https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Brasillach
"Quelques villes privilégiées permettent encore, dans un monde qui devient uniforme, d'oublier le temps présent. A Tolède, à Bruges, à San Gimignano, on peut soudain, au croisement de deux voies étroites, devant une fenêtre grillagée de fer, un canal vert sous un pont, une tour carrée et haute, voir ce qu'ont vu des yeux fermés depuis trois siècles, ou plus, et ne rien voir d'autre. Je crois que Rouen est une de ces villes. Le gros fracas des tramways provinciaux enfui, l'animation du port moderne disparue, on se trouve devant Saint-Maclou, devant la tour des tortures de Jeanne, comme pouvait s'y trouver quelque bourgeois de la Renaissance." (p.15)
"Cicéron ne le quitte jamais, modèle de toutes les emphases et de toutes les creuses harangues." (p.23)
"Dans les classes de philosophie, les élèves […] travaillent sur les textes d'Aristote, et se servent des commentateurs hérétiques et arabes, d'Averroès, des Alexandrins, avec une virtuosité et un libéralisme qu'on ne peut concevoir qu'en ces temps de foi solide et de haut savoir." (p.24)
"Ces tragédies exaltent déjà la naissance du nationalisme français, et parfois elles le font en langue française, justement. Elles chantent les héros locaux, de même qu'on se livre, dans les cérémonies, à des panégyriques décentralisateurs de la Lorraine, de la Provence, d'Avignon." (p.27)
"Dès qu'un de ses personnages entre en scène, il crie. Les premiers mots de Medée sont pour invoquer les plus noires puissances de l'ombre, et, jusqu'à la fin, elle se maintient dans les épuisantes régions de l'incantation continue et de la folie. Andromaque elle-même (que nous ne pouvons plus voir qu'avec des gestes mesurés et adroits) s'emporte et maudit Hélène avec une dureté et un emportement magnifiques. Nous comprenons que Pierre Corneille ait aimé chez ces personnages le goût violent de l'absolu. Aucun ne vit dans le relatif, aucun de ceux du moins à qui Sénèque porte amitié. Ils sont de la race qui va jusqu'au bout, cuirassés et tendus par le plus terrible des individualismes. Ce romantisme meurtrier, persuadé que le seul bien est en soi et qu'il faut le prouver même par les crimes les plus bizarres, ne trouvera pas de plus intégral interprète jusqu'à Rodogune et à Ibsen. Il réclame pour contrepoids l'esclavage le plus complet des êtres qu'on aime ou qu'on hait. Il faut l'obéissance à l'amour de Médée ou de Phèdre, sinon les catastrophes les affreuses seront la juste conséquence, la juste punition infligée à ceux qui n'ont pas obéi. Et non seulement à eux. Mais tout personnage de Sénèque est pareil au Dieu qui punit jusqu'à la troisième et à la quatrième génération. Aucun ne veut mourir seul. Le dernier mot de Phèdre n'est pas "pureté" comme chez Racine, mais un ordre à Thésée d'apprendre enfin son devoir, qui est l'imitation de Phèdre: la mort. Tout refus est une offense, un sacrilège. Personne n'a mieux compris que Sénèque la dictature de la passion. Nous étonnerons-nous encore qu'il ait eu Néron pour élève ?
Et ses héros restent toujours intelligents. Les personnages de la tragédie, contrairement à ceux du drame, sont presque toujours intelligents. Ils savent ce qu'ils sont, et l'analysent avec une indicible joie: la joie de la conscience claire. Au milieu des excès d'une passion poussée aux dernières limites et acculée à la démence, une survivance d'esprit classique leur rend l'essentielle lucidité. L'intelligente Phèdre surmonte son désir déchaîné et use de tous ses moyens pour faire céder Hippolyte, et la scène de la déclaration est si belle d'intelligence et de sensualité mêlées que Racine l'a reprise trait pour trait." (p.31-32)
"C'est de Sénèque que sortira toute la tragédie classique en France, pendant qu'en Angleterre, où les comédiens d'Hamlet ont Sénèque dans leur répertoire, la frénésie, le culte de l'univers, le thème sanglant de la vengeance donneront naissance à Kyd, à Marlowe et à Shakespeare." (p.32)
"Il pourra surtout, peut-être, écouter un enseignement à la fois mondain et religieux, qui ne plaira beaucoup ni à Rome ni à Richelieu, mais qui n'est pas si loin de ce qu'enseignent précisément, à cette époque, les PP. Flachaut et Le Court, à la Faculté de Caen, toute proche.
"Il est permis, disent ces docteurs, particulièrement aux gentilshommes de tuer celui qui voulait frapper, quoique légèrement, si l'injure, le déshonneur qu'ils en reçoivent est remarquable ; comme après avoir reçu un soufflet, ils peuvent aussitôt donner un coup d'épée pour éviter l'ignominie et conserver leur honneur. C'est le sentiment de plusieurs hommes savants".
