« L’objet de la réflexion entreprise était de comprendre comment s’opérait la décision politique, non pas celle des intellectuels, fondée sur des doctrines ou des idées théoriques, mais celle de la masse des citoyens qui constituent le souverain dans une démocratie […] La culture politique échappe au domaine des abstractions pour s’inscrire dans le corps social, fournissant une clé de compréhension des choix électoraux comme des processus d’adhésion partisane. Il s’agissait moins de saisir une rationalité que des représentations, de restituer à l’affect et à l’intériorisation la part qui leur revenait dans l’acte politique, de décrire une vision du monde dont les éléments sont en cohérence profonde les uns avec les autres plutôt que d’évoquer l’analyse de catalogues programmatiques qui ne sont lus que par les seuls spécialistes, de déchiffrer les codes et les sensibilités autour desquels se rassemblent les grandes familles politiques. » (p.7)
« Un nombre croissant de travaux historiques récents, déjà publiés, encore inédits ou en cours d’achèvement s’appuient, explicitement ou non, sur cette approche pour rendre compte de la vision du monde des personnages ou des groupes qu’ils étudient et y trouver l’explication de leurs itinéraires, de leurs prises de position ou de leurs actes, dépassant ainsi le stade de la chronique ou du récit événementiel pour passer à celui d’une interprétation fondée sur des convictions fortement intériorisées et léguées par la formation des hommes ou les expériences vécues. » (p.9)
-Serge Bernstein (dir.), Les cultures politiques en France, Seuil, coll. « Points Histoire », 2003 (1999 pour la première édition), 440 pages.
« S’il est largement employé aujourd’hui, c’est le plus souvent à mauvais escient comme un équivalent d’idées politiques, voire de forces politiques. » (p.10)
« L’acte politique, phénomène complexe s’il en est, s’explique le plus souvent par référence à un système de représentations partagé par un groupe assez large au sein de la société. C’est ce système de représentations que les historiens nomment la culture politique. » (p.12-13)
« L’historien, représentant d’une discipline empirique, n’ayant guère le souci de théoriser, constate l’existence à un moment donné de l’histoire de plusieurs systèmes de représentations cohérents. » (p.14)
« [La religion] joue un rôle dans la culture politique traditionaliste ou démocrate-chrétienne. » (p.15)
« Une culture politique dépasse toujours le simple stade des réalités prosaïques pour s’inscrire dans un projet global exprimé par une conception philosophique sous-jacente. » (p.16)
« On objectera avec raison qu’à ce niveau seules les élites ayant le goût et les moyens de lire ces œuvres fondatrices seraient alors poteuses de la culture politique qui en découle. Mais ce serait négliger le poids des vulgates dans les comportements sociaux. […] Considérer qu’il est en quelque sorte naturel qu’un ouvrier soit l’adversaire de son patron, que la réglementation est une pratique dommageable et liberticide ou que l’enseignement du catéchisme est un vecteur de propagation de l’obscurantisme interdisant aux lumières d’éclairer la marche des sociétés vers le progrès est une manière de traduire dans le quotidien des visions du monde qui se réclament respectivement du marxisme, du libéralisme ou du positivisme sans que ceux qui formulent ces jugements aient nécessairement conscience qu’ils sont porteurs des conceptions globales de la société dont se réclament ces doctrines. » (p.17)
« Il n’est guère de culture politique sans la mise en œuvre de cette alchimie opératoire qui transmue des événements du passé en armes pour le présent. […] Dans l’ordre de la culture politique, c’est la légende qui est réalité puisque c’est elle qui est mobilisatrice. » (p.18)
« Le libéralisme voit son idéal dans un régime représentatif de type parlementaire gouverné par les élites de la société. » (p.19)
« Il n’y a pas de culture politique cohérente qui ne comprenne précisément une représentation de la société idéale et des moyens d’y parvenir. » (p.19)
« Une des tendances majeures de l’historiographie récente a été de contester la vision, longtemps dominante, d’un marxisme qui considérait que tout ce qui était essentiel s’expliquait exclusivement par des causes matérielles manifestées dans les rapports économiques et sociaux. » (p.19)
« On n’insistera pas […] sur l’intérêt des élites pour un libéralisme qui voit la société constituée par une collection d’individus affrontés dans une concurrence sauvage pour remporter la victoire dans la lutte pour la réussite qui les oppose les uns aux autres avec, comme seul arbitre, l’impitoyable loi du marché. » (p.20)
« Pour être différentes, [les cultures politiques] connaissent parfois des zones de recouvrement. » (p.25)
« L’adulte acquiert ensuite des éléments de culture politique à l’armée (c’est la raison de l’opposition de la gauche à la loi de trois ans au début du XXe siècle, la crainte qu’elle exprime étant de voir les jeunes esprits confiés durant une aussi longue durée à des officiers formés dans les « jésuitières » qui en feront des nationalistes ou des monarchistes). » (p.28)
« La culture politique conduit à une véritable communion créatrice de profondes solidarités. » (p.35)
« [La culture politique] ne saurait se réduire aux idées politiques qui en font partie mais n’en sont qu’un des éléments auquel manque l’ancrage dans le temps et dans les aspirations sociales et qui sont moins opératoires sur des groupes importants et hétérogènes qu’une vulgate simplifiée et qui s’exprime de manière plus sommaire et plus symbolique. » (p.35)
-Serge Berstein, « Nature et fonction des cultures politiques », in Serge Berstein(dir.), Les cultures politiques en France, Seuil, coll. « Points Histoire », 2003 (1999 pour la première édition), 440 pages.
