"L'humiliation et l'opprobre sont l'état naturel du chrétien."
"Jamais une injustice ne peut être un motif d'en commettre une autre."
-Nicolas de Condorcet, cité dans Condorcet, un intellectuel en politique, par Robert et Élisabeth Badinter, 1988, Fayard, 659 pages.
"Étranger à tout parti, m'occupant à juger les choses et les hommes avec ma raison et non avec mes passions, je continuerai de chercher la vérité et de la dire."
-Nicolas de Condorcet, cité dans Condorcet, un intellectuel en politique, par Robert et Élisabeth Badinter, 1988, Fayard, 659 pages.
"Au bout de deux années de vaines luttes, la famille de Condorcet rendit les armes et accepta qu'il s'en retournât à Paris pour faire carrière de mathématicien. La réprobation familiale n'avait pas désarmé pour autant. Bien longtemps après, fin 1774, Condorcet sollicitera Turgot pour un membre de sa famille en ces termes: "Un de mes parents paternels que j'aime fort et le seul qui jusqu'ici m'ait pardonné de n'être point capitaine de cavalerie." (p.25)
"Sans aller jusqu'à prétendre, comme Michelet, que Condorcet n'aurait connu les joies de l'amour qu'au soir du 14 juillet 1789 -dans l'exaltation de la prise de la Bastille-, il est effectivement "très vraisemblable qu'il était encore parfaitement pur à vingt-six ans", c'est-à-dire en 1770. Il ne s'en réfugiait que davantage dans le travail intellectuel." (p.46)
"Très tôt, [Condorcet] manifestera sa haine de l'argent et sa méfiance à l'égard des puissants, encore renforcées par l'expérience vécue sous le ministère de Turgot. Fidèle à l'exemple de d'Alembert, il saura garder ses distances. Et, contrairement aux mensonges propagés par ses ennemis durant la Révolution, nul ne l'aura jamais vu faire sa cour à Versailles." (p.51)
"Toute sa vie se partagea entre la réflexion sur les principes et le combat pour les imposer. Il est donc insuffisant de définir Condorcet comme ayant été successivement un grand savant, puis un homme politique. A ses yeux, on ne pouvait séparer Raison et Justice, disjoindre la science de la politique. C'eût été contraire à sa morale." (p.60-61)
"Condorcet et surtout d'Alembert n'ont jamais cessé de défendre Rousseau contre la colère de Voltaire." (p.68)
"D'Alembert croyait à la nécessité d'une Religion révélée, Voltaire au Dieu mécanicien, bon horloger, et Turgot aux causes finales. Condorcet combat toutes ces notions avec la même passion. Il n'a foi qu'en la raison, et croit que l'instruction peut exercer une influence absolue sur les hommes. De tous les philosophes des Lumières, il est le représentant le plus radical du rationalisme. Pour lui, les seuls obstacles au bonheur de l'homme s'appellent préjugés, intolérance, superstition. Il suffit donc d'instruire le peuple et de développer la raison de chacun pour mettre un terme au malheur public. Dans cette optique, toute idée de Dieu devient inutile, toute notion d'Église dangereuse, parce qu'elle crée ou perpétue des préjugés dont la persistance nuit à la rapidité du progrès. Au demeurant, la tolérance étant à ses yeux une valeur aussi sacrée que la raison, il s'engagea personnellement aux côtés des protestants pour l'on cesse de les persécuter. Selon lui, c'est le droit absolu de chacun de penser selon ses convictions. Et tant que les cultes -quels qu'ils soient- compteront des fidèles, ils seront légitimes. Nul ne saurait interdire la célébration: "L'erreur, tout comme la vérité, à droit à la liberté". Ainsi Condorcet plaint les croyants, mais n'a pour eux ni mépris, ni haine. Les pratiques religieuses n'ont, en soi, rien qui l'indigne ; ce n'est pas la religion, c'est le Clergé qu'il déteste. Selon lui, il suffit d'être patient. En vertu de la perfectibilité de la raison humaine, le jour viendra nécessairement où les hommes n'auront plus besoin des béquilles de la religion. Telle est la profonde conviction du rationaliste Condorcet." (p.84-85)
"Sans appui véritable à la Cour, Turgot était un homme seul qui ne devait sa réputation qu'à son courage, à son intégrité et à son travail d'intendant dont chacun se plaisait à souligner l'efficacité." (p.100)
"[A la nomination de Turgot au ministère de la Marine], le clan des philosophes déclare carrément que la vertu est au pouvoir." (p.101)
"L'hostilité de Condorcet et Turgot envers Necker s'est exprimée dés 1773, lorsque le Genevois a fait l'éloge de Colbert et de sa politique de réglementation. A cette époque, ils sont presque les seuls à exprimer ce sentiment. Quand Turgot accède au Contrôle général, Necker demande à un ami commun, le comte d'Angivillier, de le lui faire connaître. A son étonnement, Turgot ne montre aucune envie de rencontrer le banquier." (p.126-127)