Et les Pères, à qui Rodrigue a dû demander une consultation, ajoutent:
"Vous me direz que cet honneur qui passe est vain, et non véritable et solide. Je réponds que la noblesse en est si passionnée et jalouse que tel qu'il est on ne saurait vivre sans lui"." (p.35)
"Ils ont répétés le matin. La séance commence vers 2 heures après midi, finit vers 5 heures. Mais on attend les spectateurs, on retarde toujours l'ouverture et, à la fin du siècle, on ne jouera jamais avant 5 heures. Dans le jour, on est allé appeler le monde au son du tambour, on a posé quelques affiches où l'on vante le drame, les acteurs. Non point l'auteur pourtant, qui n'est jamais nommé avant 1625." (p.43)
"Par cette alliance inattendue de la féérie amoureuse, de la dialectique et du réalisme, Fernando de Rojas, dans un livre écrit pour être lu à haute voix, mais non pour être représenté "par personnages", ouvre triomphalement le Siècle d'Or, et indique des perspectives prodigieuses, le théâtre tout entier, sa variété, sa richesse, tout ce qu'exploitèrent après lui Lope de Vega et Calderon, et bien d'autres, tout le mirage de la vie, et tout le mirage de la morale, et laisse encore cent trésors inexploités, pour des siècles à venir. Aucune œuvre, depuis Sénèque le Tragique, n'a eu plus d'importance et une postérité plus éclatante. Si Corneille connaît mal encore l'espagnol, Nicolas Cousteau, Jacques de Lavardin l'ont traduite pour lui, à Paris et à Rouen, et à Rouen encore, deux ans avant Le Cid, Charles Osmond en donne en 1634 une édition dans les deux langues.
Tout cela, les Français le savent bien. Si les pastorales viennent d'Italie, la fécondité espagnole, la richesse d'invention séduisent vite nos écrivains. Pourquoi se donner la peine d'imaginer puisqu'il y a l'Espagne ?" (p.48)
"Il faut aussi, en sortant des fêtes et du théâtre, songer à la vie sérieuse." (p.52)
"Au début du siècle, presque toutes les compagnies se sont résignées: on loue l'Hôtel de Bourgogne, on se soumet aux conditions du bail, et par un système d'alternance, il arrive que plusieurs compagnies se succèdent sur la même scène. […] Avant 1629, il n'y a pas d'autre théâtre à Paris. Si, parfois, un jeu de Paume offre un asile à des comédiens persécutés, à des Indépendants, c'est d'une manière tout à fait illégale, et les foudres de la loi s'abattent aussitôt sur eux, les saisies, les amendes succèdent aux fermetures obligatoires et aux poursuites: il ne faut pas heurter de front le Trust du théâtre.
Les Comédiens du Prince d'Orange, dirigés par le comédien Le Noir, l'ont fort bien compris, et, comme tout le monde, jouent d'abord à l'Hôtel de Bourgogne. Mais les conditions qu'on leur fait sont si onéreuses qu'ils se décident à lutter. […] Un troisième déménagement les porte rue Vieille-du-Temple. C'est là que les Indépendants obtiennent la victoire à peu près définitive et qu'ils fondent en mars 1634 ce qu'on a appelé le théâtre du Marais." (p.64)
"Louis, l'un de nos plus grands princes, sinon le plus grand, le saint de la monarchie capétienne." (p.69)
"Nous nous disons que ce vieil homme a été le poète du devoir, et de la nation, que Déroulède l'aimait bien, et qu'il fut vénéré à la Ligue des Patriotes." (p.73)
"C'est en cette même année 1636 que l'auteur déjà illustre de Médée et de L'Illusion tira d'un poète espagnol, Guilhen de Castro, l'œuvre qui lui donna d'un coup non plus la célébrité, mais la gloire: Le Cid. Avec Le Cid, Pierre Corneille, à trente ans, épouse la Gloire […]
[Les critiques] s'acharnèrent sur Le Cid, et l'Académie naissante inaugura une éclatante carrière d'erreurs en présentant tout aussitôt sur le jeune chef-d'œuvre les Observations imbéciles que l'on connaît." (p.97-98)
"Le Cid est de 1636, c'est-à-dire de l'année même où nous avons vaincu les Espagnols à Corbie, et Le Cid est tout empli de la plus généreuse passion pour l'Espagne. Certes, c'est bien le symbole d'un temps où les guerres, guerres de chevaliers, n'engageaient point toute l'idéologie de la nation." (p.103)
"Le Cardinal n'est pas jaloux de Corneille, il l'admire, il le protège. Les guerres de ce temps ne sont pas moins l'ennemi, mais il n'en a pas moins des partisans à la Cour, qui, groupés autour d'Anne d'Autriche, applaudissent peut-être avec véhémence les vers du Cid avec quelque intention. Le Cardinal désire tout d'abord s'amuser de ces querelles d'hommes de lettres et ne les interrompt que lorsqu'elles abandonnent le bon ton. Il veut ensuite soutenir le prestige de l'Académie naissante, et le jugement qu'elle doit rendre peut y aider. Enfin, il ne demande sans doute pas mieux que de montrer que les qualités littéraires du Cid, si éminentes soient-elles, ne suffisent peut-être pas à expliquer le succès de ce drame, et qu'il faut y chercher des raisons politiques. Tout ce qui diminue la vertu littéraire du Cid peut prouver que la pièce a aussi, malheureusement, une portée politique.
