Hermias d’Atarnée, un poème qui, en raison de quelques formules louangueuses, avait été assimilé à un hymne, genre exclusivement réservé aux dieux. Aristote mourut à Chalcis en octobre 322. » (p.55-56)
« Les Grecs coalisés instituèrent un conseil commun (synédrion), qui devait se tenir dans le quartier général des forces armées et auquel chaque cité envoyait un délégué. Pour le haut commandement, c’est Léosthénès qui fut désigné. Il passa immédiatement à l’offensive, défit les Béotiens qui lui barraient le chemin, occupa les Thermopyles et opéra sa jonction avec l’armée de la Confédération étolienne. Alors, venant de Macédoine, apparut Antipatros, soucieux de contrôler la Thessalie sur le point de passer du côté des Grecs ; toutefois, ses forces étaient insuffisantes pour se mesurer à celles des alliés : il fut battu par Léosthénès et se retira dans la ville de Lamia, où il devait être longtemps bloqué, ce qui explique le nom de « guerre lamiaque » donné plus tard à ce conflit. […]
[Antipatros] repoussa victorieusement les assauts des Grecs contre la ville de Lamia mais se trouvait en danger d’être affamé. Sa situation devint si critique qu’il engagea des négociations. Léosthénès n’exigeait rien de moins que la capitulation sans condition, chose qu’Antipatros refusa. Tandis qu’à Athènes et dans les autres cités grecsques on fêtait sans retenue les premiers grands succès, la guerre d’escarmouches devant Lamia suivait son cours. Dans une de ces rencontres Léosthénès fut mortellement blessé. Sa mort porta un coup sévère à la cause des coalisés, car aucun autre chef ne pouvait se prévaloir d’une énergie et d’un prestige comparables. A sa place fut désigné l’Athénien Antiphilos.
Au cours de l’hivers, Léosténès ainsi que les autres Athéniens tombés pendant les premiers mois de la guerre furent solennellement enterrés au Céramique, le cimetière public d’Athènes. Ce fut Hypéride, on l’a vu, qui prononça le discours funèbre en leur honneur, tout comme Périclès, jadis, avait fait l’éloge des soldats morts durant la première année de la guerre du Péloponnèse et que Démosthène avait parlé pour les victimes de Chéronée. De larges parties de discours, célèbre dès l’Antiquité, ont été conservées sur papyrus. L’orateur y portait aux nues Léosthénès comme initiateur de la guerre et commandant en chef, tandis que la cité d’Athènes était louée comme rempart de l’Hellade : chefs et simples citoyens avaient donné leur vie pour la liberté de la Grèce. En cas de défaite, disait Hypéride, partout aurait triomphé, en lieu et place du droit, l’arrogance macédonienne. L’idée générale qui se dégage avec force est l’antinomie entre monarchie et régime républicain, recouvrant l’opposition entre l’arbitraire despotique et la souveraineté du droit et de la loi. Cet épitaphios est le dernier grand discours athénien qui soit encore conservé : il est comme le chant du cygne de la liberté grecque. » (p.57-58)
« Le roi Démétrios II mourut au début de l’année 229, laissant derrière lui un fils du nom de Philippe, âgé de neuf ans seulement. Cela créa en Macédoine une situation instable, qui incita Athènes à tenter de recouvrer sa liberté. L’entreprise fut couronnée de succès et, cette fois-ci –à la différence de ce qui se passe en 287-, sans même recourir à la force. Le commandant des troupes royales en Attique, Diogène, du fait qu’il était lui-même vraisemblablement citoyen d’Athènes, se laissa convaincre de rendre aux Athéniens le Pirée, l’île de Salamine, de même que les forteresses de Moucychie et de Rhamnonte, et de licencier les soldats placés sous ses ordres. Les 150 talents dont il avait besoin pour indemniser ceux-ci furent, semble-t-il, rapidement réuni. Des décrêts du Peuple athénien attribuent l’initiative de ces tractations et la récolte des fonds nécessaires à Eurykleidès et Mikion de Képhisia, deux frères dont le premier en tout cas avait déjà occupé divers postes de haut rang. Tous deux furent par la suite, quelques décennies durant, les véritables chefs de l’Etat athénien. » (p.194)
« En été 229, encore avant le début de l’année attique (juillet), la ville, le port et le territoire –pour la première fois depuis la guerre de Chrémonidès- étaient à nouveau libres. Pour ce qui est du port, cela faisait même soixante-six ans qu’il était occupé. » (p.194)
« Grâce aux événements du printemps 229, Athènes était rentrée dans le cercle des Etats indépendants et était redevenue capable de mener sa politique étrangère en toute liberté. D’emblée reprirent, après une longue interruption, des échanges diplomatiques, dont il reste au moins quelques traces dans notre documentation lacunaire. Le but prioritaire d’Athènes était de renouer de bonnes relations avec le plus grand nombre possible d’Etat, mais en restant à l’écart de tout conflit potentiel et en évitant aussi tout ce qui pouvait indisposer davantage la Macédoine. » (p.197)
