"Non, la période qui s'étend de 323 à 188 n'est pas celle d'une décadence ou d'une défaite annoncées. Et les deux dates qui l'encadrent n'ont jamais été perçues par les hommes de ce temps comme des moments décisifs où tout bascule, où un monde nouveau apparaît." (p.10)
"En 189, l'intervention romaine en Asie n'est pas non plus un événement de première grandeur. Depuis 230 au moins, les Romains sont fréquemment présents dans les affaires grecques. Souvent les légions ont traversé la mer Adriatique pour débarquer à Apollonia d'Illyrie, à Orikos, à Corcyre. Souvent elles ont lutté contre les Illyriens, les Macédoniens et leurs alliés grecs. A chaque fois les Grecs sont habitués à les voir repartir, lorsque les opérations militaires sont achevées. Les marchands italiens, quant à eux, circulent dans la Méditerranée orientale et en mer Égée pour faire du commerce, ils fréquentent les ports de Rhodes, de Délos, ceux de la côte égyptienne, ceux d'Antioche, de Phoiniké, d'Issa ou de Corcyre." (p.10-11)
"A l'annonce de la mort d'Alexandre, la Grèce d'Europe est beaucoup plus agitée encore: les Athéniens obtiennent le soutien des Étoliens, des Phocidiens, des Locriens, et Antipatros doit s'enfermer dans la ville de Lamia, après un échec aux Thermopyles face au stratège athénien Léosthénès. De nouveaux alliés se joignent à la coalition: Acarnaniens, Épirotes, gens d'Élide, de Sicyone, de Messène, d'Argos. Dans la guerre lamiaque, le succès change brutalement de camp, après la mort de Léosthénès au cours du siège de la ville. La flotte athénienne, qui avait gardé sa puissance grâce à la politique de Lycurgue, est défaite cependant au large d'Amorgos dans l'été 322 ; c'est une catastrophe plus grave que la défaite de Chéronée (338), car, brusquement, Athènes cesse d'être une puissance navale qui compte. [...] A partir de cette date, une garnison macédonienne campe à Mounychia, Oropos et Samos sont abandonnés." (p.18)
"Antigone le Borgne cherche à rétablir à son profit l'unité de l'Empire et les autres diadoques s'unissent contre ses prétentions. Après plusieurs années de guerre contre Ptolémée en Syrie-Phénicie et contre Cassandre en Grèce, où Antigone prône le rétablissement de la liberté et de l'autonomie des cités et encourage la formation du Koinon des Nésiotes (Fédération des insulaires) en mer Égée, la paix de 311 dresse le constat des forces respectives: à Cassandre la stratégie sur l'Europe jusqu'à la majorité d'Alexandre IV, à Lysimaque la Thrace, à Ptolémée l'Égypte, à Antigone l'Asie, sans qu'il soit fait mention de Séleucos qui ne participe pas à cette paix. C'est pourtant dans l'année 312 que commence l'ère séleucide, au moment où Séleucos reprend le contrôle des satrapies supérieures, en Iran et au-delà, que tenait Antigone depuis sa victoire sur Eumène.
En 310, Cassandre anéantit la dynastie argéade en faisant tuer le jeune Alexandre IV et sa mère Roxane. Cet événement marque la fin du royaume argéade, la fiction de l'unité de l'Empire maintenue en faveur du fils d'Alexandre est détruite, et l'éclatement (en cinq États à cette date) est inévitable si l'un des généraux ne réussit pas à rétablir l'unité à son profit. C'est le désir d'Antigone le Borgne, épaulé par son fils Démétrios ; il ne peut empêcher néanmoins l'action de Séleucos dans les satrapies orientales ni celle de la flotte de Ptolémée en mer Égée, à partir de Chypre notamment.
En 307/306, Démétrios prend Athènes et en chasse le tyran Démétrios de Phalère qui se réfugie à Alexandrie, où il est bientôt à l'origine de la fondation du Musée, transférant ainsi d'Athènes à la ville nouvelle le flambeau de la culture grecque. [...]
La victoire de Chypre pousse Antigone et son fils à prendre le titre de basileus ; ils se veulent les seuls successeurs d'Alexandre. Les autres diadoques ne tardent pas à prendre aussi le titre royal (305/304), car ils ne veulent pas laisser à Antigone et à son fils le monopole de la royauté. [...]
En 306, Démétrios contraint Salamine de Chypre à capituler, ce qui est un coup dur pour le roi lagide, mais l'offensive contre Ptolémée s'essouffle au cours du siège de Rhodes, île qui reste le seul obstacle à la suprématie maritime des Antigonides." (p.19-20)
"En 301, la bataille d'Ipsos, en Phrygie, qui oppose les Antigonides à la coalition des autres rois (Cassandre, Séleucos, Lysimaque), moins Ptolémée, est marquée par la mort d'Antigone le Borgne, la défaite de son armée et la fuite de son fils. Ptolémée met à profit cette période pour pénétrer en Syrie-Phénicie et y établir son autorité sur la moitié méridionale, la Coelé-Syrie. Dans le partage qui suit la défaite des Antigonides, Lysimaque prend l'Asie Mineure jusqu'au Taurus, moins quelques places dans le Sud qui sont aux mains du roi lagide. Cassandre, en Europe, est en compétition avec Démétrios Poliorcète qui garde des positions solides reliées avec une flotte imposante. Athènes revient à Cassandre et reçoit un gouvernement autoritaire entre les mains de Lacharès. Séleucos revendiquait toute la Syrie, mais se heurtait à l'occupation du Sud par Ptolémée." (p.21)
"Durant cette dernière période de la génération des diadoques, le fait marquant est la lutte de Démétrios Poliocète pour redresser une situation très compromise depuis la bataille d'Ipsos. Appuyé sur une flotte puissante, il se rapproche d'abord de Séleucos, qui fonde sa nouvelle capitale, Antioche, en 300, tandis que Ptolémée se rapproche de Lysimaque. La mort de Cassandre, roi en Macédoine, en 297, permet à Démétrios de reprendre pied en Grèce ; il met d'abord le siège devant Athènes qui capitule en 294, ses garnisons remplacent celles de Cassandre [...] Ses adversaires profitent de sa présence en Grèce pour reprendre Chypre (Ptolémée), les villes d'Asie Mineure (Lysimaque) et la Cilicie (Séleucos). [...]