Corneille l'a-t-il compris ? Il est probable que non. Il est probable qu'il a cru à la jalousie du Cardinal, qu'il n'a pas très bien pourquoi d'une main on le louait et de l'autre on le blâmait. Sa lettre à Boisrobert prouve bien qu'il a surtout eu peur de mécontenter le "maître"." (p.112)
"En apparence, après Le Cid, le génie de Corneille se détourne de la voie qui était la sienne. Plus de chronique, plus de drame en quinze ou vingt tableaux. La règle des trois unités a passé par là, et si la critique romantique nous a fait cadeau de bien des erreurs, je ne puis consentir à en avoir une dans l'opinion que le classicisme formel a bridé, brimé Corneille. Après la querelle du Cid, Corneille reste absent du théâtre pendant quatre ans: il est permis de penser que cette retraite a été causée tout d'abord par le découragement. Toute son œuvre jusqu'à présent tendait à une exaltation du romanesque au théâtre, à la liberté, au chant. On lui imposait une rigueur, une sévérité qui ne lui plaisaient pas. […] Lorsque Horace paraît en 1640, c'est un nouveau monde cornélien qui se découvre à nous, et pourquoi cacherai-je que je préfère le premier ?" (p.113)
"Il a aimé jouir de la vie, il a imaginé cette vie, sous sa forme la plus luxueuse et la plus brillante, il y a apporté l'allégresse, la cruauté légère, la dureté inconsciente, la folie même de la jeunesse." (p.123)
"C'était un "mélancolique" […] On nous parle de Racine, de Chateaubriand, de Baudelaire, de Proust. Les silences de Pierre Corneille, ses affolements sans cause, ses fuites éperdues vers la solitude nous le montrent bien tel qu'il fut, et plus encore que n'importe lequel de ceux-là: un des plus sensibles écorchés des lettres françaises." (p.124)
"Il ne lui reste que la solitude pour lui offrir les indestructibles revanches des songeurs, pareilles à celles qui l'enfiévraient lorsque, les yeux ouverts, dans son enfance, il animait les livres et ses fééries personnelles." (p.127)
"Corneille n'oubliera jamais ses griefs, mi-imaginaires, mi-réels, envers le Cardinal, cette petite crainte, ce petit souci de ses affaires, cet embarras devant les grands qui seront les siens jusqu'à la fin de ses jours. Peu de temps après, il donnerait la mesure de ce surprenant défaut en adressant au financier Montauron la dédicace d'une autre tragédie, Cinna ou la Clémence d'Auguste, d'une manière si empathique et si plate que tout le monde s'en choqua.
Les circonstances sont troubles. Richelieu vient d'établir, pour parer aux dépenses de la guerre, une série d'impôts extraordinaires. Les paysans normands se révoltent, le Parlement de Rouen les soutient, on pille les maisons des percepteurs et des receveurs de gabelle. Le gouvernement envoie à Rouen des troupes, interdit le Parlement, dissout les corps municipaux, supprime les privilèges de Normandie, écrase la ville d'impôts. La répression de la jacquerie est d'une dureté terrible. Sur la place du Vieux-Marché, à deux pas de la maison de Corneille, on roue et l'on pend. Quelle que soit l'admiration que nous devions avoir pour Richelieu, on comprend qu'au milieu des supplices, Pierre Corneille ait songé à écrire une pièce sur la clémence.
Il la fait jouer en cette même année où il fait jouer Horace, et comme Horace, Cinna triomphe." (p.130-131)
"Il existe par le monde des êtres de fer, à qui l'exercice d'un pouvoir sans limites a donné une âme redoutable, parfois un cœur de tortionnaire, presque toujours une infaillibilité auprès de laquelle celle du pape n'est que doute, modestie et indécision. Ces êtres, qu'un subterfuge de menuiserie tient élevés au-dessus de leurs peuples, leur apparaissent d'autant plus grands et d'autant plus à craindre que ces peuples sont en général de petite taille. D'où viennent les droits de ces seigneurs ? On ne le sait. On les appelle des Maîtres. Ils enseignent la fierté, la morale, la rigueur, l'empire sur les passions. Ils ont contribué plus que tous autres à tirer de Corneille une formidable législation, un appareil de pompe et d'orgueil qui les aide à mater ceux qui leur sont soumis. De même que les régimes totalitaires exaltent les musiciens, les poètes, les romanciers qui ont pratiqué l'orthodoxie de la doctrine et vénéré la force, de même le régime établi par ces despotes impose le respect de Corneille, qu'ils feraient prince de Montenevoso si Corneille s'appelait d'Annunzio, qu'ils joueraient dans les congrès nazis si Corneille s'appelait Wagner. Rien n'est plus beau, plus grand, que l'exercice sans limites de la puissance d'homme. Rien n'est plus digne de cette morale imposée aux races pures. Ces maîtres que nous connaissons tous entraînent à leur suite leurs sujets aux représentations cornéliennes comme ils les entraîneraient à la suite de Mlle Leni Riefensthal devant les écrans où se déploie Le Triomphe de la volonté, et ce titre du plus célèbre des films hitlériens formerait une assez belle épigraphe à l'œuvre entière de leur poète. Telle est l'idéologie du Troisième Reich, mais telle est aussi l'idéologie de la Troisième A. Ces êtres de fer, ces despotes, on les a reconnus: ce sont les professeurs." (pp.132-133)
"Et si, quand Mussolini invite la Comédie-Française à jouer au Forum, il ne retrouve pas, justement, dans ce Corneille de notre enfance, le précurseur génial, hardi, antibourgeois, anticapitaliste et antiparlementaire, du fascisme moderne.
