« En 1915, pour une bonne partie de la classe dirigeante, l’objectif majeur résidait au minimum dans « l’achèvement de l’unité », c’est-à-dire dans l’occupation des terres irrédentes enfin arrachées à l’Autriche. Au maximum, il s’agissait de poser les bases de la domination italienne sur l’Adriatique, première étape d’une [expansion ?] impériale à vocation balkanique et méditerranéenne. Les divergences portaient seulement sur la façon de réaliser ce programme. Les « interventionnistes » pensaient qu’une guerre était nécessaire, tandis que les neutralistes, rassemblés autour de Giolitti, estimaient qu’une habile négociation devait suffire pour obtenir « beaucoup de choses » (parecchio), selon la formule employée par l’ancien président du Conseil dans une lettre publiée en février 1915 dans La Tribuna. Dans les deux cas, il s’agissait de faire monter les enchères et, à ce jeu, les pays de l’Entente étaient nécessairement gagnants puisque les territoires que réclamait l’Italie étaient ceux de leurs adversaires. Par le traité de Londres, signé le 26 avril 1915, les Alliés offraient ainsi aux Italiens le Trentin et le Tyrol méridional jusqu’au Brenner, la Vénétie julienne avec Triste et Gorizia, mais sans le port de Fiume qui devait rester croate, une grande partie du littoral et des îles dalmates, ainsi que le protectorat sur l’Albanie et des compensations coloniales, dans le cas d’un accroissement des Empires français et britanniques. Il était également question d’une zone d’influence en Asie Mineure dans l’éventualité du démembrement de la Turquie, point qui devait être précisé en avril 1917 par les accords de Saint-Jean-de-Maurienne, l’Italie conservant la Dodécanèse et occupant le sud de l’Asie Mineure, avec Adalia et Smyrne. Promesses généreuses, qui devaient faire de l’Italie la première puissances méditerrannéenne, mais qui, une fois la victoire acquise, allaient à la fois susciter les réserves de Wilson et être jugées insuffisantes par l’opinion nationaliste. » (p.37)
« Si le Trentin, Trieste et Gorizia sont incontestablement italiens, il est loin d’en être de même pour le Haut-Adige, où vivent en majorité des populations de langue allemande, et de la plupart des territoires revendiqués en Vénétie julienne et en Dalmatie, où domine le peuplement slave (Slovènes et Croates). Quant à Fiume […] la plus grande partie de sa population est sentimentalement et culturellement italienne. Aussi les Italiens la revendiquent-ils, au nom du principe des nationalités qu’ils sont ailleurs peu disposés à admettre. » (p.38)
« On retrouve dans le bloc des partisans d’une paix « anti-impérialiste » les anciens champions de la neutralité italienne, à savoir la masse des libéraux giolittiens, les socialistes et les représentants du jeune parti catholique, les interventionnistes se trouvent divisés entre une tendance dure, nettement impérialiste, et ceux qui ont prêché l’entrée en guerre de leur pays par attachement aux idéaux démocratiques.
Ce sont ces derniers que les nationalistes qualifient de « renonciateurs ». Fidèles aux options des « interventionnistes de gauche », trouvant dans les idées wilsoniennes la justification du combat qu’ils ont livré, ils préconisent une entente avec la Yougoslavie et poussent à l’abandon des revendications italiennes sur la Dalmatie (à l’exception de Zara), en échange de Fiume, ville italienne. » (p.40)
« Entre ces tendances [nationalistes] aux contours mal délimités, le commun dénominateur se définit surtout de façon négative : haine de l’idéologie « bourgeoise » héritée au XIXe scientiste et positiviste, refus de l’humaniste, du rationalisme, de l’intellectualisme, considérés comme autant de facteurs de décadence, mépris surtout du parlementarisme et de la démocracie. Tout cela noyé dans un discours confus, où la rhétorique et la séduction par le verbe l’emportent de très loin sur la logique et sur la solidité des concepts. Cela suffit cependant pour attirer dans le camp des nationalistes un certain nombre d’artistes et d’écrivains en quête d’émotions esthétiques et de sources d’inspiration. Tel est le cas notamment de Gabriele D’Annunzio. » (p.41)
« L’ordre du jour voté le 15 décembre 1918 par la commission exécutive de l’Association nationaliste […] réclame avec force la Dalmatie, des compensations coloniales, la pénétration en Éthiopie, etc. » (p.43)
« [Woodrow Wilson] refuse aux Italiens l’Istrie orientale et la Dalmatie, tout en proposant pour Fiume –dont les faubourgs et l’arrière-pays sont incontestablement slovènes- un statut de ville libre.
Bien entendu Orlando et Sonnino protestent, mais pour des raisons différentes. L’impérialisme Sonnino est prêt à abandonner Fiume pour obtenir la Dalmatie, et il invoque auprès de Clemenceau et de Lloyd George le pacte de Londres. Le libéral Orlando accepterait au contraire de renoncer à la Dalmatie pour avoir Fiume, épousant ainsi les vœux des « renonciateurs » et invoquant le principe des nationalités. […]
Seuls les socialistes vont à contre-courant, en cherchant à faire prévaloir l’idée d’une « paix des peuples ». Tous les autres secteurs de l’opinion, interventionnistes et neutralistes, « dalmatiens » et « renonciateurs », se réunissent pour exprimer l’indignation du sentiment national blessé par l’intransigeance des Alliés. […]
Lorsque Orlando arrive à Rome, le 26 avril, une foule considérable, convoquée par les nationalistes et par Mussolini, l’attend dans un climat de fièvre patriotique auquel se laisse prendre le président du Conseil. Celui-ci entame bientôt avec son auditoire un de ces dialogues frénétiques que D’Annunzio, puis Mussolini, sauront manier pour mobiliser les masses : […] « Je sais que l’armée et la marine d’Italie sont plus prêtes en ce moment qu’elles ne l’étaient en mai 1915. » Trois jours plus tard, il obtient de la Chambre un vote de confiance massif. » (p.44-45)
« Pendant un mois, les Italiens vont essuyer refus sur refus de la part des Alliés, et lorsque la conférence se sépare provisoirement le 6 juin, l’échec de la délégation transalpine est total. Revenu à Rome les mains vides, Orlando va payer cette déroute diplomatique d’un vote de méfiance de la Chambre (262 voix contre 78) le 19 juin. Renversé, il doit céder la place à Nitti.
Le bilan est lourd et va profondément marquer l’évolution intérieure du pays. C’est entre avril et juin 1919 que naît en Italie le thème de la victoire mutilée, du sacrifice d’un demi-million de morts rendu inutile par le complot de la « ploutocratie », et « l’impérialisme bancaire étranger » contre « la nation prolétaire ». Une insatisfaction qui touche non seulement les nationalistes et les « interventionnistes de gauche » du Popolo d’Italia, mais aussi la totalité de la presse modérée et de larges secteurs de l’opinion publique. » (p.47)
« A neuf ans, le jeune Mussolini entre cependant au collège des Salésiens de Faenza, où il accomplit de bonnes études secondaires avant d’entrer à l’école normale de Forlimpopoli. Il en sort à l’âge de dix-huit ans avec un diplôme d’instituteur qui lui permet d’obtenir, en février 1902, un poste de maître suppléant à Gualtieri, en Émilie. Mais à la fin de l’année scolaire, l’administration municipale ne renouvelle pas son contrat, moins, semble-t-il, parce qu’on lui reproche son engagement politique- depuis 1900 Benito est membre du parti socialiste, mais son activité dans le parti est encore très réduite- que parce qu’il entretient une liaison qui fait scandale dans le village avec une jeune femme dont le mari est soldat.