"Il est impossible de savoir avec certitude si Condorcet fut ou non maçon. La communauté des valeurs et les pressions amicales militent en faveur de son adhésion. Mme Helvétius, l'avocat Dupatry et Franklin mirent certainement toute leur énergie à convaincre un homme aussi prestigieux de les rejoindre. Lalande, Roucher ou l'avocat Élie de Beaumont également. Mais l'athéisme et le rationalisme militant de Condorcet ne s'accordent guère avec certains rites de la maçonnerie. On l'imagine mal dans une société secrète, faisant certains gestes d'initiation, même si ses plus proches amis les avaient accomplis avant lui. Surtout, ni Turgot, pourtant intimes des principaux maçons, ni d'Alembert n'avaient jamais adhéré à une loge. Quelque chose les en détourna qui relevait peut-être d'un rejet viscéral de tout ce qui pouvait rappeler le mysticisme. Le culte de la Raison était, pour les trois hommes, une religion sans rites qui ne pouvait se pratiquer qu'en pleine lumière." (p.160-161)
"[Marat] gardera une rancune particulière contre Condorcet qui avait contresigné le rapport de 1780. Après l'avoir traité de vaniteux et de "faquin littéraire", il l'accusera de vendra sa femme au plus offrant pour toucher des rentes confortables." (p.164-165)
"Locke, véritable fondateur de la philosophie moderne aux yeux de d'Alembert et de Condorcet." (p.165)
"Par la Déclaration de 1724, Louis XV interdisait toute assemblée pour l'exercice d'aucune religion autre que la catholique. La peine de mort était prononcée contre les prédicants. Était exclu de toutes fonctions publiques celui qui ne présentait pas une attestation de catholicité." (p.175)
"Brissot, jeune journaliste en mal de gloire que l'institution académique s'obstine à ne pas reconnaître, s'était converti au magnétisme, convaincu que c'était là une force révolutionnaire qui renverserait le despotisme. En vérité, Brissot, Carra et Marat ont rejoint le mesmérisme à cause de l'opposition de Mesmer aux corps académiques qu'eux-mêmes rendent responsables de leurs échecs dans les lettres ou les sciences." (p.189)
"Désintéressé, Condorcet avait épousé Sophie [de Grouchy] sans dot. [...] A peine installé quai Conti, Sophie donna vie au salon de l'Hôtel des Monnaies. Grâce à son charme et à son esprit, il devint le rendez-vous des philosophes et des savants de l'Europe éclairé. Adam Smith, qui avait rencontré Condorcet chez Turgot, vint saluer sa future traductrice. Beccaria, Anacharsis Clootz, David Williams, Jefferson, Bache, le petit-fils de Franklin, Etienne Dumont et Thomas Paine s'y retrouvaient. Les plus jeunes, de la génération de Sophie, venait écouter le dernier des encyclopédistes. C'étaient Cabanis, qui épousera la sœur de Sophie, Garat, Volney, Ginguené, Benjamin Constant, ceux qu'on appellera plus tard les idéologues. Chamfort, moraliste amer et cruel, y côtoyait le poète Chénier, toujours mélancolique, ou le poète Roucher, toujours de bonne humeur. La Fayette en était un pilier, et Beaumarchais y venait fréquemment parler aux Américains et mettre au point avec Condorcet la première édition des œuvres complètes de Voltaire." (p.216-218)
"L'hiver qui précéda les États généraux fut cruel au peuple. La récolte des céréales de 1788 avait été sévèrement compromise par les orages de l'été. [...] Le prix du pain s'envole. Dans les villes, le chômage règne." (p.255)
"Durant l'affrontement décisif de l'été 1789 entre le Tiers État et la Cour, Condorcet ne joua aucun rôle à Versailles et à Paris. Sans doute était-il informé de ce qui se passait aux États généraux par ses amis députés, La Fayette ou Montmorency, La Rochefoucauld ou Sieyès, et par ceux qu'il rencontrait au Club de Valois." (p.265)
"Il a vécu ces journées décisives, du samedi 11 au vendredi 17 juillet 1789, comme des milliers de spectateurs ou d'acteurs anonymes. L'Histoire ne lui a même pas adressé ces jours-là de clin d'œil complice, comme à Brissot auquel on remit les clefs de la Bastille, ou Danton, nommé commandant provisoire de la forteresse, bien que ni l'un ni l'autre n'eussent figuré parmi les combattants." (p.267)
"Le Roi fait traîner la promulgation des décrets des 5-11 août, destructeurs de la féodalité. Signe plus inquiétant encore: il rappelle à Versailles le régiment de Flandre. La Garde nationale s'en irrite, les patriotes s'inquiètent. Paris se sent menacé comme en juillet. Le 23 septembre, Condorcet est désigné avec trois autres commissaires de la Commune pour faire rapport sur les mouvements de troupes vers la capitale. Le 30, il fait partie d'une délégation qui se rend à l'Assemblée nationale pour y conférer des mesures à prendre.