En 288, Pyrrhos se fait acclamer roi par l'armée macédonienne, sans doute majoritairement composée de soldats originaires de haute Macédoine, tandis que Lysimaque prend aussi sa part en Macédoine orientale ; le partage se fait donc entre deux rivaux le long de l'Axios. Chassé de son royaume macédonien, Démétrios voit aussi ses possessions fondre en mer Égée, où le Koinon des Nésiotes (ou Insulaires) passe sous le contrôle de la flotte lagide. Athènes chasse la garnison macédonienne de la ville en 286 et échappe à un retour menaçant de Démétrios grâce à l'intervention de mercenaires lagides venus d'Andros sous la conduite de l'Athénien Kallias, officier au service de Ptolémée Ier. Démétrios passe alors en Asie où il tente de se reconstituer un domaine, il est arrêté par Séleucos, emprisonné en 285 et meurt deux ans plus tard, ce qui n'empêche pas des garnisons macédoniennes à son service de tenir le territoire d'Athènes et le Pirée jusqu'en 281.
A cette date, la situation politique du monde hellénistique paraît clarifiée. Trois royaumes sont, semble-t-il, solidement établis: celui de Ptolémée Ier en Égypte, avec ses multiples possessions extérieures (Chypre, la Coelé-Syrie, le contrôle du Koinon des Nésiotes et des possessions sur les côtes anatoliennes), celui de Séleucos Ier en Asie y compris les satrapies supérieures jusqu'en Batriane et Sogdiane, celui de Lysimaque enfin qui tient les Détroits (Bosphore et Hellespont), la Thrace, l'Asie Mineure (moins les royaumes du Pont et de Bithynie et les principautés paphlagoniennes) et, à partir de 284, la totalité de la Macédoine et de la Thessalie qu'il arrache à Pyrrhos." (p.22 et 24)
"En quelques années, toute la génération des diadoques disparaît: en 283, Ptolémée Ier Sôter meurt, après avoir associé au trône son fils Ptolémée II à partir de 285 ; la transition se fait donc sans difficulté dans le royaume lagide. Séleucos Ier pénètre en Asie Mineure et entre en guerre contre son voisin Lysimaque, dont la fin de règne a été obscurcie par des drames familiaux, en particulier l'exécution de l'héritier Agathoclès ; Lysimaque est tué au cours de la bataille de Coupédion, à l'ouest de Sardes (281): toutes les possessions asiatiques de Lysimaque entrent de ce fait dans le royaume séleucide et, malgré l'opposition des cités du Bosphore, Séleucos rêve de conquérir la Macédoine. Mais après avoir traversé l'Hellespont, près de Lysimacheia, il est assassiné en 280 par Ptolémée Kéraunos (la Foudre), un fils de Ptolémée Ier, écarté du trône égyptien au profit de son demi-frère, Ptolémée II." (p.25)
"Antigone Gonatas, le fils de Démétrios Poliorcète [...] [remporte] un succès local sur une troupe celte près de Lysimacheia (277). [...] Légitimé par sa victoire [...] [il établit] durablement son autorité sur une Macédoine affaiblie par les ponctions répétées en hommes jeunes, effectuées depuis plus d'un demi-siècle, et détruite par le passage brutal des bandes celtes qui ont ravagé toutes les campagnes. Les villes, qui ont échappé au pillage grâce à leurs murailles, ont également pris goût à l'autonomie, si bien qu'Antigone doit les reconquérir." (p.26)
"La préoccupation majeure des premiers rois lagides est d'assurer la sécurité de l'Égypte par la construction d'un glacis protecteur très vaste [...] Les Lagides ne cessent d'intervenir dans les affaires de Grèce propre, sur la côte de l'Ionie pour affaiblir le roi antigonide." (p.28-29)
"Les Lagides voient d'un oeil favorable la croissance de la Fédération achéenne sous l'autorité d'Aratos de Sicyone ; elle correspond à la ruine de la présence antigonide dans le Péloponnèse et même à la perte de Corinthe en 243 pour les Macédoniens. Après la mort d'Antigone Gonatas en 239, son fils Démétrios II est aux prises avec une coalition des deux fédérations étoliennes et achéenne tandis que la frontière septentrionale de la Macédoine est menacée par la poussée des Dardaniens." (p.29)
"Après la mort, en 261, d'Antiochos Ier, qui a subi un échec sérieux près de Sardes face à Eumène (Ier) de Pergame, la deuxième guerre de Syrie (260-253) oppose Antiochos II au roi lagide en Ionie, où Ptolémée Philadelphe a renforcé son installation autour d'Éphèse et de Milet." (p.30)
"Édouard Will a parlé à juste titre de "mercantilisme d'Etat" -alors qu'Ulrich Wilcken a comparé la politique des Lagides et surtout de Ptolémée II Philadelphe avec le colbertisme au XVIIe siècle français [...] une exploitation méthodique des ressources de la terre égyptienne fournit au souverain la possibilité d'exporter massivement ses céréales, qui font tellement défaut à la Grèce d'Europe notamment ; de cette manière, le roi bénéficie de rentrées importantes en métaux précieux, qui permettent à leur tour une politique extérieure active: recrutement de soldats, construction de flottes capables de rivaliser avec celles des Antigonides, diplomatie dynamique." (p.31)
"Le royaume séleucide est, beaucoup plus que l'Empire perse, tourné vers l'Asie Mineure et vers la mer Égée, ce qui explique, plus tard, en 191-188, l'importance de la guerre antiochique contre Rome et de ses alliés (Pergame et Rhodes surtout) et des pertes territoriales subies par Antiochos III, au nord-ouest du Taurus." (p.36)
"Lors de son accession au trône macédonien, Antigone tient encore en Grèce l'Acrocorinthe, Chalcis, Démétrias. L'affaiblissement macédonien a rendu possible néanmoins le renouveau de la Fédération achéenne, à partir des années 280 ; les cités d'Achaïe se débarrassent alors progressivement des garnisons macédoniennes et des tyrans qui les gouvernent, tout comme les Athéniens ont réussi à chasser les dernières garnisons en 281 avec l'aide des Lagides. L'intervention de Pyrrhos dans le Péloponnèse a facilité l'affranchissement des cités soumises à Antigone. Mais Élis et Mégalopolis restent aux mains de tyrans proches d'Antigone Gonatas. Au nord du golfe de Corinthe, la Fédération étolienne devient une puissance considérable après le sauvetage du sanctuaire de Delphes qui a échappé au pillage des Celtes.