« L’événement fondateur est ici la Révolution française. » (p.37)
« Les théoriciens français de la contre-révolution ne jouissent d’une réelle influence qu’à partir la Restauration. » (pp.38-39)
« Chez tous, un trait commun l’emporte : la défense de la religion conçue comme le fondement inébranlable de la société « constituée », pour reprendre le mot de Bonald. » (p.40)
« Auguste Comte peut être inscrit parmi les théoriciens de la contre-révolution. » (p.42)
« Son œuvre [à Renan], parfois ambivalente, relève de la pensée conservatrice. » (p.42)
« Les disciples [de Maurras] qui glisseront vers le fascisme dans les années trente, tels Robert Brasillach ou Thierry Maulnier, ne sont plus véritablement liés à cette école de pensée [contre-révolutionnaire]. » (p.45)
« C’est le propre des théoriciens de la contre-Révolution, de Bonald à Le Play et à La Tour du Pin, d’accorder une grande attention à la famille. […] Microsociété, la famille est le modèle pour la société tout entière. L’autorité y est vivante : le Père l’incarne, il doit être obéi, ainsi l’exige l’ordre naturel. » (p.53)
« Les solutions préconisées par La Tour du Pin dépassent le « paternalisme » et demandent l’intervention de l’Etat et la fixation d’un revenu minimal. » (p.56)
« Au fond, l’individu n’a pas de place et d’existence que dans le cadre et la fonction que lui assigne le groupe. » (p.57)
« Le renforcement des nations tout au long du XIXe siècle, comme la force du courant national en France dans les dernières décennies du siècle, à la faveur des crises successives du boulangisme et de l’affaire Dreyfus, ont modifié l’image de la nation et du nationalisme dans certains milieux traditionalistes. Celle-ci est apparue, au contraire, comme un moyen de revigorer l’idée de tradition. L’œuvre de Barrès, puis celle de Maurras ont joué un rôle décisif. » (p.58-59)
« Une des revues les plus proches de la tradition contre-révolutionnaire, à la fois fidèle à l’Ancien Régime et hostile à la société démocratique et à ses mœurs est la Revue des questions historiques (1866), dont les fondateurs, Georges de Beaucourt et Henri de L’Épinois, se placent dans une perspective résolument providentialiste et offensive. » (p.62)
« La culture politique traditionaliste n’est plus qu’une survivance. » (p.71)
-Jacques Prévotat, « La culture politique traditionaliste », chapitre 2 in Serge Berstein(dir.), Les cultures politiques en France, Seuil, coll. « Points Histoire », 2003 (1999 pour la première édition), 440 pages, pp.38-72.
« Les premiers chefs du libéralisme, Constant, Royer-Collard ou Guizot, héritiers de la tradition des Lumières, rejetaient tout ce qui pouvait être synonyme de passion dans la politique moderne. Écrivains et hommes politiques, ils se voulaient pleinement conscients des opinions qu’ils avançaient, maîtres de leur talent et de leur éloquence, cherchant la reconnaissance de leur singularité, mais refusant d’endosser le rôle de hérauts des passions publiques.
