http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb326819451/date
Les numéros de pages désignent la version de la revue assemblée et reproduite en format microfilm (BnF site François Mitterrand, L.1.1 – MFM, banque KL/K, Microfilm M-622 – 1899/07 => 1899/12 : « Action française – L’Action française -1899).
L’Action française. Paraissant deux fois par mois. Abonnement : 10 francs par an. 1er année – N°1 – 10 juillet 1899. Paris, Bureaux du Journal 143 rue d’Aboukir.
« L’Action française sera « nationaliste ». Elle est destinée, dans la pensée de ses fondateurs, à aider à l’organisation, déjà commencée, d’un parti nouveau. Elle est un organe de combat, parce que la nécessité s’impose, avant tout, à cette heure, de combattre, de vaincre et de chasser de chez nous, de façon assez brutale pour qu’il n’ait pas envie de revenir, un ennemi auquel l’abominable inconscience de nos représentants vient de finir par nous livrer. Puisque le Parlement, à une tentative de chantage diplomatique aussi évidente, aussi cynique que l’affaire Dreyfus, n’a pu rien opposer que ses discussions molles et confuses –il n’y à plus qu’à en appeler à la Nation elle-même. » (p.1-2)
« L’Action française combattra donc d’abord les défenseurs du triste capitaine. Elle protestera contre sa réhabilitation, si on l’essaie. Et elle aura à cœur, en commentant cet instructif exemple, de justifier et d’entretenir l’instinct de répulsion, si sain, si gai, du Peuple français contre le Juif. L’antisémitisme aura ici des amis réfléchis, qui s’efforceront d’en approfondir et d’en éclaicir la légitimité historique et naturelle. » (p.2)
« Notre œuvre n’aurait rien de fécond, si elle ne préparait nullement l’avenir, si nous ne la nourrissions chaque jour d’une pensée, et, à la lettre, d’un idéal, qui, pour être plus concret, et pour ainsi dire, plus charnel que les maximes kantiennes de la République, ne se trouverait pas moins, être assez haut, et capable de solliciter l’espoir, l’effort de tous. » (p.4)
« Nous voulons rendre la République habitable. » (p.5)
-Henri Vaugeois, « Réaction d’Abord », L’Action française (revue), 1ère année, n°2, 1er août 1899.
« Le mot est presque nouveau, et, si on le trouve abondamment dans les polémiques de presse, on le chercherait en vain dans les lexiques les plus récents de la langue française. Il sert à épouvanter les gens d’humeur pacifique ; ou bien, quand une combinaison ministérielle hétéroclite se constitue dans un but inavouable il sert encore à lui fournir le prétexte de faire face au « péril nationaliste ». Pour certain, le nationalisme, c’est le boulangisme : pour d’autres, c’est le bonapartisme et le boulangisme combinés. Quelques-uns l’incarnent en M. Deroulède, d’autres en M. Drumont, d’autres en M. Lazies, d’autres en M. Millevoye, d’autres en M. François Coppée. Selon les uns, il consiste à opposer le pouvoir militiare au pouvoir civil ; selon les autres, il se réduirait à n’être que la négation du régime parlementaire. Beaucoup y voient l’apologie des coups d’état et de la dictature ; beaucoup aussi, soupçonnent qu’il implique des déclarations de guerre immédiates à l’Allemagne, à l’Angleterre, à l’Italie et à toutes les puissances généralement quelconques, civilisées ou non, qui peuplent le globe terrestre. Son signalement varie ainsi indéfiniment au gré des circonstances, et l’on en arrive à se demander les terrifiants mystères que recouvre ce vocable d’allure inoffensive, qui, au premier abord, semblerait devoir simplement signifier : amour ou culte de la nationalité. » (p.12-13)
« On le regarde d’ordinaire comme un parti politique : c’est à notre sens, la plus complète des erreurs. Le nationalisme n’est pas un parti politique, c’est un état d’esprit. Et, pour comprendre cet état d’esprit, il importe d’en chercher les origines lointaines au-dessus et au délà des formes transitoires de gouvernement qui, depuis cent ans et plus, ont successivement et vainement essayé de donner à notre pays une assiette définitive.