La guerre de Chrémonidès (ca 266-261) est un épisode des luttes menées par les Lagides contre Antigone Gonatas, mais elle n'est pas sans conséquence sur la vie des Etats grecs: à l'issue du siège, Athènes est réoccupée par des garnisons macédoniennes qui y demeurent jusqu'en 229. Sparte a fait la démonstration de son extrême faiblesse: son roi Areus n'a pu franchir l'isthme de Corinthe pour tenter de secourir ses alliés athéniens. Sur la frontière occidentale de la Macédoine, la tentative d'Alexandre d'Épire de créer un nouveau front au flanc du royaume de Gonatas est un échec ; défait, le fils de Pyrrhos ne peut récupérer son royaume qu'avec le soutien de ses alliés acarnaniens. C'est sans doute pour contrecarrer la menace d'une grande Macédoine établie de la mer Ionienne à la mer Égée qu'est conclu le traité d'alliance étolo-acarnanien, vers 263/62.
En Grèce centrale, progressivement, le Koinon étolien s'étend au détriment de ses voisins ; s'il a la main sur le sanctuaire delphique depuis l'invasion celte, son territoire couvre également la Locride Ozole et la Phocide ; vers 253/52, les Étoliens partagent avec Alexandre II d'Épire leur alliés d'hier, la fédération d'Acarnanie." (p.37-38)
"Le Koinon des Achéens connaît alors, au début de la seconde moitié du IIIe siècle, un développement considérable, sous la direction d'Aratos de Sicyone qui surprend la forteresse de Corinthe en 243 et l'intègre dans l'Etat fédéral achéen. Les Étoliens, peut-être poussés par Antigone Gonatas, interviennent dans le Péloponnèse occidental, en Élide, en Messénie et même en Arcadie. En 241/40, la paix est conclue entre les deux grandes fédérations. Mais le Péloponnèse connaît d'autres grandes fédérations. Mais le Péloponnèse connaît d'autres événements importants. Agis IV essaie, à partir de 245, de reconstruire l'Etat lacédémonien, par un élargissement du corps civique et la redistribution des terres. Ses projets sont vivement combattus par l'autre roi spartiate appuyé sur une petite oligarchie de riches qui ne veulent pas entendre parler de réformes révolutionnaires, comme l'abolition des dettes et le partage des terres. Agis IV meurt de mort violente, mais les idées stoïciennes continuent à conserver vivantes ces réformes, reprises bientôt par Cléomène III, en 227.
A la mort d'Antigone Gonatas, âgé de quatre-vingts ans, en 239, le royaume macédonien s'est redressé grâce à une bonne administration et à des années de paix civile. Sa flotte de guerre a réussi à refouler la puissance lagide au sud de la mer Égée. En revanche, en Grèce même, la situation est difficile pour le roi antigonide, surtout en raison de la croissance des deux Etats fédéraux qui bordent le golfe de Corinthe, Étoliens au nord, Achéens au sud. Les premiers arrivent à contrôler la Grèce centrale d'une mer à l'autre, c'est-à-dire depuis la mer Ionienne jusqu'au canal de l'Eubée. Leurs activités de piraterie entraînent la conclusion d'accords entre les Étoliens et des victimes potentielles qui obtiennent l'asylie, c'est-à-dire la possibilité d'échapper aux actions de représailles et, plus généralement, au pillage: c'est le cas de Chios, puis de nombreuses îles comme Ténos, Délos. Il faut dire que les Étoliens n'ont pas le monopole de la piraterie, pratiquée avec succès par les Crétois et, au moins à partir de 235, par les Illyriens." (p.39-40)
"Quant à l'autobiographie, il semble qu'elle ait connu un large essor durant cette période, mais nous n'en avons que des témoignages indirects." (p.41-42)
"Le royaume lagide est celui dont l'unité paraît la plus réelle par sa partie égyptienne ; il gagne en diversité si l'on porte le regard sur Cyrène, sur Chypre, sur la côte anatolienne, sur les îles des Cyclades ou le pays des Juifs." (p.45)
"Dans l'Egypte lagide, Ptolémée II commence par proclamer dieu son père défunt en 283." (p.54)
"Le grand commerce, qui ne peut être que maritime, est facilité en outre par la chasse aux pirates qu'assurent les Rhodiens durant le IIIe siècle, avec des résultats inégaux ; entre 205 et 201/200, les Rhodiens l'emportent dans une guerre contre les cités crétoises au large de Cos, ils imposent alors leur alliance et leur contrôle à Hiérapytna de Crète." (p.85)
"Les puissantes flottes qui rivalisent sur la mer Égée sont celles des Antigonides, qui règnent sur la Macédoine, et des Lagides, qui contrôlent l'importation du bois des côtes libanaises. La cité rhodienne, dont les navires de commerce assurent l'essentiel des transports en Méditerranée orientale au cours du IIIe siècle, doit cette position de force aux bois de la côte méridionale de l'Anatolie." (p.87)
"Polis, c'est-à-dire la cité-Etat, édifiée autour d'un corps civique déterminé, lui-même établi sur un territoire donné, composé d'une ville, plus ou moins développée, et d'une chôra, qui est le terroir agricole qui fait vivre la cité. Cette communauté civique possède sa propre structure étatique qui lui assure la liberté et l'autonomie, au sens étymologique, c'est-à-dire ses propres lois." (p.104)
