http://www.institutcoppet.org/wp-content/uploads/2012/06/Droit-et-r%C3%A9volution.pdf
"Jean de Salisbury (1115-1180) avait été un étudiant d'Abélard. Son Policraticus (1159) présentait deux sortes de gouvernants, « l'un agit en respectant le Droit, l'autre règne par la force, c'est un tyran par qui les lois sont anéanties et les peuples réduits en servitude. Bien que les desseins de Dieu puissent être servis par des ordres mauvais, certaines choses sont tellement détestables que nul commandement ne peut les justifier ou les rendre admissibles (. . .) Si le prince résiste et s'oppose aux commandements divins, s'il désire me faire participer à sa guerre contre Dieu, alors à pleine voix je dois répondre que Dieu doit être préféré à tout homme sur la terre ». Jean de Salisbury déclare que pour servir loyalement le Droit, l'on doit tuer le gouvernant qui ne s'y conforme pas « Tuer un tyran est non seulement légitime, mais bon et juste. Car celui qui se sert de l'épée périra par l'épée. Par conséquent, le Droit admet de recourir aux armes contre celui qui les enlève aux lois, et la force du public se dresse avec fureur contre celui qui prétend annihiler sa puissance légitime. Et s'il y a nombre d'actions qui équivalent à un crime de lèse-majesté, il n'en est pas de plus grave que celle qui porte atteinte au corps même de la justice. La tyrannie est donc non seulement un crime public mais, si la chose était possible, pire que public. Et si devant un crime de lèse-majesté, tout homme est admis à se comporter en procureur, combien davantage cela doit-il être vrai devant le crime de renverser les lois qui doivent s'imposer même à des empereurs ? Assurément, personne ne voudra dé-fendre un ennemi public mais plutôt quiconque ne cherche pas à le faire punir se porte tort à soi-même et au corps entier de la communauté temporelle ». Jean de Salisbury fut, à partir de 1150, secrétaire de Théobald, archevêque de Canterbury, et à sa mort, en 1 161, secrétaire de son successeur, Thomas Becket. Il le suivit dans son exil en France pendant l'opposition de Henri II l'Angevin aux coutumes de l'Eglise. Thomas et Jean retournèrent à Canterbury en 1170 et Jean assista au meurtre de Thomas par les chevaliers normands. Jean devint évêque de Chartres en 1176. Les lettres de Jean apportent une compréhension du conflit constitutionnel entre Henri II et Thomas Becket. Le Policraticus constitua un lien entre la révolution grégorienne et la Magna Carla, la Grande Charte imposée en 1215 au successeur de Henri Il, le roi Jean ("Sans Terre") par un nouvel archevêque de Canterbury, Stephen Langton. Berman remarque à propos de Jean de Salisbury que "Par sa conception d'une loi suprême s'imposant au gouvernant le plus élevé, il était le précurseur de la suprématie judiciaire formulée par Sir Edward Coke; et sa doctrine selon laquelle, dans la mesure où les hommes rejettent le péché et vivent uniquement par la grâce, ils n'ont pas besoin de gouvernement" anticipait sur des écrivains chrétiens postérieurs. La pensée politique de Saint Thomas d'Aquin adjoignait (en 1266) la Politique d'Aristote, récemment traduite de l'arabe (1260), à Jean de Salisbury."
-Leonard P. Liggio, préface à Harold J. Berman, Droit et révolution, Librairie de l'Université d'Aix en Provence, trad. Raoul Audouin, 2002 (1983 pour la première édition états-unienne), 684 pages, p.IX-X.
"Que nous soyons au terme d'une ère historique, n'est pas démontrable scientifiquement. On le ressent ou on ne le ressent pas. L'on sait d'intuition que les vieilles images, comme dit Archibald Mac Leish dans La métaphore, ont perdu leur sens:
Un monde finit lorsque sa métaphore est morte,
Une ère devient une ère passée, et tout le reste avec elle,
Lorsque les poètes sensibles, inventent dans leur vanité
Des emblèmes, pour séduire les âmes, qui énoncent
Des significations que jamais les hommes ne connaissent
Mais que les images créées par des hommes peuvent montrer.
Elle périt lorsque ces images quoique vues
Ont perdu leur sens.
Parce que notre ère touche à sa fin, nous sommes en mesure d'en discerner les origines, nous savons de quoi nous cherchons le début. Au milieu d'une ère, lorsque sa fin n'est pas en vue, le commencement aussi se dérobe à nos yeux. En fait, l'histoire présente les apparences, disait Maitland, d'un tissu sans couture. Mais maintenant que notre civilisation est toute développée devant nous, il est plus facile d'identifier les phases révolutionnaires du passé." (p.XI)
-Harold J. Berman, préface à Droit et révolution, Librairie de l'Université d'Aix en Provence, trad. Raoul Audouin, 2002 (1983 pour la première édition états-unienne), 684 pages.
[Introduction]
"Ce livre raconte l'histoire suivante: Il y avait une fois une civilisation appelée « occidentale », elle avait élaboré des institutions spécifiques dites « juridiques » (legal) avec des valeurs et concepts propres. Ces institutions, valeurs et concepts furent intentionnellement transmis de génération en génération durant des siècles, constituant ainsi une « tradition ». Cette tradition juridique occidentale était issue d'une « révolution ». Par la suite, au cours de nombreux siècles, elle a été périodiquement interrompue et transformée par des révolutions et, au vingtième siècle, cette tradition juridique se trouve dans une crise révolutionnaire plus grave qu'aucune des précédentes: certains pensent que cette crise signifie virtuellement son extinction."(p.17)
-Harold J. Berman, Droit et révolution, Librairie de l'Université d'Aix en Provence, trad. Raoul Audouin, 2002 (1983 pour la première édition états-unienne), 684 pages.