« C’est aussitôt après la libération, au printemps de l’année 228, qu’Athènes –sans y être pour rien- entra pour la première fois en contact avec une autre grande puissance, à savoir la République romaine. C’était l’époque où, suite à l’acquisition de ses deux premières provinces, la Sicile et la Sardaigne, Rome avait certes vu son commerce maritime connaître un bel essor, mais avait également eut beaucoup à souffrir sur les mers de la part des pirates illyriens. Des protestations diplomatiques auprès de la reine Teuta d’Illyrie restèrent sans effet, si bien qu’en 229 une expédition, que l’on appelle « première guerre d’Illyrie », fut menée contre elle par les deux consuls et eut, pour résulter d’obliger Teuta, au printemps 228, à conclure la paix. Entre autres clauses, le traité faisait défense de laisser des navires de guerre opérer au sud de Lissa (aujourd’hui Lesk en Albanie). Ce fut la première intervention de Rome dans les affaires balkaniques. En 228, le consul de l’année précédente, L. Postumius Albinus, seul à être resté encore en Illyrie, députa une délégation auprès des assemblées des Confédérations étolienne et achéenne –qui avaient l’une et l’autre eu maille à partir avec les Illyriens –pour leur rendre compte des opérations romaines. Peu après, le Sénat envoya pour une mission analogue des ambassadeurs auprès des cités de Corinthe, membre de la Confédération achéenne, et d’Athènes. […] L’Étolie et l’Archaïe étaient alors en guerre contre la Macédoine et qu’Athènes venait de se débarasser de la tutelle macédonienne. […] L’hypothèse selon laquelle Rome aurait déjà eu, à cette époque, la volonté d’isoler la Macédoine va peut-être trop loin, mais il semble néanmoins incontestable que le Sénat chercha à s’acquérir alors auprès des adversaires du roi une certaine sympathie pour le nouvel ordre qu’il avait crée en Illyrie et qui, de toute façon, ne pouvait laisser la Macédoine indifférente. » (p.205)
« La paix signée en l’année 217 à Naupacte, qui mit fin à la guerre des Alliés, fut […] le dernier traité conclu sur sol hellénistique sans la participation de Rome. » (p.208)
-Christian Habicht, Athènes Hellénistique. Histoire de la cité d’Alexandre le Grand à Marc Antoine, Les Belles Lettres, 2000 (1995 pour la première édition allemande), 570 pages.
« Si Athènes ne fut pas toujours une puissance souveraine mais qu’elle eut souvent, en politique étrangère, à suivre la Macédoine et plus tard Rome, les Athéniens réglèrent néanmoins toujours seuls leurs affaires intérieures avec une efficacité digne d’éloge et une remarquable stabilité des institutions. » (p.20)
« Jusqu’à la fin du IIIe siècle, Athènes trouva à maintes reprises auprès des rois d’Égypte un appui qui, cependant, ne suffit pas toujours à assurer la liberté de la cité face à la Macédoine.
Le déclin de la puissance ptolémaïque et, une fois encore, les menaces provenant des Antigonides déterminèrent Athènes, en l’an 200, à demander l’aide de Rome. Ce fut un acte lourd de conséquence, même indépendamment du fait que le Sénat avait d’ores et déjà décidé, sans tenir compte d’Athènes, de déclarer la guerre au roi de Macédoine. Car même si ce n’est pas à cause de la volonté d’Athènes que les Romains pénétrèrent en Grèce avec leurs troupes, ils purent néanmoins, par la suite, alléguer que c’étaient les Athéniens qui les y avaient fait venir. Athènes s’engagea alors si rapidement dans le sillage de la politique romaine que la cité se trouva bientôt, aux côtés de Rome, opposée à d’autres Grecs.
Il ne faut pas, en effet, se dissimuler que la politique d’Athènes, à partir de la fin du IIIe siècle, est opportuniste, tournée tout entière vers son seul profit. Dans les années 260 encore, la cité, à la tête d’une coalition en guerre contre le roi de Macédoine Antigone Gonatas, avait servi, parallèlement à ses propres intérêts, ceux d’autres Etats grecs. L’issue malheureuse de la guerre l’incita à changer d’attitude. Lorsque, trente ans plus tard, la libération de 229 rendit à nouveau possible une politique indépendante, le repli sur soi et l’égoïsme étaient déjà sensibles chez les Athéniens, et ce comportement leur attira le blâme d’un Polybe.
Sur cette voi-là, certes, la cité athénienne ne pouvait guère récolter de gloire, mais c’était une voie réalite, qui servait la paix à la fois extérieure et intérieure. En se tenant à l’écart des guerres de grande envergure, elle préserva la vie de ses citoyens et put améliorer le niveau de vie de la population attique dans son ensemble.