Sans travail, et peu désireux d’accomplir ses obligations militaires, Mussolini décide alors de se rendre en Suisse où il mène pendant deux ans (1902-1904) une existence difficile, pratiquant les métiers les plus divers (maçon, manœuvre, etc.) et passant d’un canton à l’autre pour échapper aux poursuites qu’entraînent ses activités politiques et syndicales. Années capitales pour la formation du jeune homme. Il fréquente les leaders en exil du socialisme italien, Serrati et Angela Balabanoff, et il se donne une culture politique très composite, lisant pêle-mêle les théoriciens du marxisme, ceux de la violence révolutionnaire –Sorel et Kropotkine-, Nietzsche et Schopenhauer, et suivant un moment à Lausanne les cours de Vilfredo Pareto, à qui le fascisme doit une critique impitoyable de la démocratie libérale. Lorsqu’il rentre en Italie en novembre 1904 à la suite d’une amnistie, il est largement acquis aux tendances anarcho-syndicalistes du socialisme italien. Après deux ans de service militaire et une période de bohème et de vagabondage, il se fixe en 190 à Forli où il trouve un poste de professeur de français. […]
[En 1911], la guerre de Libye va lui donner l’occasion de prendre une éclatante revanche. A Forli, Mussolini organise avec l’aide du jeune Pietro Nenni, secrétaire local du parti républicain, une véritable émeute contre le départ des troupes pour l’Afrique. La gare est prise d’assaut, kes rails déboulonnés, les fils télégraphiques coupés. Mussolini est arrêté et condamné à un an de prison (peine réduite à 6 en appel). Libéré, il prend la tête du courant socialiste révolutionnaire. Son influence est telle qu’au congrès de Reggio Emilia il parvient à faire expulser ceux des dirigeants du parti qui ont soutenu la guerre de Libye, Bonomi, Bissolati, Labriola, et à faire perdre la majorité à la direction réformiste.
Dès lors, Mussolini commence à jouer les premiers rôles. Il est désigné comme membre de la nouvelle équipe dirigeante du PSI et il se voit confier la direction du grand quotidien socialiste Avanti ! Lorsque éclate la guerre européenne, le futur Duce, qui a été en juin 1914 l’un des organisateurs de la vague insurrectionnelle qui a déferlé sur la Romagne et l’Émilie (la fameuse « Semaine rouge »), fait incontestablement figure de chef de file des éléments durs du parti. Il se montre tout d’abord résolument neutraliste et attaque avec violence les interventionnistes de gauche, à commencer par les syndicalistes révolutionnaires comme Corradini et De Ambris. Puis, brusquement, il change de camp [par un article du 18 octobre 1914]. […] La réaction des autres dirigeants du parti est immédiate. Dès le 20 octobre, Mussolini est écarté de la direction du quotidien socialiste et, le 24 novembre, il est exclu du PSI, aux cris de « traître » et de « Judas ». » (p.91-93)
« Bien entendu, cette conversions a été favorisée par de nombreux appuis financiers. Celui de la SFIO, ralliée à l’Union Sacrée et qui dépêche en Italie plusieurs émissaires parmi lesquels Marcel Cachin. Celui enfin de certains milieux d’affaires interventionnistes et plus particulièrement de Filippo Naldi, directeur du Resto del Carlino. […]
On sait par exemple qu’il [Mussolini] s’est rendu au moins une fois au Palais Farnèse, siège de l’ambassade de France, pour y réclamer des subsides. » (p.93)
« Si l’on voit se constituer des fasci dans la plupart des grandes villes italiennes, à Gênes, Bergame, Trévise, Naples, à Bologne autour de Dino Grandi, à Florence avec Italo Balbo et Dumini, etc., il n’y a encore au premier congrès, en octobre 1919, que 56 faisceaux groupant 17 000 membres. […] En juillet 1920, on ne compte toujours que 108 faisceaux et 30 000 membres. […]
La classe dirigeante est plus inquiétée que séduite par une organisation qui n’a pas encore rompu avec ses attaches anarchisantes et dont le programme […] ne ménage pas les attaques contre le grand capital. […]
Lors des élections de novembre 1919, Mussolini présente à Milan une liste fasciste. […] Le fiasco est complet : 4795 voix contre 17000 aux socialistes et 74000 aux populaires. […] Pour les fascistes, c’est le creux de la vague. » (p.95-96)
« [Il faut attendre] le milieu de l’année 1921 pour le financement du fascisme par les grands intérêts prenne une allure massive, mais dès cette époque le flux est suffisant pour que Mussolini puisse faire vivre son journal et développer son mouvement.
L’alliance avec la classe dirigeante ne revêt pas seulement des aspects financiers. Dès le mois d’octobre 1920, elle prend un caractère politique avec les élections administratives qui permettent aux fascistes de figurer sur les listes du « bloc constitutionnel » formé par les partis de gouvernement. C’est également au mois d’octobre que l’Etat-major adresse aux commandants d’unités une circulaires demendant des renseignements sur l’activité des fasci et qui est en général interprétée comme une invite faite aux officiers d’adhérer au mouvement fasciste. Un autre document, la fameuse « circulaire Bonomi » -dont le leader des socialistes indépendant refusera toujours la paternité- incite au même moment les 50 000 officiers en cours de démobilisation à se joindre aux faisceaux, moyennant quoi ils conserveraient les quatre cinquième de leur solde. Partout, enfin, les fascistes vont trouver l’appui des autorités locales, de l’armée, de la police, de la gendarmerie. Qu’elles aient ou non reçu des assurances de Mussolini, les classes dirigeantes préfèrent donc la subversion fasciste au danger d’une révolution de type bolchevique. » (p.98-99)
« Dans les campagnes, le mouvement gagne les petits agglomérations et les villes moyennes à la fin de 1920. En novembre, les fascistes lancent leurs troupes sur Bologne, au moment où s’installe la municipalité d’extrême-gauche. Il y a 9 morts et plus de 100 blessés. Un mois plus tard, un incident semblable se produit à Ravenne. […]
Agrariens et industriels de Florence, groupés en Alliance de défense civique, financent les escouades d’Amerigo Dumini, un ex-ardito qui inaugure son action en attaquant le 22 octobre 1920 la municipalité socialiste de la ville. » (p.101)
« Haine farouche dirigé à la fois contre le communisme et contre l’ordre bourgeois. » (p.102)
« Le gouvernement de Giolitti, ravi de cette leçon donnée aux socialistes, est resté « neutre ». Entendons par là qu’au lieu de poursuivre les fascistes il a dissous, pour des raisons « d’ordre public », les municipalités socialistes dans une centaine de villes, dont Bologne, Modène, Ferrare, etc. Et il a engagé les magistrats à suspendre les poursuites contre les fascistes à la veille des élections de 1921. Sauf dans quelques métropoles où les socialistes restent les maîtres, à Milan, à Turin, à Gênes, où les quadristes ne se manifestent que sporadiquement, la terreur a eu raison des organisations ouvrières. Des milliers de Maisons du peuple et de sièges syndicaux ont flambé, il y a des centaines de morts, des dizaines de milliers de blessés. » (p.103)
