« Par convention, la période dite « hellénistique » commence à la mort d’Alexandre le Grand le 10 juin 323, et s’achève par la défaite d’Antoine et Cléopâtre à Actium, le 2 septembre 31. Octavien, le vainqueur d’Actium, entra à Alexandrie le 3 août 30 et prit possession de l’Égypte au nom de la République romaine. Avec le suicide de Cléopâtre VII le 29 août 30, s’éteignit la maison des Lagides et disparut la dernière des grandes dynasties hellénistiques.
Les royaumes hellénistiques sont nés de la conquête du royaume perse conduite par Alexandre (334-323), et de la crise provoquée par sa mort prématurée. Ils ont suscité maints émules dont le plus remarquable fut le royaume de Pergame. Les rois ont fondé des cités dont ce fut l’âge d’or sur le plan institutionnel et culturel.
La victoire remportée sur la flotte d’Antoine et de Cléopâtre à Actium, au large du golfe d’Ambracie en Épire, ne fut que le dernier acte des relations complexes que la République romaine a entretenues avec les rois, les peuples et les cités grecques. Dès 212, Rome s’était mêlée des affaires grecques. En 188, par le traité d’Apamée de Phrygie, le roi séleucide Antiochos III fut expulsé d’Anatolie, au-delà du Taurus ; en 168, à Pydna en Thessalie, le roi Persée fut vaincu et la monarchie macédonienne supprimée ; en 146, peu après la destruction de Carthage, Corinthe fut mise à sac, confirmant la rigueur intraitable des nouveaux maîtres ; en 133 Rome hérita de Pergame ; en 63 la Syrie, affaiblie et divisée, devint une province romaine. Politiquement, les royaumes hellénistiques se sont réduits comme peau de chagrin ; culturellement, l’influence des mondes grecs sur la République romaine puis sur l’Empire mis en place en 27, fut déterminante. » (p.4)
« Johan Gustav Droysen fut le premier à proposer une synthèse qui faisait de la conquête d’Alexandre le début d’une ère nouvelle dans son ouvrage Geschichte des Hellenismus (1833-1843), réédité en 1877-1878 et traduit en français dès 1883-1885 sous le titre Histoire de l’Hellénisme par une équipe dirigée par l’historien Auguste Bouché-Leclercq (1842-1923). » (p.5)
« Il n’y eut jamais un monde hellénistique uni, qu’une frontière continue aurait protégé de ses voisins. La diversité l’emportait tant pour les traditions des peuples que pour les formes de pouvoir en place. A côté des royautés qui s’étaient partagé l’héritage perse, en Égypte, en Asie et en Anatolie, les monarchies différaient les unes des autres en Europe, de la royauté macédonienne aux tyrannies de Sicile. En Grèce, des systèmes politiques s’adaptèrent ou se perfectionnèrent pour tenter de contrer les ambitions hégémoniques des rois, en créant des alliances et des koina (Etats régionaux regroupant des cités et/ou des peuples, au singulier = koinon). Dans l’ensemble du monde hellénistique, cette période fut celle de l’âge d’or des cités dont le nombre se multiplia et qui connurent une stabilité institutionnelle étonnante. » (p.6)
« Notre compréhension de l’histoire hellénistique, dans ses temps forts et ses ruptures, reste largement tributaire du Grec Polybe (208-126), dont l’œuvre n’a pas pour autant été totalement sauvée du naufrage : des 40 livres de son Histoire n’ont survécu dans leur intégralité que les cinq premiers couvrant la période 220-216. Né à Mégalopolis en Arcadie, Polybe, fils de Lycortas, stratège du koinon archaien, eut l’honneur en 183 de porter l’urne funéraire du stratège Philopoimen et de le célébrer comme le dernier défenseur de la liberté grecque, dans un éloge aujourd’hui disparu. C’est la première information datée de sa vie. Il exerça en 170/169 la charge d’hipparque du koinon archaien. En 168, après la victoire romaine de Pydna sur Persée par Paul-Émile, il fit partie des notables archaiens que Rome décida de transférer comme otage en Italie et ne rentra en Grèce que 17 ans plus tard, pour achever son œuvre commencée en exil.
Dans la perspective d’une histoire universelle dont le principe aurait été établi au IVe siècle par Ephore de Kymé, Polybe veut écrire une histoire « pragmatique » ou événementielle de son temps, à partir de ses voyages, de ses enquêtes sur le terrain et de ses recherches. Comme chez Thucydide, la raison est au centre de sa vision du monde. » (p.7)
« Un Égyptien ou un Juif faisait partie de la catégorie juridique des Hellènes à condition de parler grec dans cette Égypte lagide. » (p.21)
« Le second siècle est une période de liberté et de prospérité pour un bon nombre de cités d’Asie Mineure et de Grèce continentale –sauf pour les cités du royaume de Macédoine, qui ont souffert de la déportation de leurs élites après la défaite de Pydna (168)- régions où se situait l’écrasante majorité des cités grecques : le cas d’Athènes, prospère à partir de 166, est très typique. La coupure est pertinente aussi dans le domaine monétaire : le IIe siècle a vu la renaissance des monnayages d’argent à types civiques dont la part était négligeable au IIIe siècle, alors dominé par les monnaies royales. Plusieurs monnayages (koina achaien et thessalien, Athènes, cités du Péloponnèse, cistophores des cités d’Asie Mineure, Thasos, Maronée, etc.) se sont poursuivis très longtemps, jusqu’au Ier siècle av. n. è. Et parfois au-delà. Il est vrai que l’on gagnerait à insister sur les différences régionales : la rupture se ferait plutôt en 188 en Orient, en 192, puis en 167 en Grèce. » (p.23)
« Les Romains, qui se méfiaient de la démocratie, ont imposé un recrutement censitaire pour les magistrats et les membres des Conseils. Cette mesure aboutit sous l’Empire, et c’est un trait de la romanisation, à la « constitution d’un ordo introduisant une hiérarchie au sein du corps civique ». Le mode de gouvernement et les pratiques politiques se sont transformés à des rythmes variables selon les cités ; tantôt rapide car encouragé vivement par les Romains, tantôt lent, en raison de la fidélité des élites aux valeurs civiques et de leur volonté d’éviter les ruptures avec le passé. » (p.24)
« En 323, le Macédonien Antipater, né en 399, fils d’Iolaos, assurait la fonction de stratège d’Europe. A son départ pour l’Asie, Alexandre lui confié le commandement d’une armée de 12 000 fantassins et de 1500 cavaliers […] pour défendre ses intérêts en Macédoine et en Grèce. Résidant à Pella, Antipater se tenait informé de l’avancée d’Alexandre en Asie grâce aux courriers envoyés par la chancellerie.