Rien n’est moins justifié que l’affirmation, présent chez bien des modernes, selon laquelle l’engagement des citoyens aurait faibli à l’époque hellénistique. Elle n’est, en fait, qu’une conséquence de la théorie erronée qui voudrait que l’histoire d’Athènes se fût achevée avec ses défaites militaires contre les armées macédoniennes. Or, même par la suite, le fonctionnement de la justice et des cultes publics, l’entretien de la ville, les finances et toutes les autres branches de l’administratio restèrent l’affaire des seuls citoyens ; à quoi s’ajoutait, dans les périodes d’indépendance, la politique extérieure. En tout état de cause, c’était assez pour requérir la participation régulière des citoyens aux tâches multiples qu’il s’agissait d’exécuter. L’Assemblée du peuple se réunissait au minimum trente-six fois par année et le Conseil chaque jour, excepté lors des fêtes les plus importantes. La liste des jurés, mis à jour chaque année, contenait, avant comme après Chéronée, les noms de 6000 citoyens parmi lesquels on tirait au sort, de cas en cas, les participants aux diverses cours de justice, parfois plus de 1500 pour un seul tribunal. Certains décrets du Peuple, et, parmi eux, ceux (relativement fréquents) octroyant la citoyenneté à des étrangers, exigeaient la présence de 6000 votants ; or la documentation laisse apparaître avec une quasi-certitude que, dans la plupart des assemblées, ce quorum, représentant pourtant la totalité du corps civique, était atteint sans difficulté. En certaines circonstances, au lieu du vote habituel à main levée, c’est le scrutin secret qui était prescrit, que l’on effectuait au moyen de jetons.
Tout au long des trois siècles que dura l’époque hellénistique, la cité conserva au surplus son rôle directeur dans les domaines intellectuel et artistique. Il n’est guère que dans le champ de la philogie –cette science alors naissante qui avait pour objet les œuvres des auteurs classiques, la critique et l’explication des textes- où Athènes céda le pas à la société de savants réunie au Mouseion d’Alexandrie par les Ptolémées, jusqu’à ce qu’en 145 avant J.C. le roi régnant alors eût chassé de la ville et de l’Égypte tous ces érudits. » (p.22-24)
« A la fausse nouvelle de la mort du jeune roi de Macédoine Alexandre, les Thébains s’avisèrent de se soulever, sans préparation, contre la garnison étrangère qui leur était imposée et ils payèrent très cher cette imprudence : à la fin de l’été 335, leur ville fut détruite de fond en comble. Les chefs politiques d’Athènes, au contraire, en dépit de leurs divergences d’opinion, se comportèrent de façon beaucoup plus réfléchie. Même s’ils faillirent s’y lancer, ils se tinrent à l’écart de l’aventure thébaine comme aussi, quatre ans plus tard, du soulèvement du roi de Sparte Agis, qui, au printemps 330, s’acheva par la défaite de celui-ci à Mégalépolis en Arcadie face à Antipatros, le représentant d’Alexandre en Europe. » (p.25)
« Lorsque le soleil, en ce jour d’été 338, se coucha sur Chéronée, un millier d’Athéniens, sans parler d’autres morts, gisaient sur le champ de bataille. Par ailleurs, deux mille hommes étaient tombés aux mains de Philippe. Les pertes était lourdes pour un Etat qui comptait au plus trente mille citoyens mâles adultes, y compris les viellards et les hommes impropres au service. Mais si grave que fût le désastre, aussi accablant le sentiment d’échec, Athènes se mit aussitôt en état d’assurer sa défense. En toute hâte, on consolida la muraille et, pour ce faira, on alla jusqu’à détruire des tombes privées du Céramique. […] Comme membre du Conseil, Hypéride proposa d’octroyer le droit de cité aux étrangers résidents et la liberté aux esclaves capables et désireux de combattre, et aussi d’enrôler les cinq cents conseilliers. Mais ces propositions, tombant sous le coup d’une action en illégalité, furent rejetées. Fidèle à sa tradition, Athènes accorda l’hospitalité à tous ceux qui, parmi ses alliés, fuyaient leur patrie, en particulier aux citoyens de Thèbes, d’Acarnanie et des cités d’Eubée. La flotte athénienne n’avait subi aucun dommage et restait une force redoutable.