La municipalité de Paris va vivre des heures difficiles. Après le scandale du banquet donné le 1er octobre aux officiers du régiment de Flandre à Versailles, l'émotion et la colère grandissent. Le 5 octobre au matin, le tocsin sonne, appelant Condorcet, comme tous les représentants de la Commune, à se rendre à l'Hôtel de Ville assiégé par une foule de femmes conduites par quelques agitateurs. On connaît la suite: la marche sur Versailles, le château forcé à l'aube, le Roi et sa famille contraint de le quitter et gagnant Paris, sous la pluie d'automne, au milieu d'une foule en liesse. Le cortège parvient à l'Hôtel de Ville à huit heures du soir. Des applaudissements accueillent le Roi dans la Grand-Salle. Condorcet est là, parmi les représentants de la Commune. Il voit face à face le Roi humilié et le peuple qui l'acclame. Des deux protagonistes, à cet instant réunis et réconciliés, il peut mesurer lequel est à présent réellement le souverain." (p.273-274)
"Depuis Colbert, seuls les navires français pouvaient transporter les esclaves noirs d'Afrique aux Antilles. En 1787, ce trafic occupait 92 bâtiments jaugeant ensemble 32 528 tonnes. La vente de 30 839 Noirs produisait 41 912 000 livres. D'après les livres de comptes d'un armateur négrier, le profit net par tête de Noir était de 223 livres, soit pour l'année 1787, un bénéfice global de 6 876 097 livres. Le trafic étant d'autant plus prospère que l'Etat le soutenait par des primes: 2 400 000 livres en 1786. Les armateurs des grands ports, Nantes, Bordeaux, Marseille, Le Havre, étaient très engagés dans la traite." (p.291-292)
"Condorcet ne peut donc envisager qu'avec la plus grande méfiance l'émission par l'Etat d'une masse d'assignats ayant cours forcé et servant à financer le déficit courant du Trésor. Une telle création de papier-monnaie lui paraît source d'un déséquilibre qui ne peut, à terme, qu'engendrer un désastre pour la Révolution. [...] Il dénonce l'inévitable inflation. En septembre 1791, les assignats crées en novembre 1789 ont déjà perdu 6% de leur valeur, alors qu'ils ont été émis à concurrence de 400 millions et portent intérêt. Avec la création de 2 milliards d'assignats sans intérêt, leur cours ne peut que s'effondrer, et les prix monter." (p.312)
"Dans une vieille et grande nation qui n'avait jamais connu que la monarchie, sans doute était-ce la sagesse que d'élaborer une Constitution garantissant les droits des citoyens sans supprimer la royauté. Telle était la conviction de Condorcet aux premiers temps de la Révolution. Mais, à mesure que celle-ci se déroulait, sa pensée se faisait plus exigeante. Aucun argument d'opportunité ou d'intérêt politique ne lui paraissait répondre à ces questions: comment concilier la Déclaration des Droits de l'homme, proclamant l'égalité des citoyens, et l'existence d'un Roi ? Comment affirmer que toute souveraineté émane du peuple et confier le pouvoir exécutif à un monarque héréditaire ? La raison, qui a découvert les Droits de l'homme, ne peut se satisfaire de la royauté. Et seule la République est à même de consacrer les Droits de l'homme." (p.326-327)
"Nul n'a oublié qu'en juillet 1791 il s'est déclaré républicain, comme Brissot, et plus fermement encore. Dans une Assemblée résolument monarchiste, même si elle n'a foi qu'en la monarchie constitutionnelle, Condorcet fait figure de doctrinaire, sinon d'extrémiste. Mais on le sait légaliste, hostile à toute violence révolutionnaire." (p.355)
"Pour Condorcet, cette guerre conduite par un peuple libre pour sauver sa liberté ne doit ressembler à aucune autre. La guerre en Europe a été jusque-là jeu de rois, affaire de professionnels, voire de mercenaires étrangers. Celle qui va éclater doit être, pour la France de la Révolution, la lutte d'une Nation libre contre les rois qui la menacent, et non pas celle d'un peuple contre ses frères. A la déclaration de guerre contre les souverains doit faire écho une déclaration de paix aux peuples. Condorcet la soumet le 29 décembre [1791] à l'Assemblée Législative." (p.378)
"Sans preuves, Condorcet accuse Robespierre et ses amis d'être payés par la Cour pour faire leur besogne. Sans doute l'obsession de la trahison et de la corruption hante-t-elle les esprits. On voit partout l'or du Roi, semé à profusion dans les rangs des révolutionnaires. [...] Que Condorcet s'abandonne à la diffamation montre que la passion politique l'emporte à son tour. [...] Pas plus qu'il n'épargnera Brissot, Robespierre ne pardonnera à Condorcet." (p.408-409)