L’ordre macédonien mis en place par Philippe en 337 avait été maintenu par la force. En dépit de leur rébellion, les Spartiates, alliés des Perses, crurent trouver en 331 une occasion favorable pour rétablir leur position dans le Péloponnèse. Ce fut un échec. Après la mort de leur roi Agis III devant Mégalopolis (printemps 330), Antipater leur imposa d’entrer dans la Ligue de Corinthe et de livrer 50 otages. » (p.32-33)
« En 323, à Babylone, les communautés civiques n’étaient pas représentées et il ne fut pas question des cités lors de la répartition des territoires. Si à l’annonce de la mort d’Alexandre, les Grecs d’Europe ont pu avoir l’illusion de pouvoir maîtriser leur destin en se lançant dans une guerre de libération, les cités d’Asie Mineure qui de fait étaient passées d’une domination à une autre, savaient que leur sort dépendait des relations qu’elles pouvaient établir avec les nouveaux maîtres. » (p.35)
« Perdiccas, promu chiliarque après la mort d’Héphaistion en novembre 324, occupait la première place à la cour en 323. Il dut affronter une situation inédite : la mort subite d’Alexandre posait en effet la double question de l’exercice du pouvoir et de la préservation des conquêtes sous une autorité unique. » (p.43)
« L’île de Rhodes se libéra de la garnison qui la plaçait sous contrôle macédonien sans doute dès son ralliement à Alexandre (fin 333 ou début 332). Elle retrouva son autonomie […] Cette émancipation réussie était un bon présage pour l’avenir d’une île qui, dans cette époque troublée, réussit à rester neutre au moins jusqu’en 315.
C’est à ce moment-là que se place l’expédition de Perdiccas en Égypte, que justifiait le détournement du cortège funèbre d’Alexandre par Ptolémée, soucieux de l’enterrer à Alexandrie. Perdiccas réussit à entraîner à sa suite la plupart des chefs de l’armée, mais les insuccès de sa campagne finirent par pousser ses officiers à l’assassiner. Ptolémée s’empressa d’apporter son aide à l’armée adverse afin qu’elle regagne ses quartiers ; il échappait à la seule réelle tentative de contester sa prise de possession de l’Égypte.
Les Athéniens tentèrent de conduire une guerre […] que les historiens modernes appellent « guerre Lamiaque » (323-322), en raison du sièg de Lamia, cité fortifiée de Malide en Thessalie, dans laquelle s’était refugié Antipater. Outre Diodora de Sicile, notre principale source est l’orateur athénien anti-macédonien Hypéride (390-322), auteur de l’oraison funèbre des morts à la guerre, dont faisait partie le stratège Léosthénès […] Les Athéniens et leurs alliés furent défaits sur mer devant l’île d’Amorgos dans les Cyclades (juin 322) –défaite qui marqua la fin de l’aventure maritime athénienne ; sur terre, les alliés grecs furent vaincus à Crannon en Thessalie (septembre 322). » (p.44-45)
« Les conséquences de la défaite lors de la guerre lamiaque furent bien plus graves pour Athènes que celles de Chéronée en 338. […] Antipaper imposa aux Athéniens une garnison macédonienne au Pirée, un régime censitaire et exigea qui lui fussent livrés les orateurs anti-macédoniens. Hypéride fut arrêté dans l’île d’Égine, torturé et mis à mort. Démosthène, réfugié dans le sanctuaire de Poséidon de l’île de Calaurie (actuelle Poros), mit fin à ses jours par le poison. […] 12 000 citoyens sur 21 000 se virent interdire la participation au gouvernement de la cité et beaucoup acceptèrent de partir s’établir en Thrace sur des terres que leur proposait Antipaper. Les partisans du nouveau régime l’appelaient patrios politeia (constitution des ancêtres) et ses opposants dénonçaient son caractère oligarchique. Démade et Phocion revinrent au pouvoir jusqu’au printemps 318 où la démocratie fut brièvement rétablie après la mort d’Antipaper, sous la protection de son successeur Polyperchôn. Dès la défaite de ce dernier un an plus tard, un cens de 1000 drachmes fut rétabli et le philosophe aristotélicien Démétrios de Phalère, citoyen athénien, fut placé à la tête de la cité par le nouvel homme fort en Macédoine, Cassandre. […] Démétrios réforma la cité dans un sens oligarchique et favorable aux richeses, en conformité avec les idées aristotéliciennes du temps. […] Il supprima […] les indemnités (misthoi) versées aux citoyens qui exerçaient des responsabilités publiques (cela affectait les plus pauvres). […] Occupée par les Macédoniens, la cité fut pendant dix ans sous l’autorité d’un homme impopulaire : le régime « était oligarchique de nom, mais monarchique de fait » (Plutarque, Démétrios, 10, 2). » (p.45-46)
« Antigone traqua puis assiégea Eumène de Cardia dans la forteresse de Nora en Cappadoce. […] Après la défaite de Gabiène, Eumène fut livré par ses troupes, jugé et exécuté (316). Les troupes d’Antigone parvinrent à chasser de Babylone Séleucos qui trouva refuge auprès de Ptolémée. […]
En 315, à Tyr, Antigone réunit une assemblée de l’armée […] pour faire condamner Cassandre à mort par contumace pour ses crimes et en particulier le meurtre d’Olympias. Il se posa en seul protecteur du jeune Alexandre IV […] Il proclama les cités grecques libres, autonomes et exemptes de garnisons […]
Le projet initial d’Antigone était d’aller en Macédoine porter le fer contre Cassandre tout en se gardant de Ptolémée. Il envoya son fils Démétrios en Palestine mais ce dernier fut vaincu à Gaza en 312. Gêné par ailleurs par les entreprises de Séleucos en Mésopotamie, Antigone abandonna alors son plan initial. » (p.47-48)
« Auréolé du prestige de sa victoire à Salamine de Chypre, Démétrios avait reçu, ainsi que son père, des honneurs exceptionnels de la part des Athéniens, qui n’ont pu que faciliter l’adoption du titre royal. Quand en juillet 307, Démétrios, fils d’Antigone, s’empara d’Athènes, Démétrios de Phalère avait quitté le pouvoir pour Thèbes, recréée avec son aide en 315, avant de gagner Alexandrie. La Forteresse de Mounychie, occupée jusque-là par les Macédoniens, fut rasée et la démocratie rétablie […]
Les Athéniens prirent l’habitude d’honorer […] les souverains et leur entourage. Antigone restitua aux Athéniens les îles d’Imbros et de Lemnos et Démétrios leur offrit de l’argent, une quantité très importante de blé et du bois de construction pour 100 navires de guerre (ils n’avaient plus de flotte depuis 322). Les fortifications d’Athènes et du Pirée ainsi que les « Longs Murs » entre les deux villes furent remis en état en 5 ans. Athènes n’était toutefois pas indépendante : elle avait changé de maître et dut lutter à ses côtés contre Cassandre. » (p.48-49)
« A l’été 301, à Ipsos en Phrygie, les Antigonides durent faire face à la coalition de Lysimaque et de Séleucos, dont les éléphants fournis par l’Indien Tchandragoupta et son fils Démétrios Poliorcète dut quitter l’Asie. […] Cassandre pouvait croire assurée sa victoire en Grèce ; Séleucos réclama à Ptolémée la Syrie méridionale (dont la riche Phénicie) que celui-ci venait d’occuper systématiquement pendant que ses alliés combattaient Antigone, sans obtenir satisfaction et il dut se contenter de la Syrie du Nord. Lysimaque enfin s’empara de l’Asie Mineure jusqu’au Taurus. […]
De ces années de guerres entre Diadoques émergèrent les dynasties des Lagides, des Séleucides et des Antigonides, alors que la maison de Lysimaque disparut avec lui en 281. » (p.52)
« En 301, après Ipsos, Ptolémée, fils de Lagos, était à la tête d’un royaume bien géré, d’une marine et d’une armée puissantes. La stabilisation du royaume lagide, étonamment précoce, s’explique par l’intelligence politique de Ptolémée, et en particulier par les bonnes relations instituées avec les élites indigènes, dès son installation comme satrape. Reçu en libérateur par les Égyptiens comme Alexandre l’avait été lui-même, il sut se concilier les faveurs du clergé en multipliant les actes de bienveillance. Très tôt, il put se constituer une armée où furent enrôlés des Égyptiens (ou machimoi pour l’infanterie légère), à côté des Macédoniens, des Grecs et des Juifs. Il eut ainsi les moyens d’aider les Rhodiens en les ravitaillant pendant l’année de siège (305/4) que leur fit subir Démétrios. Après 301, la suprématie de la marine lagide ne fut guère contestée.