Face à pareille détermination, Philippe eut l’intelligence de ne pas poursuivre les hostilités mais chercha un rapprochement avec Athènes en vue d’établir la paix. […]
Le roi laissait à Athènes son autonomie pleine et entière dans les affaires intérieures ; il obligeait en revanche la cité à dissoudre sa Ligue maritime et à entrer dans la Ligue hellénique conçue par Philippe, au sein de laquelle elle devait être privée de toute initiative politique. Les Athéniens cédaient au roi leurs possessions de l’Égée septentrionale mais ils étaient peut-être dédommagés par l’acquisition d’Oropos à la frontière attico-béotienne : ce faisant, Philippe privait les Béotiens de cette ville, avec son territoire et le sanctuaire d’Amphiaraos. Athènes restait en possession des îles de Salamine, Délos et Samos –cette dernière était occupée depuis 365/4 par des citoyens athéniens- comme aussi de Lemnos, d’Imbros et de Skyros. Tous les prisonniers furent libérés sans rançon et conduits à Athènes par le fils de Philippe, Alexandre. Après quoi, des honneurs furent conférés au roi, à son fils et à quelques hauts personnages de la cour.
C’est à Corinthe, où Philippe avait convoqué des délégués de tous les Etats grecs, qu’en l’absence de Sparte –qui ignora l’invitation- fut signée l’hivers suivant (338/7) la paix générale. Elle fut suivie par la création d’une Ligue hellénique. Tous les Etats membres devaient envoyer des délégués au Conseil fédéral (Synédrion), l’organe législatif. Philippe était le chef (hégémon) de l’armée fédérale et pouvait, à ce titre, convoquer des réunions et faire des propositions. On a retrouvé à Athènes des fragments de cette constitution. Le Conseil fédéral décida, sur proposition du roi de Macédoine, la guerre commune contre le roi des Perses, comme si ce projet, qui ne visait en réalité que l’intérêt de Philippe en concrétisant une idée d’Isocrate, correspondait à l’objectif général des membres de la Ligue. Or, bien des Grecs auraient préféré s’entendre avec le roi achéménide contre Philippe. L’Empire perse ne constituait plus, depuis longtemps, une menace pour la Grèce, car s’il tenait encore debout militairement, ce n’était plus tant grâce à ses propres forces que le biais des très nombreux mercenaires qui gagnaient au service du Grand Roi le pain qu’ils ne pouvaient trouver chez eux. Selon la version grecque officielle, cette guerre imminente était censée venger l’expédition de Xercès contre la Grèce en 480. Une avant-garde macédonienne, placée sous le commandement d’Attalos et de Parménion, gagna aussitôt l’Asie Mineure par voie de terre et ouvrit les hostilités. Le plan de roi Philippe était de prendre lui-même en main la conduite des opérations. Avant qu’il ne pût le réaliser, il fut assassiné, en été 336, alors qu’il célébrait à Aigai (Vergina) le mariage de sa fille Cléopâtre avec le roi d’Épire Alexandre. Quelles qu’aient pu être les véritables raisons de l’attentat, elles doivent être cherchées exclusivement dans les luttes de clans de la cour macédonienne.
La guerre en Asie, engagée par Philippe et poursuivie par Alexandre en 334, laissa pour douze ans Athènes à l’écart du brasier de l’actualité politique. Non pas que la cité restât tout à fait étrangère à cette expédition : elle dut fournir vingt trières à la flotte d’Alexandre, sans doute aussi des cavaliers ; et en 333, à Issos, beaucoup de citoyens athéniens qui avaient combattu comme mercenaires dans l’armée de Darius furent faits prisonniers des Macédoniens. La nécessité pour Athènes de tenir compte de tous ces hommes –parmi lesquels les équipages des navires étaient en même temps des otages aux mains d’Alexandre- détermina et affecta pendant longtemps les relations de la cité avec le roi. Par ailleurs, Philippe, à la fin de son règne, aussi bien qu’Alexandre (mis à part la dernière année de sa vie) se gardèrent de toute intervention dans les affaires intérieures d’Athènes. » (p.30-32)
« La nouvelle de l’assassinat du roi Philippe fut accueillie à Athènes par des démonstrations de joie : sur proposition de Démosthènes, le Conseil décida d’offrir un sacrifice d’action de grâces et le Peuple accorda des honneurs posthumes aux meurtriers punis de mort après l’attentat. Mais les Athéniens ne s’en tinrent pas à ces manifestations ; ils prirent langue avec d’autres Etats grecs, avec des représentants perses et avec Attalos, l’un des deux chefs d’armée en Asie Mineure, qui semblait nourrir lui-même l’espoir d’occuper le trône vacant. Par ces interventions Athènes rompait la paix fédérale. Hypéride donna libre cours à ce sentiment anti-macédonien lors du procès de Philippidès, qui eut lieu peu après la mort du roi. Mais ce fut bientôt la désillusion, puisqu’il s’avéra qu’en réalité non seulement Alexandre était l’héritier incontesté du trône de son père, mais qu’en outre il prenait immédiatement les mesures adéquates pour consolider sa position d’hégémon des Grecs. Athènes put s’estimer heureuse d’obtenir de sa part, grâce à une ambassade conduite par Démade, la confirmation de la paix.