"Le 27 août [1792], sur proposition de Robespierre, la Commune prend un arrêté astreignant les électeurs de Paris à voter à haute voix en présence du public lors des élections à la Convention. Le choix des députés sera ensuite soumis à la révision éventuelle des assemblées primaires des sections. Cet arrêté, parfaitement illégal, place les élections sous la haute surveillance de la Commune. Il assure sa victoire à Paris, dont Brissot et Condorcet sont députés. Que l'exemple soit suivi dans les villes où les Jacobins se sont implantés, et la Convention risque d'être contrôlée par Robespierre et ses amis." (p.467-468)
"Curieusement, Robespierre rejoint Condorcet tout en différant radicalement de lui. Pour l'un comme pour l'autre, la Convention ne peut juger le Roi, parce qu'elle est une assemblée politique. Mais alors que Condorcet souhaite un procès conduit devant des juges impartiaux désignés par la Nation et respectant tous les principes du Droit, Robespierre demande à la Convention de décider souverainement du sort du Roi, sans aucun procès. Deux logiques s'opposent, l'une reposant sur l'exigence du salut public et la seule appréciation politique, l'autre sur la nécessité de respecter le Droit, même dans cette circonstance exceptionnelle.
La Convention n'entend point l'opinion de Condorcet. Après la réplique de Pétion à Robespierre, elle décrète que Louis Capet sera jugé par la Convention nationale, et clôt la discussion." (p.519)
"La bataille politique entre Montagnards et Girondins s'est déjà transportée sur le terrain constitutionnel. Après leur victoire dans le procès du Roi, les Montagnards se sentent le vent en poupe. Ils s'estiment à présent en mesure de contrôler la Convention. Or le vote d'une Constitution signifierait la dissolution de celle-ci et de nouvelles élections qu'ils sont loin d'être assurés de remporter. Pour des raisons exactement inverses, les Girondins ont un intérêt majeur à ce qu'une Constitution soit votée dans les meilleurs délais, afin que disparaisse la Convention au profit d'une nouvelle assemblée. Dès lors, le problème politique n'est plus d'apprécier les mérites intrinsèques du projet de Condorcet, mais, pour les Montagnards d'interdire qu'il soit voté, et pour les Girondins de le soutenir afin d'en finir avec cette assemblée que dominent leurs adversaires." (p.542)
"Le 24 avril [1793], Robespierre intervient longuement. Il refuse au droit de propriété son caractère absolu. Il réclame la progressivité de l'impôt. Il revendique, par-delà le droit aux secours, le droit au travail." (p.558)
-Robert et Élisabeth Badinter, Condorcet, un intellectuel en politique, 1988, Fayard, 659 pages.
"Notre esprit militaire n'est pas la passion de défendre jusqu'à la mort ses amis et sa patrie, c'est la science de détruire les hommes, d'en faire des esclaves prêts à égorger qui on voudra au premier coup de tambour, d'anéantir tous les sentiments moraux pour y subsister l'obéissance machinale." -Nicolas de Condorcet, Lettre à Mme Suard, fin juillet-début août 1772.
"Il n'y a rien à craindre pour le peuple que le peuple lui-même, et il n'a pour ennemis que les bavards qui, de bonne ou mauvaise foi, font en sa faveur d'éloquents plaidoyers."
-Nicolas de Condorcet, Lettre à Mme Suard, octobre 1789.
"La Nation française ne cessera pas de voir un peuple ami dans les habitants des pays occupés...Ses soldats se conduiront sur une terre étrangère comme ils se conduiraient sur celle de leur patrie s'ils étaient forcés d'y combattre. Les maux involontaires que ses troupes auraient fait éprouver aux citoyens seront réparés...Elle présentera au monde le spectacle d'une Nation vraiment libre..., respectant partout, en tout temps, à l'égard de tous les hommes, les droits qui sont les mêmes pour tous...Voilà quelle est la guerre que les Français déclareront à leurs ennemis."
-Nicolas de Condorcet, à l'Assemblée Législative, 29 décembre 1971.
"Chaque Nation a seule le pouvoir de se donner des lois et le droit inaliénable de les changer."
-Nicolas de Condorcet, Projet d'une exposition des motifs qui ont déterminé l'Assemblée nationale sur la proposition formelle du Roi qu'il y a lieu de déclarer la guerre au Roi de Bohême et de Hongrie, Œuvres, X, pp.443 et suivantes.
"N'oubliez jamais, Sire, que c'est la faiblesse qui a mis la tête de Charles Ier sur le billot."
-Turgot, Lettre de démission à l'adresse de Louis XVI, 30 avril 1776.