Sans doute en 322/1, en raison des troubles politiques survenus en Cyrénaïque, Ptolémée prit une ordonnance (diagramma) qui l’instituait stratège à perpétuité de la cité de Cyrène. Flanqué de cinq collègues, il fixait par son ordonnance les institutions oligarchiques de la cité. […] Dès 321 également, les quatre rois des cités chypriotes étaient ses alliés et après la mort en 311 de Nikokréon, roi de Salamine, il nomma stratège de l’île son frère Ménélaos avec le commandement de toutes les forces lagides stationnées en Méditerranée […]
En 291-287, Ptolémée reprit en charge la « protection » de la Confédération des Nésiotes, administrée par un gouverneur (nésiarque) à ses ordres.
Dans ses relations avec les cités grecques, Ptolémée accepta les honneurs qu’elles lui concédaient. Pour le remercier de l’assistance qu’il leur avait fournie, les Rhodiens, lui accordèrent dès 304 –après consultation de l’oracle de Siwah- des honneurs divins et lui donnèrent sans doute –comme les Athéniens l’avaient accordé aux Antigonides en 307- le titre de sauveur (soter), qu’il fit graver au droit de ses pièces d’or et d’argent après la victoire d’Ipsos. » (p.52-53)
« Après Ipsos (301), Lysimaque ajouta la plus grande partie de l’Asie Mineure à ses possessions thraces. Il était l’allié des Lagides par son mariage avec Arsinoé en 300, fille de Ptolémée et de Bérénice, qui lui a donné trois fils. Dans les années 286-282, il est également l’allié des Messéniens contre Sparte, étendant son influence jusqu’au cœur du Péloponnèse. En 286/5, le roi Lysimaque était parvenu au faite de sa puissance. Son royaume avait un pied en Europe, l’autre en Asie. Comprenant la Thrace jusqu’au Danube (sans Byzance), la Macédoine et la Thessalie (sauf Démétrias), plus l’Asie Mineure, à l’exception des Royaumes du Pont, de la Bithynie et des principautés paphlagoniennes, le domaine de Lysimaque occupait une position stratégique de premier plan. […] En 281, quatre ans plus tard, il ne restait rien de la maison de Lysimaque […]
Après la mort de Démétrios en 283, le danger antigonide en Asie étant écarté, Séleucos ne pouvait qu’être hostile aux ambitions d’un concurrent. La guerre était inévitable et en 281, Lysimaque trouva la mort sur le champ de bataille de Couroupedion (« la plaine de Cyrus », à l’ouest de Sardes). Séleucos s’empara alors de ses possessions asiatiques. » (p.54-55)
« Séleucos [Nikatôr, « le Victorieux »] fut assassiné par Ptolémée Kéraunos, qui voulait récupérer l’héritage de son beau-frère (281). […] C’est à Triparadeisos en 320 qu’il reçut la satrapie de Babylonie, comme récompense du rôle qu’il avait joué dans l’assassinat de Perdiccas. […]
Cette satrapie de Babylonie, dont l’enjeu stratégique n’était pas négligeable, il dut la reconquérir en 312 sur le stratège d’Antigone, Nikanor, quatre ans après l’avoir perdue. Pour marquer son esprit d’indépendance, il choisit cette date comme début de l’ère séleucide […]
Séleucos consolida dans un premier temps ses positions en cherchant à tirer profit des Hautes Satrapies qui pouvaient lui fournir des troupes en nombre suffisant pour contrer les forces d’Antigone. Le premier centre de son pouvoir fut la Babylonie avec pour capitale Séleucie du Tigre, sans doute fondée entre 307 et 300. A partir de 301 et la victoire d’Ipsos sur les Antigonides, il put y ajouter la Syrie du Nord avec la création dès 300 des cités de la Tétrapole […] Les zones-frontières de cet espace étaient l’Asie Mineure et l’Asie centrale mais au regard de la compétition que se livrèrent les Diadoques, le cœur stratégique en était la Syrie du Nord, lieu de passage obligé entre les possessions de l’Asie centrale et le monde égéen, région menacée par l’inévitable confrontation avec la partie lagide de la Syrie, que Ptolémée avait refusé de rétrocéder après Ipsos. […]
Avant de partir pour l’Europe, il confia la garde de l’Asie à son fils aîné Antiochos qu’il avait eu la sagesse d’associer au pouvoir dès 294, assurant ainsi l’avenir de la dynastie. En 281, en franchissant l’Hellespont à plus de 70 ans, le Macédonien Séleucos prouvait qu’il n’avait pas renoncé au désir de revoir sa patrie et à l’ambition d’agrandir son territoire. » (p.55-56)
« La Macédoine occupait une position particulière dans l’héritage d’Alexandre. Patrie des Macédoniens, elle était aussi l’objet de toutes les convoitises avec ses deux villes : Aigai, ce « Saint-Denis de la monarchie macédonienne », et Pella, sa capitale royale. Devenir roi en Macédoine, c’était non seulement succéder à Alexandre, c’était aussi contrôler les cités grecques et s’assurer une armée dont la réputation restait grande. La mort en 298/7 de Cassandre, fils d’Antipater, ouvrit pour la Macédoine un temps de crises, qui ne trouva son achèvement qu’en 276 avec le rétablissement des Antigonides, en la personne d’Antigone Gonatas, fils de Démétrios. […]
Après la prise du titre royal en 306, l’attitude des Antigonides s’était en effet modifiée. En 304, après avoir secouru Athènes assiégée par Cassandre, Démétrios séjourna dans la cité : la conduite débauchée du roi y fit scandale, comme l’exigence de recevoir l’initiation aux Mystères d’Éleusis sans respecter les trois degrés habituels. Démétrios Poliorcète, fils d’Antigone le Borgne, sans royaume depuis 301, devint roi des Macédoniens en faisant assassiner la descendance de Cassandre dont il prétendit s’instituer l’héritier légitime en raison de son mariage avec sa sœur Phila. L’armée le proclama roi en Macédoine à l’automne 294. Démétrios était un grand stratège, dont la réputation avait été consacrée par le surnom « poliocète » que lui avait valu le siège de Rhodes, et par sa victoire sur les Lagides à Salamine de Chypre, que Poséidon, dieu de la mer, très présent sur ses monnaies, devait rappeler à tous. Pour autant il ne fut jamais populaire auprès des Macédoniens. Pendant ses sept années de règne, on lui reprocha son luxe, son arrogance, et le choix de Démétrias comme résidence à la place de Pella, Démétrias qu’il avait fondée en Thessalie sur le golfe Pagasétique. Au lieu de se concentrer sur le gouvernement de la Macédoine, Démétrios poursuivit son activité militaire en Grèce centrale. Tour à tour brutal et démagogue envers les cités et en particulier avec les Athéniens qu’il avait affamés en 294, il installa des garnisons pour entraver la Grèce et mobilisa pendant l’hiver 289-288 des forces terrestres et navales telles que se forma contre lui une coalition composée de Séleucos, de Ptolémée, de Lysimaque et de Pyrrhos (288). Abandonné de ses hommes, il quitta l’Europe pour passer en Asie où après une course-poursuite dans les montagnes du Taurus, il se rendit à Séleucos (286). Il mourut en captivité trois ans plus tard à Apamée sur l’Oronte. » (p.58-59)