Cependant, moins d’un an plus tard, la cité s’aventurait très loin –jusqu’à frôler la catastrophe-, et cela à la seule rumeur qu’Alexandre était mort dans un combat contre les Illyriens. Les Thébains se soulevèrent alors contre la domination macédonienne, et le roi des Perses fit parvenir en Grèce d’importantes sommes d’argent destinées aux opposants à la Macédoine. A Athènes, cependant, les magistrats refusèrent d’accepter l’argent perse ; mais Démosthène, à titre privé, toucha un assez gros montant et, avec d’autres, il fournit des armes et du matériel à Thèbes. L’insurrection de cette cité avait été allumée par des bannis thébains qui, déjà précédemment, avaient trouvé refuge à Athènes. L’Assemblée athénienne sa solidarité par un traité bilatéral, qui, dans ces circonstances, ne pouvait être dirigé que contre la Macédoine. C’est alors aussi que l’Athénien Iphikratès, fils du célèbre général homonyme, dut se rendre à la cour du nouveau Grand Roi, Darius III. Comme on croyait mort le chef de la Ligue hellénique à qui on avait prêté le serment de fidélité, Démostène et Lycurgue étaient décidés à tout tenter pour se débarrasser de la tutelle macédonienne. Un contingent athénien fut mobilisé pour aller soutenir les Thébains ; mais il n’avait pas encore passé les frontières de l’Attique que parvenait la nouvelle qu’Alexandre était en vie et qu’il campait déjà avec son armée devant Thèbes.
La nouvelle de la prise et de la destruction complète de cette ville ne tarda pas à se répandre : elle parvint à Athènes au début d’octobre 335, à l’occasion de la fête des Grands Mystères. Peu après fut notifié aux Athéniens, qui s’étaient gravement compromis, l’ultimatum d’Alexandre exigeant la livraison des huits citoyens les plus coupables –et parmi eux Démosthènes et Lycurgue- ainsi que des Thébains qui, fuyant leur patrie conquise, avaient pu trouver asile à Athènes. Il est tout à l’honneur de la cité qu’en dépit des menaces qui assortissaient le message d’Alexandre, elle n’accéda pas à cette requête mais s’efforça d’engager des négociations ; et il est tout à l’honneur d’Alexandre d’avoir souscrit aux demandes des ambassadeurs, qui n’étaient autres que Démade et Phocion. Dans cette décision a pu peser le fait que le roi était pressé de donner un nouvel élan à la guerre restée en suspens contre l’Empire perse et d’en prendre personnellement la direction.
Athènes avait ainsi frisé la catastrophe. Démosthène, Lycurgue et leurs amis politiques firent preuve désormais d’une grande prudence, tandis que Démade et Phocion, à qui l’on devait la sauvegarde de la paix, étaient, bien entendu, directement intéressés à son mantien. Il était devenu clair pour chacun qu’il fallait se résigner, du moins pour l’instant, à l’hégémonie macédonienne. Quant à s’y accomoder durablement, seule une minorité de citoyens y était prête. Toutefois, si l’on voulait un jour recouvrer la liberté, il fallait d’abord s’atteler à une rénovation en profondeur, sur le plan matériel et moral, de maintes institutions. C’est Lycurgue qui conçut l’ensemble du programme et qui, en même temps, comme responsable des finances publiques, eut la possibilité de le réaliser. » (p.33-35)
« Les forteresses de l’Attique (Éleusis, Panakton, Phylè, Rhamnonte, Sounion). » (p.36)
« Les mercenaires athéniens qui furent faits prisonniers au printemps 334, lors de la première victoire d’Alexandre sur les Perses, remportée sur les bords du Granique, avaient joué leur rôle dans cette résistance (encore que, dans leur majorité, ils aient dû entrer au service du roi des Perses bien des années plus tôt, donc dès avant la décision des Etats grecs de la Ligue de Corinthe de mener la guerre contre lui sous la conduite d’Alexandre). Ce dernier n’avait en principe pas à leur en vouloir d’avoir combattu –avec d’autres Grecs- du côté des Perses ; mais il les envoya tout de même, chargés de chaînés, en Macédoine pour les soumettre aux travaux forcés. […] A plusieurs reprises, Athènes demanda au roi leur libération, qui leur fut finalement accordée au printemps 331. Ce traitement cruel pourrait s’expliquer par le fait qu’en embrassant la cause des Perses, ces hommes démentissaient la prétention officielle d’Alexandre de faire de l’expédition une guerre de revanche de la Grèce contre la Perse. La contradiction était d’autant plus frappante que c’était surtout Athènes qui avait été victime, en 480, de l’agression perse et des destructions causées par les hommes de Xercès. » (p.37)
« Alexandre, de son côté, avait motif de se plaindre d’Athènes car, au cours du premier hiver de la guerre, la flotte perse fit relâche dans l’île de Samos et s’y approvisionna en vivres et en eau. Or, Samos était depuis tente ans une possession d’Athènes exploitée par des colons athéniens. La surveillance de l’île était confiée à l’un des dix stratèges annuels avec le titre de « stratège pour Samos ». Le fait que celui-ci ait laissé la population de l’île soutenir les Perses, que ce soit par conviction ou par impuissance, ne peut avoir échappé à Alexandre. Cet incident, qui constituait une violation des devoirs d’Athènes envers la Ligue, pourrait avoir pesé sur sa décision, dix ans plus tard, d’enlever Samos aux Athéniens. » (p.38)
« Lorsqu’il arriva, peu de temps après, la nouvelle de la mort du roi d’Épire en Italie, les Athéniens envoyèrent une ambassade de condoléances aussi bien à Olympias qu’à sa fille Cléopâtre, veuve du roi.