Au cours de la période fondatrice qui englobe la Restauration et la monarchie de Juillet, leur culture politique s’était définie dans le cadre d’une société politique aux limites particulièrement étroites, caractérisée notamment par un régime électoral censitaire. Ces conditions matérielles et sociales ont marqué la culture politique libérale pour longtemps. La culture libérale n’a pas été conçue en vue de sa diffusion universelle, mais pour justifier la division qui séparait l’élite politique du reste de la nation. » (p.73)
« C’est la Révolution qui provoqua la formation d’un véritable système de valeurs. […]
Point de cristallisation, la Révolution n’est pas devenue pour autant une référence positive au sein de la culture politique des libéraux français. » (p.75)
« Si les libéraux exaltent les « principes de 1789 », ils redoutent et détestent l’ « esprit révolutionnaire ». » (p.77)
« Une culture politique n’est […] pas faite pour être philosophiquement cohérente. » (p.77)
« A la différence de la culture républicaine qui affirmait sa préférence pour le régime d’assemblée unique, le modèle de référence des libéraux n’a jamais été fixé. » (p.79)
« Il existe à Paris en 1828 plus de 500 cabinets de lecture pour une population d’environ 800 000 habitants. » (p.80)
« Après la floraison de clubs et de journaux entre février et juin 1848, un décret du 28 juillet 1848 soumet les clubs à l’obligation de la déclaration préalable et impose la présence d’un représentant de la police. La loi du 19 juillet 1849, completée en 1850 et en 1851, donne droit au gouvernement de surveiller et même de fermer un club sur simple décision administrative. » (note 13 p.80-81)
« Quand, dans les années 1860-1880, de nouvelles machines et de nouvelles techniques commerciales [la linotype, la presse Marinori, le télégraphe puis le téléphone, l’abaissement des prix, l’augmentation des tirages] transformèrent la presse, la domination intellectuelle des libéraux commença à décliner. » (p.81-82)
« Dans les années 1860 encore, Prévost-Paradol se vantait d’écrire pour 500 personnes et non pour éduquer le peuple. » (p.82)
« Le Journal des débats (1789-1944), La Revue des Deux Mondes (depuis 1828) ou la Revue politique et parlementaire (depuis 1894) ont longtemps illustré cette concurrence que le « mode réfléctif » propre aux revues pouvait opposer au « mode assertif » qui dominait dorévanant la grande presse quotidienne.
Organisateurs de conférences-débats, ces journaux et ces revues prolongeaient aussi la sociabilité du salon. » (p.82-83)
« La monarchie de Juillet procède à une réforme du droit électoral mais développe aussi un arsenal répressif contre les manifestations (loi du 10 avril 1831 contre les attroupements), contre la propagande politique et contre la presse (lois de septembre 1835). » (p.86)
« Thiers, après l’attentat de Fieschi contre Louis-Philippe en juillet 1835, fait voter des lois antilibérales : une loi sur la presse qui crée de nouveaux délits (offense au roi, adhésion à la république) ; une augmentation des amendes et du cautionnement ; une obligation d’autorisation préalable pour tout dessin. » (note 31 p.86)
« Valéry Giscard d’Estaing développe une thématique « régionaliste », notamment entre 1966 et 1969 ; découpage de la France en régions dotées d’assemblées élues et d’un exécutif régional. » (note 40 p.91)
« [La culture libérale] n’a cessé de se méfier des partis, de rejeter les valeurs de discipline, de cohérence et de militantisme qui sont la clé du succès d’un parti politique. » (p.96)
« La culture politique libérale a favorisé le réformisme social tant que l’encouragement de l’Etat n’allait pas jusqu’à la proclamation de droits sociaux considérés comme irréalistes et démagogiques. » (p.101)
« [Pour les libéraux, l’Etat ne doit] remettre en cause la hiérarchie des statuts sociaux. » (p.102)
« La culture politique libérale n’est pas spectaculaire. » (p.115)
« La culture politique libérale peut faire cependant figure, à bon droit, de culture politique « faible » ou « froide » en comparaison des autres cultures, qu’elles soient traditionaliste, républicaine, socialiste, gaulliste ou communiste. […] Elle n’est pas une culture de parti et ce n’est pas l’actualité récente qui démentira ce trait. » (p.116)
« La complaisance à se voir en individus éclairés mais isolés, ayant raison contre la masse, contre son propre parti, fait partie de la culture politique libérale… » (p.116)
« Culture politique, c’est-à-dire un ensemble de valeurs et d’attitudes, complexes et même contradictoires. » (p.118)
-Nicolas Roussellier, « La culture politique libérale », chapitre 3 in Serge Berstein (dir.), Les cultures politiques en France, Seuil, coll. « Points Histoire », 2003 (1999 pour la première édition), 440 pages, pp.73-118.