« Antigone Gonatas parvint à s’imposer en Macédoine comme héritier légitime. Il eut l’intelligence de conclure une alliance entre 229 et 226 avec Antiochos, prélude à une longue entente entre les deux maisons royales. En renonçant à toute entreprise en Asie Mineure, il abandonnait les projets de son père. En contrepartie, Antiochos lui reconnaissait la Macédoine. Cette paix libérait Antigone de toute menace à l’Est et lui permettait de profiter de la situation chaotique qui prévalait en Macédoine. De plus, il sut exploiter au mieux la victoire qu’il remporta près de Lysimacheia sur les Gaulois en 277. Non seulement elle fit de lui un rempart de l’hellénisme en portant un coup d’arrêt aux invasions galates en Europe, mais elle restitua à la dynastie un prestige mis à mal par les initiatives malencontreuses de son père et par l’échec de son débarquement en Macédoine en 281. Antigone Gonatas, salué comme sauveur (sôter), put remporter sur les divers prétendants à la royauté en Macédoine et reconstituer un royaume qui n’avait plus de gouvernement depuis la mort de Sosthénès. Bien que sa situation ne fût vraiment stabilisée qu’à la mort de Pyrrhos en 272, il ancra sa maison en Macédoine où la lignée des Antigonides se maintint jusqu’à la défaite de Persée à Pydna en 168. […]
L’époque des Diadoques fut un temps de conflits. […] Si le royaume de Ptolémée fut le premier à se stabiliser, c’est que dès 323 Ptolémée a choisit la prudence. L’Asie était un espace plus difficile à contrôler avec la mosaïque de peuples et de cités qui la constituaient. Jeter un pont entre l’Asie et l’Europe fut un pari impossible à tenir, tant pour Lysimaque, Séleucos qu’Antigone le Borgne. […]
Entre 283 et 281, toute une génération disparut : Ptolémée, fils de Lagos ; Démétrios Poliorcète ; Lysimaque ; Séleucos. […] L’accord conclu entre 279 et 276 entre Antigone Gonatas et Antiochos prouvait une reconnaissance mutuelle de leurs possessions, qui en excluant toute tentative de réunir sous une seule autorité l’Europe et l’Asie, signifiait le renoncement à l’héritage d’Alexandre. » (p.60)
« En raison des fondations de cités par les diadoques et les rois, le nombre des cités s’est accru. […] Même pour les petites cités, la période hellénistique paraît « un siècle d’or », selon une heureuse formule de Philippe Gauthier. Quant aux koina, fondés sur l’association de peuples (ethnè) et/ou de cités, ils sont parvenus grâce à leurs institutions fédérales, à unir les Grecs au nom de la liberté et à faire jeu égal avec les rois et Rome. » (p.61)
« Les royautés sont réglées par le respect de la tradition, tandis que la tyrannie, assimilée au despotisme, est caractérisée par l’arbitraire. Nul se s’affirme tyran alors que le titre de roi est source de gloire et de renommée. » (p.61)
« La règle de primogéniture ne s’appliquant ni chez les Séleucides ni chez les Lagides, tous les fils nés du même père avaient des chances de pouvoir lui succéder, ce qui était source de conflits. » (p.63)
« Une cité pouvait exister tout en étant soumise totalement ou en partie à une autre cité, à un koinon ou à un Roi. Des cités ont été ainsi privées de toute initiative en politique étrangère sans cesser pour autant d’exister en tant que cité par le fonctionnement de leurs institutions. […]
Chaque cité comprenait une ou plusieurs places et un complexe de bâtiments civils et religieux : l’ekklesiasterion, lieu de réunion de l’Assemblée du Peuple, le bouleuterion, salle du Conseil, le Tribunal et le Prytanée qui accueillait les hôtes étrangers et les ambassades. » (p.79)
« La vente du droit de cité fut une mesure exceptionnelle tant par le nombre des cités connues pour l’avoir pratiquée (Phasélis, Byzance, Dymé, Tritaia, Éphèse, Aspendos, Thasos), que par le nombre de personnes concernées dans chacun des cas. […]
Quand le droit de cité fut accordé à un grand nombre, ce fut –comme à l’époque classique- principalement pour des raisons militaires : une cité se sentant menacée cherchait à accroître son armée. La sympolitie permettait l’incorporation de nouveaux citoyens par fusion de deux communautés, la plus puissante annexant la plus faible. Vers 175, Milet absorba la petite ville carienne de Pidasa à l’est de son territoire pour pouvoir contrôler la forteresse et y envoyer une garnison. Quand dans le cadre de leurs réformes, les rois spartiates Agis (243-241) et Cléomène (235-222) voulurent reconstituer le potentiel militaire de leur cité, ils donnèrent la citoyenneté à des périèques et à des étrangers […] A Milet, une série d’inscriptions octroya la politeia d’abord en 234/3 puis en 229/8 à environ un millier de soldats qui résidaient déjà avec leur famille sur le territoire de la cité. » (p.80-81)
« La démocratie est le régime dominant des cités hellénistiques. » (p.82)
« Les cités n’ont jamais renoncé à leur liberté. C’est pour répondre à cette aspiration que le Diadoque Antigone le Borgne avait affirmé en 315, dans le manifeste appelé « la Proclamation de Tyr », que les cités devaient être libres, autonomes et exemptes de garnisons. » (p.83)
« L’installation d’une garnison dans une cité pouvait signifier l’enjeu stratégique du site qu’elle représentait. » (p.83)
-Catherine Grandjean, Genevièvre Hoffmann, Laurent Capdetrey, Jean-Yves Carrez-Maratray, Le Monde hellénistique, Armand Colin, coll. U Histoire, 2017 (2008 pour la première édition), 394 pages.