Dès le dix-huitième siècle, avec Voltaire, Rousseau et les encylopédistes, des tendances cosmopolites commencent à s’infiltrer dan les mœurs françaises. Ces tendances ne s’affirment encore que dans les écrits de philosophes ou dans les conversations de salons ; elles demeurent néanmoins sans influence sur la chose publique ; et ne modifient en rien la politique générale de la France. L’idéologie humanitaire des beaux esprits de l’ancien régime n’est pas mûre ; elle ne passera du domaine de la théorie dans le domaine de faits qu’au moment de la Révolution, et avec le triomphe de la faction jacobine ; car il importe d’observer que le mouvement ne s’accomplit en aucune façon d’un élan unanime, et que, du sein même de la Convention, des courants très divers entrainaient les grands agitateurs, que nous avons pris, à distance, l’habitutde commode de considérer et de payer « en bloc ».
Tandis que Robespierre et son école agissaient évidemment au nom de l’humanité et pour l’humanité, et qu’ils prenaient la France comme un simple champ d’expériences et de culture destiné à faire fructifier les vastes conceptions religieuses et sociales dont ils rêvaient de doter le monde, Danton, pour ne citer que celui-là, suivait, en dépit des apparences, une voie diamétralement contraire ; il maintenait énergiquement l’idée de l’Etat français et prétendait gouverner la France non pas pour l’amour du genre humain, mais pour l’amour de la France même ; autrement dit, il considérait l’existence, la grandeur, la puissance de sa nationalité, non comme un moyen, mais comme un but ; et, en cela, si paradoxal d’abord que le fait puisse paraître, ce régicide continuait au fond rigoureusement la saine tradition de la vieille monarchie ; il pratiquait le principe de la politique nationale. » (p.16-18)
« La guerre et l’invasion de 1870 paraissaient devoir nous guérir et elles nous guérirent un moment en effet de notre idéologie. Et puis le vieux jacobinisme rentra en scène, et, avec lui, tout le cortège de ses périlleuses conceptions. Il fut convenu que « la vraie tradition française » consistait à faire de la France la chose de tout le monde. On ne pouvait plus guère exiger qu’elle mit généreusement ses soldats meurtris au service de causes étrangères. Alors, on laissa chacun entrer librement chez elle et s’y installer à son aise. Bien plus : nous donnâmes aux juifs d’Algérie, aux mulâtres du Sénégal et aux métifs de la Guadeloupe trois de nos plus anciennes colonies ; les administrations métropolitaines, l’armée, la magistrature, la Chambre, le Sénat, se peuplèrent de personnages dont les pères ou les frères n’avaient pas chez nous le droit de cité, et qui l’avaient eux-mêmes à peine depuis quelques années ; des procès retentissants nous révèlèrent, derrière la plupart de nos politiciens en vue, la présence de quelques banquiers exotiques qui tenaient les ficelles des mannequins parlementaires ; tels de nos journaux furent et sont encore notoirement entre les mains d’une puissance voisine, et défendent presque publiquement ses intérêts contre les nôtres ; tandis que cette invasion gagnait chaque jour, la France ne s’apercevait de rien ou se glorifiait même béatement du singulier privilège dont elle jouissait de servir d’auberge aux deux continents ; sa vie politique extérieure était nulle, sa vie politique intérieure se réduisait à alimenter par tous les moyens possibles le plus grand nombre de gens possibles ; au milieu d’une douce anarchie, chacun y mangeait joyeusement son morceau de capital de force et de richesse que nos ancêtres y avaient accumulé au cours des siècles. » (p.20-21)
-Maurice Spronck, « Le Nationalisme », L’Action française (revue), 1ère année, n°2, 1er août 1899.
« Si don Juan [chez Molière] se préoccupait de l’Humanité, ce n’est pas au pauvre homme qui, humainement, a si peu d’importance, qu’il s’intéresserait ; ce serait à un Shakespeare, à un Newton, à un Napoléon, à quelqu’un de ceux que Carlyle a appelés les « héros », et Nietzsche les « surhommes ». » (p.186)
-Maurice Spronck, « Le fondement moral de l’idée de Patrie », L’Action française (revue), 1ère année, n°5, 15 sepembre 1899.