"Il va sans dire que l'autorité royale, celle d'Alexandre comme celle de ses successeurs, limite considérablement la liberté et l'autonomie des cités nouvellement établies au sein des différents royaumes. Elles n'ont plus la libre disposition de leur politique extérieure, ne peuvent rêver d'une armée civique indépendante qui mènerait ses propres opérations militaires, pas plus que d'une diplomatie agissant à sa guise dans l'intérêt de la cité qu'elle représente. Les souverains ont su marquer les limites de l'autonomie des cités, qui se réduit souvent à une gestion municipale, même si les princes, notamment chez les Séleucides, savent masquer cette évolution. [...] On voit, par exemple, comment Ptolémée II s'engage auprès des habitants de Telmessos de Lycie, en 279, à ne pas faire donation de leur cité à qui que ce soit. Ce qui n'empêche pas qu'en 240 la même cité se retrouve donnée à Ptolémée fils de Lysimaque, et les citoyens rendent grâce à ce nouveau maître qui a réduit leurs impôts." (p.105)
"La communauté (ou koinon) des Achéens réunit anciennement douze cités, situées sur la côte septentrionale du Péloponnèse, avant de s'ouvrir, à partir de 251, à des cités non achéennes (de dialecte), mais dorienne comme Sicyone, Corinthe, puis d'absorber la totalité de l'Arcadie voisine, et de prétendre réaliser l'unité du Péloponnèse en son sein. Sur l'autre rive du golfe de Corinthe, au nord, la Fédération étolienne comprend côte à côte des cités et des ethnè [...]
Ces États fédéraux [...] atteignent seuls une taille suffisante pour compter dans le concert des États hellénistiques: Achéens et Étoliens sont capables de tenir tête aux rois antigonides, par exemple à Démétrios II au cours de la guerre démétriaque (239-229)." (p.108-109)
"Quête permanente de nouveaux protecteurs, parfois en essayant de nouer des liens auprès de plusieurs protecteurs à la fois. On l'évoquait précédemment à propos des deux frères Kallias et Phaidros de Sphettos: les Athéniens honorent Kallias, ami des deux premiers Ptolémées, quand la cité est indépendante, en 270/69, avant la guerre de Chrémonidès ; mais les mêmes honorent, quinze ans plus tard, son frère, lié à Antigone Gonatas, parce qu'Athènes est à nouveau occupée par des garnisons macédoniennes à l'issue de la guerre de Chrémonidès." (p.117)
"L'inscription d'Éphèse [...] précise, au début du IIIe siècle, que quinze titres de citoyenneté sont vendus au prix de six mines de façon à réunir un demi-talent, pour couvrir des dépenses militaires. Certes, il s'agit là d'un expédient pour des cités contraintes de faire face à des charges imprévus, mais ces ventes de citoyenneté sont néanmoins révélatrices d'un changement des mentalités." (p.119)
"Après une expédition cruelle contre les Galates, menée par le consul Cn. Manlius Vulso, Rome conclut la paix d'Apamée avec le roi séleucide en 188. Cet accord confirme l'abandon de l'Asie Mineure jusqu'au Taurus, la renonciation à toute intervention militaire vers l'ouest, le paiement d'une indemnité de guerre. Le royaume séleucide est donc chassé de la mer Égée et repoussé vers l'Asie. Les possessions qui lui ont été arrachées sont partagées entre Rhodes et le royaume de Pergame: aux Rhodiens, la Lycie et la Carie jusqu'au Méandre ; à Eumène II, le contrôle de l'Hellespont et un vaste domaine asiatique de la Phrygie hellespontique à la Pamphylie. La liberté est reconnue aux cités grecques qui ont résisté à Antiochos ou qui se sont données aux Romains. Les pertes pour le royaume séleucide sont énormes [...]
A l'issue de cette première campagne romaine en Asie, le panorama politique a beaucoup changé dans le monde grec. Parmi les royaumes issus du partage de l'Empire d'Alexandre, deux ont subi des défaites cuisantes face aux Romains: la Macédoine de Philippe V retrouve un certain rôle en Grèce, mais dans la mouvance romaine, elle demeure donc très réduite ; l'Etat séleucide, agrandi en Coélé-Syrie, sort très affaibli de la guerre d'Antiochos III contre Rome. L'Égypte brille par son absence totale dans les événements du début du IIe siècle et ne tire aucun bénéfice de la défaite séleucide ; très diminué par la crise dynastique et l'agitation indigène, le royaume lagide n'est plus en état de jouer un rôle majeur en Méditerranée orientale [...] En revanche, Rome favorise la croissance du royaume pergaménien, qui sépare les royaumes antigonide et séleucide et contient le danger galate. Rome ne garde rien pour elle-même, n'annexe aucun territoire, mais règle le sort des territoires conquis en maître absolu. Les relations nouvelles qui sont ainsi créées par les succès romains sont celles qui unissent un Etat patron à des Etats clients. Si Rome n'applique pas encore un impérialisme conquérant dans l'Orient hellénistique, sa politique témoigne déjà d'une volonté de puissance qui ne supporte aucune concurrence." (p.228-229)
-Pierre Cabanes, Le monde hellénistique. De la mort d'Alexandre à la paix d'Apamée (323-188 av. J.C.), Nouvelle Histoire de l'Antiquité, Tome 4, Éditions du Seuil, coll. Points, 1995, 276 pages.