Philippe Bénéton, Histoire de mots : culture et civilisation, 1975.
Simone Meyssonnier, La Balance et l’Horloge. La genèse de la pensée libérale en France au XVIIIe siècle, Paris, Éditions de la Passion, 1989.
« La synthèse entre conceptions politiques et économiques du libéralisme n’a jamais été véritablement opérée. » -Jacques-Olivier Boudon, « Génération libérales », dans Isabelle Poutrin (dir.), Le XIXe siècle. Science, politique et tradition, Paris, Berger-Levrault, 1995, p.340.
« La première mention du terme nationalisme dans la langue française date de 1798. Il s’agit d’un texte de l’abbé Barruel où il est employé pour dénoncer le « patriotisme jacobin », accusé de « mépriser les étrangers, de les tromper et de les offenser ». » (note 2 p.335)
« L’idéologie nationaliste […] s’affirme à la charnière du XIXe et du XXe siècle. » (p.336)
« Crise de la pensée européenne aux manifestations multiformes […] avec l’engouement pour les écrits de Nietzsche et de Bergson. » (p.343)
« L’ouvrage que Stéphane Audouin-Rouzeau a consacré aux viols perpétrés par l’armée allemande au début de la guerre de 1914-1918. » (p.349)
« Du côté des nationalistes […] on se trouve en présence de deux cultures politiques initialement distinctes, même si elles tendent avec le temps à se rapprocher. D’un côté celle qui résulte de la conversion du traditionalisme contre-révolutionnaire à l’idée de nation, de l’autre celle qui, issue au contraire de la tradition jacobine et plébiscitaire, n’a cessé par la suite d’évoluer vers des positions conservatrices, tout en gardant une forme populiste. » (p.349)
« Barrès oppose sa passion pour l’héroïsme, pour l’énergie, pour la vie sous toutes ses formes, pour une nation qui n’est pas à ses yeux une froide construction de l’esprit, mais « la France de chair et d’os », conceptions qui doivent davantage à Nietzsche qu’au classicisme français et aux théoriciens de la contre-révolution. » (p.353)
« Sentiment d’horreur [et dégrisement ?] de la guerre industrielle et exterminatrice qui ressort de son livre sur Les Diverses Familles spirituelles de la France. » (p.358)
« Pacifisme d’une autre nature, motivé à la fois par la crainte du revanchisme hitlérien, par l’admiration pour les régimes fascistes et fascisants, et par l’hostilité profonde à l’égard du communisme. » (p.359)
« Lors de la guerre d’Éthiopie, à la fin de 1935, ce sont les « Camelots du Roy » et les jeunes gens des ligues qui défilent sur les Grands Boulevards aux cris de « Vive l’Italie ! Vive la Paix ! » […] et font un triomphe à la pièce pacifiste de Giraudoux : La guerre de Troie n’aura pas lieu. » (p.360)
« C’est la nostalgie de ce monde perdu et sublimé qui incline au lendemain de la guerre nombre de démobilisés à rejoindre les rangs des formations ligueuses et des organisations fascistes et fascisantes. […] L’esprit du front anime ainsi toute une génération d’hommes pour laquelle la guerre a été le tournant irréversible d’une vie jusqu’alors prosaïque. Après elle, plus rien ne pourra être comme avant. […] La culture de guerre a ainsi laissé des traces profondes que révèle l’attrait pour une liturgie paramilitaire désormais durablement inscrite dans le patrimoine de la droite nationaliste. » (p.362)
« L’avènement du régime maréchaliste en juillet 1940 a constitué un événement-pivot dans l’histoire de l’extrême-droite nationaliste […] [s’installait alors] sous l’autorité du maréchal Mérachal Pétain, un régime conforme à ses aspirations et à sa culture. » (p.366)
« Les idées et les pratiques ultra-conservatrices du nouveau régime relèvent d’une culture politique dont l’AF n’est que l’un des rameaux. » (p.367)
« Il s’agit d’un nationalisme ouvert [celui de De Gaulle]. » (p.371)
« La « Nouvelle Droite » […] lifting idéologie de la droite nationaliste. » (p.371)
-Pierre Milza, « Les cultures politiques du nationalisme français », chapitre 10 in Serge Berstein (dir.), Les cultures politiques en France, Seuil, coll. « Points Histoire », 2003 (1999 pour la première édition), 440 pages, pp.335-375.