« Il y a quelques années, lorsque le nom de Nietzsche fut devenu trop célèbre pour que des écrivains qui, comme M. de Wyzewa ou Mme Arvède Barine, apportent aux lecteurs de nos grandes revues les nouvelles philosophiques de l’étranger, gardassent plus longtemps le droit de se taire, on vit une singulière aventure. Je devrais plutôt dire qu’elle arriva, mais qu’on ne la vit point. L’auteur du Zarathoustra fut présenté à la France comme le type le plus radical d’anarchiste, de nihiliste, de démolisseur universitaire que l’idéologie allemande eut jamais enfanté. Réputation fâcheuse, bien propre à faire exclure Nietzsche sans plus d’examen du nombre des esprits supérieurs. Car qu’y a-t-il, à la fin du XIXe siècle, de plus rebattu que l’anarchisme, de plus simplet, de plus à la portée de tout le monde que le nihilisme, de plus inoffensif enfin que les « audaces » d’un idéologue germanique ? Ces renseignements suffirent pour détourner de Nietzsche l’attention des personnes sérieuses et des professeurs de Sorbonne. La question était donc entendue. Et les informateurs ingénieux, mais un peu hâtifs dont je parlais, avaient réglé leur compte avec le météore nouveau. Celui-ci heureusement a reparu. Trois jeunes écrivains du Mercure de France, MM. Henri Albert, Weiskopf et Art, ont entrepris une traduction complète des œuvres de Nietzsche. Et leur travail, à en juger par les premiers volumes publiés, sera digne de tout éloge. Les « philosophes » de Sorbonne voudront-ils bien se distraire un instant de la contemplation des atomes d’Epicure et du Cogito de Descartes pour s’apercevoir de ce terrible ennemi de leur satisfaction ? Tout espoir n’en est pas perdu, car l’un d’entre eux nous déclarait récemment « qu’à ses yeux Nietzsche est absolument sincère ». Ainsi voilà qui est acquis. Nietzsche mérite considération. La Sorbonne a prononcé qu’il n’est pas enfantin, qu’il n’est donc pas « anarchiste ». Et, en effet, il suffit de feuilleter le moindre de ses ouvrages pour découvrir que cette épithète lui convient à peu près autant que celle de jacobin à Joseph de Maistre ou à Michelet celle de jésuite. » (p.480-481)
« Ces pontifes de la Raison pure [de la Revue de métaphysique et de morale] pour lesquels ils ne saurait y avoir en dehors de la lamentable morale de Kant que « romantisme » et « anarchie ». » (note 1 p.481)
« On peut dire que le but de Nietzsche, ç’a été de démasquer, de forcer à reconnaître le vice anarchique dont l’époque moderne s’enorgueillit comme de ses plus nobles conquêtes morales. » (p.483)
« Il s’agit d’une sommation violente et d’ailleurs merveilleusement claire adressée à la conscience de tout ami de la civilisation. Si (comme quelques-uns n’en doutent pas) une réaction est en germe dans l’élite de l’Europe contre tout ce que le siècle a adoré –réaction du positivisme contre l’idéalisme en politique, du classicisme contre le romantisme en art, de la clarté hellénique et latine contre les obscurantismes judéo-chrétiens et anglo-saxons, des dieux contre Jéhovah, de la Raison contre l’Esprit, de la Beauté contre la Morale, du Midi contre le Nord –Nietzsche, sans être l’auteur de ses heureux retours qui ne dépendent pas d’un génie seul, aura magnifiquement contribuer à les hâter et à les enhardir. » (p.483-484)
« Nietzsche est trop épris du net, du clair, du tranché, du fini –trop droit, ajouterais-je, pour ne pas expulser impitoyablement de toute controverse sur la morale, avec cette notion de nature –si vague qu’on peut y fourrer tout ce qu’on veut, et on s’y fourre généralement soi-même- ces autres entités également obscures et dangereuses : Raison pure, Libre arbitre, Autonomie, Conscience… bref, la métaphysique. » (p.486)
« Il oppose à la peur chrétienne de la nature, la résolution et l’orgueil de l’homme civilisé, artiste de sa nature. » (p.492)
« Les théories mystico-démocratiques qui attribuent à la foule comme foule je ne sais quel mystérieux pouvoir de création inconsciente dans l’ordre poétique et moral n’ont plus besoin d’être réfutées. Elles font partie de la défroque romantique. » (p.496)
-Pierre Lasserre, « Nietzsche et l’Anarchisme », L’Action française (revue), 1ère année, n°9,15 novembre 1899, pp.480-301. Le 2ème article, suivant immédiatent les « Notes politiques » de Maurras.