En apparence, c'est en dehors de la politique que s'est d'ailleurs formé cet amour de la volonté, ainsi qu'il en est advenu, par une courbe assez identique, pour Barrès et pour d'Annunzio, à qui le jeune Corneille, orgueilleux, cruel, inconstant, amateur de plaisirs, sensuel et méprisant, aurait sans doute voulu ressembler." (p.133-134)
"Il aime à croire, en effet, que la grâce vient aider les héros, les seigneurs, les fils de Rois, ceux à qui il a donné une fois pour toutes son amitié. C'est son aristocratisme natif qui parle ainsi, et il croit très sérieusement à l'alliance de Dieu et du surhomme, et tout jeune prince beau, aimé des femmes, est pour lui spécialement protégé par le destin." (p.161)
"Il voudrait établir un régime de propriété littéraire, qui empêchât une pièce imprimée d'être jouée par n'importe qui. Il rédige à cet effet en 1643 un projet de lettres patentes afin d'interdire aux autres comédiens qu'à ceux du Marais de monter Cinna, Polyeucte et Pompée sans le consentement de l'auteur, sous peine d'amende. Ce privilège lui est refusé." (p.173)
"
(pp.174-175)
"C'est cette même année 1647 que Pierre Corneille est élu à l'Académie française." (p.184)
"[sur la fronde]
(pp.185-191)
"Il est toujours du côté de la jeunesse, il est contre l'âge des crimes sans passion, des calculs médiocres, des places à garder, des traitements à conserver, des héritages à prendre, des gendres à choisir, des décorations et des retraites, contre tout ce qu'il a marqué de traits si durs et si âpres dans tant de tragédies royales, qui ne sont que les déguisements bien reconnaissables des plus bourgeoises des comédies." (p.204-205)
"Ce qui le séduit, c'est toute grande âme assoiffée de dominer, et c'est pourquoi Stendhal l'aimait si fort. […] Ce qui le touche, c'est le dictateur royal, en qui s'incarnent la patrie, les traditions, le passé, et l'avenir, qui accepte sa tâche, qui n'en rougit pas, et qui n'aurait jamais l'idée de dire que l'autorité déshonore celui qui l'exerce." (p.209)
"Dans le fascisme de Pierre Corneille, la monarchie peut tendre la main au génie populaire, fils du pêcheur ou du forgeron, d'Aragon ou de Romagne, devenu duc ou marquis, et la lui tendre par-dessus la tête des grands.
Nationalisme poussé jusque dans son particularisme le plus vif, incarnation de l'autorité dans une figure dominatrice et absolue, dictature, et de préférence dictature royale, opposition aux idées libérales, au parlementarisme, aux vieilles générations qui n'ont jamais rien compris, espoir en la jeunesse et en l'avenir, construction de cet avenir par la foi, par le sacrifice, par tout ce qui élève l'homme au-dessus du matérialisme, orgueil des grandeurs de chair, mais mépris pour ceux qui n'en ont que l'apparence et que la forme, telles sont, je crois bien, les bases de ce qu'on pourrait nommer la politique de Corneille. N'est-elle pas étrangement actuelle ?" (p.211-212)
"En janvier, c'est chez La Rochefoucauld, en mars, c'est chez le cardinal de Retz, vieux frondeurs assagis, témoins de la jeunesse de Corneille." (p.329)
"Le 5 décembre 1672, Pierre Corneille lui-même allait à l'Académie voter, avec tous ses autres collègues, à l'unanimité, pour l'élection de Jean Racine." (p.331)
"La guerre de Hollande n'en finit pas, elle est coûteuse, et le Roi vient de faire réviser les pensions des hommes de lettres. Par une étrange coutume, elles étaient prises sur le compte des Bâtiments: ces années où l'on travaille à Versailles, à l'Observatoire, aux Invalides, il ne faut pas s'étonner si l'on a besoin d'argent. En 1673, on a versé 84 200 livres à 50 écrivains ; en 1674, on n'en versera que 62 250 à 37 d'entre eux et, parmi les exclus, se trouve Pierre Corneille. Avant de juger, avant d'accuser la trop réelle rancune de Colbert, il faut penser que le vieil écrivain en ces années a beau protester de ses besoins d'argent, il a une situation que beaucoup lui envient." (p.339)
-Robert Brasillach, Corneille, Fayard, 2006 (1938 pour la première édition), 355 pages.