« [En 1921] sur les 275 élus de la coalition, les fascistes en obtiennent 35, Mussolini étant pour sa part élu deux fois, à Milan et à Bologne, à la grande satisfaction de Giolitti qui pense pouvoir ainsi domestiquer le mouvement. » (p.103)
« Avec la démission de Giolitti, le 1er juillet 1921, le régime libéral voit s’effondrer sa dernière chance sérieuse de survie. […]
[Son successeur, l’ex-ministre de la Guerre Ivanoe] Bonomi réunit sur un programme très vague de maintien de l’ordre public une équipe qui comprend 2 socialistes réformistes, 3 démocrates libéraux (giolittiens), 3 démocrates sociaux (nittiens), 3 populaires, 1 conservateur et 3 membres du Sénat. Cette large « ouverture » du cabinet Bonomi lui vaut d’être investi avec une forte majorité -302 voix contre 136. D’où une fausse impression de sécurité et d’appui massif de l’opinion dont le nouveau président du Conseil va essayer de tirer parti pour opérer un retour au calme, mais qui va très vite s’avérer illusoire. […]
Préfets, magistrats, officiers de gendarmerie laissent faire les fascistes et leur assurent l’impunité. […] L’Etat se décompose. » (p.109-110)
« Mussolini lui-même propose au futur parti un programme qui ne doit plus rien aux tendances gauchistes de 1919. Dans le domaine économique, le libéralisme absolu, l’Etat renonçant à toute intervention et à toute nationalisation, ainsi qu’aux mesures fiscales qualifiées de « démagogiques ». […] Dans le domaine extérieur, le rejet des principes de la SDN et l’adoption d’une politique expansionniste. Autrement dit, un programme d’extrême-droite, impérialiste, réactionnaire et nettement favorable aux grands intérêts dont Mussolini recherche maintenant l’appui politique et financier. » (p.110-111)
« Le 26 mars [1922], 20 000 fascistes paradent dans les rues de Milan, capitale du socialisme italien. Le 1er mai, alors que se déroule la traditionnelle grève générale, de vastes rassemblements se produisent à Bologne, à Rovigo, et il y a dans toute l’Italie une dizaine de morts. Le 12 mai, à Ferrare, Italo Balbo envahit la ville à la tête de 40 000 fascistes, libérant un de ses amis emprisonné et obtenant pour les syndicats fascistes une importante commande de travaux publics. » (p.116)
« La capitulation gouvernementale est totale. » (p.117)
« Le 2 août, une vague de violences déferle sur toute l’Italie. Les fascistes envahissent les villes, détruisent les bourses du travail, les sièges des coopératives, attaquent les quartiers ouvriers. Partout, sous la menace du gourdin ou du relvolver, on oblige les grévistes à reprendre le travail. Le 3 août, reconnaissant sa défaite et l’échec de la grève, l’Alliance du travail donne l’ordre de reprise. C’est l’effondrement de la résistance ouvrière face au fascisme. » (p.118)
« Sur le plan insurrectionnel, la « Marche sur Rome » est un événement d’une ampleur assez médiocre. Dès le 27 octobre, aidés en certains endroits par les autorités militaires, les squadristes se mettent en marche, tandis que dans toute l’Italie du Nord et du Centre ils se présentent devant les préfectures, les commisariats de police, les centraux téléphoniques, les gares, pour s’en emparer. Généralement, les autorités civiles ont cédé leurs pouvoirs aux militaires qui négocient aussitôt avec les fascisttes. Rares sont les cas où, comme à Vérone, Ancône et surtout Bologne, l’armée résiste. Partout ailleurs cependant, il y a un ou deux jours d’hésitation, pendant lesquels squadristi et soldats se trouvent face à face. Pendant cette courte période de flottement, le gouvernement a la possibilité d’opérer une résistance efficace, mais il ne fait rien. Quant aux colonnes qui doivent converger sur la capitale, elles ne rassemblent que 26 000 hommes, médiocretement armés, sans vivres qui avancent sous une pluie battante. Dans la ville, le général Pugliese dispose de 28 000 hommes bien équipés. De l’avis général, la Marche sur Rome est militairement un échec, et dans le pays un ordre énergique donné à l’armé peut encore tout sauver.
Mais pour Mussolini la Marche sur Rome n’est qu’un moyen de pression et il dispose d’atouts politiques plus sérieux. L’appui de Salandra notamment qui, d’accord avec lui, provoque la démission de la coalition gouvernementale en obtenant la démission de son ami, le ministre Riccio. Facta, qui croyait pouvoir négocier directement avec Mussolini, comprend dès lors que sa chute est inévitable. Il décide cependant de résister et prépare un décret proclamant l’état de siège dans la capitale. Mais le 28 octobre, à 10 heures du matin, le roi refuse de signer ce décret. Il a craint de payer de sa couronne une résistance incertaine au fascisme. Il a surtout subi la pression des militaires, le général Diaz, l’amiral Thaon di Revel, celle des nationalistes comme Federzoni, celle aussi de Salandra. Il traduit enfin par son refus l’attitude de la majeure partie de la classe dirigeante, peu empressée finalement à défendre le libéralisme, dès lors que les fascistes lui promettent de sauvegarder l’essentiel de ses prérogatives. » (p.121)
« Le 29, dans l’après-midi, Mussolini reçoit un télégramme du général Cittadini l’informant que le roi l’invite à se rendre à Rome pour y constituer le ministère. Il part le 29 au soir, en agon-lit, tandis que les fascistes donnent l’assaut à Milan l’assaut à l’Avanti !, incendient à Turin l’organe communiste Ordine nuovo et saccagent à Rome les journaux hostiles au mouvement. Le 30 au matin, Mussolini se présente devant le roi en tenue fasciste, tout en donnant l’ordre aux squadristi d’entrer à Rome en chemin de fer pour y défiler. Ainsi son arrivée légale au pouvoir se trouve-t-elle maquillée en victoire insurrectionnelle. » (p.122)
« Le fascisme a été la rencontre d’un homme et d’une situation. L’homme est un rénégat du socialisme, ayant le goût de la violence, dévoré d’ambition et à la recherche d’une force politique capable de servir cette ambition. Il la trouve dans ce mélange confus de déclassés, de nostalgiques de la guerre, d’anarchistes dressés contre l’Etat, de bourgeois en difficulté, de représentants des couches nouvelles aspirant à substituer leur pouvoir à celui des élites traditionnelles, de chômeurs enfin, qui va continuer la clientèle du fascisme. Mais ce groupe politique de mécontents et d’inadaptés n’a pas d’assise véritable dans les masses, comme en témoignent les élections de 1919. Comment parvient-il dans ces conditions à conquérir le pouvoir ?