"Jamais une injustice ne peut être un motif d'en commettre une autre."
-Nicolas de Condorcet, cité dans Condorcet, un intellectuel en politique, par Robert et Élisabeth Badinter, 1988, Fayard, 659 pages.
"Étranger à tout parti, m'occupant à juger les choses et les hommes avec ma raison et non avec mes passions, je continuerai de chercher la vérité et de la dire."
-Nicolas de Condorcet, cité dans Condorcet, un intellectuel en politique, par Robert et Élisabeth Badinter, 1988, Fayard, 659 pages.
"Au bout de deux années de vaines luttes, la famille de Condorcet rendit les armes et accepta qu'il s'en retournât à Paris pour faire carrière de mathématicien. La réprobation familiale n'avait pas désarmé pour autant. Bien longtemps après, fin 1774, Condorcet sollicitera Turgot pour un membre de sa famille en ces termes: "Un de mes parents paternels que j'aime fort et le seul qui jusqu'ici m'ait pardonné de n'être point capitaine de cavalerie." (p.25)
"Sans aller jusqu'à prétendre, comme Michelet, que Condorcet n'aurait connu les joies de l'amour qu'au soir du 14 juillet 1789 -dans l'exaltation de la prise de la Bastille-, il est effectivement "très vraisemblable qu'il était encore parfaitement pur à vingt-six ans", c'est-à-dire en 1770. Il ne s'en réfugiait que davantage dans le travail intellectuel." (p.46)
"Très tôt, [Condorcet] manifestera sa haine de l'argent et sa méfiance à l'égard des puissants, encore renforcées par l'expérience vécue sous le ministère de Turgot. Fidèle à l'exemple de d'Alembert, il saura garder ses distances. Et, contrairement aux mensonges propagés par ses ennemis durant la Révolution, nul ne l'aura jamais vu faire sa cour à Versailles." (p.51)
"Toute sa vie se partagea entre la réflexion sur les principes et le combat pour les imposer. Il est donc insuffisant de définir Condorcet comme ayant été successivement un grand savant, puis un homme politique. A ses yeux, on ne pouvait séparer Raison et Justice, disjoindre la science de la politique. C'eût été contraire à sa morale." (p.60-61)
"Condorcet et surtout d'Alembert n'ont jamais cessé de défendre Rousseau contre la colère de Voltaire." (p.68)
"D'Alembert croyait à la nécessité d'une Religion révélée, Voltaire au Dieu mécanicien, bon horloger, et Turgot aux causes finales. Condorcet combat toutes ces notions avec la même passion. Il n'a foi qu'en la raison, et croit que l'instruction peut exercer une influence absolue sur les hommes. De tous les philosophes des Lumières, il est le représentant le plus radical du rationalisme. Pour lui, les seuls obstacles au bonheur de l'homme s'appellent préjugés, intolérance, superstition. Il suffit donc d'instruire le peuple et de développer la raison de chacun pour mettre un terme au malheur public. Dans cette optique, toute idée de Dieu devient inutile, toute notion d'Église dangereuse, parce qu'elle crée ou perpétue des préjugés dont la persistance nuit à la rapidité du progrès. Au demeurant, la tolérance étant à ses yeux une valeur aussi sacrée que la raison, il s'engagea personnellement aux côtés des protestants pour l'on cesse de les persécuter. Selon lui, c'est le droit absolu de chacun de penser selon ses convictions. Et tant que les cultes -quels qu'ils soient- compteront des fidèles, ils seront légitimes. Nul ne saurait interdire la célébration: "L'erreur, tout comme la vérité, à droit à la liberté". Ainsi Condorcet plaint les croyants, mais n'a pour eux ni mépris, ni haine. Les pratiques religieuses n'ont, en soi, rien qui l'indigne ; ce n'est pas la religion, c'est le Clergé qu'il déteste. Selon lui, il suffit d'être patient. En vertu de la perfectibilité de la raison humaine, le jour viendra nécessairement où les hommes n'auront plus besoin des béquilles de la religion. Telle est la profonde conviction du rationaliste Condorcet." (p.84-85)
"Sans appui véritable à la Cour, Turgot était un homme seul qui ne devait sa réputation qu'à son courage, à son intégrité et à son travail d'intendant dont chacun se plaisait à souligner l'efficacité." (p.100)
"[A la nomination de Turgot au ministère de la Marine], le clan des philosophes déclare carrément que la vertu est au pouvoir." (p.101)
"L'hostilité de Condorcet et Turgot envers Necker s'est exprimée dés 1773, lorsque le Genevois a fait l'éloge de Colbert et de sa politique de réglementation. A cette époque, ils sont presque les seuls à exprimer ce sentiment. Quand Turgot accède au Contrôle général, Necker demande à un ami commun, le comte d'Angivillier, de le lui faire connaître. A son étonnement, Turgot ne montre aucune envie de rencontrer le banquier." (p.126-127)