"En 189, l'intervention romaine en Asie n'est pas non plus un événement de première grandeur. Depuis 230 au moins, les Romains sont fréquemment présents dans les affaires grecques. Souvent les légions ont traversé la mer Adriatique pour débarquer à Apollonia d'Illyrie, à Orikos, à Corcyre. Souvent elles ont lutté contre les Illyriens, les Macédoniens et leurs alliés grecs. A chaque fois les Grecs sont habitués à les voir repartir, lorsque les opérations militaires sont achevées. Les marchands italiens, quant à eux, circulent dans la Méditerranée orientale et en mer Égée pour faire du commerce, ils fréquentent les ports de Rhodes, de Délos, ceux de la côte égyptienne, ceux d'Antioche, de Phoiniké, d'Issa ou de Corcyre." (p.10-11)
"A l'annonce de la mort d'Alexandre, la Grèce d'Europe est beaucoup plus agitée encore: les Athéniens obtiennent le soutien des Étoliens, des Phocidiens, des Locriens, et Antipatros doit s'enfermer dans la ville de Lamia, après un échec aux Thermopyles face au stratège athénien Léosthénès. De nouveaux alliés se joignent à la coalition: Acarnaniens, Épirotes, gens d'Élide, de Sicyone, de Messène, d'Argos. Dans la guerre lamiaque, le succès change brutalement de camp, après la mort de Léosthénès au cours du siège de la ville. La flotte athénienne, qui avait gardé sa puissance grâce à la politique de Lycurgue, est défaite cependant au large d'Amorgos dans l'été 322 ; c'est une catastrophe plus grave que la défaite de Chéronée (338), car, brusquement, Athènes cesse d'être une puissance navale qui compte. [...] A partir de cette date, une garnison macédonienne campe à Mounychia, Oropos et Samos sont abandonnés." (p.18)
"Antigone le Borgne cherche à rétablir à son profit l'unité de l'Empire et les autres diadoques s'unissent contre ses prétentions. Après plusieurs années de guerre contre Ptolémée en Syrie-Phénicie et contre Cassandre en Grèce, où Antigone prône le rétablissement de la liberté et de l'autonomie des cités et encourage la formation du Koinon des Nésiotes (Fédération des insulaires) en mer Égée, la paix de 311 dresse le constat des forces respectives: à Cassandre la stratégie sur l'Europe jusqu'à la majorité d'Alexandre IV, à Lysimaque la Thrace, à Ptolémée l'Égypte, à Antigone l'Asie, sans qu'il soit fait mention de Séleucos qui ne participe pas à cette paix. C'est pourtant dans l'année 312 que commence l'ère séleucide, au moment où Séleucos reprend le contrôle des satrapies supérieures, en Iran et au-delà, que tenait Antigone depuis sa victoire sur Eumène.
En 310, Cassandre anéantit la dynastie argéade en faisant tuer le jeune Alexandre IV et sa mère Roxane. Cet événement marque la fin du royaume argéade, la fiction de l'unité de l'Empire maintenue en faveur du fils d'Alexandre est détruite, et l'éclatement (en cinq États à cette date) est inévitable si l'un des généraux ne réussit pas à rétablir l'unité à son profit. C'est le désir d'Antigone le Borgne, épaulé par son fils Démétrios ; il ne peut empêcher néanmoins l'action de Séleucos dans les satrapies orientales ni celle de la flotte de Ptolémée en mer Égée, à partir de Chypre notamment.
En 307/306, Démétrios prend Athènes et en chasse le tyran Démétrios de Phalère qui se réfugie à Alexandrie, où il est bientôt à l'origine de la fondation du Musée, transférant ainsi d'Athènes à la ville nouvelle le flambeau de la culture grecque. [...]
La victoire de Chypre pousse Antigone et son fils à prendre le titre de basileus ; ils se veulent les seuls successeurs d'Alexandre. Les autres diadoques ne tardent pas à prendre aussi le titre royal (305/304), car ils ne veulent pas laisser à Antigone et à son fils le monopole de la royauté. [...]
En 306, Démétrios contraint Salamine de Chypre à capituler, ce qui est un coup dur pour le roi lagide, mais l'offensive contre Ptolémée s'essouffle au cours du siège de Rhodes, île qui reste le seul obstacle à la suprématie maritime des Antigonides." (p.19-20)
"En 301, la bataille d'Ipsos, en Phrygie, qui oppose les Antigonides à la coalition des autres rois (Cassandre, Séleucos, Lysimaque), moins Ptolémée, est marquée par la mort d'Antigone le Borgne, la défaite de son armée et la fuite de son fils. Ptolémée met à profit cette période pour pénétrer en Syrie-Phénicie et y établir son autorité sur la moitié méridionale, la Coelé-Syrie. Dans le partage qui suit la défaite des Antigonides, Lysimaque prend l'Asie Mineure jusqu'au Taurus, moins quelques places dans le Sud qui sont aux mains du roi lagide. Cassandre, en Europe, est en compétition avec Démétrios Poliorcète qui garde des positions solides reliées avec une flotte imposante. Athènes revient à Cassandre et reçoit un gouvernement autoritaire entre les mains de Lacharès. Séleucos revendiquait toute la Syrie, mais se heurtait à l'occupation du Sud par Ptolémée." (p.21)
"Durant cette dernière période de la génération des diadoques, le fait marquant est la lutte de Démétrios Poliocète pour redresser une situation très compromise depuis la bataille d'Ipsos. Appuyé sur une flotte puissante, il se rapproche d'abord de Séleucos, qui fonde sa nouvelle capitale, Antioche, en 300, tandis que Ptolémée se rapproche de Lysimaque. La mort de Cassandre, roi en Macédoine, en 297, permet à Démétrios de reprendre pied en Grèce ; il met d'abord le siège devant Athènes qui capitule en 294, ses garnisons remplacent celles de Cassandre [...] Ses adversaires profitent de sa présence en Grèce pour reprendre Chypre (Ptolémée), les villes d'Asie Mineure (Lysimaque) et la Cilicie (Séleucos). [...]