« La morale des maîtres est positive et créatrice. Elle fonde les civilisations. La morale des esclaves est négative et subservise. Elle est le principal agent et le grand symptôme des décadences. » (p.395)
« Le problème pour l’homme moderne ne serait-il pas de joindre à sa précieuse complexité l’énergie du barbare ? » (p.369)
« La morale servile s’est éléevée jusqu’à l’idée d’une espèce d’essence pure et absolue de l’« Homme », présente dans le plus humble comme dans le plus glorieux, au regard de laquelle toutes les humaines inégalités apparaissent comme autant d’absurdités et de vivants blasphèmes. Ce fut jadis, l’Homme fils de Dieu, c’est, aujourd’hui, l’Homme-citoyen de la Révolution. » (p.617)
-Pierre Lasserre, « Nietzsche et l’Anarchisme (suite) », L’Action française (revue), 1ère année, n°10, 1er décembre 1899, pp.395-619.
« Le Romantisme est l’art qui correspond à cette philosophie. » (p.648)
« Le fond du classicisme, c’est que, si les règles ne valent rien sans le génie, il y a cependant en elles plus de génie que dans le plus grand génie. » (p.652)
-Pierre Lasserre, « Nietzsche et l’Anarchisme (suite) », L’Action française (revue), 1ère année, n°11, 15 décembre 1899, pp.648-660
L’article annnonce une version augmentée de la série, vouée à paraître en brochure sous le titre de Nietzsche contre l’Anarchisme.
« [Les idées révolutionnaires,] Nietzsche en attribue la paternité aux Anglais. » (note 1 p.662) [remarque exacte et érudite]
-Octave Tauxier, « L’Action « Tainienne », L’Action française (revue), 1ère année, n°11, 15 décembre 1899, pp.661-671.
Les numéros de pages désignent la version de la revue assemblée et reproduite en format microfilm (BnF site François Mitterrand, L.1.1 – MFM, banque KL/K, Microfilm M-622 – 1899/07 => 1899/12 : « Action française – L’Action française -1899).
L’Action française. Paraissant deux fois par mois. Abonnement : 10 francs par an. 1er année – N°1 – 10 juillet 1899. Paris, Bureaux du Journal 143 rue d’Aboukir.
« L’Action française sera « nationaliste ». Elle est destinée, dans la pensée de ses fondateurs, à aider à l’organisation, déjà commencée, d’un parti nouveau. Elle est un organe de combat, parce que la nécessité s’impose, avant tout, à cette heure, de combattre, de vaincre et de chasser de chez nous, de façon assez brutale pour qu’il n’ait pas envie de revenir, un ennemi auquel l’abominable inconscience de nos représentants vient de finir par nous livrer. Puisque le Parlement, à une tentative de chantage diplomatique aussi évidente, aussi cynique que l’affaire Dreyfus, n’a pu rien opposer que ses discussions molles et confuses –il n’y à plus qu’à en appeler à la Nation elle-même. » (p.1-2)
« L’Action française combattra donc d’abord les défenseurs du triste capitaine. Elle protestera contre sa réhabilitation, si on l’essaie. Et elle aura à cœur, en commentant cet instructif exemple, de justifier et d’entretenir l’instinct de répulsion, si sain, si gai, du Peuple français contre le Juif. L’antisémitisme aura ici des amis réfléchis, qui s’efforceront d’en approfondir et d’en éclaicir la légitimité historique et naturelle. » (p.2)
« Notre œuvre n’aurait rien de fécond, si elle ne préparait nullement l’avenir, si nous ne la nourrissions chaque jour d’une pensée, et, à la lettre, d’un idéal, qui, pour être plus concret, et pour ainsi dire, plus charnel que les maximes kantiennes de la République, ne se trouverait pas moins, être assez haut, et capable de solliciter l’espoir, l’effort de tous. » (p.4)
« Nous voulons rendre la République habitable. » (p.5)
-Henri Vaugeois, « Réaction d’Abord », L’Action française (revue), 1ère année, n°2, 1er août 1899.