"Il est impossible de savoir avec certitude si Condorcet fut ou non maçon. La communauté des valeurs et les pressions amicales militent en faveur de son adhésion. Mme Helvétius, l'avocat Dupatry et Franklin mirent certainement toute leur énergie à convaincre un homme aussi prestigieux de les rejoindre. Lalande, Roucher ou l'avocat Élie de Beaumont également. Mais l'athéisme et le rationalisme militant de Condorcet ne s'accordent guère avec certains rites de la maçonnerie. On l'imagine mal dans une société secrète, faisant certains gestes d'initiation, même si ses plus proches amis les avaient accomplis avant lui. Surtout, ni Turgot, pourtant intimes des principaux maçons, ni d'Alembert n'avaient jamais adhéré à une loge. Quelque chose les en détourna qui relevait peut-être d'un rejet viscéral de tout ce qui pouvait rappeler le mysticisme. Le culte de la Raison était, pour les trois hommes, une religion sans rites qui ne pouvait se pratiquer qu'en pleine lumière." (p.160-161)
"[Marat] gardera une rancune particulière contre Condorcet qui avait contresigné le rapport de 1780. Après l'avoir traité de vaniteux et de "faquin littéraire", il l'accusera de vendra sa femme au plus offrant pour toucher des rentes confortables." (p.164-165)
"Locke, véritable fondateur de la philosophie moderne aux yeux de d'Alembert et de Condorcet." (p.165)
"Par la Déclaration de 1724, Louis XV interdisait toute assemblée pour l'exercice d'aucune religion autre que la catholique. La peine de mort était prononcée contre les prédicants. Était exclu de toutes fonctions publiques celui qui ne présentait pas une attestation de catholicité." (p.175)
"Brissot, jeune journaliste en mal de gloire que l'institution académique s'obstine à ne pas reconnaître, s'était converti au magnétisme, convaincu que c'était là une force révolutionnaire qui renverserait le despotisme. En vérité, Brissot, Carra et Marat ont rejoint le mesmérisme à cause de l'opposition de Mesmer aux corps académiques qu'eux-mêmes rendent responsables de leurs échecs dans les lettres ou les sciences." (p.189)
"Désintéressé, Condorcet avait épousé Sophie [de Grouchy] sans dot. [...] A peine installé quai Conti, Sophie donna vie au salon de l'Hôtel des Monnaies. Grâce à son charme et à son esprit, il devint le rendez-vous des philosophes et des savants de l'Europe éclairé. Adam Smith, qui avait rencontré Condorcet chez Turgot, vint saluer sa future traductrice. Beccaria, Anacharsis Clootz, David Williams, Jefferson, Bache, le petit-fils de Franklin, Etienne Dumont et Thomas Paine s'y retrouvaient. Les plus jeunes, de la génération de Sophie, venait écouter le dernier des encyclopédistes. C'étaient Cabanis, qui épousera la sœur de Sophie, Garat, Volney, Ginguené, Benjamin Constant, ceux qu'on appellera plus tard les idéologues. Chamfort, moraliste amer et cruel, y côtoyait le poète Chénier, toujours mélancolique, ou le poète Roucher, toujours de bonne humeur. La Fayette en était un pilier, et Beaumarchais y venait fréquemment parler aux Américains et mettre au point avec Condorcet la première édition des œuvres complètes de Voltaire." (p.216-218)
"L'hiver qui précéda les États généraux fut cruel au peuple. La récolte des céréales de 1788 avait été sévèrement compromise par les orages de l'été. [...] Le prix du pain s'envole. Dans les villes, le chômage règne." (p.255)
"Durant l'affrontement décisif de l'été 1789 entre le Tiers État et la Cour, Condorcet ne joua aucun rôle à Versailles et à Paris. Sans doute était-il informé de ce qui se passait aux États généraux par ses amis députés, La Fayette ou Montmorency, La Rochefoucauld ou Sieyès, et par ceux qu'il rencontrait au Club de Valois." (p.265)
"Il a vécu ces journées décisives, du samedi 11 au vendredi 17 juillet 1789, comme des milliers de spectateurs ou d'acteurs anonymes. L'Histoire ne lui a même pas adressé ces jours-là de clin d'œil complice, comme à Brissot auquel on remit les clefs de la Bastille, ou Danton, nommé commandant provisoire de la forteresse, bien que ni l'un ni l'autre n'eussent figuré parmi les combattants." (p.267)
"Le Roi fait traîner la promulgation des décrets des 5-11 août, destructeurs de la féodalité. Signe plus inquiétant encore: il rappelle à Versailles le régiment de Flandre. La Garde nationale s'en irrite, les patriotes s'inquiètent. Paris se sent menacé comme en juillet. Le 23 septembre, Condorcet est désigné avec trois autres commissaires de la Commune pour faire rapport sur les mouvements de troupes vers la capitale. Le 30, il fait partie d'une délégation qui se rend à l'Assemblée nationale pour y conférer des mesures à prendre.