En 288, Pyrrhos se fait acclamer roi par l'armée macédonienne, sans doute majoritairement composée de soldats originaires de haute Macédoine, tandis que Lysimaque prend aussi sa part en Macédoine orientale ; le partage se fait donc entre deux rivaux le long de l'Axios. Chassé de son royaume macédonien, Démétrios voit aussi ses possessions fondre en mer Égée, où le Koinon des Nésiotes (ou Insulaires) passe sous le contrôle de la flotte lagide. Athènes chasse la garnison macédonienne de la ville en 286 et échappe à un retour menaçant de Démétrios grâce à l'intervention de mercenaires lagides venus d'Andros sous la conduite de l'Athénien Kallias, officier au service de Ptolémée Ier. Démétrios passe alors en Asie où il tente de se reconstituer un domaine, il est arrêté par Séleucos, emprisonné en 285 et meurt deux ans plus tard, ce qui n'empêche pas des garnisons macédoniennes à son service de tenir le territoire d'Athènes et le Pirée jusqu'en 281.
A cette date, la situation politique du monde hellénistique paraît clarifiée. Trois royaumes sont, semble-t-il, solidement établis: celui de Ptolémée Ier en Égypte, avec ses multiples possessions extérieures (Chypre, la Coelé-Syrie, le contrôle du Koinon des Nésiotes et des possessions sur les côtes anatoliennes), celui de Séleucos Ier en Asie y compris les satrapies supérieures jusqu'en Batriane et Sogdiane, celui de Lysimaque enfin qui tient les Détroits (Bosphore et Hellespont), la Thrace, l'Asie Mineure (moins les royaumes du Pont et de Bithynie et les principautés paphlagoniennes) et, à partir de 284, la totalité de la Macédoine et de la Thessalie qu'il arrache à Pyrrhos." (p.22 et 24)
"En quelques années, toute la génération des diadoques disparaît: en 283, Ptolémée Ier Sôter meurt, après avoir associé au trône son fils Ptolémée II à partir de 285 ; la transition se fait donc sans difficulté dans le royaume lagide. Séleucos Ier pénètre en Asie Mineure et entre en guerre contre son voisin Lysimaque, dont la fin de règne a été obscurcie par des drames familiaux, en particulier l'exécution de l'héritier Agathoclès ; Lysimaque est tué au cours de la bataille de Coupédion, à l'ouest de Sardes (281): toutes les possessions asiatiques de Lysimaque entrent de ce fait dans le royaume séleucide et, malgré l'opposition des cités du Bosphore, Séleucos rêve de conquérir la Macédoine. Mais après avoir traversé l'Hellespont, près de Lysimacheia, il est assassiné en 280 par Ptolémée Kéraunos (la Foudre), un fils de Ptolémée Ier, écarté du trône égyptien au profit de son demi-frère, Ptolémée II." (p.25)
"Antigone Gonatas, le fils de Démétrios Poliorcète [...] [remporte] un succès local sur une troupe celte près de Lysimacheia (277). [...] Légitimé par sa victoire [...] [il établit] durablement son autorité sur une Macédoine affaiblie par les ponctions répétées en hommes jeunes, effectuées depuis plus d'un demi-siècle, et détruite par le passage brutal des bandes celtes qui ont ravagé toutes les campagnes. Les villes, qui ont échappé au pillage grâce à leurs murailles, ont également pris goût à l'autonomie, si bien qu'Antigone doit les reconquérir." (p.26)
"La préoccupation majeure des premiers rois lagides est d'assurer la sécurité de l'Égypte par la construction d'un glacis protecteur très vaste [...] Les Lagides ne cessent d'intervenir dans les affaires de Grèce propre, sur la côte de l'Ionie pour affaiblir le roi antigonide." (p.28-29)
"Les Lagides voient d'un oeil favorable la croissance de la Fédération achéenne sous l'autorité d'Aratos de Sicyone ; elle correspond à la ruine de la présence antigonide dans le Péloponnèse et même à la perte de Corinthe en 243 pour les Macédoniens. Après la mort d'Antigone Gonatas en 239, son fils Démétrios II est aux prises avec une coalition des deux fédérations étoliennes et achéenne tandis que la frontière septentrionale de la Macédoine est menacée par la poussée des Dardaniens." (p.29)
"Après la mort, en 261, d'Antiochos Ier, qui a subi un échec sérieux près de Sardes face à Eumène (Ier) de Pergame, la deuxième guerre de Syrie (260-253) oppose Antiochos II au roi lagide en Ionie, où Ptolémée Philadelphe a renforcé son installation autour d'Éphèse et de Milet." (p.30)
"Édouard Will a parlé à juste titre de "mercantilisme d'Etat" -alors qu'Ulrich Wilcken a comparé la politique des Lagides et surtout de Ptolémée II Philadelphe avec le colbertisme au XVIIe siècle français [...] une exploitation méthodique des ressources de la terre égyptienne fournit au souverain la possibilité d'exporter massivement ses céréales, qui font tellement défaut à la Grèce d'Europe notamment ; de cette manière, le roi bénéficie de rentrées importantes en métaux précieux, qui permettent à leur tour une politique extérieure active: recrutement de soldats, construction de flottes capables de rivaliser avec celles des Antigonides, diplomatie dynamique." (p.31)
"Le royaume séleucide est, beaucoup plus que l'Empire perse, tourné vers l'Asie Mineure et vers la mer Égée, ce qui explique, plus tard, en 191-188, l'importance de la guerre antiochique contre Rome et de ses alliés (Pergame et Rhodes surtout) et des pertes territoriales subies par Antiochos III, au nord-ouest du Taurus." (p.36)
"Lors de son accession au trône macédonien, Antigone tient encore en Grèce l'Acrocorinthe, Chalcis, Démétrias. L'affaiblissement macédonien a rendu possible néanmoins le renouveau de la Fédération achéenne, à partir des années 280 ; les cités d'Achaïe se débarrassent alors progressivement des garnisons macédoniennes et des tyrans qui les gouvernent, tout comme les Athéniens ont réussi à chasser les dernières garnisons en 281 avec l'aide des Lagides. L'intervention de Pyrrhos dans le Péloponnèse a facilité l'affranchissement des cités soumises à Antigone. Mais Élis et Mégalopolis restent aux mains de tyrans proches d'Antigone Gonatas. Au nord du golfe de Corinthe, la Fédération étolienne devient une puissance considérable après le sauvetage du sanctuaire de Delphes qui a échappé au pillage des Celtes.