Les royaumes hellénistiques sont nés de la conquête du royaume perse conduite par Alexandre (334-323), et de la crise provoquée par sa mort prématurée. Ils ont suscité maints émules dont le plus remarquable fut le royaume de Pergame. Les rois ont fondé des cités dont ce fut l’âge d’or sur le plan institutionnel et culturel.
La victoire remportée sur la flotte d’Antoine et de Cléopâtre à Actium, au large du golfe d’Ambracie en Épire, ne fut que le dernier acte des relations complexes que la République romaine a entretenues avec les rois, les peuples et les cités grecques. Dès 212, Rome s’était mêlée des affaires grecques. En 188, par le traité d’Apamée de Phrygie, le roi séleucide Antiochos III fut expulsé d’Anatolie, au-delà du Taurus ; en 168, à Pydna en Thessalie, le roi Persée fut vaincu et la monarchie macédonienne supprimée ; en 146, peu après la destruction de Carthage, Corinthe fut mise à sac, confirmant la rigueur intraitable des nouveaux maîtres ; en 133 Rome hérita de Pergame ; en 63 la Syrie, affaiblie et divisée, devint une province romaine. Politiquement, les royaumes hellénistiques se sont réduits comme peau de chagrin ; culturellement, l’influence des mondes grecs sur la République romaine puis sur l’Empire mis en place en 27, fut déterminante. » (p.4)
« Johan Gustav Droysen fut le premier à proposer une synthèse qui faisait de la conquête d’Alexandre le début d’une ère nouvelle dans son ouvrage Geschichte des Hellenismus (1833-1843), réédité en 1877-1878 et traduit en français dès 1883-1885 sous le titre Histoire de l’Hellénisme par une équipe dirigée par l’historien Auguste Bouché-Leclercq (1842-1923). » (p.5)
« Il n’y eut jamais un monde hellénistique uni, qu’une frontière continue aurait protégé de ses voisins. La diversité l’emportait tant pour les traditions des peuples que pour les formes de pouvoir en place. A côté des royautés qui s’étaient partagé l’héritage perse, en Égypte, en Asie et en Anatolie, les monarchies différaient les unes des autres en Europe, de la royauté macédonienne aux tyrannies de Sicile. En Grèce, des systèmes politiques s’adaptèrent ou se perfectionnèrent pour tenter de contrer les ambitions hégémoniques des rois, en créant des alliances et des koina (Etats régionaux regroupant des cités et/ou des peuples, au singulier = koinon). Dans l’ensemble du monde hellénistique, cette période fut celle de l’âge d’or des cités dont le nombre se multiplia et qui connurent une stabilité institutionnelle étonnante. » (p.6)
« Notre compréhension de l’histoire hellénistique, dans ses temps forts et ses ruptures, reste largement tributaire du Grec Polybe (208-126), dont l’œuvre n’a pas pour autant été totalement sauvée du naufrage : des 40 livres de son Histoire n’ont survécu dans leur intégralité que les cinq premiers couvrant la période 220-216. Né à Mégalopolis en Arcadie, Polybe, fils de Lycortas, stratège du koinon archaien, eut l’honneur en 183 de porter l’urne funéraire du stratège Philopoimen et de le célébrer comme le dernier défenseur de la liberté grecque, dans un éloge aujourd’hui disparu. C’est la première information datée de sa vie. Il exerça en 170/169 la charge d’hipparque du koinon archaien. En 168, après la victoire romaine de Pydna sur Persée par Paul-Émile, il fit partie des notables archaiens que Rome décida de transférer comme otage en Italie et ne rentra en Grèce que 17 ans plus tard, pour achever son œuvre commencée en exil.
Dans la perspective d’une histoire universelle dont le principe aurait été établi au IVe siècle par Ephore de Kymé, Polybe veut écrire une histoire « pragmatique » ou événementielle de son temps, à partir de ses voyages, de ses enquêtes sur le terrain et de ses recherches. Comme chez Thucydide, la raison est au centre de sa vision du monde. » (p.7)
« Un Égyptien ou un Juif faisait partie de la catégorie juridique des Hellènes à condition de parler grec dans cette Égypte lagide. » (p.21)
« Le second siècle est une période de liberté et de prospérité pour un bon nombre de cités d’Asie Mineure et de Grèce continentale –sauf pour les cités du royaume de Macédoine, qui ont souffert de la déportation de leurs élites après la défaite de Pydna (168)- régions où se situait l’écrasante majorité des cités grecques : le cas d’Athènes, prospère à partir de 166, est très typique. La coupure est pertinente aussi dans le domaine monétaire : le IIe siècle a vu la renaissance des monnayages d’argent à types civiques dont la part était négligeable au IIIe siècle, alors dominé par les monnaies royales. Plusieurs monnayages (koina achaien et thessalien, Athènes, cités du Péloponnèse, cistophores des cités d’Asie Mineure, Thasos, Maronée, etc.) se sont poursuivis très longtemps, jusqu’au Ier siècle av. n. è. Et parfois au-delà. Il est vrai que l’on gagnerait à insister sur les différences régionales : la rupture se ferait plutôt en 188 en Orient, en 192, puis en 167 en Grèce. » (p.23)
« Les Romains, qui se méfiaient de la démocratie, ont imposé un recrutement censitaire pour les magistrats et les membres des Conseils. Cette mesure aboutit sous l’Empire, et c’est un trait de la romanisation, à la « constitution d’un ordo introduisant une hiérarchie au sein du corps civique ». Le mode de gouvernement et les pratiques politiques se sont transformés à des rythmes variables selon les cités ; tantôt rapide car encouragé vivement par les Romains, tantôt lent, en raison de la fidélité des élites aux valeurs civiques et de leur volonté d’éviter les ruptures avec le passé. » (p.24)
« En 323, le Macédonien Antipater, né en 399, fils d’Iolaos, assurait la fonction de stratège d’Europe. A son départ pour l’Asie, Alexandre lui confié le commandement d’une armée de 12 000 fantassins et de 1500 cavaliers […] pour défendre ses intérêts en Macédoine et en Grèce. Résidant à Pella, Antipater se tenait informé de l’avancée d’Alexandre en Asie grâce aux courriers envoyés par la chancellerie.