"Jean de Salisbury (1115-1180) avait été un étudiant d'Abélard. Son Policraticus (1159) présentait deux sortes de gouvernants, « l'un agit en respectant le Droit, l'autre règne par la force, c'est un tyran par qui les lois sont anéanties et les peuples réduits en servitude. Bien que les desseins de Dieu puissent être servis par des ordres mauvais, certaines choses sont tellement détestables que nul commandement ne peut les justifier ou les rendre admissibles (. . .) Si le prince résiste et s'oppose aux commandements divins, s'il désire me faire participer à sa guerre contre Dieu, alors à pleine voix je dois répondre que Dieu doit être préféré à tout homme sur la terre ». Jean de Salisbury déclare que pour servir loyalement le Droit, l'on doit tuer le gouvernant qui ne s'y conforme pas « Tuer un tyran est non seulement légitime, mais bon et juste. Car celui qui se sert de l'épée périra par l'épée. Par conséquent, le Droit admet de recourir aux armes contre celui qui les enlève aux lois, et la force du public se dresse avec fureur contre celui qui prétend annihiler sa puissance légitime. Et s'il y a nombre d'actions qui équivalent à un crime de lèse-majesté, il n'en est pas de plus grave que celle qui porte atteinte au corps même de la justice. La tyrannie est donc non seulement un crime public mais, si la chose était possible, pire que public. Et si devant un crime de lèse-majesté, tout homme est admis à se comporter en procureur, combien davantage cela doit-il être vrai devant le crime de renverser les lois qui doivent s'imposer même à des empereurs ? Assurément, personne ne voudra dé-fendre un ennemi public mais plutôt quiconque ne cherche pas à le faire punir se porte tort à soi-même et au corps entier de la communauté temporelle ». Jean de Salisbury fut, à partir de 1150, secrétaire de Théobald, archevêque de Canterbury, et à sa mort, en 1 161, secrétaire de son successeur, Thomas Becket. Il le suivit dans son exil en France pendant l'opposition de Henri II l'Angevin aux coutumes de l'Eglise. Thomas et Jean retournèrent à Canterbury en 1170 et Jean assista au meurtre de Thomas par les chevaliers normands. Jean devint évêque de Chartres en 1176. Les lettres de Jean apportent une compréhension du conflit constitutionnel entre Henri II et Thomas Becket. Le Policraticus constitua un lien entre la révolution grégorienne et la Magna Carla, la Grande Charte imposée en 1215 au successeur de Henri Il, le roi Jean ("Sans Terre") par un nouvel archevêque de Canterbury, Stephen Langton. Berman remarque à propos de Jean de Salisbury que "Par sa conception d'une loi suprême s'imposant au gouvernant le plus élevé, il était le précurseur de la suprématie judiciaire formulée par Sir Edward Coke; et sa doctrine selon laquelle, dans la mesure où les hommes rejettent le péché et vivent uniquement par la grâce, ils n'ont pas besoin de gouvernement" anticipait sur des écrivains chrétiens postérieurs. La pensée politique de Saint Thomas d'Aquin adjoignait (en 1266) la Politique d'Aristote, récemment traduite de l'arabe (1260), à Jean de Salisbury."
-Leonard P. Liggio, préface à Harold J. Berman, Droit et révolution, Librairie de l'Université d'Aix en Provence, trad. Raoul Audouin, 2002 (1983 pour la première édition états-unienne), 684 pages, p.IX-X.
"Que nous soyons au terme d'une ère historique, n'est pas démontrable scientifiquement. On le ressent ou on ne le ressent pas. L'on sait d'intuition que les vieilles images, comme dit Archibald Mac Leish dans La métaphore, ont perdu leur sens:
Un monde finit lorsque sa métaphore est morte,
Une ère devient une ère passée, et tout le reste avec elle,
Lorsque les poètes sensibles, inventent dans leur vanité
Des emblèmes, pour séduire les âmes, qui énoncent
Des significations que jamais les hommes ne connaissent
Mais que les images créées par des hommes peuvent montrer.
Elle périt lorsque ces images quoique vues
Ont perdu leur sens.
Parce que notre ère touche à sa fin, nous sommes en mesure d'en discerner les origines, nous savons de quoi nous cherchons le début. Au milieu d'une ère, lorsque sa fin n'est pas en vue, le commencement aussi se dérobe à nos yeux. En fait, l'histoire présente les apparences, disait Maitland, d'un tissu sans couture. Mais maintenant que notre civilisation est toute développée devant nous, il est plus facile d'identifier les phases révolutionnaires du passé." (p.XI)
-Harold J. Berman, préface à Droit et révolution, Librairie de l'Université d'Aix en Provence, trad. Raoul Audouin, 2002 (1983 pour la première édition états-unienne), 684 pages.
[Introduction]
"Ce livre raconte l'histoire suivante: Il y avait une fois une civilisation appelée « occidentale », elle avait élaboré des institutions spécifiques dites « juridiques » (legal) avec des valeurs et concepts propres. Ces institutions, valeurs et concepts furent intentionnellement transmis de génération en génération durant des siècles, constituant ainsi une « tradition ». Cette tradition juridique occidentale était issue d'une « révolution ». Par la suite, au cours de nombreux siècles, elle a été périodiquement interrompue et transformée par des révolutions et, au vingtième siècle, cette tradition juridique se trouve dans une crise révolutionnaire plus grave qu'aucune des précédentes: certains pensent que cette crise signifie virtuellement son extinction."(p.17)
-Harold J. Berman, Droit et révolution, Librairie de l'Université d'Aix en Provence, trad. Raoul Audouin, 2002 (1983 pour la première édition états-unienne), 684 pages.