D’abord parce que l’Etat libéral est en pleine décomposition, contesté à gauche par les socialistes, à droite par les nationalistes. Parce qu’il a perdu la confiance des milieux d’affaires qui lui reprochent à la fois ses interventions dans le domaine économique et son impuissance en matière politique et sociale. C’est de cette décomposition de l’Etat que le fascisme tire sa propre vigueur. Rompant avec ses origines de gauche, il offre ses services aux possédants et se présente comme la seule solution de rechange possible au libéralisme en faillite. […]
Le fascisme n’a pas remporté une victoire sur des adversaires menaçants. Il s’est installé à la tête de l’Italie à la faveur du vide politique qui y régnait. » (p.123)
« Le fascisme condamne et combat –au moins verbalement- ce qui le précède : l’idéologie, le modèle politique et l’hégémonie culturelle de la bourgeoisie libérale, tels qu’ils se sont imposés dans l’Italie giolittienne, dans cette « Italietta » dont les nationalistes et futuristes dénonçaient déjà, à l’aube du siècle, les langueurs décadantes.
Pour aboutir à quoi ? Si l’on en croit la phraséologie mussolinienne, à une société sans classes, fondée sur la coopération des divers groupes sociaux fondus dans un projet commun, à la création d’un « homme nouveau », ayant rompu ses attaches avec le monde « bourgeois » pour renouer avec les vertus viriles de l’ancienne Rome. » (p.274)
« Loin d’être détruit par le fascisme comme le laissait augurer le premier programme des faisceaux, le capitalisme italien a trouvé en lui un défenseur qui a su le sauver de la révolution et de la faillite, avant de le renforcer dans ses structures et dans ses moyens d’action. » (p.276)
« Très grande difficulté rencontrée par le fascisme pour imposer ses modèles « novateurs » dans un champ culturel qui reste, jusqu’aux toutes dernières années du ventennio, dominé par des modes de penser et de sentir qui sont ceux des élites traditionnelles. » (p.276)
« Les hauts fonctionnaires, les cadres de la diplomatie, les notables locaux, membres de l’aristocratie ou de la haute bourgeoisie, doivent souvent, surtout à partir des années trente, céder la place aux « hommes nouveaux », aux anciens du sqadrisme, jugés plus sûrs et plus conformes à l’idéal du régime. » (p.277)
« Le fascisme favorise l’évolution monopolistique du capitalisme italien. Il est incontestable que, si l’on considère les vingt années de l’ère fasciste, la petite bourgeoisie a été –économiquement parlant- l’une des grandes victimes du régime. En règle générale, la politique menée par celui-ci lèse gravement le petit commerce et la petite production. » (p.279)
« A la faveur de l’épuration des cadres administratifs, qui commence dès 1922 mais qui prend surtout un caractère massif entre 1926 et 1928 –c’est-à-dire au moment du tournant totalitaire du régime-, nombre d’anciens dirigeants locaux du sqadrisme obtiennent des postes importants dans la fonction publique. » (p.280)
« Il y a dans le totalitarisme fasciste –et c’est ce qui le distingue fondamentalement des autres formes d’Etat d’exception mises en place par la bourgeoisie, la dictature militaire classique de style latino-américain, par exemple, ou encore les régimes autoritaires et réactionnaires qui essaiment un peu partout en Europe pendant la période de l’entre-deux-guerres- une volonté clairement formulée d’intégrer les masses. Ceci suppose en premier lieu leur enrégimentement et leur encadrement, et c’est là l’une des fonctions essentielles du système corporatiste. » (p.282)
« Sur le marché de l’emploi, l’amélioration est certaine, du moins jusqu’à la crise. Dès 1925, le nombre des demandes d’emploi non satisfaites tombe à 125 000 et se stabilise à ce niveau pendant quelques années. Quant aux salaires moyens réels (compte tenu du coût de la vie), ils se maintiennent en gros au même niveau pendant toute la période, jusqu’aux environs de l’immédiats de la guerre. […]
Dans l’ensemble, on peut dire que la situation de la classe ouvrière a tendance à s’améliorer légèrement. » (p.283)
« Reprenant à son compte une politique qui a été depuis la création du royaume d’Italie celle de l’Etat libéral, le fascisme fait supporter par les campagnes le poids de l’industrialisation, écrasant les petites exploitations sous le fardeau d’une fiscalité excessive et favorisant systématiquement les agrariens, qui bénéficient des subsides de l’Etat, d’importantes exonérations fiscales et d’une politique douanière conforme à leurs intérêts. » (p.284)
« En avril 1925, [Giovanni Gentile] prend officiellement la tête du mouvement des intellectuels favorables au régime en rédigeant, à la suite d’un colloque culturel tenu à Bologne, un Manifeste des intellectuels du fascisme adressé « aux intellectuels de toutes les nations » et destiné à justifier, aux yeux de l’opinion internationale, les mesures d’exception adoptées par Mussolini à la suite des retombées de l’affaire Matteotti. Parmi les signataires, on trouve les noms de Luigi Barzini, Fransceco Coppola, Prampolini, Soffici, Orano, Corradini, Ugo Spirito, Marinetti, Carli, Luigi Pirandello. Ce document donne le signal de la rupture avec les intellectuels libéraux. Quelques jours plus tard, en effet, le 1er mai 1925, paraît dans Il Mondo « une réponse des écrivains, professeurs et publicistes italiens au Manifeste des intellectuels fascistes », rédigée par Benedetto Croce en personne et contresignée par des hommes comme Giovanni Amendola, Luigi Albertini, Gaetano Salvemini, Luigi Salvatorelli, A. C. Jemolo, Gaetano Mosca, Luigi Einaudi, Arthuro Labriola, pour ne citer que les plus illustres. Plus moral que politique, ce contre-manifeste s’indignait surtout de voir des hommes de lettres et des savants s’écarter de leur mission, qui consistait à « élever tous les hommes et tous les partis au plus haut niveau spirituel », et invitait les intellectuels à se comporter en arbitres moraux, à défendre la liberté d’expression, à condamner toutes les violences. » (p.287)
« Parmi les intellectuels italiens qui étaient venus au fascisme par admiration pour son nihilisme purificateur et antibourgeois, figurent deux noms importants : celui du futuriste Ardengo Soffici et celui de Curzio Malaparte. Le premier restera jusqu’à la fin –comme Marinetti mais en poussant beaucoup plus loin les limites de la logique futuriste- fidèle à l’esprit du premier fascisme, acceptant, par haine de l’establisment fasciste, l’alignement sur l’Allemagne hitlérienne, la politique raciste du régime et bientôt le sinistre retour aux sources du squadrisme de la République de Salo. Attitude d’écoeurement et de désespoir, qui fait un peu songer à celle d’un Drieu, dont Soffici partage curieusement dans ses derniers écrits la fascination pour Staline. « Si l’Axe ne devait pas gagner la guerre, écrit-il en juin 1944, la plupart des vrais fascistes qui auraient échappé à la répression passeraient au communisme et formeraient un bloc avec lui. Nous aurions alors franchi le fossé qui sépare les deux révolutions ». » (p.289)
« Le « sauvagisme », défini par Maccari [et partagé par Malaparte] comme la résistance de la tradition, « cette grande amie et protectrice des peuples », aux méfaits de la modernité, « un tripatouillage manipulé par les banquiers juifs, par les pédérastes, par les profiteurs de guerre, par les tenanciers de bordels », n’est pour la revue [Il Selvaggio, 1924] qu’un rameau de la culture fasciste, celui qui se rattache à la tradition populaire, provinciale et fondamentalement contre-révolutionnaire de « l’anti-Risorgimento ». Cette veine d’inspiration petite-bourgeoise, et qui traduit dans le champ culturel certaines des aspirations du sqadrisme rural, s’oppose à l’autre grande tendance qui est celle du modernisme fasciste et qui s’incarne dans le mouvement du novecentismo (de Novecento = XXe siècle), représenté notamment par l’écrivain Massimo Bontempelli et par nombre de peintres parmi lesquels De Chririco, Sironi, Morandi et l’ancien futuriste Carra. » (p.291)
« Malaparte, déçu par l’évolution du régime, commença à se détacher de lui et à se tourner de nouveau du côté du communisme. « Je crois, écrit-il au début des années trente, que le phénomène de la révolution russe, qui se poursuit parallèlement à la révolution italienne, dans sa haine et sa lutte contre l’esprit moderne… est le complètement de la révolution italienne. Elles s’aident l’une l’autre dans leur commune destruction de la modernité, et l’une n’est ni concevable, ni possible, ni juste sans l’autre. » (p.291)
« Fiume sera annexé à l’Italie [en 1924]. » (p.293)
-Pierre Milza et Serge Berstein, Le fascisme italien (1919-1945), Éditions du Seuil, 1980 (1970 pour la première édition), 438 pages.