L’ordre macédonien mis en place par Philippe en 337 avait été maintenu par la force. En dépit de leur rébellion, les Spartiates, alliés des Perses, crurent trouver en 331 une occasion favorable pour rétablir leur position dans le Péloponnèse. Ce fut un échec. Après la mort de leur roi Agis III devant Mégalopolis (printemps 330), Antipater leur imposa d’entrer dans la Ligue de Corinthe et de livrer 50 otages. » (p.32-33)
« En 323, à Babylone, les communautés civiques n’étaient pas représentées et il ne fut pas question des cités lors de la répartition des territoires. Si à l’annonce de la mort d’Alexandre, les Grecs d’Europe ont pu avoir l’illusion de pouvoir maîtriser leur destin en se lançant dans une guerre de libération, les cités d’Asie Mineure qui de fait étaient passées d’une domination à une autre, savaient que leur sort dépendait des relations qu’elles pouvaient établir avec les nouveaux maîtres. » (p.35)
« Perdiccas, promu chiliarque après la mort d’Héphaistion en novembre 324, occupait la première place à la cour en 323. Il dut affronter une situation inédite : la mort subite d’Alexandre posait en effet la double question de l’exercice du pouvoir et de la préservation des conquêtes sous une autorité unique. » (p.43)
« L’île de Rhodes se libéra de la garnison qui la plaçait sous contrôle macédonien sans doute dès son ralliement à Alexandre (fin 333 ou début 332). Elle retrouva son autonomie […] Cette émancipation réussie était un bon présage pour l’avenir d’une île qui, dans cette époque troublée, réussit à rester neutre au moins jusqu’en 315.
C’est à ce moment-là que se place l’expédition de Perdiccas en Égypte, que justifiait le détournement du cortège funèbre d’Alexandre par Ptolémée, soucieux de l’enterrer à Alexandrie. Perdiccas réussit à entraîner à sa suite la plupart des chefs de l’armée, mais les insuccès de sa campagne finirent par pousser ses officiers à l’assassiner. Ptolémée s’empressa d’apporter son aide à l’armée adverse afin qu’elle regagne ses quartiers ; il échappait à la seule réelle tentative de contester sa prise de possession de l’Égypte.
Les Athéniens tentèrent de conduire une guerre […] que les historiens modernes appellent « guerre Lamiaque » (323-322), en raison du sièg de Lamia, cité fortifiée de Malide en Thessalie, dans laquelle s’était refugié Antipater. Outre Diodora de Sicile, notre principale source est l’orateur athénien anti-macédonien Hypéride (390-322), auteur de l’oraison funèbre des morts à la guerre, dont faisait partie le stratège Léosthénès […] Les Athéniens et leurs alliés furent défaits sur mer devant l’île d’Amorgos dans les Cyclades (juin 322) –défaite qui marqua la fin de l’aventure maritime athénienne ; sur terre, les alliés grecs furent vaincus à Crannon en Thessalie (septembre 322). » (p.44-45)
« Les conséquences de la défaite lors de la guerre lamiaque furent bien plus graves pour Athènes que celles de Chéronée en 338. […] Antipaper imposa aux Athéniens une garnison macédonienne au Pirée, un régime censitaire et exigea qui lui fussent livrés les orateurs anti-macédoniens. Hypéride fut arrêté dans l’île d’Égine, torturé et mis à mort. Démosthène, réfugié dans le sanctuaire de Poséidon de l’île de Calaurie (actuelle Poros), mit fin à ses jours par le poison. […] 12 000 citoyens sur 21 000 se virent interdire la participation au gouvernement de la cité et beaucoup acceptèrent de partir s’établir en Thrace sur des terres que leur proposait Antipaper. Les partisans du nouveau régime l’appelaient patrios politeia (constitution des ancêtres) et ses opposants dénonçaient son caractère oligarchique. Démade et Phocion revinrent au pouvoir jusqu’au printemps 318 où la démocratie fut brièvement rétablie après la mort d’Antipaper, sous la protection de son successeur Polyperchôn. Dès la défaite de ce dernier un an plus tard, un cens de 1000 drachmes fut rétabli et le philosophe aristotélicien Démétrios de Phalère, citoyen athénien, fut placé à la tête de la cité par le nouvel homme fort en Macédoine, Cassandre. […] Démétrios réforma la cité dans un sens oligarchique et favorable aux richeses, en conformité avec les idées aristotéliciennes du temps. […] Il supprima […] les indemnités (misthoi) versées aux citoyens qui exerçaient des responsabilités publiques (cela affectait les plus pauvres). […] Occupée par les Macédoniens, la cité fut pendant dix ans sous l’autorité d’un homme impopulaire : le régime « était oligarchique de nom, mais monarchique de fait » (Plutarque, Démétrios, 10, 2). » (p.45-46)
« Antigone traqua puis assiégea Eumène de Cardia dans la forteresse de Nora en Cappadoce. […] Après la défaite de Gabiène, Eumène fut livré par ses troupes, jugé et exécuté (316). Les troupes d’Antigone parvinrent à chasser de Babylone Séleucos qui trouva refuge auprès de Ptolémée. […]
En 315, à Tyr, Antigone réunit une assemblée de l’armée […] pour faire condamner Cassandre à mort par contumace pour ses crimes et en particulier le meurtre d’Olympias. Il se posa en seul protecteur du jeune Alexandre IV […] Il proclama les cités grecques libres, autonomes et exemptes de garnisons […]
Le projet initial d’Antigone était d’aller en Macédoine porter le fer contre Cassandre tout en se gardant de Ptolémée. Il envoya son fils Démétrios en Palestine mais ce dernier fut vaincu à Gaza en 312. Gêné par ailleurs par les entreprises de Séleucos en Mésopotamie, Antigone abandonna alors son plan initial. » (p.47-48)
« Auréolé du prestige de sa victoire à Salamine de Chypre, Démétrios avait reçu, ainsi que son père, des honneurs exceptionnels de la part des Athéniens, qui n’ont pu que faciliter l’adoption du titre royal. Quand en juillet 307, Démétrios, fils d’Antigone, s’empara d’Athènes, Démétrios de Phalère avait quitté le pouvoir pour Thèbes, recréée avec son aide en 315, avant de gagner Alexandrie. La Forteresse de Mounychie, occupée jusque-là par les Macédoniens, fut rasée et la démocratie rétablie […]
Les Athéniens prirent l’habitude d’honorer […] les souverains et leur entourage. Antigone restitua aux Athéniens les îles d’Imbros et de Lemnos et Démétrios leur offrit de l’argent, une quantité très importante de blé et du bois de construction pour 100 navires de guerre (ils n’avaient plus de flotte depuis 322). Les fortifications d’Athènes et du Pirée ainsi que les « Longs Murs » entre les deux villes furent remis en état en 5 ans. Athènes n’était toutefois pas indépendante : elle avait changé de maître et dut lutter à ses côtés contre Cassandre. » (p.48-49)
« A l’été 301, à Ipsos en Phrygie, les Antigonides durent faire face à la coalition de Lysimaque et de Séleucos, dont les éléphants fournis par l’Indien Tchandragoupta et son fils Démétrios Poliorcète dut quitter l’Asie. […] Cassandre pouvait croire assurée sa victoire en Grèce ; Séleucos réclama à Ptolémée la Syrie méridionale (dont la riche Phénicie) que celui-ci venait d’occuper systématiquement pendant que ses alliés combattaient Antigone, sans obtenir satisfaction et il dut se contenter de la Syrie du Nord. Lysimaque enfin s’empara de l’Asie Mineure jusqu’au Taurus. […]
De ces années de guerres entre Diadoques émergèrent les dynasties des Lagides, des Séleucides et des Antigonides, alors que la maison de Lysimaque disparut avec lui en 281. » (p.52)
« En 301, après Ipsos, Ptolémée, fils de Lagos, était à la tête d’un royaume bien géré, d’une marine et d’une armée puissantes. La stabilisation du royaume lagide, étonamment précoce, s’explique par l’intelligence politique de Ptolémée, et en particulier par les bonnes relations instituées avec les élites indigènes, dès son installation comme satrape. Reçu en libérateur par les Égyptiens comme Alexandre l’avait été lui-même, il sut se concilier les faveurs du clergé en multipliant les actes de bienveillance. Très tôt, il put se constituer une armée où furent enrôlés des Égyptiens (ou machimoi pour l’infanterie légère), à côté des Macédoniens, des Grecs et des Juifs. Il eut ainsi les moyens d’aider les Rhodiens en les ravitaillant pendant l’année de siège (305/4) que leur fit subir Démétrios. Après 301, la suprématie de la marine lagide ne fut guère contestée.