"Quelques villes privilégiées permettent encore, dans un monde qui devient uniforme, d'oublier le temps présent. A Tolède, à Bruges, à San Gimignano, on peut soudain, au croisement de deux voies étroites, devant une fenêtre grillagée de fer, un canal vert sous un pont, une tour carrée et haute, voir ce qu'ont vu des yeux fermés depuis trois siècles, ou plus, et ne rien voir d'autre. Je crois que Rouen est une de ces villes. Le gros fracas des tramways provinciaux enfui, l'animation du port moderne disparue, on se trouve devant Saint-Maclou, devant la tour des tortures de Jeanne, comme pouvait s'y trouver quelque bourgeois de la Renaissance." (p.15)
"Cicéron ne le quitte jamais, modèle de toutes les emphases et de toutes les creuses harangues." (p.23)
"Dans les classes de philosophie, les élèves […] travaillent sur les textes d'Aristote, et se servent des commentateurs hérétiques et arabes, d'Averroès, des Alexandrins, avec une virtuosité et un libéralisme qu'on ne peut concevoir qu'en ces temps de foi solide et de haut savoir." (p.24)
"Ces tragédies exaltent déjà la naissance du nationalisme français, et parfois elles le font en langue française, justement. Elles chantent les héros locaux, de même qu'on se livre, dans les cérémonies, à des panégyriques décentralisateurs de la Lorraine, de la Provence, d'Avignon." (p.27)
"Dès qu'un de ses personnages entre en scène, il crie. Les premiers mots de Medée sont pour invoquer les plus noires puissances de l'ombre, et, jusqu'à la fin, elle se maintient dans les épuisantes régions de l'incantation continue et de la folie. Andromaque elle-même (que nous ne pouvons plus voir qu'avec des gestes mesurés et adroits) s'emporte et maudit Hélène avec une dureté et un emportement magnifiques. Nous comprenons que Pierre Corneille ait aimé chez ces personnages le goût violent de l'absolu. Aucun ne vit dans le relatif, aucun de ceux du moins à qui Sénèque porte amitié. Ils sont de la race qui va jusqu'au bout, cuirassés et tendus par le plus terrible des individualismes. Ce romantisme meurtrier, persuadé que le seul bien est en soi et qu'il faut le prouver même par les crimes les plus bizarres, ne trouvera pas de plus intégral interprète jusqu'à Rodogune et à Ibsen. Il réclame pour contrepoids l'esclavage le plus complet des êtres qu'on aime ou qu'on hait. Il faut l'obéissance à l'amour de Médée ou de Phèdre, sinon les catastrophes les affreuses seront la juste conséquence, la juste punition infligée à ceux qui n'ont pas obéi. Et non seulement à eux. Mais tout personnage de Sénèque est pareil au Dieu qui punit jusqu'à la troisième et à la quatrième génération. Aucun ne veut mourir seul. Le dernier mot de Phèdre n'est pas "pureté" comme chez Racine, mais un ordre à Thésée d'apprendre enfin son devoir, qui est l'imitation de Phèdre: la mort. Tout refus est une offense, un sacrilège. Personne n'a mieux compris que Sénèque la dictature de la passion. Nous étonnerons-nous encore qu'il ait eu Néron pour élève ?
Et ses héros restent toujours intelligents. Les personnages de la tragédie, contrairement à ceux du drame, sont presque toujours intelligents. Ils savent ce qu'ils sont, et l'analysent avec une indicible joie: la joie de la conscience claire. Au milieu des excès d'une passion poussée aux dernières limites et acculée à la démence, une survivance d'esprit classique leur rend l'essentielle lucidité. L'intelligente Phèdre surmonte son désir déchaîné et use de tous ses moyens pour faire céder Hippolyte, et la scène de la déclaration est si belle d'intelligence et de sensualité mêlées que Racine l'a reprise trait pour trait." (p.31-32)
"C'est de Sénèque que sortira toute la tragédie classique en France, pendant qu'en Angleterre, où les comédiens d'Hamlet ont Sénèque dans leur répertoire, la frénésie, le culte de l'univers, le thème sanglant de la vengeance donneront naissance à Kyd, à Marlowe et à Shakespeare." (p.32)
"Il pourra surtout, peut-être, écouter un enseignement à la fois mondain et religieux, qui ne plaira beaucoup ni à Rome ni à Richelieu, mais qui n'est pas si loin de ce qu'enseignent précisément, à cette époque, les PP. Flachaut et Le Court, à la Faculté de Caen, toute proche.
"Il est permis, disent ces docteurs, particulièrement aux gentilshommes de tuer celui qui voulait frapper, quoique légèrement, si l'injure, le déshonneur qu'ils en reçoivent est remarquable ; comme après avoir reçu un soufflet, ils peuvent aussitôt donner un coup d'épée pour éviter l'ignominie et conserver leur honneur. C'est le sentiment de plusieurs hommes savants".