« Si le Trentin, Trieste et Gorizia sont incontestablement italiens, il est loin d’en être de même pour le Haut-Adige, où vivent en majorité des populations de langue allemande, et de la plupart des territoires revendiqués en Vénétie julienne et en Dalmatie, où domine le peuplement slave (Slovènes et Croates). Quant à Fiume […] la plus grande partie de sa population est sentimentalement et culturellement italienne. Aussi les Italiens la revendiquent-ils, au nom du principe des nationalités qu’ils sont ailleurs peu disposés à admettre. » (p.38)
« On retrouve dans le bloc des partisans d’une paix « anti-impérialiste » les anciens champions de la neutralité italienne, à savoir la masse des libéraux giolittiens, les socialistes et les représentants du jeune parti catholique, les interventionnistes se trouvent divisés entre une tendance dure, nettement impérialiste, et ceux qui ont prêché l’entrée en guerre de leur pays par attachement aux idéaux démocratiques.
Ce sont ces derniers que les nationalistes qualifient de « renonciateurs ». Fidèles aux options des « interventionnistes de gauche », trouvant dans les idées wilsoniennes la justification du combat qu’ils ont livré, ils préconisent une entente avec la Yougoslavie et poussent à l’abandon des revendications italiennes sur la Dalmatie (à l’exception de Zara), en échange de Fiume, ville italienne. » (p.40)
« Entre ces tendances [nationalistes] aux contours mal délimités, le commun dénominateur se définit surtout de façon négative : haine de l’idéologie « bourgeoise » héritée au XIXe scientiste et positiviste, refus de l’humaniste, du rationalisme, de l’intellectualisme, considérés comme autant de facteurs de décadence, mépris surtout du parlementarisme et de la démocracie. Tout cela noyé dans un discours confus, où la rhétorique et la séduction par le verbe l’emportent de très loin sur la logique et sur la solidité des concepts. Cela suffit cependant pour attirer dans le camp des nationalistes un certain nombre d’artistes et d’écrivains en quête d’émotions esthétiques et de sources d’inspiration. Tel est le cas notamment de Gabriele D’Annunzio. » (p.41)
« L’ordre du jour voté le 15 décembre 1918 par la commission exécutive de l’Association nationaliste […] réclame avec force la Dalmatie, des compensations coloniales, la pénétration en Éthiopie, etc. » (p.43)
« [Woodrow Wilson] refuse aux Italiens l’Istrie orientale et la Dalmatie, tout en proposant pour Fiume –dont les faubourgs et l’arrière-pays sont incontestablement slovènes- un statut de ville libre.
Bien entendu Orlando et Sonnino protestent, mais pour des raisons différentes. L’impérialisme Sonnino est prêt à abandonner Fiume pour obtenir la Dalmatie, et il invoque auprès de Clemenceau et de Lloyd George le pacte de Londres. Le libéral Orlando accepterait au contraire de renoncer à la Dalmatie pour avoir Fiume, épousant ainsi les vœux des « renonciateurs » et invoquant le principe des nationalités. […]
Seuls les socialistes vont à contre-courant, en cherchant à faire prévaloir l’idée d’une « paix des peuples ». Tous les autres secteurs de l’opinion, interventionnistes et neutralistes, « dalmatiens » et « renonciateurs », se réunissent pour exprimer l’indignation du sentiment national blessé par l’intransigeance des Alliés. […]
Lorsque Orlando arrive à Rome, le 26 avril, une foule considérable, convoquée par les nationalistes et par Mussolini, l’attend dans un climat de fièvre patriotique auquel se laisse prendre le président du Conseil. Celui-ci entame bientôt avec son auditoire un de ces dialogues frénétiques que D’Annunzio, puis Mussolini, sauront manier pour mobiliser les masses : […] « Je sais que l’armée et la marine d’Italie sont plus prêtes en ce moment qu’elles ne l’étaient en mai 1915. » Trois jours plus tard, il obtient de la Chambre un vote de confiance massif. » (p.44-45)
« Pendant un mois, les Italiens vont essuyer refus sur refus de la part des Alliés, et lorsque la conférence se sépare provisoirement le 6 juin, l’échec de la délégation transalpine est total. Revenu à Rome les mains vides, Orlando va payer cette déroute diplomatique d’un vote de méfiance de la Chambre (262 voix contre 78) le 19 juin. Renversé, il doit céder la place à Nitti.
Le bilan est lourd et va profondément marquer l’évolution intérieure du pays. C’est entre avril et juin 1919 que naît en Italie le thème de la victoire mutilée, du sacrifice d’un demi-million de morts rendu inutile par le complot de la « ploutocratie », et « l’impérialisme bancaire étranger » contre « la nation prolétaire ». Une insatisfaction qui touche non seulement les nationalistes et les « interventionnistes de gauche » du Popolo d’Italia, mais aussi la totalité de la presse modérée et de larges secteurs de l’opinion publique. » (p.47)
« A neuf ans, le jeune Mussolini entre cependant au collège des Salésiens de Faenza, où il accomplit de bonnes études secondaires avant d’entrer à l’école normale de Forlimpopoli. Il en sort à l’âge de dix-huit ans avec un diplôme d’instituteur qui lui permet d’obtenir, en février 1902, un poste de maître suppléant à Gualtieri, en Émilie. Mais à la fin de l’année scolaire, l’administration municipale ne renouvelle pas son contrat, moins, semble-t-il, parce qu’on lui reproche son engagement politique- depuis 1900 Benito est membre du parti socialiste, mais son activité dans le parti est encore très réduite- que parce qu’il entretient une liaison qui fait scandale dans le village avec une jeune femme dont le mari est soldat.