« Le mot est presque nouveau, et, si on le trouve abondamment dans les polémiques de presse, on le chercherait en vain dans les lexiques les plus récents de la langue française. Il sert à épouvanter les gens d’humeur pacifique ; ou bien, quand une combinaison ministérielle hétéroclite se constitue dans un but inavouable il sert encore à lui fournir le prétexte de faire face au « péril nationaliste ». Pour certain, le nationalisme, c’est le boulangisme : pour d’autres, c’est le bonapartisme et le boulangisme combinés. Quelques-uns l’incarnent en M. Deroulède, d’autres en M. Drumont, d’autres en M. Lazies, d’autres en M. Millevoye, d’autres en M. François Coppée. Selon les uns, il consiste à opposer le pouvoir militiare au pouvoir civil ; selon les autres, il se réduirait à n’être que la négation du régime parlementaire. Beaucoup y voient l’apologie des coups d’état et de la dictature ; beaucoup aussi, soupçonnent qu’il implique des déclarations de guerre immédiates à l’Allemagne, à l’Angleterre, à l’Italie et à toutes les puissances généralement quelconques, civilisées ou non, qui peuplent le globe terrestre. Son signalement varie ainsi indéfiniment au gré des circonstances, et l’on en arrive à se demander les terrifiants mystères que recouvre ce vocable d’allure inoffensive, qui, au premier abord, semblerait devoir simplement signifier : amour ou culte de la nationalité. » (p.12-13)
« On le regarde d’ordinaire comme un parti politique : c’est à notre sens, la plus complète des erreurs. Le nationalisme n’est pas un parti politique, c’est un état d’esprit. Et, pour comprendre cet état d’esprit, il importe d’en chercher les origines lointaines au-dessus et au délà des formes transitoires de gouvernement qui, depuis cent ans et plus, ont successivement et vainement essayé de donner à notre pays une assiette définitive.
Dès le dix-huitième siècle, avec Voltaire, Rousseau et les encylopédistes, des tendances cosmopolites commencent à s’infiltrer dan les mœurs françaises. Ces tendances ne s’affirment encore que dans les écrits de philosophes ou dans les conversations de salons ; elles demeurent néanmoins sans influence sur la chose publique ; et ne modifient en rien la politique générale de la France. L’idéologie humanitaire des beaux esprits de l’ancien régime n’est pas mûre ; elle ne passera du domaine de la théorie dans le domaine de faits qu’au moment de la Révolution, et avec le triomphe de la faction jacobine ; car il importe d’observer que le mouvement ne s’accomplit en aucune façon d’un élan unanime, et que, du sein même de la Convention, des courants très divers entrainaient les grands agitateurs, que nous avons pris, à distance, l’habitutde commode de considérer et de payer « en bloc ».
Tandis que Robespierre et son école agissaient évidemment au nom de l’humanité et pour l’humanité, et qu’ils prenaient la France comme un simple champ d’expériences et de culture destiné à faire fructifier les vastes conceptions religieuses et sociales dont ils rêvaient de doter le monde, Danton, pour ne citer que celui-là, suivait, en dépit des apparences, une voie diamétralement contraire ; il maintenait énergiquement l’idée de l’Etat français et prétendait gouverner la France non pas pour l’amour du genre humain, mais pour l’amour de la France même ; autrement dit, il considérait l’existence, la grandeur, la puissance de sa nationalité, non comme un moyen, mais comme un but ; et, en cela, si paradoxal d’abord que le fait puisse paraître, ce régicide continuait au fond rigoureusement la saine tradition de la vieille monarchie ; il pratiquait le principe de la politique nationale. » (p.16-18)