Et les Pères, à qui Rodrigue a dû demander une consultation, ajoutent:
"Vous me direz que cet honneur qui passe est vain, et non véritable et solide. Je réponds que la noblesse en est si passionnée et jalouse que tel qu'il est on ne saurait vivre sans lui"." (p.35)
"Ils ont répétés le matin. La séance commence vers 2 heures après midi, finit vers 5 heures. Mais on attend les spectateurs, on retarde toujours l'ouverture et, à la fin du siècle, on ne jouera jamais avant 5 heures. Dans le jour, on est allé appeler le monde au son du tambour, on a posé quelques affiches où l'on vante le drame, les acteurs. Non point l'auteur pourtant, qui n'est jamais nommé avant 1625." (p.43)
"Par cette alliance inattendue de la féérie amoureuse, de la dialectique et du réalisme, Fernando de Rojas, dans un livre écrit pour être lu à haute voix, mais non pour être représenté "par personnages", ouvre triomphalement le Siècle d'Or, et indique des perspectives prodigieuses, le théâtre tout entier, sa variété, sa richesse, tout ce qu'exploitèrent après lui Lope de Vega et Calderon, et bien d'autres, tout le mirage de la vie, et tout le mirage de la morale, et laisse encore cent trésors inexploités, pour des siècles à venir. Aucune œuvre, depuis Sénèque le Tragique, n'a eu plus d'importance et une postérité plus éclatante. Si Corneille connaît mal encore l'espagnol, Nicolas Cousteau, Jacques de Lavardin l'ont traduite pour lui, à Paris et à Rouen, et à Rouen encore, deux ans avant Le Cid, Charles Osmond en donne en 1634 une édition dans les deux langues.
Tout cela, les Français le savent bien. Si les pastorales viennent d'Italie, la fécondité espagnole, la richesse d'invention séduisent vite nos écrivains. Pourquoi se donner la peine d'imaginer puisqu'il y a l'Espagne ?" (p.48)
"Il faut aussi, en sortant des fêtes et du théâtre, songer à la vie sérieuse." (p.52)
"Au début du siècle, presque toutes les compagnies se sont résignées: on loue l'Hôtel de Bourgogne, on se soumet aux conditions du bail, et par un système d'alternance, il arrive que plusieurs compagnies se succèdent sur la même scène. […] Avant 1629, il n'y a pas d'autre théâtre à Paris. Si, parfois, un jeu de Paume offre un asile à des comédiens persécutés, à des Indépendants, c'est d'une manière tout à fait illégale, et les foudres de la loi s'abattent aussitôt sur eux, les saisies, les amendes succèdent aux fermetures obligatoires et aux poursuites: il ne faut pas heurter de front le Trust du théâtre.
Les Comédiens du Prince d'Orange, dirigés par le comédien Le Noir, l'ont fort bien compris, et, comme tout le monde, jouent d'abord à l'Hôtel de Bourgogne. Mais les conditions qu'on leur fait sont si onéreuses qu'ils se décident à lutter. […] Un troisième déménagement les porte rue Vieille-du-Temple. C'est là que les Indépendants obtiennent la victoire à peu près définitive et qu'ils fondent en mars 1634 ce qu'on a appelé le théâtre du Marais." (p.64)
"Louis, l'un de nos plus grands princes, sinon le plus grand, le saint de la monarchie capétienne." (p.69)
"Nous nous disons que ce vieil homme a été le poète du devoir, et de la nation, que Déroulède l'aimait bien, et qu'il fut vénéré à la Ligue des Patriotes." (p.73)
"C'est en cette même année 1636 que l'auteur déjà illustre de Médée et de L'Illusion tira d'un poète espagnol, Guilhen de Castro, l'œuvre qui lui donna d'un coup non plus la célébrité, mais la gloire: Le Cid. Avec Le Cid, Pierre Corneille, à trente ans, épouse la Gloire […]
[Les critiques] s'acharnèrent sur Le Cid, et l'Académie naissante inaugura une éclatante carrière d'erreurs en présentant tout aussitôt sur le jeune chef-d'œuvre les Observations imbéciles que l'on connaît." (p.97-98)
"Le Cid est de 1636, c'est-à-dire de l'année même où nous avons vaincu les Espagnols à Corbie, et Le Cid est tout empli de la plus généreuse passion pour l'Espagne. Certes, c'est bien le symbole d'un temps où les guerres, guerres de chevaliers, n'engageaient point toute l'idéologie de la nation." (p.103)
"Le Cardinal n'est pas jaloux de Corneille, il l'admire, il le protège. Les guerres de ce temps ne sont pas moins l'ennemi, mais il n'en a pas moins des partisans à la Cour, qui, groupés autour d'Anne d'Autriche, applaudissent peut-être avec véhémence les vers du Cid avec quelque intention. Le Cardinal désire tout d'abord s'amuser de ces querelles d'hommes de lettres et ne les interrompt que lorsqu'elles abandonnent le bon ton. Il veut ensuite soutenir le prestige de l'Académie naissante, et le jugement qu'elle doit rendre peut y aider. Enfin, il ne demande sans doute pas mieux que de montrer que les qualités littéraires du Cid, si éminentes soient-elles, ne suffisent peut-être pas à expliquer le succès de ce drame, et qu'il faut y chercher des raisons politiques. Tout ce qui diminue la vertu littéraire du Cid peut prouver que la pièce a aussi, malheureusement, une portée politique.