« Un nombre croissant de travaux historiques récents, déjà publiés, encore inédits ou en cours d’achèvement s’appuient, explicitement ou non, sur cette approche pour rendre compte de la vision du monde des personnages ou des groupes qu’ils étudient et y trouver l’explication de leurs itinéraires, de leurs prises de position ou de leurs actes, dépassant ainsi le stade de la chronique ou du récit événementiel pour passer à celui d’une interprétation fondée sur des convictions fortement intériorisées et léguées par la formation des hommes ou les expériences vécues. » (p.9)
-Serge Bernstein (dir.), Les cultures politiques en France, Seuil, coll. « Points Histoire », 2003 (1999 pour la première édition), 440 pages.
« S’il est largement employé aujourd’hui, c’est le plus souvent à mauvais escient comme un équivalent d’idées politiques, voire de forces politiques. » (p.10)
« L’acte politique, phénomène complexe s’il en est, s’explique le plus souvent par référence à un système de représentations partagé par un groupe assez large au sein de la société. C’est ce système de représentations que les historiens nomment la culture politique. » (p.12-13)
« L’historien, représentant d’une discipline empirique, n’ayant guère le souci de théoriser, constate l’existence à un moment donné de l’histoire de plusieurs systèmes de représentations cohérents. » (p.14)
« [La religion] joue un rôle dans la culture politique traditionaliste ou démocrate-chrétienne. » (p.15)
« Une culture politique dépasse toujours le simple stade des réalités prosaïques pour s’inscrire dans un projet global exprimé par une conception philosophique sous-jacente. » (p.16)
« On objectera avec raison qu’à ce niveau seules les élites ayant le goût et les moyens de lire ces œuvres fondatrices seraient alors poteuses de la culture politique qui en découle. Mais ce serait négliger le poids des vulgates dans les comportements sociaux. […] Considérer qu’il est en quelque sorte naturel qu’un ouvrier soit l’adversaire de son patron, que la réglementation est une pratique dommageable et liberticide ou que l’enseignement du catéchisme est un vecteur de propagation de l’obscurantisme interdisant aux lumières d’éclairer la marche des sociétés vers le progrès est une manière de traduire dans le quotidien des visions du monde qui se réclament respectivement du marxisme, du libéralisme ou du positivisme sans que ceux qui formulent ces jugements aient nécessairement conscience qu’ils sont porteurs des conceptions globales de la société dont se réclament ces doctrines. » (p.17)
« Il n’est guère de culture politique sans la mise en œuvre de cette alchimie opératoire qui transmue des événements du passé en armes pour le présent. […] Dans l’ordre de la culture politique, c’est la légende qui est réalité puisque c’est elle qui est mobilisatrice. » (p.18)
« Le libéralisme voit son idéal dans un régime représentatif de type parlementaire gouverné par les élites de la société. » (p.19)
« Il n’y a pas de culture politique cohérente qui ne comprenne précisément une représentation de la société idéale et des moyens d’y parvenir. » (p.19)
« Une des tendances majeures de l’historiographie récente a été de contester la vision, longtemps dominante, d’un marxisme qui considérait que tout ce qui était essentiel s’expliquait exclusivement par des causes matérielles manifestées dans les rapports économiques et sociaux. » (p.19)
« On n’insistera pas […] sur l’intérêt des élites pour un libéralisme qui voit la société constituée par une collection d’individus affrontés dans une concurrence sauvage pour remporter la victoire dans la lutte pour la réussite qui les oppose les uns aux autres avec, comme seul arbitre, l’impitoyable loi du marché. » (p.20)
« Pour être différentes, [les cultures politiques] connaissent parfois des zones de recouvrement. » (p.25)
« L’adulte acquiert ensuite des éléments de culture politique à l’armée (c’est la raison de l’opposition de la gauche à la loi de trois ans au début du XXe siècle, la crainte qu’elle exprime étant de voir les jeunes esprits confiés durant une aussi longue durée à des officiers formés dans les « jésuitières » qui en feront des nationalistes ou des monarchistes). » (p.28)
« La culture politique conduit à une véritable communion créatrice de profondes solidarités. » (p.35)
« [La culture politique] ne saurait se réduire aux idées politiques qui en font partie mais n’en sont qu’un des éléments auquel manque l’ancrage dans le temps et dans les aspirations sociales et qui sont moins opératoires sur des groupes importants et hétérogènes qu’une vulgate simplifiée et qui s’exprime de manière plus sommaire et plus symbolique. » (p.35)
-Serge Berstein, « Nature et fonction des cultures politiques », in Serge Berstein(dir.), Les cultures politiques en France, Seuil, coll. « Points Histoire », 2003 (1999 pour la première édition), 440 pages.
