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    Claude Rochet , « Le bien commun comme main invisible. Le leg de Machiavel à la gestion publique »

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Claude Rochet , « Le bien commun comme main invisible. Le leg de Machiavel à la gestion publique » Empty Claude Rochet , « Le bien commun comme main invisible. Le leg de Machiavel à la gestion publique »

    Message par Johnathan R. Razorback Sam 23 Mar - 16:13

    https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-administratives-2008-3-page-529.htm#

    "Machiavel voulait savoir comment maintenir un État républicain privilégiant le bien commun. Le bien commun n’est pas un concept utilitariste, tel que compris par des notions modernes comme les « services d’intérêt général », mais la condition morale et politique de la vie publique. Machiavel se voyait comme un précurseur de la pensée politique et, dans un contexte extrêmement complexe, comme le fondateur du rétablissement du pouvoir de la raison humaine dans l’interprétation d’un réel incertain (Discours, I).

    Pour Machiavel, les hommes ne sont ni bons, ni mauvais : ils aspirent à la sécurité et à la réalisation personnelle, des objectifs qui ne peuvent être atteints que par l’union de tous. Le seul intérêt naturel est le bien privé – l’intérêt public, ou bien commun, la res publica, est une construction politique. Cette construction varie selon qu’il existe un fondateur, représenté par la figure du Prince que Machiavel décrit de façon idéale dans « La vie de Castruccio Castracani », selon que le régime politique est une monarchie ou une république–qui bâtit les institutions permettant au bien commun d’exister ou selon qu’il existe un leader politique qui agira comme un refondateur lorsque la république et le peuple se seront corrompus et ne pourront plus exister. Les habitudes qui consistent à être bon ne sont pas naturelles, mais doivent être créées par des institutions instaurées par un fondateur. Machiavel admirait des fondateurs tels que Lycurgue, qui a apporté à Sparte des institutions de qualité et stables. Mais il a aussi fait l’éloge de la fondation de la république à Rome, qui a été créée pas à pas par les luttes entre les nobles patriciens et la plèbe (Discours, I – VI)
    ."

    "Machiavel nous dit que l’on peut instituer une bonne société par la virtù du dirigeant mais que cela suppose le partage de valeurs civiques par le peuple (Discours, I XII). Les institutions sont nécessaires pour éduquer aux valeurs civiques et pour la poursuite de l’idéal de la bonne société lorsque ces valeurs ne sont plus présentes dans l’esprit du dirigeant et du peuple. « Le Peuple » (popolo) n’existe qu’en tant qu’ensemble instruit sur le plan politique sous la direction d’un Prince, un homme à l’intelligence rare qui a l’autorité nécessaire à la poursuite du bien commun, motivée par la vertu morale, même si (et c’est là l’héritage de Machiavel le plus souvent mal interprété) il est poussé par son désir égoïste naturel d’inscrire sa gloire dans l’histoire.

    Cette tension entre le peuple et le dirigeant (le Prince) est au centre de la pensée de Machiavel. Elle ne plaide pas pour une théorie constitutionnelle de la république puisqu’elle ne raisonne pas en termes d’institutions formelles. Il a servi une république faible, Florence, qui était censée être l’héritière de la république romaine et considérait cette faiblesse comme un problème de caractère : la capacité de la petite et moyenne bourgeoisie à débattre collectivement au sujet d’affaires publiques et à faire émerger des dirigeants (Histoire de Florence). Le bien commun est le bien du grand nombre, car si c’était le bien du petit nombre, il se réduirait à l’intérêt du Prince et de ses courtisans.

    Pour résumer : « le bien commun résulte d’une harmonie précaire entre le bien de la multitude et le bien des grands » (Strauss 1958: 271). Cette harmonie ne peut être réalisée que dans une république « bien ordonnée » (
    bene ordinata), fondée sur une interaction dynamique entre les institutions et les citoyens."