Sans travail, et peu désireux d’accomplir ses obligations militaires, Mussolini décide alors de se rendre en Suisse où il mène pendant deux ans (1902-1904) une existence difficile, pratiquant les métiers les plus divers (maçon, manœuvre, etc.) et passant d’un canton à l’autre pour échapper aux poursuites qu’entraînent ses activités politiques et syndicales. Années capitales pour la formation du jeune homme. Il fréquente les leaders en exil du socialisme italien, Serrati et Angela Balabanoff, et il se donne une culture politique très composite, lisant pêle-mêle les théoriciens du marxisme, ceux de la violence révolutionnaire –Sorel et Kropotkine-, Nietzsche et Schopenhauer, et suivant un moment à Lausanne les cours de Vilfredo Pareto, à qui le fascisme doit une critique impitoyable de la démocratie libérale. Lorsqu’il rentre en Italie en novembre 1904 à la suite d’une amnistie, il est largement acquis aux tendances anarcho-syndicalistes du socialisme italien. Après deux ans de service militaire et une période de bohème et de vagabondage, il se fixe en 190 à Forli où il trouve un poste de professeur de français. […]
[En 1911], la guerre de Libye va lui donner l’occasion de prendre une éclatante revanche. A Forli, Mussolini organise avec l’aide du jeune Pietro Nenni, secrétaire local du parti républicain, une véritable émeute contre le départ des troupes pour l’Afrique. La gare est prise d’assaut, kes rails déboulonnés, les fils télégraphiques coupés. Mussolini est arrêté et condamné à un an de prison (peine réduite à 6 en appel). Libéré, il prend la tête du courant socialiste révolutionnaire. Son influence est telle qu’au congrès de Reggio Emilia il parvient à faire expulser ceux des dirigeants du parti qui ont soutenu la guerre de Libye, Bonomi, Bissolati, Labriola, et à faire perdre la majorité à la direction réformiste.
Dès lors, Mussolini commence à jouer les premiers rôles. Il est désigné comme membre de la nouvelle équipe dirigeante du PSI et il se voit confier la direction du grand quotidien socialiste Avanti ! Lorsque éclate la guerre européenne, le futur Duce, qui a été en juin 1914 l’un des organisateurs de la vague insurrectionnelle qui a déferlé sur la Romagne et l’Émilie (la fameuse « Semaine rouge »), fait incontestablement figure de chef de file des éléments durs du parti. Il se montre tout d’abord résolument neutraliste et attaque avec violence les interventionnistes de gauche, à commencer par les syndicalistes révolutionnaires comme Corradini et De Ambris. Puis, brusquement, il change de camp [par un article du 18 octobre 1914]. […] La réaction des autres dirigeants du parti est immédiate. Dès le 20 octobre, Mussolini est écarté de la direction du quotidien socialiste et, le 24 novembre, il est exclu du PSI, aux cris de « traître » et de « Judas ». » (p.91-93)
« Bien entendu, cette conversions a été favorisée par de nombreux appuis financiers. Celui de la SFIO, ralliée à l’Union Sacrée et qui dépêche en Italie plusieurs émissaires parmi lesquels Marcel Cachin. Celui enfin de certains milieux d’affaires interventionnistes et plus particulièrement de Filippo Naldi, directeur du Resto del Carlino. […]
On sait par exemple qu’il [Mussolini] s’est rendu au moins une fois au Palais Farnèse, siège de l’ambassade de France, pour y réclamer des subsides. » (p.93)
« Si l’on voit se constituer des fasci dans la plupart des grandes villes italiennes, à Gênes, Bergame, Trévise, Naples, à Bologne autour de Dino Grandi, à Florence avec Italo Balbo et Dumini, etc., il n’y a encore au premier congrès, en octobre 1919, que 56 faisceaux groupant 17 000 membres. […] En juillet 1920, on ne compte toujours que 108 faisceaux et 30 000 membres. […]
La classe dirigeante est plus inquiétée que séduite par une organisation qui n’a pas encore rompu avec ses attaches anarchisantes et dont le programme […] ne ménage pas les attaques contre le grand capital. […]
Lors des élections de novembre 1919, Mussolini présente à Milan une liste fasciste. […] Le fiasco est complet : 4795 voix contre 17000 aux socialistes et 74000 aux populaires. […] Pour les fascistes, c’est le creux de la vague. » (p.95-96)
« [Il faut attendre] le milieu de l’année 1921 pour le financement du fascisme par les grands intérêts prenne une allure massive, mais dès cette époque le flux est suffisant pour que Mussolini puisse faire vivre son journal et développer son mouvement.
L’alliance avec la classe dirigeante ne revêt pas seulement des aspects financiers. Dès le mois d’octobre 1920, elle prend un caractère politique avec les élections administratives qui permettent aux fascistes de figurer sur les listes du « bloc constitutionnel » formé par les partis de gouvernement. C’est également au mois d’octobre que l’Etat-major adresse aux commandants d’unités une circulaires demendant des renseignements sur l’activité des fasci et qui est en général interprétée comme une invite faite aux officiers d’adhérer au mouvement fasciste. Un autre document, la fameuse « circulaire Bonomi » -dont le leader des socialistes indépendant refusera toujours la paternité- incite au même moment les 50 000 officiers en cours de démobilisation à se joindre aux faisceaux, moyennant quoi ils conserveraient les quatre cinquième de leur solde. Partout, enfin, les fascistes vont trouver l’appui des autorités locales, de l’armée, de la police, de la gendarmerie. Qu’elles aient ou non reçu des assurances de Mussolini, les classes dirigeantes préfèrent donc la subversion fasciste au danger d’une révolution de type bolchevique. » (p.98-99)
« Dans les campagnes, le mouvement gagne les petits agglomérations et les villes moyennes à la fin de 1920. En novembre, les fascistes lancent leurs troupes sur Bologne, au moment où s’installe la municipalité d’extrême-gauche. Il y a 9 morts et plus de 100 blessés. Un mois plus tard, un incident semblable se produit à Ravenne. […]
Agrariens et industriels de Florence, groupés en Alliance de défense civique, financent les escouades d’Amerigo Dumini, un ex-ardito qui inaugure son action en attaquant le 22 octobre 1920 la municipalité socialiste de la ville. » (p.101)
« Haine farouche dirigé à la fois contre le communisme et contre l’ordre bourgeois. » (p.102)
« Le gouvernement de Giolitti, ravi de cette leçon donnée aux socialistes, est resté « neutre ». Entendons par là qu’au lieu de poursuivre les fascistes il a dissous, pour des raisons « d’ordre public », les municipalités socialistes dans une centaine de villes, dont Bologne, Modène, Ferrare, etc. Et il a engagé les magistrats à suspendre les poursuites contre les fascistes à la veille des élections de 1921. Sauf dans quelques métropoles où les socialistes restent les maîtres, à Milan, à Turin, à Gênes, où les quadristes ne se manifestent que sporadiquement, la terreur a eu raison des organisations ouvrières. Des milliers de Maisons du peuple et de sièges syndicaux ont flambé, il y a des centaines de morts, des dizaines de milliers de blessés. » (p.103)
« [En 1921] sur les 275 élus de la coalition, les fascistes en obtiennent 35, Mussolini étant pour sa part élu deux fois, à Milan et à Bologne, à la grande satisfaction de Giolitti qui pense pouvoir ainsi domestiquer le mouvement. » (p.103)