« L’événement fondateur est ici la Révolution française. » (p.37)
« Les théoriciens français de la contre-révolution ne jouissent d’une réelle influence qu’à partir la Restauration. » (pp.38-39)
« Chez tous, un trait commun l’emporte : la défense de la religion conçue comme le fondement inébranlable de la société « constituée », pour reprendre le mot de Bonald. » (p.40)
« Auguste Comte peut être inscrit parmi les théoriciens de la contre-révolution. » (p.42)
« Son œuvre [à Renan], parfois ambivalente, relève de la pensée conservatrice. » (p.42)
« Les disciples [de Maurras] qui glisseront vers le fascisme dans les années trente, tels Robert Brasillach ou Thierry Maulnier, ne sont plus véritablement liés à cette école de pensée [contre-révolutionnaire]. » (p.45)
« C’est le propre des théoriciens de la contre-Révolution, de Bonald à Le Play et à La Tour du Pin, d’accorder une grande attention à la famille. […] Microsociété, la famille est le modèle pour la société tout entière. L’autorité y est vivante : le Père l’incarne, il doit être obéi, ainsi l’exige l’ordre naturel. » (p.53)
« Les solutions préconisées par La Tour du Pin dépassent le « paternalisme » et demandent l’intervention de l’Etat et la fixation d’un revenu minimal. » (p.56)
« Au fond, l’individu n’a pas de place et d’existence que dans le cadre et la fonction que lui assigne le groupe. » (p.57)
« Le renforcement des nations tout au long du XIXe siècle, comme la force du courant national en France dans les dernières décennies du siècle, à la faveur des crises successives du boulangisme et de l’affaire Dreyfus, ont modifié l’image de la nation et du nationalisme dans certains milieux traditionalistes. Celle-ci est apparue, au contraire, comme un moyen de revigorer l’idée de tradition. L’œuvre de Barrès, puis celle de Maurras ont joué un rôle décisif. » (p.58-59)
« Une des revues les plus proches de la tradition contre-révolutionnaire, à la fois fidèle à l’Ancien Régime et hostile à la société démocratique et à ses mœurs est la Revue des questions historiques (1866), dont les fondateurs, Georges de Beaucourt et Henri de L’Épinois, se placent dans une perspective résolument providentialiste et offensive. » (p.62)
« La culture politique traditionaliste n’est plus qu’une survivance. » (p.71)
-Jacques Prévotat, « La culture politique traditionaliste », chapitre 2 in Serge Berstein(dir.), Les cultures politiques en France, Seuil, coll. « Points Histoire », 2003 (1999 pour la première édition), 440 pages, pp.38-72.
« Les premiers chefs du libéralisme, Constant, Royer-Collard ou Guizot, héritiers de la tradition des Lumières, rejetaient tout ce qui pouvait être synonyme de passion dans la politique moderne. Écrivains et hommes politiques, ils se voulaient pleinement conscients des opinions qu’ils avançaient, maîtres de leur talent et de leur éloquence, cherchant la reconnaissance de leur singularité, mais refusant d’endosser le rôle de hérauts des passions publiques.