« La guerre et l’invasion de 1870 paraissaient devoir nous guérir et elles nous guérirent un moment en effet de notre idéologie. Et puis le vieux jacobinisme rentra en scène, et, avec lui, tout le cortège de ses périlleuses conceptions. Il fut convenu que « la vraie tradition française » consistait à faire de la France la chose de tout le monde. On ne pouvait plus guère exiger qu’elle mit généreusement ses soldats meurtris au service de causes étrangères. Alors, on laissa chacun entrer librement chez elle et s’y installer à son aise. Bien plus : nous donnâmes aux juifs d’Algérie, aux mulâtres du Sénégal et aux métifs de la Guadeloupe trois de nos plus anciennes colonies ; les administrations métropolitaines, l’armée, la magistrature, la Chambre, le Sénat, se peuplèrent de personnages dont les pères ou les frères n’avaient pas chez nous le droit de cité, et qui l’avaient eux-mêmes à peine depuis quelques années ; des procès retentissants nous révèlèrent, derrière la plupart de nos politiciens en vue, la présence de quelques banquiers exotiques qui tenaient les ficelles des mannequins parlementaires ; tels de nos journaux furent et sont encore notoirement entre les mains d’une puissance voisine, et défendent presque publiquement ses intérêts contre les nôtres ; tandis que cette invasion gagnait chaque jour, la France ne s’apercevait de rien ou se glorifiait même béatement du singulier privilège dont elle jouissait de servir d’auberge aux deux continents ; sa vie politique extérieure était nulle, sa vie politique intérieure se réduisait à alimenter par tous les moyens possibles le plus grand nombre de gens possibles ; au milieu d’une douce anarchie, chacun y mangeait joyeusement son morceau de capital de force et de richesse que nos ancêtres y avaient accumulé au cours des siècles. » (p.20-21)
-Maurice Spronck, « Le Nationalisme », L’Action française (revue), 1ère année, n°2, 1er août 1899.
« Si don Juan [chez Molière] se préoccupait de l’Humanité, ce n’est pas au pauvre homme qui, humainement, a si peu d’importance, qu’il s’intéresserait ; ce serait à un Shakespeare, à un Newton, à un Napoléon, à quelqu’un de ceux que Carlyle a appelés les « héros », et Nietzsche les « surhommes ». » (p.186)
-Maurice Spronck, « Le fondement moral de l’idée de Patrie », L’Action française (revue), 1ère année, n°5, 15 sepembre 1899.
« Il y a quelques années, lorsque le nom de Nietzsche fut devenu trop célèbre pour que des écrivains qui, comme M. de Wyzewa ou Mme Arvède Barine, apportent aux lecteurs de nos grandes revues les nouvelles philosophiques de l’étranger, gardassent plus longtemps le droit de se taire, on vit une singulière aventure. Je devrais plutôt dire qu’elle arriva, mais qu’on ne la vit point. L’auteur du Zarathoustra fut présenté à la France comme le type le plus radical d’anarchiste, de nihiliste, de démolisseur universitaire que l’idéologie allemande eut jamais enfanté. Réputation fâcheuse, bien propre à faire exclure Nietzsche sans plus d’examen du nombre des esprits supérieurs. Car qu’y a-t-il, à la fin du XIXe siècle, de plus rebattu que l’anarchisme, de plus simplet, de plus à la portée de tout le monde que le nihilisme, de plus inoffensif enfin que les « audaces » d’un idéologue germanique ? Ces renseignements suffirent pour détourner de Nietzsche l’attention des personnes sérieuses et des professeurs de Sorbonne. La question était donc entendue. Et les informateurs ingénieux, mais un peu hâtifs dont je parlais, avaient réglé leur compte avec le météore nouveau. Celui-ci heureusement a reparu. Trois jeunes écrivains du Mercure de France, MM. Henri Albert, Weiskopf et Art, ont entrepris une traduction complète des œuvres de Nietzsche. Et leur travail, à en juger par les premiers volumes publiés, sera digne de tout éloge. Les « philosophes » de Sorbonne voudront-ils bien se distraire un instant de la contemplation des atomes d’Epicure et du Cogito de Descartes pour s’apercevoir de ce terrible ennemi de leur satisfaction ? Tout espoir n’en est pas perdu, car l’un d’entre eux nous déclarait récemment « qu’à ses yeux Nietzsche est absolument sincère ». Ainsi voilà qui est acquis. Nietzsche mérite considération. La Sorbonne a prononcé qu’il n’est pas enfantin, qu’il n’est donc pas « anarchiste ». Et, en effet, il suffit de feuilleter le moindre de ses ouvrages pour découvrir que cette épithète lui convient à peu près autant que celle de jacobin à Joseph de Maistre ou à Michelet celle de jésuite. » (p.480-481)