« Avec la démission de Giolitti, le 1er juillet 1921, le régime libéral voit s’effondrer sa dernière chance sérieuse de survie. […]
[Son successeur, l’ex-ministre de la Guerre Ivanoe] Bonomi réunit sur un programme très vague de maintien de l’ordre public une équipe qui comprend 2 socialistes réformistes, 3 démocrates libéraux (giolittiens), 3 démocrates sociaux (nittiens), 3 populaires, 1 conservateur et 3 membres du Sénat. Cette large « ouverture » du cabinet Bonomi lui vaut d’être investi avec une forte majorité -302 voix contre 136. D’où une fausse impression de sécurité et d’appui massif de l’opinion dont le nouveau président du Conseil va essayer de tirer parti pour opérer un retour au calme, mais qui va très vite s’avérer illusoire. […]
Préfets, magistrats, officiers de gendarmerie laissent faire les fascistes et leur assurent l’impunité. […] L’Etat se décompose. » (p.109-110)
« Mussolini lui-même propose au futur parti un programme qui ne doit plus rien aux tendances gauchistes de 1919. Dans le domaine économique, le libéralisme absolu, l’Etat renonçant à toute intervention et à toute nationalisation, ainsi qu’aux mesures fiscales qualifiées de « démagogiques ». […] Dans le domaine extérieur, le rejet des principes de la SDN et l’adoption d’une politique expansionniste. Autrement dit, un programme d’extrême-droite, impérialiste, réactionnaire et nettement favorable aux grands intérêts dont Mussolini recherche maintenant l’appui politique et financier. » (p.110-111)
« Le 26 mars [1922], 20 000 fascistes paradent dans les rues de Milan, capitale du socialisme italien. Le 1er mai, alors que se déroule la traditionnelle grève générale, de vastes rassemblements se produisent à Bologne, à Rovigo, et il y a dans toute l’Italie une dizaine de morts. Le 12 mai, à Ferrare, Italo Balbo envahit la ville à la tête de 40 000 fascistes, libérant un de ses amis emprisonné et obtenant pour les syndicats fascistes une importante commande de travaux publics. » (p.116)
« La capitulation gouvernementale est totale. » (p.117)
« Le 2 août, une vague de violences déferle sur toute l’Italie. Les fascistes envahissent les villes, détruisent les bourses du travail, les sièges des coopératives, attaquent les quartiers ouvriers. Partout, sous la menace du gourdin ou du relvolver, on oblige les grévistes à reprendre le travail. Le 3 août, reconnaissant sa défaite et l’échec de la grève, l’Alliance du travail donne l’ordre de reprise. C’est l’effondrement de la résistance ouvrière face au fascisme. » (p.118)
« Sur le plan insurrectionnel, la « Marche sur Rome » est un événement d’une ampleur assez médiocre. Dès le 27 octobre, aidés en certains endroits par les autorités militaires, les squadristes se mettent en marche, tandis que dans toute l’Italie du Nord et du Centre ils se présentent devant les préfectures, les commisariats de police, les centraux téléphoniques, les gares, pour s’en emparer. Généralement, les autorités civiles ont cédé leurs pouvoirs aux militaires qui négocient aussitôt avec les fascisttes. Rares sont les cas où, comme à Vérone, Ancône et surtout Bologne, l’armée résiste. Partout ailleurs cependant, il y a un ou deux jours d’hésitation, pendant lesquels squadristi et soldats se trouvent face à face. Pendant cette courte période de flottement, le gouvernement a la possibilité d’opérer une résistance efficace, mais il ne fait rien. Quant aux colonnes qui doivent converger sur la capitale, elles ne rassemblent que 26 000 hommes, médiocretement armés, sans vivres qui avancent sous une pluie battante. Dans la ville, le général Pugliese dispose de 28 000 hommes bien équipés. De l’avis général, la Marche sur Rome est militairement un échec, et dans le pays un ordre énergique donné à l’armé peut encore tout sauver.
Mais pour Mussolini la Marche sur Rome n’est qu’un moyen de pression et il dispose d’atouts politiques plus sérieux. L’appui de Salandra notamment qui, d’accord avec lui, provoque la démission de la coalition gouvernementale en obtenant la démission de son ami, le ministre Riccio. Facta, qui croyait pouvoir négocier directement avec Mussolini, comprend dès lors que sa chute est inévitable. Il décide cependant de résister et prépare un décret proclamant l’état de siège dans la capitale. Mais le 28 octobre, à 10 heures du matin, le roi refuse de signer ce décret. Il a craint de payer de sa couronne une résistance incertaine au fascisme. Il a surtout subi la pression des militaires, le général Diaz, l’amiral Thaon di Revel, celle des nationalistes comme Federzoni, celle aussi de Salandra. Il traduit enfin par son refus l’attitude de la majeure partie de la classe dirigeante, peu empressée finalement à défendre le libéralisme, dès lors que les fascistes lui promettent de sauvegarder l’essentiel de ses prérogatives. » (p.121)
« Le 29, dans l’après-midi, Mussolini reçoit un télégramme du général Cittadini l’informant que le roi l’invite à se rendre à Rome pour y constituer le ministère. Il part le 29 au soir, en agon-lit, tandis que les fascistes donnent l’assaut à Milan l’assaut à l’Avanti !, incendient à Turin l’organe communiste Ordine nuovo et saccagent à Rome les journaux hostiles au mouvement. Le 30 au matin, Mussolini se présente devant le roi en tenue fasciste, tout en donnant l’ordre aux squadristi d’entrer à Rome en chemin de fer pour y défiler. Ainsi son arrivée légale au pouvoir se trouve-t-elle maquillée en victoire insurrectionnelle. » (p.122)
« Le fascisme a été la rencontre d’un homme et d’une situation. L’homme est un rénégat du socialisme, ayant le goût de la violence, dévoré d’ambition et à la recherche d’une force politique capable de servir cette ambition. Il la trouve dans ce mélange confus de déclassés, de nostalgiques de la guerre, d’anarchistes dressés contre l’Etat, de bourgeois en difficulté, de représentants des couches nouvelles aspirant à substituer leur pouvoir à celui des élites traditionnelles, de chômeurs enfin, qui va continuer la clientèle du fascisme. Mais ce groupe politique de mécontents et d’inadaptés n’a pas d’assise véritable dans les masses, comme en témoignent les élections de 1919. Comment parvient-il dans ces conditions à conquérir le pouvoir ?
D’abord parce que l’Etat libéral est en pleine décomposition, contesté à gauche par les socialistes, à droite par les nationalistes. Parce qu’il a perdu la confiance des milieux d’affaires qui lui reprochent à la fois ses interventions dans le domaine économique et son impuissance en matière politique et sociale. C’est de cette décomposition de l’Etat que le fascisme tire sa propre vigueur. Rompant avec ses origines de gauche, il offre ses services aux possédants et se présente comme la seule solution de rechange possible au libéralisme en faillite. […]
Le fascisme n’a pas remporté une victoire sur des adversaires menaçants. Il s’est installé à la tête de l’Italie à la faveur du vide politique qui y régnait. » (p.123)
« Le fascisme condamne et combat –au moins verbalement- ce qui le précède : l’idéologie, le modèle politique et l’hégémonie culturelle de la bourgeoisie libérale, tels qu’ils se sont imposés dans l’Italie giolittienne, dans cette « Italietta » dont les nationalistes et futuristes dénonçaient déjà, à l’aube du siècle, les langueurs décadantes.