Sans doute en 322/1, en raison des troubles politiques survenus en Cyrénaïque, Ptolémée prit une ordonnance (diagramma) qui l’instituait stratège à perpétuité de la cité de Cyrène. Flanqué de cinq collègues, il fixait par son ordonnance les institutions oligarchiques de la cité. […] Dès 321 également, les quatre rois des cités chypriotes étaient ses alliés et après la mort en 311 de Nikokréon, roi de Salamine, il nomma stratège de l’île son frère Ménélaos avec le commandement de toutes les forces lagides stationnées en Méditerranée […]
En 291-287, Ptolémée reprit en charge la « protection » de la Confédération des Nésiotes, administrée par un gouverneur (nésiarque) à ses ordres.
Dans ses relations avec les cités grecques, Ptolémée accepta les honneurs qu’elles lui concédaient. Pour le remercier de l’assistance qu’il leur avait fournie, les Rhodiens, lui accordèrent dès 304 –après consultation de l’oracle de Siwah- des honneurs divins et lui donnèrent sans doute –comme les Athéniens l’avaient accordé aux Antigonides en 307- le titre de sauveur (soter), qu’il fit graver au droit de ses pièces d’or et d’argent après la victoire d’Ipsos. » (p.52-53)
« Après Ipsos (301), Lysimaque ajouta la plus grande partie de l’Asie Mineure à ses possessions thraces. Il était l’allié des Lagides par son mariage avec Arsinoé en 300, fille de Ptolémée et de Bérénice, qui lui a donné trois fils. Dans les années 286-282, il est également l’allié des Messéniens contre Sparte, étendant son influence jusqu’au cœur du Péloponnèse. En 286/5, le roi Lysimaque était parvenu au faite de sa puissance. Son royaume avait un pied en Europe, l’autre en Asie. Comprenant la Thrace jusqu’au Danube (sans Byzance), la Macédoine et la Thessalie (sauf Démétrias), plus l’Asie Mineure, à l’exception des Royaumes du Pont, de la Bithynie et des principautés paphlagoniennes, le domaine de Lysimaque occupait une position stratégique de premier plan. […] En 281, quatre ans plus tard, il ne restait rien de la maison de Lysimaque […]
Après la mort de Démétrios en 283, le danger antigonide en Asie étant écarté, Séleucos ne pouvait qu’être hostile aux ambitions d’un concurrent. La guerre était inévitable et en 281, Lysimaque trouva la mort sur le champ de bataille de Couroupedion (« la plaine de Cyrus », à l’ouest de Sardes). Séleucos s’empara alors de ses possessions asiatiques. » (p.54-55)
« Séleucos [Nikatôr, « le Victorieux »] fut assassiné par Ptolémée Kéraunos, qui voulait récupérer l’héritage de son beau-frère (281). […] C’est à Triparadeisos en 320 qu’il reçut la satrapie de Babylonie, comme récompense du rôle qu’il avait joué dans l’assassinat de Perdiccas. […]
Cette satrapie de Babylonie, dont l’enjeu stratégique n’était pas négligeable, il dut la reconquérir en 312 sur le stratège d’Antigone, Nikanor, quatre ans après l’avoir perdue. Pour marquer son esprit d’indépendance, il choisit cette date comme début de l’ère séleucide […]
Séleucos consolida dans un premier temps ses positions en cherchant à tirer profit des Hautes Satrapies qui pouvaient lui fournir des troupes en nombre suffisant pour contrer les forces d’Antigone. Le premier centre de son pouvoir fut la Babylonie avec pour capitale Séleucie du Tigre, sans doute fondée entre 307 et 300. A partir de 301 et la victoire d’Ipsos sur les Antigonides, il put y ajouter la Syrie du Nord avec la création dès 300 des cités de la Tétrapole […] Les zones-frontières de cet espace étaient l’Asie Mineure et l’Asie centrale mais au regard de la compétition que se livrèrent les Diadoques, le cœur stratégique en était la Syrie du Nord, lieu de passage obligé entre les possessions de l’Asie centrale et le monde égéen, région menacée par l’inévitable confrontation avec la partie lagide de la Syrie, que Ptolémée avait refusé de rétrocéder après Ipsos. […]
Avant de partir pour l’Europe, il confia la garde de l’Asie à son fils aîné Antiochos qu’il avait eu la sagesse d’associer au pouvoir dès 294, assurant ainsi l’avenir de la dynastie. En 281, en franchissant l’Hellespont à plus de 70 ans, le Macédonien Séleucos prouvait qu’il n’avait pas renoncé au désir de revoir sa patrie et à l’ambition d’agrandir son territoire. » (p.55-56)
« La Macédoine occupait une position particulière dans l’héritage d’Alexandre. Patrie des Macédoniens, elle était aussi l’objet de toutes les convoitises avec ses deux villes : Aigai, ce « Saint-Denis de la monarchie macédonienne », et Pella, sa capitale royale. Devenir roi en Macédoine, c’était non seulement succéder à Alexandre, c’était aussi contrôler les cités grecques et s’assurer une armée dont la réputation restait grande. La mort en 298/7 de Cassandre, fils d’Antipater, ouvrit pour la Macédoine un temps de crises, qui ne trouva son achèvement qu’en 276 avec le rétablissement des Antigonides, en la personne d’Antigone Gonatas, fils de Démétrios. […]
Après la prise du titre royal en 306, l’attitude des Antigonides s’était en effet modifiée. En 304, après avoir secouru Athènes assiégée par Cassandre, Démétrios séjourna dans la cité : la conduite débauchée du roi y fit scandale, comme l’exigence de recevoir l’initiation aux Mystères d’Éleusis sans respecter les trois degrés habituels. Démétrios Poliorcète, fils d’Antigone le Borgne, sans royaume depuis 301, devint roi des Macédoniens en faisant assassiner la descendance de Cassandre dont il prétendit s’instituer l’héritier légitime en raison de son mariage avec sa sœur Phila. L’armée le proclama roi en Macédoine à l’automne 294. Démétrios était un grand stratège, dont la réputation avait été consacrée par le surnom « poliocète » que lui avait valu le siège de Rhodes, et par sa victoire sur les Lagides à Salamine de Chypre, que Poséidon, dieu de la mer, très présent sur ses monnaies, devait rappeler à tous. Pour autant il ne fut jamais populaire auprès des Macédoniens. Pendant ses sept années de règne, on lui reprocha son luxe, son arrogance, et le choix de Démétrias comme résidence à la place de Pella, Démétrias qu’il avait fondée en Thessalie sur le golfe Pagasétique. Au lieu de se concentrer sur le gouvernement de la Macédoine, Démétrios poursuivit son activité militaire en Grèce centrale. Tour à tour brutal et démagogue envers les cités et en particulier avec les Athéniens qu’il avait affamés en 294, il installa des garnisons pour entraver la Grèce et mobilisa pendant l’hiver 289-288 des forces terrestres et navales telles que se forma contre lui une coalition composée de Séleucos, de Ptolémée, de Lysimaque et de Pyrrhos (288). Abandonné de ses hommes, il quitta l’Europe pour passer en Asie où après une course-poursuite dans les montagnes du Taurus, il se rendit à Séleucos (286). Il mourut en captivité trois ans plus tard à Apamée sur l’Oronte. » (p.58-59)