La municipalité de Paris va vivre des heures difficiles. Après le scandale du banquet donné le 1er octobre aux officiers du régiment de Flandre à Versailles, l'émotion et la colère grandissent. Le 5 octobre au matin, le tocsin sonne, appelant Condorcet, comme tous les représentants de la Commune, à se rendre à l'Hôtel de Ville assiégé par une foule de femmes conduites par quelques agitateurs. On connaît la suite: la marche sur Versailles, le château forcé à l'aube, le Roi et sa famille contraint de le quitter et gagnant Paris, sous la pluie d'automne, au milieu d'une foule en liesse. Le cortège parvient à l'Hôtel de Ville à huit heures du soir. Des applaudissements accueillent le Roi dans la Grand-Salle. Condorcet est là, parmi les représentants de la Commune. Il voit face à face le Roi humilié et le peuple qui l'acclame. Des deux protagonistes, à cet instant réunis et réconciliés, il peut mesurer lequel est à présent réellement le souverain." (p.273-274)
"Depuis Colbert, seuls les navires français pouvaient transporter les esclaves noirs d'Afrique aux Antilles. En 1787, ce trafic occupait 92 bâtiments jaugeant ensemble 32 528 tonnes. La vente de 30 839 Noirs produisait 41 912 000 livres. D'après les livres de comptes d'un armateur négrier, le profit net par tête de Noir était de 223 livres, soit pour l'année 1787, un bénéfice global de 6 876 097 livres. Le trafic étant d'autant plus prospère que l'Etat le soutenait par des primes: 2 400 000 livres en 1786. Les armateurs des grands ports, Nantes, Bordeaux, Marseille, Le Havre, étaient très engagés dans la traite." (p.291-292)
"Condorcet ne peut donc envisager qu'avec la plus grande méfiance l'émission par l'Etat d'une masse d'assignats ayant cours forcé et servant à financer le déficit courant du Trésor. Une telle création de papier-monnaie lui paraît source d'un déséquilibre qui ne peut, à terme, qu'engendrer un désastre pour la Révolution. [...] Il dénonce l'inévitable inflation. En septembre 1791, les assignats crées en novembre 1789 ont déjà perdu 6% de leur valeur, alors qu'ils ont été émis à concurrence de 400 millions et portent intérêt. Avec la création de 2 milliards d'assignats sans intérêt, leur cours ne peut que s'effondrer, et les prix monter." (p.312)
"Dans une vieille et grande nation qui n'avait jamais connu que la monarchie, sans doute était-ce la sagesse que d'élaborer une Constitution garantissant les droits des citoyens sans supprimer la royauté. Telle était la conviction de Condorcet aux premiers temps de la Révolution. Mais, à mesure que celle-ci se déroulait, sa pensée se faisait plus exigeante. Aucun argument d'opportunité ou d'intérêt politique ne lui paraissait répondre à ces questions: comment concilier la Déclaration des Droits de l'homme, proclamant l'égalité des citoyens, et l'existence d'un Roi ? Comment affirmer que toute souveraineté émane du peuple et confier le pouvoir exécutif à un monarque héréditaire ? La raison, qui a découvert les Droits de l'homme, ne peut se satisfaire de la royauté. Et seule la République est à même de consacrer les Droits de l'homme." (p.326-327)
"Nul n'a oublié qu'en juillet 1791 il s'est déclaré républicain, comme Brissot, et plus fermement encore. Dans une Assemblée résolument monarchiste, même si elle n'a foi qu'en la monarchie constitutionnelle, Condorcet fait figure de doctrinaire, sinon d'extrémiste. Mais on le sait légaliste, hostile à toute violence révolutionnaire." (p.355)
"Pour Condorcet, cette guerre conduite par un peuple libre pour sauver sa liberté ne doit ressembler à aucune autre. La guerre en Europe a été jusque-là jeu de rois, affaire de professionnels, voire de mercenaires étrangers. Celle qui va éclater doit être, pour la France de la Révolution, la lutte d'une Nation libre contre les rois qui la menacent, et non pas celle d'un peuple contre ses frères. A la déclaration de guerre contre les souverains doit faire écho une déclaration de paix aux peuples. Condorcet la soumet le 29 décembre [1791] à l'Assemblée Législative." (p.378)
"Sans preuves, Condorcet accuse Robespierre et ses amis d'être payés par la Cour pour faire leur besogne. Sans doute l'obsession de la trahison et de la corruption hante-t-elle les esprits. On voit partout l'or du Roi, semé à profusion dans les rangs des révolutionnaires. [...] Que Condorcet s'abandonne à la diffamation montre que la passion politique l'emporte à son tour. [...] Pas plus qu'il n'épargnera Brissot, Robespierre ne pardonnera à Condorcet." (p.408-409)
"Le 27 août [1792], sur proposition de Robespierre, la Commune prend un arrêté astreignant les électeurs de Paris à voter à haute voix en présence du public lors des élections à la Convention. Le choix des députés sera ensuite soumis à la révision éventuelle des assemblées primaires des sections. Cet arrêté, parfaitement illégal, place les élections sous la haute surveillance de la Commune. Il assure sa victoire à Paris, dont Brissot et Condorcet sont députés. Que l'exemple soit suivi dans les villes où les Jacobins se sont implantés, et la Convention risque d'être contrôlée par Robespierre et ses amis." (p.467-468)
"Curieusement, Robespierre rejoint Condorcet tout en différant radicalement de lui. Pour l'un comme pour l'autre, la Convention ne peut juger le Roi, parce qu'elle est une assemblée politique. Mais alors que Condorcet souhaite un procès conduit devant des juges impartiaux désignés par la Nation et respectant tous les principes du Droit, Robespierre demande à la Convention de décider souverainement du sort du Roi, sans aucun procès. Deux logiques s'opposent, l'une reposant sur l'exigence du salut public et la seule appréciation politique, l'autre sur la nécessité de respecter le Droit, même dans cette circonstance exceptionnelle.