La guerre de Chrémonidès (ca 266-261) est un épisode des luttes menées par les Lagides contre Antigone Gonatas, mais elle n'est pas sans conséquence sur la vie des Etats grecs: à l'issue du siège, Athènes est réoccupée par des garnisons macédoniennes qui y demeurent jusqu'en 229. Sparte a fait la démonstration de son extrême faiblesse: son roi Areus n'a pu franchir l'isthme de Corinthe pour tenter de secourir ses alliés athéniens. Sur la frontière occidentale de la Macédoine, la tentative d'Alexandre d'Épire de créer un nouveau front au flanc du royaume de Gonatas est un échec ; défait, le fils de Pyrrhos ne peut récupérer son royaume qu'avec le soutien de ses alliés acarnaniens. C'est sans doute pour contrecarrer la menace d'une grande Macédoine établie de la mer Ionienne à la mer Égée qu'est conclu le traité d'alliance étolo-acarnanien, vers 263/62.
En Grèce centrale, progressivement, le Koinon étolien s'étend au détriment de ses voisins ; s'il a la main sur le sanctuaire delphique depuis l'invasion celte, son territoire couvre également la Locride Ozole et la Phocide ; vers 253/52, les Étoliens partagent avec Alexandre II d'Épire leur alliés d'hier, la fédération d'Acarnanie." (p.37-38)
"Le Koinon des Achéens connaît alors, au début de la seconde moitié du IIIe siècle, un développement considérable, sous la direction d'Aratos de Sicyone qui surprend la forteresse de Corinthe en 243 et l'intègre dans l'Etat fédéral achéen. Les Étoliens, peut-être poussés par Antigone Gonatas, interviennent dans le Péloponnèse occidental, en Élide, en Messénie et même en Arcadie. En 241/40, la paix est conclue entre les deux grandes fédérations. Mais le Péloponnèse connaît d'autres grandes fédérations. Mais le Péloponnèse connaît d'autres événements importants. Agis IV essaie, à partir de 245, de reconstruire l'Etat lacédémonien, par un élargissement du corps civique et la redistribution des terres. Ses projets sont vivement combattus par l'autre roi spartiate appuyé sur une petite oligarchie de riches qui ne veulent pas entendre parler de réformes révolutionnaires, comme l'abolition des dettes et le partage des terres. Agis IV meurt de mort violente, mais les idées stoïciennes continuent à conserver vivantes ces réformes, reprises bientôt par Cléomène III, en 227.
A la mort d'Antigone Gonatas, âgé de quatre-vingts ans, en 239, le royaume macédonien s'est redressé grâce à une bonne administration et à des années de paix civile. Sa flotte de guerre a réussi à refouler la puissance lagide au sud de la mer Égée. En revanche, en Grèce même, la situation est difficile pour le roi antigonide, surtout en raison de la croissance des deux Etats fédéraux qui bordent le golfe de Corinthe, Étoliens au nord, Achéens au sud. Les premiers arrivent à contrôler la Grèce centrale d'une mer à l'autre, c'est-à-dire depuis la mer Ionienne jusqu'au canal de l'Eubée. Leurs activités de piraterie entraînent la conclusion d'accords entre les Étoliens et des victimes potentielles qui obtiennent l'asylie, c'est-à-dire la possibilité d'échapper aux actions de représailles et, plus généralement, au pillage: c'est le cas de Chios, puis de nombreuses îles comme Ténos, Délos. Il faut dire que les Étoliens n'ont pas le monopole de la piraterie, pratiquée avec succès par les Crétois et, au moins à partir de 235, par les Illyriens." (p.39-40)
"Quant à l'autobiographie, il semble qu'elle ait connu un large essor durant cette période, mais nous n'en avons que des témoignages indirects." (p.41-42)
"Le royaume lagide est celui dont l'unité paraît la plus réelle par sa partie égyptienne ; il gagne en diversité si l'on porte le regard sur Cyrène, sur Chypre, sur la côte anatolienne, sur les îles des Cyclades ou le pays des Juifs." (p.45)
"Dans l'Egypte lagide, Ptolémée II commence par proclamer dieu son père défunt en 283." (p.54)
"Le grand commerce, qui ne peut être que maritime, est facilité en outre par la chasse aux pirates qu'assurent les Rhodiens durant le IIIe siècle, avec des résultats inégaux ; entre 205 et 201/200, les Rhodiens l'emportent dans une guerre contre les cités crétoises au large de Cos, ils imposent alors leur alliance et leur contrôle à Hiérapytna de Crète." (p.85)
"Les puissantes flottes qui rivalisent sur la mer Égée sont celles des Antigonides, qui règnent sur la Macédoine, et des Lagides, qui contrôlent l'importation du bois des côtes libanaises. La cité rhodienne, dont les navires de commerce assurent l'essentiel des transports en Méditerranée orientale au cours du IIIe siècle, doit cette position de force aux bois de la côte méridionale de l'Anatolie." (p.87)
"Polis, c'est-à-dire la cité-Etat, édifiée autour d'un corps civique déterminé, lui-même établi sur un territoire donné, composé d'une ville, plus ou moins développée, et d'une chôra, qui est le terroir agricole qui fait vivre la cité. Cette communauté civique possède sa propre structure étatique qui lui assure la liberté et l'autonomie, au sens étymologique, c'est-à-dire ses propres lois." (p.104)