« Antigone Gonatas parvint à s’imposer en Macédoine comme héritier légitime. Il eut l’intelligence de conclure une alliance entre 229 et 226 avec Antiochos, prélude à une longue entente entre les deux maisons royales. En renonçant à toute entreprise en Asie Mineure, il abandonnait les projets de son père. En contrepartie, Antiochos lui reconnaissait la Macédoine. Cette paix libérait Antigone de toute menace à l’Est et lui permettait de profiter de la situation chaotique qui prévalait en Macédoine. De plus, il sut exploiter au mieux la victoire qu’il remporta près de Lysimacheia sur les Gaulois en 277. Non seulement elle fit de lui un rempart de l’hellénisme en portant un coup d’arrêt aux invasions galates en Europe, mais elle restitua à la dynastie un prestige mis à mal par les initiatives malencontreuses de son père et par l’échec de son débarquement en Macédoine en 281. Antigone Gonatas, salué comme sauveur (sôter), put remporter sur les divers prétendants à la royauté en Macédoine et reconstituer un royaume qui n’avait plus de gouvernement depuis la mort de Sosthénès. Bien que sa situation ne fût vraiment stabilisée qu’à la mort de Pyrrhos en 272, il ancra sa maison en Macédoine où la lignée des Antigonides se maintint jusqu’à la défaite de Persée à Pydna en 168. […]
L’époque des Diadoques fut un temps de conflits. […] Si le royaume de Ptolémée fut le premier à se stabiliser, c’est que dès 323 Ptolémée a choisit la prudence. L’Asie était un espace plus difficile à contrôler avec la mosaïque de peuples et de cités qui la constituaient. Jeter un pont entre l’Asie et l’Europe fut un pari impossible à tenir, tant pour Lysimaque, Séleucos qu’Antigone le Borgne. […]
Entre 283 et 281, toute une génération disparut : Ptolémée, fils de Lagos ; Démétrios Poliorcète ; Lysimaque ; Séleucos. […] L’accord conclu entre 279 et 276 entre Antigone Gonatas et Antiochos prouvait une reconnaissance mutuelle de leurs possessions, qui en excluant toute tentative de réunir sous une seule autorité l’Europe et l’Asie, signifiait le renoncement à l’héritage d’Alexandre. » (p.60)
« En raison des fondations de cités par les diadoques et les rois, le nombre des cités s’est accru. […] Même pour les petites cités, la période hellénistique paraît « un siècle d’or », selon une heureuse formule de Philippe Gauthier. Quant aux koina, fondés sur l’association de peuples (ethnè) et/ou de cités, ils sont parvenus grâce à leurs institutions fédérales, à unir les Grecs au nom de la liberté et à faire jeu égal avec les rois et Rome. » (p.61)
« Les royautés sont réglées par le respect de la tradition, tandis que la tyrannie, assimilée au despotisme, est caractérisée par l’arbitraire. Nul se s’affirme tyran alors que le titre de roi est source de gloire et de renommée. » (p.61)
« La règle de primogéniture ne s’appliquant ni chez les Séleucides ni chez les Lagides, tous les fils nés du même père avaient des chances de pouvoir lui succéder, ce qui était source de conflits. » (p.63)
« Une cité pouvait exister tout en étant soumise totalement ou en partie à une autre cité, à un koinon ou à un Roi. Des cités ont été ainsi privées de toute initiative en politique étrangère sans cesser pour autant d’exister en tant que cité par le fonctionnement de leurs institutions. […]
Chaque cité comprenait une ou plusieurs places et un complexe de bâtiments civils et religieux : l’ekklesiasterion, lieu de réunion de l’Assemblée du Peuple, le bouleuterion, salle du Conseil, le Tribunal et le Prytanée qui accueillait les hôtes étrangers et les ambassades. » (p.79)
« La vente du droit de cité fut une mesure exceptionnelle tant par le nombre des cités connues pour l’avoir pratiquée (Phasélis, Byzance, Dymé, Tritaia, Éphèse, Aspendos, Thasos), que par le nombre de personnes concernées dans chacun des cas. […]
Quand le droit de cité fut accordé à un grand nombre, ce fut –comme à l’époque classique- principalement pour des raisons militaires : une cité se sentant menacée cherchait à accroître son armée. La sympolitie permettait l’incorporation de nouveaux citoyens par fusion de deux communautés, la plus puissante annexant la plus faible. Vers 175, Milet absorba la petite ville carienne de Pidasa à l’est de son territoire pour pouvoir contrôler la forteresse et y envoyer une garnison. Quand dans le cadre de leurs réformes, les rois spartiates Agis (243-241) et Cléomène (235-222) voulurent reconstituer le potentiel militaire de leur cité, ils donnèrent la citoyenneté à des périèques et à des étrangers […] A Milet, une série d’inscriptions octroya la politeia d’abord en 234/3 puis en 229/8 à environ un millier de soldats qui résidaient déjà avec leur famille sur le territoire de la cité. » (p.80-81)
« La démocratie est le régime dominant des cités hellénistiques. » (p.82)
« Les cités n’ont jamais renoncé à leur liberté. C’est pour répondre à cette aspiration que le Diadoque Antigone le Borgne avait affirmé en 315, dans le manifeste appelé « la Proclamation de Tyr », que les cités devaient être libres, autonomes et exemptes de garnisons. » (p.83)
« L’installation d’une garnison dans une cité pouvait signifier l’enjeu stratégique du site qu’elle représentait. » (p.83)
-Catherine Grandjean, Genevièvre Hoffmann, Laurent Capdetrey, Jean-Yves Carrez-Maratray, Le Monde hellénistique, Armand Colin, coll. U Histoire, 2017 (2008 pour la première édition), 394 pages.