Cet échange d’ambassades survenait de nouveau à une époque de grande tension car, en été 331, les Spartiates, sous le commandement du roi Agis et avec le soutien de plusieurs Etats grecs, étaient entrés en guerre contre la Macédoine ; et Athènes, en tant qu’alliée de Sparte, avait été sur le point de prêter main-forte à ce roi. Déjà un décrêt était pris pour soutenir Agis avec une escadre, et s’il ne fut pas exécuté, ce n’est que grâce à une habile manœuvre de Démade, qui aurait dû se charger du financement de l’opération. » (p.39)
« Impressionnant est tout ce que l’on perçoit, pendant ce petit nombre d’années, en fait de réformes, de constructions publiques et de mesures de consolidation de l’économie et des finances athéniennes. La défaite de Chéronée, loin d’abattre les esprits, a stimulé l’énergie d’Athènes. » (p.41)
« Le nombre des navires guerre, soit trières traditionnelles, soit tétrères –vaisseaux de plus grand tonnage qui avaient tendance à les remplacer- croissait d’année en année. La jeunesse athénienne était préparée au service militaire avec plus de sérieux et d’intensité que jamais depuis que la loi d’Épikratès sur l’éphébie était entrée en vigueur. » (p.42)
« Athènes fut sérieusement touchée par une durable pénurie de blé qui, entre 331 et 324, mit toute la Grèce et le bassin égéen dans une situation difficile. […] Il faut mettre en relation avec cette crise persistante d’approvisionnement un décret de l’Assemblée datant de 325/4 qui ordonne de fonder une base militaire sur l’Adriatique. Son but explicite était d’assurer la sécurité des transports et la protection contre les pirates étrusques. Une flotte fut équipée à cet effet et elle appareilla sous le commandement du stratège Miltiadès du dème de Lakiadai. Toutefois, on ne sait rien des suites de l’entreprise. » (p.44-45)
« C’est aussi à l’époque de Lycurgue, peu après la destruction de Thèbes par Alexandre, qu’Aristote rentra à Athènes après plus de douze ans d’absence. Parmi les œuvres des années immédiatement consécutives figure sa description de l’Etat athénien (Constitution d’Athènes), qui est presque entièrement conservée grâce à un papyrus de Londres découverts en Égypte en 1891. Sur les 158 textes de ce type consacrés par l’école péripatéticienne à la plupart des Etats grecs, c’est le seul qui soit parvenu jusqu’à nous. Il fut composé entre 335 et 330 avant J. C., peut-être par Aristote lui-même. La première partie, la plus longue (chapitre 1 à 41), présente le développement de la constitution athénienne jusqu’aux premières années du IVème siècle ; la seconde partie (chapitre 42 à 69) donne une description systématique des institutions et de leur fonctionnement à l’époque de la rédaction de l’ouvrage. On a supposé, mais ce n’est pas une certitude, que c’est à l’invitation de Lycurgue qu’Aristote revint s’établir à Athènes. En tout cas, la commande faite à Lysippe d’une statue de Socrate n’a guère pu provenir que de Lycurgue, et son érection au Pompeion coïncida avec la réhabilitation publique du philosophe. » (p.47)
« En 321 le régent du royaume Perdiccas, exécutant la volonté d’Alexandre, avait restitué l’île [de Samos] à ses premiers habitants. » (p.51)
« Dès que se fut confirmée la nouvelle de la mort d’Alexandre le Grand, l’aspiration à se libérer de la tutelle macédonienne prévalut dans la plupart des cités grecques […] Il y eut des exceptions, comme Sparte, qui subissait encore les séquelles de la guerre d’Agis, ou la Béotie, dont les différentes cités s’étaient partagé le territoire de Thèbes après la destruction de la ville et avaient donc intérêt au maintien de l’ordre établi. Mais dans leur majorité les Etats grecs étaient en effervescence. A Rhodes, on expulsa la garnison macédonienne ; à Athènes, Léosthénès put désormais agir à découvert. […]
Dans le Péloponnèse, Démosthène s’efforçait de rallier les cités à une coalition dirigée contre la Macédoine et réussit, lui l’exilé, à emporter l’adhésion là où les envoyés officiels d’Athènes n’avaient rien pu obtenir. A la suite de ce succès, son parent Démon parvint à le faire réhabiliter : Démosthène rentra alors triomphalement à Athènes –un accueil qui n’était pas sans évoquer celui d’Alcibiade à son retour d’exil- et il se réconcilia avec Hypéride. L’Assemblée vota en faveur de la guerre, afin de libérer la Grèce et les cités occupées par des garnisons macédoniennes, et elle décréta la mobilisation de la flotte et de l’armée. Furent appelés aux armes tous les citoyens jusqu’à quarante ans, c’est-à-dire la moitié des quarante-deux classes mobilisables. Trois tribus reçurent l’ordre de défendre l’Attique ; les sept autres devaient se tenir prêtres à passer à l’offensive.