« Ces pontifes de la Raison pure [de la Revue de métaphysique et de morale] pour lesquels ils ne saurait y avoir en dehors de la lamentable morale de Kant que « romantisme » et « anarchie ». » (note 1 p.481)
« On peut dire que le but de Nietzsche, ç’a été de démasquer, de forcer à reconnaître le vice anarchique dont l’époque moderne s’enorgueillit comme de ses plus nobles conquêtes morales. » (p.483)
« Il s’agit d’une sommation violente et d’ailleurs merveilleusement claire adressée à la conscience de tout ami de la civilisation. Si (comme quelques-uns n’en doutent pas) une réaction est en germe dans l’élite de l’Europe contre tout ce que le siècle a adoré –réaction du positivisme contre l’idéalisme en politique, du classicisme contre le romantisme en art, de la clarté hellénique et latine contre les obscurantismes judéo-chrétiens et anglo-saxons, des dieux contre Jéhovah, de la Raison contre l’Esprit, de la Beauté contre la Morale, du Midi contre le Nord –Nietzsche, sans être l’auteur de ses heureux retours qui ne dépendent pas d’un génie seul, aura magnifiquement contribuer à les hâter et à les enhardir. » (p.483-484)
« Nietzsche est trop épris du net, du clair, du tranché, du fini –trop droit, ajouterais-je, pour ne pas expulser impitoyablement de toute controverse sur la morale, avec cette notion de nature –si vague qu’on peut y fourrer tout ce qu’on veut, et on s’y fourre généralement soi-même- ces autres entités également obscures et dangereuses : Raison pure, Libre arbitre, Autonomie, Conscience… bref, la métaphysique. » (p.486)
« Il oppose à la peur chrétienne de la nature, la résolution et l’orgueil de l’homme civilisé, artiste de sa nature. » (p.492)
« Les théories mystico-démocratiques qui attribuent à la foule comme foule je ne sais quel mystérieux pouvoir de création inconsciente dans l’ordre poétique et moral n’ont plus besoin d’être réfutées. Elles font partie de la défroque romantique. » (p.496)
-Pierre Lasserre, « Nietzsche et l’Anarchisme », L’Action française (revue), 1ère année, n°9,15 novembre 1899, pp.480-301. Le 2ème article, suivant immédiatent les « Notes politiques » de Maurras.
« La morale des maîtres est positive et créatrice. Elle fonde les civilisations. La morale des esclaves est négative et subservise. Elle est le principal agent et le grand symptôme des décadences. » (p.395)
« Le problème pour l’homme moderne ne serait-il pas de joindre à sa précieuse complexité l’énergie du barbare ? » (p.369)
« La morale servile s’est éléevée jusqu’à l’idée d’une espèce d’essence pure et absolue de l’« Homme », présente dans le plus humble comme dans le plus glorieux, au regard de laquelle toutes les humaines inégalités apparaissent comme autant d’absurdités et de vivants blasphèmes. Ce fut jadis, l’Homme fils de Dieu, c’est, aujourd’hui, l’Homme-citoyen de la Révolution. » (p.617)
-Pierre Lasserre, « Nietzsche et l’Anarchisme (suite) », L’Action française (revue), 1ère année, n°10, 1er décembre 1899, pp.395-619.
« Le Romantisme est l’art qui correspond à cette philosophie. » (p.648)
« Le fond du classicisme, c’est que, si les règles ne valent rien sans le génie, il y a cependant en elles plus de génie que dans le plus grand génie. » (p.652)
-Pierre Lasserre, « Nietzsche et l’Anarchisme (suite) », L’Action française (revue), 1ère année, n°11, 15 décembre 1899, pp.648-660
L’article annnonce une version augmentée de la série, vouée à paraître en brochure sous le titre de Nietzsche contre l’Anarchisme.
« [Les idées révolutionnaires,] Nietzsche en attribue la paternité aux Anglais. » (note 1 p.662) [remarque exacte et érudite]
-Octave Tauxier, « L’Action « Tainienne », L’Action française (revue), 1ère année, n°11, 15 décembre 1899, pp.661-671.