    "Machiavel considérait – en prenant pour exemple Piero Soderini, qui était le dernier dirigeant (faible) de la république florentine, qui n’a pas osé recourir aux « mauvais moyens » pour préserver le bien commun et a conduit la république à sa perte – qu’un Prince ne doit pas hésiter à recourir à des moyens « honorablement mauvais » lorsqu’il s’agit de sauver la république et de (re)créer des institutions républicaines, même si en agissant ainsi, le Prince recherche sa propre gloire. Leo Strauss, qui présente Machiavel comme le premier à avoir abandonné la philosophie classique et comme un « professeur du mal », dans ses « Pensées sur Machiavel », reconnaît la continuité de sa pensée avec la philosophie classique mais regrette l’abandon d’une conception surhumaine de la façon dont l’Homme doit vivre. Sa philosophie construit « basmais solide », avec pour symbole « l’homme animal par opposition à l’homme dieu » (1958: 296). Strauss considère que, malgré ce qui fait de Machiavel un homme de la Renaissance, sa conception de l’homme le rend moderne. Je ne partage pas son interprétation car j’estime que l’intention de Machiavel était de concilier la philosophie politique classique et la découverte du pouvoir de la science et de la technique pour transformer l’état de nature. Je suis en accord avec ce que dit Pocock au sujet de la conception de la liberté d’Isaiah Berlin, à savoir que le moment machiavéllien est le tournant décisif entre l’idée de liberté positive – l’idée républicaine – et celle de liberté négative – l’idée libérale -, mais que le réel écart dans l’édification du droit naturel moderne et du droit naturel classique est celui qui sépare Machiavel et Hobbes qui est, après Giovanni Botero (1589), le père fondateur, le vrai philosophe de la raison d’état (Pocock, 2003). J’incline à suivre l’interprétation de Claude Lefort, selon qui, dans un corps politique, le peuple des dépossédés est un meilleur gardien de la justice et de l’idée de la Bonne société que les philosophes (comme chez Platon) étant donné qu’il proteste ou se révolte constamment contre l’ordre dirigeant."

    "Dans le contexte d’un monde en évolution, les observateurs politiques ont été désappointés, actant de leur incapacité à prévoir le cours des événements (lettre à Vettori, 09.04.1513). Louis XII, le Roi de France, a échoué dans sa tentative italienne car victime de l’incertitude. En conséquence, la politique a besoin d’une pratique professionnelle qui pourra s’adapter à l’incertitude : la politique devient un arte dello stato – dont Machiavel déclare qu’il s’agissait de son unique métier -, une profession organisée, similaire à l’organisation florentine des tisserands de la laine, l’arte della lana (lettre à Vettori, 10.12.1513)."

    "Il doit y avoir rotation parmi les agents de l’État afin d’équilibrer le bien commun du petit nombre et celui du grand nombre grâce à l’activité civique directe."

    "L’innovation la plus évidente de Machiavel concerne cependant l’intégration du changement dans la dynamique de la vie républicaine : la république parfaite (repubblica perfetta) est capable de modifier ses institutions lorsqu’elle est confrontée à des mutations perturbatrices. Les lois perdent de leur efficacité et doivent être réinstituées, éventuellement, en cas de crise majeure, en faisant appel à un dictateur provisoire (c’est-à-dire un nouveau Prince faisant office de père fondateur) – comme l’a fait la république romaine – afin de rétablir les institutions républicaines.

    On peut lire Machiavel comme un philosophe politique – même s’il se considérait davantage comme un praticien que comme un philosophe qui entendait concilier l’héritage de la philosophie classique (l’aspiration aristotélicienne et socratique à la vie bonne, à la justice et à la bonne société régie par de bonnes lois) – et l’efficacité dans le monde en évolution et agité de la Renaissance italienne et du début d’une ère industrielle enclenchée par l’innovation technologique et la fin de l’idéal classique d’un monde stable. Comme le souligne Eric Voegelin (1998), l’Italie a connu de nombreux troubles à l’époque de Machiavel : l’expansion des Mongols vers l’Occident et l’invasion française en 1494. Étant au centre de la vie intellectuelle de l’époque, l’Italie n’a pas été capable de comprendre la situation. Il n’était plus possible de maintenir la vision ’une évolution linéaire de l’Histoire selon le modèle augustinien. Machiavel se tourne vers l’histoire romaine car il est conscient de ce manque d’efficacité, et cherche à éclairer le caractère non linéaire de l’Histoire, le problème des cycles, les périodes de croissance et de déclin
    ."

    "La philosophie politique classique, selon la théorie Aristotélicienne, rejetait l’innovation et le changement, en se basant sur le présupposé que la vie en société était un jeu à somme nulle et que l’appauvrissement d’une partie de la société était un inconvénient obligé de la création de richesse."

    "[La] distinction entre les a priori et la doctrine des circonstances était au centre de la philosophie politique de Charles de Gaulle, que l’on peut considérer comme un archétype du leader machiavélien au vingtième siècle."

    "Il ne fait aucun doute que la première révolution industrielle en Angleterre fut le fruit d’une politique mercantiliste réussie fondée sur un rôle actif de l’État (politique fiscale, investissements dans la Marine, politique industrielle), comme cela a été démontré de façon convaincante par des historiens de l’économie comme Patrick O’Brien (1998)."
    -Claude Rochet , « Le bien commun comme main invisible. Le leg de Machiavel à la gestion publique », Revue Internationale des Sciences Administratives, 2008/3 (Vol. 74), p. 529-553. DOI : 10.3917/risa.743.0529. URL : https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-administratives-2008-3-page-529.htm



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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