A Athènes, l’atmosphère n’était pas favorable à ceux qui entretenaient de bons rapports avec des personnalités macédoniennes. Ainsi, parce qu’il avait proposé de reconnaître la divination d’Alexandre, Démada fut condamné pour « introduction d’un nouveau dieu » à une amende de 10 talents et, comme il ne pouvait pas la payer, il fut privé de ses droits civiques. D’autres hommes politiques, tels Pythéas et Kallimédon, surnommé « le Crabe », abandonnèrent la cité et se rendirent au camp des Macédoniens auprès d’Antipatros. Aristote également, dont les liens d’amitié avec le régent étaient notoires, quitta Athènes vers la fin de l’année 323 et alla s’établir dans la maison de sa mère Chalcis dans l’île d’Eubée, laquelle, à l’exception de la cité de Carystos, restait fidèle à l’alliance macédonienne. C’est que, comme dans le cas de Démade, une action pour impiété (graphè asébeias) avait été intentée contre lui parce qu’il avait, presque vingt ans auparavant, composé en l’honneur de son beau-père, le tyran Hermias d’Atarnée, un poème qui, en raison de quelques formules louangueuses, avait été assimilé à un hymne, genre exclusivement réservé aux dieux. Aristote mourut à Chalcis en octobre 322. » (p.55-56)
« Les Grecs coalisés instituèrent un conseil commun (synédrion), qui devait se tenir dans le quartier général des forces armées et auquel chaque cité envoyait un délégué. Pour le haut commandement, c’est Léosthénès qui fut désigné. Il passa immédiatement à l’offensive, défit les Béotiens qui lui barraient le chemin, occupa les Thermopyles et opéra sa jonction avec l’armée de la Confédération étolienne. Alors, venant de Macédoine, apparut Antipatros, soucieux de contrôler la Thessalie sur le point de passer du côté des Grecs ; toutefois, ses forces étaient insuffisantes pour se mesurer à celles des alliés : il fut battu par Léosthénès et se retira dans la ville de Lamia, où il devait être longtemps bloqué, ce qui explique le nom de « guerre lamiaque » donné plus tard à ce conflit. […]
[Antipatros] repoussa victorieusement les assauts des Grecs contre la ville de Lamia mais se trouvait en danger d’être affamé. Sa situation devint si critique qu’il engagea des négociations. Léosthénès n’exigeait rien de moins que la capitulation sans condition, chose qu’Antipatros refusa. Tandis qu’à Athènes et dans les autres cités grecsques on fêtait sans retenue les premiers grands succès, la guerre d’escarmouches devant Lamia suivait son cours. Dans une de ces rencontres Léosthénès fut mortellement blessé. Sa mort porta un coup sévère à la cause des coalisés, car aucun autre chef ne pouvait se prévaloir d’une énergie et d’un prestige comparables. A sa place fut désigné l’Athénien Antiphilos.