Au cours de la période fondatrice qui englobe la Restauration et la monarchie de Juillet, leur culture politique s’était définie dans le cadre d’une société politique aux limites particulièrement étroites, caractérisée notamment par un régime électoral censitaire. Ces conditions matérielles et sociales ont marqué la culture politique libérale pour longtemps. La culture libérale n’a pas été conçue en vue de sa diffusion universelle, mais pour justifier la division qui séparait l’élite politique du reste de la nation. » (p.73)
« C’est la Révolution qui provoqua la formation d’un véritable système de valeurs. […]
Point de cristallisation, la Révolution n’est pas devenue pour autant une référence positive au sein de la culture politique des libéraux français. » (p.75)
« Si les libéraux exaltent les « principes de 1789 », ils redoutent et détestent l’ « esprit révolutionnaire ». » (p.77)
« Une culture politique n’est […] pas faite pour être philosophiquement cohérente. » (p.77)
« A la différence de la culture républicaine qui affirmait sa préférence pour le régime d’assemblée unique, le modèle de référence des libéraux n’a jamais été fixé. » (p.79)
« Il existe à Paris en 1828 plus de 500 cabinets de lecture pour une population d’environ 800 000 habitants. » (p.80)
« Après la floraison de clubs et de journaux entre février et juin 1848, un décret du 28 juillet 1848 soumet les clubs à l’obligation de la déclaration préalable et impose la présence d’un représentant de la police. La loi du 19 juillet 1849, completée en 1850 et en 1851, donne droit au gouvernement de surveiller et même de fermer un club sur simple décision administrative. » (note 13 p.80-81)
« Quand, dans les années 1860-1880, de nouvelles machines et de nouvelles techniques commerciales [la linotype, la presse Marinori, le télégraphe puis le téléphone, l’abaissement des prix, l’augmentation des tirages] transformèrent la presse, la domination intellectuelle des libéraux commença à décliner. » (p.81-82)
« Dans les années 1860 encore, Prévost-Paradol se vantait d’écrire pour 500 personnes et non pour éduquer le peuple. » (p.82)
« Le Journal des débats (1789-1944), La Revue des Deux Mondes (depuis 1828) ou la Revue politique et parlementaire (depuis 1894) ont longtemps illustré cette concurrence que le « mode réfléctif » propre aux revues pouvait opposer au « mode assertif » qui dominait dorévanant la grande presse quotidienne.
Organisateurs de conférences-débats, ces journaux et ces revues prolongeaient aussi la sociabilité du salon. » (p.82-83)
« La monarchie de Juillet procède à une réforme du droit électoral mais développe aussi un arsenal répressif contre les manifestations (loi du 10 avril 1831 contre les attroupements), contre la propagande politique et contre la presse (lois de septembre 1835). » (p.86)
« Thiers, après l’attentat de Fieschi contre Louis-Philippe en juillet 1835, fait voter des lois antilibérales : une loi sur la presse qui crée de nouveaux délits (offense au roi, adhésion à la république) ; une augmentation des amendes et du cautionnement ; une obligation d’autorisation préalable pour tout dessin. » (note 31 p.86)
« Valéry Giscard d’Estaing développe une thématique « régionaliste », notamment entre 1966 et 1969 ; découpage de la France en régions dotées d’assemblées élues et d’un exécutif régional. » (note 40 p.91)
« [La culture libérale] n’a cessé de se méfier des partis, de rejeter les valeurs de discipline, de cohérence et de militantisme qui sont la clé du succès d’un parti politique. » (p.96)
« La culture politique libérale a favorisé le réformisme social tant que l’encouragement de l’Etat n’allait pas jusqu’à la proclamation de droits sociaux considérés comme irréalistes et démagogiques. » (p.101)
« [Pour les libéraux, l’Etat ne doit] remettre en cause la hiérarchie des statuts sociaux. » (p.102)
« La culture politique libérale n’est pas spectaculaire. » (p.115)
« La culture politique libérale peut faire cependant figure, à bon droit, de culture politique « faible » ou « froide » en comparaison des autres cultures, qu’elles soient traditionaliste, républicaine, socialiste, gaulliste ou communiste. […] Elle n’est pas une culture de parti et ce n’est pas l’actualité récente qui démentira ce trait. » (p.116)
« La complaisance à se voir en individus éclairés mais isolés, ayant raison contre la masse, contre son propre parti, fait partie de la culture politique libérale… » (p.116)
« Culture politique, c’est-à-dire un ensemble de valeurs et d’attitudes, complexes et même contradictoires. » (p.118)
-Nicolas Roussellier, « La culture politique libérale », chapitre 3 in Serge Berstein (dir.), Les cultures politiques en France, Seuil, coll. « Points Histoire », 2003 (1999 pour la première édition), 440 pages, pp.73-118.