Corneille l'a-t-il compris ? Il est probable que non. Il est probable qu'il a cru à la jalousie du Cardinal, qu'il n'a pas très bien pourquoi d'une main on le louait et de l'autre on le blâmait. Sa lettre à Boisrobert prouve bien qu'il a surtout eu peur de mécontenter le "maître"." (p.112)
"En apparence, après Le Cid, le génie de Corneille se détourne de la voie qui était la sienne. Plus de chronique, plus de drame en quinze ou vingt tableaux. La règle des trois unités a passé par là, et si la critique romantique nous a fait cadeau de bien des erreurs, je ne puis consentir à en avoir une dans l'opinion que le classicisme formel a bridé, brimé Corneille. Après la querelle du Cid, Corneille reste absent du théâtre pendant quatre ans: il est permis de penser que cette retraite a été causée tout d'abord par le découragement. Toute son œuvre jusqu'à présent tendait à une exaltation du romanesque au théâtre, à la liberté, au chant. On lui imposait une rigueur, une sévérité qui ne lui plaisaient pas. […] Lorsque Horace paraît en 1640, c'est un nouveau monde cornélien qui se découvre à nous, et pourquoi cacherai-je que je préfère le premier ?" (p.113)
"Il a aimé jouir de la vie, il a imaginé cette vie, sous sa forme la plus luxueuse et la plus brillante, il y a apporté l'allégresse, la cruauté légère, la dureté inconsciente, la folie même de la jeunesse." (p.123)
"C'était un "mélancolique" […] On nous parle de Racine, de Chateaubriand, de Baudelaire, de Proust. Les silences de Pierre Corneille, ses affolements sans cause, ses fuites éperdues vers la solitude nous le montrent bien tel qu'il fut, et plus encore que n'importe lequel de ceux-là: un des plus sensibles écorchés des lettres françaises." (p.124)
"Il ne lui reste que la solitude pour lui offrir les indestructibles revanches des songeurs, pareilles à celles qui l'enfiévraient lorsque, les yeux ouverts, dans son enfance, il animait les livres et ses fééries personnelles." (p.127)
"Corneille n'oubliera jamais ses griefs, mi-imaginaires, mi-réels, envers le Cardinal, cette petite crainte, ce petit souci de ses affaires, cet embarras devant les grands qui seront les siens jusqu'à la fin de ses jours. Peu de temps après, il donnerait la mesure de ce surprenant défaut en adressant au financier Montauron la dédicace d'une autre tragédie, Cinna ou la Clémence d'Auguste, d'une manière si empathique et si plate que tout le monde s'en choqua.
Les circonstances sont troubles. Richelieu vient d'établir, pour parer aux dépenses de la guerre, une série d'impôts extraordinaires. Les paysans normands se révoltent, le Parlement de Rouen les soutient, on pille les maisons des percepteurs et des receveurs de gabelle. Le gouvernement envoie à Rouen des troupes, interdit le Parlement, dissout les corps municipaux, supprime les privilèges de Normandie, écrase la ville d'impôts. La répression de la jacquerie est d'une dureté terrible. Sur la place du Vieux-Marché, à deux pas de la maison de Corneille, on roue et l'on pend. Quelle que soit l'admiration que nous devions avoir pour Richelieu, on comprend qu'au milieu des supplices, Pierre Corneille ait songé à écrire une pièce sur la clémence.
Il la fait jouer en cette même année où il fait jouer Horace, et comme Horace, Cinna triomphe." (p.130-131)
"Il existe par le monde des êtres de fer, à qui l'exercice d'un pouvoir sans limites a donné une âme redoutable, parfois un cœur de tortionnaire, presque toujours une infaillibilité auprès de laquelle celle du pape n'est que doute, modestie et indécision. Ces êtres, qu'un subterfuge de menuiserie tient élevés au-dessus de leurs peuples, leur apparaissent d'autant plus grands et d'autant plus à craindre que ces peuples sont en général de petite taille. D'où viennent les droits de ces seigneurs ? On ne le sait. On les appelle des Maîtres. Ils enseignent la fierté, la morale, la rigueur, l'empire sur les passions. Ils ont contribué plus que tous autres à tirer de Corneille une formidable législation, un appareil de pompe et d'orgueil qui les aide à mater ceux qui leur sont soumis. De même que les régimes totalitaires exaltent les musiciens, les poètes, les romanciers qui ont pratiqué l'orthodoxie de la doctrine et vénéré la force, de même le régime établi par ces despotes impose le respect de Corneille, qu'ils feraient prince de Montenevoso si Corneille s'appelait d'Annunzio, qu'ils joueraient dans les congrès nazis si Corneille s'appelait Wagner. Rien n'est plus beau, plus grand, que l'exercice sans limites de la puissance d'homme. Rien n'est plus digne de cette morale imposée aux races pures. Ces maîtres que nous connaissons tous entraînent à leur suite leurs sujets aux représentations cornéliennes comme ils les entraîneraient à la suite de Mlle Leni Riefensthal devant les écrans où se déploie Le Triomphe de la volonté, et ce titre du plus célèbre des films hitlériens formerait une assez belle épigraphe à l'œuvre entière de leur poète. Telle est l'idéologie du Troisième Reich, mais telle est aussi l'idéologie de la Troisième A. Ces êtres de fer, ces despotes, on les a reconnus: ce sont les professeurs." (pp.132-133)
"Et si, quand Mussolini invite la Comédie-Française à jouer au Forum, il ne retrouve pas, justement, dans ce Corneille de notre enfance, le précurseur génial, hardi, antibourgeois, anticapitaliste et antiparlementaire, du fascisme moderne.