"Il va sans dire que l'autorité royale, celle d'Alexandre comme celle de ses successeurs, limite considérablement la liberté et l'autonomie des cités nouvellement établies au sein des différents royaumes. Elles n'ont plus la libre disposition de leur politique extérieure, ne peuvent rêver d'une armée civique indépendante qui mènerait ses propres opérations militaires, pas plus que d'une diplomatie agissant à sa guise dans l'intérêt de la cité qu'elle représente. Les souverains ont su marquer les limites de l'autonomie des cités, qui se réduit souvent à une gestion municipale, même si les princes, notamment chez les Séleucides, savent masquer cette évolution. [...] On voit, par exemple, comment Ptolémée II s'engage auprès des habitants de Telmessos de Lycie, en 279, à ne pas faire donation de leur cité à qui que ce soit. Ce qui n'empêche pas qu'en 240 la même cité se retrouve donnée à Ptolémée fils de Lysimaque, et les citoyens rendent grâce à ce nouveau maître qui a réduit leurs impôts." (p.105)
"La communauté (ou koinon) des Achéens réunit anciennement douze cités, situées sur la côte septentrionale du Péloponnèse, avant de s'ouvrir, à partir de 251, à des cités non achéennes (de dialecte), mais dorienne comme Sicyone, Corinthe, puis d'absorber la totalité de l'Arcadie voisine, et de prétendre réaliser l'unité du Péloponnèse en son sein. Sur l'autre rive du golfe de Corinthe, au nord, la Fédération étolienne comprend côte à côte des cités et des ethnè [...]
Ces États fédéraux [...] atteignent seuls une taille suffisante pour compter dans le concert des États hellénistiques: Achéens et Étoliens sont capables de tenir tête aux rois antigonides, par exemple à Démétrios II au cours de la guerre démétriaque (239-229)." (p.108-109)
"Quête permanente de nouveaux protecteurs, parfois en essayant de nouer des liens auprès de plusieurs protecteurs à la fois. On l'évoquait précédemment à propos des deux frères Kallias et Phaidros de Sphettos: les Athéniens honorent Kallias, ami des deux premiers Ptolémées, quand la cité est indépendante, en 270/69, avant la guerre de Chrémonidès ; mais les mêmes honorent, quinze ans plus tard, son frère, lié à Antigone Gonatas, parce qu'Athènes est à nouveau occupée par des garnisons macédoniennes à l'issue de la guerre de Chrémonidès." (p.117)
"L'inscription d'Éphèse [...] précise, au début du IIIe siècle, que quinze titres de citoyenneté sont vendus au prix de six mines de façon à réunir un demi-talent, pour couvrir des dépenses militaires. Certes, il s'agit là d'un expédient pour des cités contraintes de faire face à des charges imprévus, mais ces ventes de citoyenneté sont néanmoins révélatrices d'un changement des mentalités." (p.119)
"Après une expédition cruelle contre les Galates, menée par le consul Cn. Manlius Vulso, Rome conclut la paix d'Apamée avec le roi séleucide en 188. Cet accord confirme l'abandon de l'Asie Mineure jusqu'au Taurus, la renonciation à toute intervention militaire vers l'ouest, le paiement d'une indemnité de guerre. Le royaume séleucide est donc chassé de la mer Égée et repoussé vers l'Asie. Les possessions qui lui ont été arrachées sont partagées entre Rhodes et le royaume de Pergame: aux Rhodiens, la Lycie et la Carie jusqu'au Méandre ; à Eumène II, le contrôle de l'Hellespont et un vaste domaine asiatique de la Phrygie hellespontique à la Pamphylie. La liberté est reconnue aux cités grecques qui ont résisté à Antiochos ou qui se sont données aux Romains. Les pertes pour le royaume séleucide sont énormes [...]
A l'issue de cette première campagne romaine en Asie, le panorama politique a beaucoup changé dans le monde grec. Parmi les royaumes issus du partage de l'Empire d'Alexandre, deux ont subi des défaites cuisantes face aux Romains: la Macédoine de Philippe V retrouve un certain rôle en Grèce, mais dans la mouvance romaine, elle demeure donc très réduite ; l'Etat séleucide, agrandi en Coélé-Syrie, sort très affaibli de la guerre d'Antiochos III contre Rome. L'Égypte brille par son absence totale dans les événements du début du IIe siècle et ne tire aucun bénéfice de la défaite séleucide ; très diminué par la crise dynastique et l'agitation indigène, le royaume lagide n'est plus en état de jouer un rôle majeur en Méditerranée orientale [...] En revanche, Rome favorise la croissance du royaume pergaménien, qui sépare les royaumes antigonide et séleucide et contient le danger galate. Rome ne garde rien pour elle-même, n'annexe aucun territoire, mais règle le sort des territoires conquis en maître absolu. Les relations nouvelles qui sont ainsi créées par les succès romains sont celles qui unissent un Etat patron à des Etats clients. Si Rome n'applique pas encore un impérialisme conquérant dans l'Orient hellénistique, sa politique témoigne déjà d'une volonté de puissance qui ne supporte aucune concurrence." (p.228-229)
-Pierre Cabanes, Le monde hellénistique. De la mort d'Alexandre à la paix d'Apamée (323-188 av. J.C.), Nouvelle Histoire de l'Antiquité, Tome 4, Éditions du Seuil, coll. Points, 1995, 276 pages.