Philippe Bénéton, Histoire de mots : culture et civilisation, 1975.
Simone Meyssonnier, La Balance et l’Horloge. La genèse de la pensée libérale en France au XVIIIe siècle, Paris, Éditions de la Passion, 1989.
« La synthèse entre conceptions politiques et économiques du libéralisme n’a jamais été véritablement opérée. » -Jacques-Olivier Boudon, « Génération libérales », dans Isabelle Poutrin (dir.), Le XIXe siècle. Science, politique et tradition, Paris, Berger-Levrault, 1995, p.340.
« La première mention du terme nationalisme dans la langue française date de 1798. Il s’agit d’un texte de l’abbé Barruel où il est employé pour dénoncer le « patriotisme jacobin », accusé de « mépriser les étrangers, de les tromper et de les offenser ». » (note 2 p.335)
« L’idéologie nationaliste […] s’affirme à la charnière du XIXe et du XXe siècle. » (p.336)
« Crise de la pensée européenne aux manifestations multiformes […] avec l’engouement pour les écrits de Nietzsche et de Bergson. » (p.343)
« L’ouvrage que Stéphane Audouin-Rouzeau a consacré aux viols perpétrés par l’armée allemande au début de la guerre de 1914-1918. » (p.349)
« Du côté des nationalistes […] on se trouve en présence de deux cultures politiques initialement distinctes, même si elles tendent avec le temps à se rapprocher. D’un côté celle qui résulte de la conversion du traditionalisme contre-révolutionnaire à l’idée de nation, de l’autre celle qui, issue au contraire de la tradition jacobine et plébiscitaire, n’a cessé par la suite d’évoluer vers des positions conservatrices, tout en gardant une forme populiste. » (p.349)
« Barrès oppose sa passion pour l’héroïsme, pour l’énergie, pour la vie sous toutes ses formes, pour une nation qui n’est pas à ses yeux une froide construction de l’esprit, mais « la France de chair et d’os », conceptions qui doivent davantage à Nietzsche qu’au classicisme français et aux théoriciens de la contre-révolution. » (p.353)
« Sentiment d’horreur [et dégrisement ?] de la guerre industrielle et exterminatrice qui ressort de son livre sur Les Diverses Familles spirituelles de la France. » (p.358)
« Pacifisme d’une autre nature, motivé à la fois par la crainte du revanchisme hitlérien, par l’admiration pour les régimes fascistes et fascisants, et par l’hostilité profonde à l’égard du communisme. » (p.359)
« Lors de la guerre d’Éthiopie, à la fin de 1935, ce sont les « Camelots du Roy » et les jeunes gens des ligues qui défilent sur les Grands Boulevards aux cris de « Vive l’Italie ! Vive la Paix ! » […] et font un triomphe à la pièce pacifiste de Giraudoux : La guerre de Troie n’aura pas lieu. » (p.360)
« C’est la nostalgie de ce monde perdu et sublimé qui incline au lendemain de la guerre nombre de démobilisés à rejoindre les rangs des formations ligueuses et des organisations fascistes et fascisantes. […] L’esprit du front anime ainsi toute une génération d’hommes pour laquelle la guerre a été le tournant irréversible d’une vie jusqu’alors prosaïque. Après elle, plus rien ne pourra être comme avant. […] La culture de guerre a ainsi laissé des traces profondes que révèle l’attrait pour une liturgie paramilitaire désormais durablement inscrite dans le patrimoine de la droite nationaliste. » (p.362)
« L’avènement du régime maréchaliste en juillet 1940 a constitué un événement-pivot dans l’histoire de l’extrême-droite nationaliste […] [s’installait alors] sous l’autorité du maréchal Mérachal Pétain, un régime conforme à ses aspirations et à sa culture. » (p.366)
« Les idées et les pratiques ultra-conservatrices du nouveau régime relèvent d’une culture politique dont l’AF n’est que l’un des rameaux. » (p.367)
« Il s’agit d’un nationalisme ouvert [celui de De Gaulle]. » (p.371)
« La « Nouvelle Droite » […] lifting idéologie de la droite nationaliste. » (p.371)
-Pierre Milza, « Les cultures politiques du nationalisme français », chapitre 10 in Serge Berstein (dir.), Les cultures politiques en France, Seuil, coll. « Points Histoire », 2003 (1999 pour la première édition), 440 pages, pp.335-375.