Au cours de l’hivers, Léosténès ainsi que les autres Athéniens tombés pendant les premiers mois de la guerre furent solennellement enterrés au Céramique, le cimetière public d’Athènes. Ce fut Hypéride, on l’a vu, qui prononça le discours funèbre en leur honneur, tout comme Périclès, jadis, avait fait l’éloge des soldats morts durant la première année de la guerre du Péloponnèse et que Démosthène avait parlé pour les victimes de Chéronée. De larges parties de discours, célèbre dès l’Antiquité, ont été conservées sur papyrus. L’orateur y portait aux nues Léosthénès comme initiateur de la guerre et commandant en chef, tandis que la cité d’Athènes était louée comme rempart de l’Hellade : chefs et simples citoyens avaient donné leur vie pour la liberté de la Grèce. En cas de défaite, disait Hypéride, partout aurait triomphé, en lieu et place du droit, l’arrogance macédonienne. L’idée générale qui se dégage avec force est l’antinomie entre monarchie et régime républicain, recouvrant l’opposition entre l’arbitraire despotique et la souveraineté du droit et de la loi. Cet épitaphios est le dernier grand discours athénien qui soit encore conservé : il est comme le chant du cygne de la liberté grecque. » (p.57-58)
« Le roi Démétrios II mourut au début de l’année 229, laissant derrière lui un fils du nom de Philippe, âgé de neuf ans seulement. Cela créa en Macédoine une situation instable, qui incita Athènes à tenter de recouvrer sa liberté. L’entreprise fut couronnée de succès et, cette fois-ci –à la différence de ce qui se passe en 287-, sans même recourir à la force. Le commandant des troupes royales en Attique, Diogène, du fait qu’il était lui-même vraisemblablement citoyen d’Athènes, se laissa convaincre de rendre aux Athéniens le Pirée, l’île de Salamine, de même que les forteresses de Moucychie et de Rhamnonte, et de licencier les soldats placés sous ses ordres. Les 150 talents dont il avait besoin pour indemniser ceux-ci furent, semble-t-il, rapidement réuni. Des décrêts du Peuple athénien attribuent l’initiative de ces tractations et la récolte des fonds nécessaires à Eurykleidès et Mikion de Képhisia, deux frères dont le premier en tout cas avait déjà occupé divers postes de haut rang. Tous deux furent par la suite, quelques décennies durant, les véritables chefs de l’Etat athénien. » (p.194)
« En été 229, encore avant le début de l’année attique (juillet), la ville, le port et le territoire –pour la première fois depuis la guerre de Chrémonidès- étaient à nouveau libres. Pour ce qui est du port, cela faisait même soixante-six ans qu’il était occupé. » (p.194)
« Grâce aux événements du printemps 229, Athènes était rentrée dans le cercle des Etats indépendants et était redevenue capable de mener sa politique étrangère en toute liberté. D’emblée reprirent, après une longue interruption, des échanges diplomatiques, dont il reste au moins quelques traces dans notre documentation lacunaire. Le but prioritaire d’Athènes était de renouer de bonnes relations avec le plus grand nombre possible d’Etat, mais en restant à l’écart de tout conflit potentiel et en évitant aussi tout ce qui pouvait indisposer davantage la Macédoine. » (p.197)
« C’est aussitôt après la libération, au printemps de l’année 228, qu’Athènes –sans y être pour rien- entra pour la première fois en contact avec une autre grande puissance, à savoir la République romaine. C’était l’époque où, suite à l’acquisition de ses deux premières provinces, la Sicile et la Sardaigne, Rome avait certes vu son commerce maritime connaître un bel essor, mais avait également eut beaucoup à souffrir sur les mers de la part des pirates illyriens. Des protestations diplomatiques auprès de la reine Teuta d’Illyrie restèrent sans effet, si bien qu’en 229 une expédition, que l’on appelle « première guerre d’Illyrie », fut menée contre elle par les deux consuls et eut, pour résulter d’obliger Teuta, au printemps 228, à conclure la paix. Entre autres clauses, le traité faisait défense de laisser des navires de guerre opérer au sud de Lissa (aujourd’hui Lesk en Albanie). Ce fut la première intervention de Rome dans les affaires balkaniques. En 228, le consul de l’année précédente, L. Postumius Albinus, seul à être resté encore en Illyrie, députa une délégation auprès des assemblées des Confédérations étolienne et achéenne –qui avaient l’une et l’autre eu maille à partir avec les Illyriens –pour leur rendre compte des opérations romaines. Peu après, le Sénat envoya pour une mission analogue des ambassadeurs auprès des cités de Corinthe, membre de la Confédération achéenne, et d’Athènes. […] L’Étolie et l’Archaïe étaient alors en guerre contre la Macédoine et qu’Athènes venait de se débarasser de la tutelle macédonienne. […] L’hypothèse selon laquelle Rome aurait déjà eu, à cette époque, la volonté d’isoler la Macédoine va peut-être trop loin, mais il semble néanmoins incontestable que le Sénat chercha à s’acquérir alors auprès des adversaires du roi une certaine sympathie pour le nouvel ordre qu’il avait crée en Illyrie et qui, de toute façon, ne pouvait laisser la Macédoine indifférente. » (p.205)
« La paix signée en l’année 217 à Naupacte, qui mit fin à la guerre des Alliés, fut […] le dernier traité conclu sur sol hellénistique sans la participation de Rome. » (p.208)
-Christian Habicht, Athènes Hellénistique. Histoire de la cité d’Alexandre le Grand à Marc Antoine, Les Belles Lettres, 2000 (1995 pour la première édition allemande), 570 pages.
Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Ven 13 Avr - 14:46, édité 1 fois