La Convention n'entend point l'opinion de Condorcet. Après la réplique de Pétion à Robespierre, elle décrète que Louis Capet sera jugé par la Convention nationale, et clôt la discussion." (p.519)
"La bataille politique entre Montagnards et Girondins s'est déjà transportée sur le terrain constitutionnel. Après leur victoire dans le procès du Roi, les Montagnards se sentent le vent en poupe. Ils s'estiment à présent en mesure de contrôler la Convention. Or le vote d'une Constitution signifierait la dissolution de celle-ci et de nouvelles élections qu'ils sont loin d'être assurés de remporter. Pour des raisons exactement inverses, les Girondins ont un intérêt majeur à ce qu'une Constitution soit votée dans les meilleurs délais, afin que disparaisse la Convention au profit d'une nouvelle assemblée. Dès lors, le problème politique n'est plus d'apprécier les mérites intrinsèques du projet de Condorcet, mais, pour les Montagnards d'interdire qu'il soit voté, et pour les Girondins de le soutenir afin d'en finir avec cette assemblée que dominent leurs adversaires." (p.542)
"Le 24 avril [1793], Robespierre intervient longuement. Il refuse au droit de propriété son caractère absolu. Il réclame la progressivité de l'impôt. Il revendique, par-delà le droit aux secours, le droit au travail." (p.558)
-Robert et Élisabeth Badinter, Condorcet, un intellectuel en politique, 1988, Fayard, 659 pages.
"Notre esprit militaire n'est pas la passion de défendre jusqu'à la mort ses amis et sa patrie, c'est la science de détruire les hommes, d'en faire des esclaves prêts à égorger qui on voudra au premier coup de tambour, d'anéantir tous les sentiments moraux pour y subsister l'obéissance machinale." -Nicolas de Condorcet, Lettre à Mme Suard, fin juillet-début août 1772.
"Il n'y a rien à craindre pour le peuple que le peuple lui-même, et il n'a pour ennemis que les bavards qui, de bonne ou mauvaise foi, font en sa faveur d'éloquents plaidoyers."
-Nicolas de Condorcet, Lettre à Mme Suard, octobre 1789.
"La Nation française ne cessera pas de voir un peuple ami dans les habitants des pays occupés...Ses soldats se conduiront sur une terre étrangère comme ils se conduiraient sur celle de leur patrie s'ils étaient forcés d'y combattre. Les maux involontaires que ses troupes auraient fait éprouver aux citoyens seront réparés...Elle présentera au monde le spectacle d'une Nation vraiment libre..., respectant partout, en tout temps, à l'égard de tous les hommes, les droits qui sont les mêmes pour tous...Voilà quelle est la guerre que les Français déclareront à leurs ennemis."
-Nicolas de Condorcet, à l'Assemblée Législative, 29 décembre 1971.
"Chaque Nation a seule le pouvoir de se donner des lois et le droit inaliénable de les changer."
-Nicolas de Condorcet, Projet d'une exposition des motifs qui ont déterminé l'Assemblée nationale sur la proposition formelle du Roi qu'il y a lieu de déclarer la guerre au Roi de Bohême et de Hongrie, Œuvres, X, pp.443 et suivantes.
"N'oubliez jamais, Sire, que c'est la faiblesse qui a mis la tête de Charles Ier sur le billot."
-Turgot, Lettre de démission à l'adresse de Louis XVI, 30 avril 1776.