En apparence, c'est en dehors de la politique que s'est d'ailleurs formé cet amour de la volonté, ainsi qu'il en est advenu, par une courbe assez identique, pour Barrès et pour d'Annunzio, à qui le jeune Corneille, orgueilleux, cruel, inconstant, amateur de plaisirs, sensuel et méprisant, aurait sans doute voulu ressembler." (p.133-134)
"Il aime à croire, en effet, que la grâce vient aider les héros, les seigneurs, les fils de Rois, ceux à qui il a donné une fois pour toutes son amitié. C'est son aristocratisme natif qui parle ainsi, et il croit très sérieusement à l'alliance de Dieu et du surhomme, et tout jeune prince beau, aimé des femmes, est pour lui spécialement protégé par le destin." (p.161)
"Il voudrait établir un régime de propriété littéraire, qui empêchât une pièce imprimée d'être jouée par n'importe qui. Il rédige à cet effet en 1643 un projet de lettres patentes afin d'interdire aux autres comédiens qu'à ceux du Marais de monter Cinna, Polyeucte et Pompée sans le consentement de l'auteur, sous peine d'amende. Ce privilège lui est refusé." (p.173)
"
(pp.174-175)
"C'est cette même année 1647 que Pierre Corneille est élu à l'Académie française." (p.184)
"[sur la fronde]
(pp.185-191)
"Il est toujours du côté de la jeunesse, il est contre l'âge des crimes sans passion, des calculs médiocres, des places à garder, des traitements à conserver, des héritages à prendre, des gendres à choisir, des décorations et des retraites, contre tout ce qu'il a marqué de traits si durs et si âpres dans tant de tragédies royales, qui ne sont que les déguisements bien reconnaissables des plus bourgeoises des comédies." (p.204-205)
"Ce qui le séduit, c'est toute grande âme assoiffée de dominer, et c'est pourquoi Stendhal l'aimait si fort. […] Ce qui le touche, c'est le dictateur royal, en qui s'incarnent la patrie, les traditions, le passé, et l'avenir, qui accepte sa tâche, qui n'en rougit pas, et qui n'aurait jamais l'idée de dire que l'autorité déshonore celui qui l'exerce." (p.209)
"Dans le fascisme de Pierre Corneille, la monarchie peut tendre la main au génie populaire, fils du pêcheur ou du forgeron, d'Aragon ou de Romagne, devenu duc ou marquis, et la lui tendre par-dessus la tête des grands.
Nationalisme poussé jusque dans son particularisme le plus vif, incarnation de l'autorité dans une figure dominatrice et absolue, dictature, et de préférence dictature royale, opposition aux idées libérales, au parlementarisme, aux vieilles générations qui n'ont jamais rien compris, espoir en la jeunesse et en l'avenir, construction de cet avenir par la foi, par le sacrifice, par tout ce qui élève l'homme au-dessus du matérialisme, orgueil des grandeurs de chair, mais mépris pour ceux qui n'en ont que l'apparence et que la forme, telles sont, je crois bien, les bases de ce qu'on pourrait nommer la politique de Corneille. N'est-elle pas étrangement actuelle ?" (p.211-212)
"En janvier, c'est chez La Rochefoucauld, en mars, c'est chez le cardinal de Retz, vieux frondeurs assagis, témoins de la jeunesse de Corneille." (p.329)
"Le 5 décembre 1672, Pierre Corneille lui-même allait à l'Académie voter, avec tous ses autres collègues, à l'unanimité, pour l'élection de Jean Racine." (p.331)
"La guerre de Hollande n'en finit pas, elle est coûteuse, et le Roi vient de faire réviser les pensions des hommes de lettres. Par une étrange coutume, elles étaient prises sur le compte des Bâtiments: ces années où l'on travaille à Versailles, à l'Observatoire, aux Invalides, il ne faut pas s'étonner si l'on a besoin d'argent. En 1673, on a versé 84 200 livres à 50 écrivains ; en 1674, on n'en versera que 62 250 à 37 d'entre eux et, parmi les exclus, se trouve Pierre Corneille. Avant de juger, avant d'accuser la trop réelle rancune de Colbert, il faut penser que le vieil écrivain en ces années a beau protester de ses besoins d'argent, il a une situation que beaucoup lui envient." (p.339)
-Robert Brasillach, Corneille, Fayard, 2006 (1938 pour la première édition), 355 pages.