Pour aboutir à quoi ? Si l’on en croit la phraséologie mussolinienne, à une société sans classes, fondée sur la coopération des divers groupes sociaux fondus dans un projet commun, à la création d’un « homme nouveau », ayant rompu ses attaches avec le monde « bourgeois » pour renouer avec les vertus viriles de l’ancienne Rome. » (p.274)
« Loin d’être détruit par le fascisme comme le laissait augurer le premier programme des faisceaux, le capitalisme italien a trouvé en lui un défenseur qui a su le sauver de la révolution et de la faillite, avant de le renforcer dans ses structures et dans ses moyens d’action. » (p.276)
« Très grande difficulté rencontrée par le fascisme pour imposer ses modèles « novateurs » dans un champ culturel qui reste, jusqu’aux toutes dernières années du ventennio, dominé par des modes de penser et de sentir qui sont ceux des élites traditionnelles. » (p.276)
« Les hauts fonctionnaires, les cadres de la diplomatie, les notables locaux, membres de l’aristocratie ou de la haute bourgeoisie, doivent souvent, surtout à partir des années trente, céder la place aux « hommes nouveaux », aux anciens du sqadrisme, jugés plus sûrs et plus conformes à l’idéal du régime. » (p.277)
« Le fascisme favorise l’évolution monopolistique du capitalisme italien. Il est incontestable que, si l’on considère les vingt années de l’ère fasciste, la petite bourgeoisie a été –économiquement parlant- l’une des grandes victimes du régime. En règle générale, la politique menée par celui-ci lèse gravement le petit commerce et la petite production. » (p.279)
« A la faveur de l’épuration des cadres administratifs, qui commence dès 1922 mais qui prend surtout un caractère massif entre 1926 et 1928 –c’est-à-dire au moment du tournant totalitaire du régime-, nombre d’anciens dirigeants locaux du sqadrisme obtiennent des postes importants dans la fonction publique. » (p.280)
« Il y a dans le totalitarisme fasciste –et c’est ce qui le distingue fondamentalement des autres formes d’Etat d’exception mises en place par la bourgeoisie, la dictature militaire classique de style latino-américain, par exemple, ou encore les régimes autoritaires et réactionnaires qui essaiment un peu partout en Europe pendant la période de l’entre-deux-guerres- une volonté clairement formulée d’intégrer les masses. Ceci suppose en premier lieu leur enrégimentement et leur encadrement, et c’est là l’une des fonctions essentielles du système corporatiste. » (p.282)
« Sur le marché de l’emploi, l’amélioration est certaine, du moins jusqu’à la crise. Dès 1925, le nombre des demandes d’emploi non satisfaites tombe à 125 000 et se stabilise à ce niveau pendant quelques années. Quant aux salaires moyens réels (compte tenu du coût de la vie), ils se maintiennent en gros au même niveau pendant toute la période, jusqu’aux environs de l’immédiats de la guerre. […]
Dans l’ensemble, on peut dire que la situation de la classe ouvrière a tendance à s’améliorer légèrement. » (p.283)
« Reprenant à son compte une politique qui a été depuis la création du royaume d’Italie celle de l’Etat libéral, le fascisme fait supporter par les campagnes le poids de l’industrialisation, écrasant les petites exploitations sous le fardeau d’une fiscalité excessive et favorisant systématiquement les agrariens, qui bénéficient des subsides de l’Etat, d’importantes exonérations fiscales et d’une politique douanière conforme à leurs intérêts. » (p.284)
« En avril 1925, [Giovanni Gentile] prend officiellement la tête du mouvement des intellectuels favorables au régime en rédigeant, à la suite d’un colloque culturel tenu à Bologne, un Manifeste des intellectuels du fascisme adressé « aux intellectuels de toutes les nations » et destiné à justifier, aux yeux de l’opinion internationale, les mesures d’exception adoptées par Mussolini à la suite des retombées de l’affaire Matteotti. Parmi les signataires, on trouve les noms de Luigi Barzini, Fransceco Coppola, Prampolini, Soffici, Orano, Corradini, Ugo Spirito, Marinetti, Carli, Luigi Pirandello. Ce document donne le signal de la rupture avec les intellectuels libéraux. Quelques jours plus tard, en effet, le 1er mai 1925, paraît dans Il Mondo « une réponse des écrivains, professeurs et publicistes italiens au Manifeste des intellectuels fascistes », rédigée par Benedetto Croce en personne et contresignée par des hommes comme Giovanni Amendola, Luigi Albertini, Gaetano Salvemini, Luigi Salvatorelli, A. C. Jemolo, Gaetano Mosca, Luigi Einaudi, Arthuro Labriola, pour ne citer que les plus illustres. Plus moral que politique, ce contre-manifeste s’indignait surtout de voir des hommes de lettres et des savants s’écarter de leur mission, qui consistait à « élever tous les hommes et tous les partis au plus haut niveau spirituel », et invitait les intellectuels à se comporter en arbitres moraux, à défendre la liberté d’expression, à condamner toutes les violences. » (p.287)
« Parmi les intellectuels italiens qui étaient venus au fascisme par admiration pour son nihilisme purificateur et antibourgeois, figurent deux noms importants : celui du futuriste Ardengo Soffici et celui de Curzio Malaparte. Le premier restera jusqu’à la fin –comme Marinetti mais en poussant beaucoup plus loin les limites de la logique futuriste- fidèle à l’esprit du premier fascisme, acceptant, par haine de l’establisment fasciste, l’alignement sur l’Allemagne hitlérienne, la politique raciste du régime et bientôt le sinistre retour aux sources du squadrisme de la République de Salo. Attitude d’écoeurement et de désespoir, qui fait un peu songer à celle d’un Drieu, dont Soffici partage curieusement dans ses derniers écrits la fascination pour Staline. « Si l’Axe ne devait pas gagner la guerre, écrit-il en juin 1944, la plupart des vrais fascistes qui auraient échappé à la répression passeraient au communisme et formeraient un bloc avec lui. Nous aurions alors franchi le fossé qui sépare les deux révolutions ». » (p.289)
« Le « sauvagisme », défini par Maccari [et partagé par Malaparte] comme la résistance de la tradition, « cette grande amie et protectrice des peuples », aux méfaits de la modernité, « un tripatouillage manipulé par les banquiers juifs, par les pédérastes, par les profiteurs de guerre, par les tenanciers de bordels », n’est pour la revue [Il Selvaggio, 1924] qu’un rameau de la culture fasciste, celui qui se rattache à la tradition populaire, provinciale et fondamentalement contre-révolutionnaire de « l’anti-Risorgimento ». Cette veine d’inspiration petite-bourgeoise, et qui traduit dans le champ culturel certaines des aspirations du sqadrisme rural, s’oppose à l’autre grande tendance qui est celle du modernisme fasciste et qui s’incarne dans le mouvement du novecentismo (de Novecento = XXe siècle), représenté notamment par l’écrivain Massimo Bontempelli et par nombre de peintres parmi lesquels De Chririco, Sironi, Morandi et l’ancien futuriste Carra. » (p.291)
« Malaparte, déçu par l’évolution du régime, commença à se détacher de lui et à se tourner de nouveau du côté du communisme. « Je crois, écrit-il au début des années trente, que le phénomène de la révolution russe, qui se poursuit parallèlement à la révolution italienne, dans sa haine et sa lutte contre l’esprit moderne… est le complètement de la révolution italienne. Elles s’aident l’une l’autre dans leur commune destruction de la modernité, et l’une n’est ni concevable, ni possible, ni juste sans l’autre. » (p.291)
« Fiume sera annexé à l’Italie [en 1924]. » (p.293)
-Pierre Milza et Serge Berstein, Le fascisme italien (1919-1945), Éditions du Seuil, 1980 (1970 pour la première édition), 438 pages.