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    Philippe Braud, La violence politique : repères et problèmes

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Philippe Braud, La violence politique : repères et problèmes Empty Philippe Braud, La violence politique : repères et problèmes

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 2 Mai - 12:22

    https://journals.openedition.org/conflits/406

    "En un sens large, toute forme de contrôle social qui barre une aspiration, impose des opinions ou des comportements, perturbe une trajectoire sociale ou un cadre de vie est violence, qu’elle soit ressentie douloureusement ou non par le sujet. On pense bien sûr, ici, au concept de “violence symbolique” chez Pierre Bourdieu. Mais ce que Joan Galtung a appelé la “violence structurelle”, par opposition à la violence personnelle et directe, illustre une conception encore plus extensive. Elle la définit en effet comme la pression sur les individus qui produit “une différence négative entre leurs possibilités d’accomplissement et leurs réalisations réelles”. Sous le concept de violence on comprend ainsi tout travail de socialisation et d’acculturation ; toute exploitation d’une situation de nécessité dans les rapports marchands ; toute manifestation de puissance technologique qui remodèle brutalement l’espace où les hommes habitent. [...] Assimiler à la violence proprement dite toute forme de contrôle social conduit à reconnaître au phénomène une ubiquité qui en interdit pratiquement l’analyse. ."

    "Les distinctions violence/coercition, ou encore violence/force, qui mobilisent deux lexiques, l’un dramatisant, l’autre euphémisant, permettent de creuser un fossé de légitimité entre l’usage institutionnalisé de la contrainte matérielle au service de l’ordre politique et les usages protestataires ou contestataires. Cela encourage clairement des biais idéologiques au détriment des exigences de neutralité axiologique qui doivent soutenir la recherche."

    "La monopolisation tendancielle de la force physique est le fondement ultime de l’autorité du pouvoir politique : à l’extérieur dans le concert des nations, comme à l’intérieur où elle constitue la garantie d’effectivité de la règle de droit. Celle-ci, en effet, est une norme dont l’inexécution est sanctionnée par une peine (privative de biens, de liberté) ; sa mise en œuvre exige le recours, ou la plausibilité du recours, à la contrainte contre les récalcitrants. Dans un Etat de Droit, l’emploi de la violence d’Etat, soigneusement codifié, bénéficie d’une présomption de légalité, même si sa légitimité suscite nécessairement des contestations, ne seraient-ce que réduites au groupe-cible. Cependant se développent parfois, y compris dans les démocraties occidentales, des pratiques parfaitement illégales. Les unes sont dues à des défaillances du contrôle institutionnel opéré sur les personnels d’exécution : bavures policières, autonomisation de facto de certains services, voire tortures16. Les autres sont imputables à l’initiative même des Pouvoirs Publics, notamment dans certaines conjonctures politiques (par exemple en relation avec la guerre d’Algérie et le terrorisme O.A.S., les activités des “Barbouzes” ; ou encore les attentats d’intimidation contre des organisations contestataires, violentes ou non : I.R.A, E.T.A, Greenpeace). La violence protestataire : dirigée contre l’ordre social, le régime politique ou, simplement, les représentants et agents de la puissance publique, elle est susceptible de revêtir des modalités extrêmement variées. Violences armées d’organisations clandestines (I.R.A, E.T.A, F.L.N.C. ou, il y a quelques années, Fraction armée rouge, Brigades rouges...) ; violences-déprédations d’émeutiers, de manifestants contre des immeubles publics ou des propriétés privées ; agressions physiques ou menaces verbales contre des agents de l’Etat, des élus, des dirigeants politiques ; emploi de la force matérielle, y compris la capacité d’obstruction du nombre, pour entraver le fonctionnement régulier des services publics : barrages routiers, sit-ins sur la voie publique, occupations sans titre de lieux privés ou publics, etc...La frontière peut d’ailleurs être très ténue entre le cortège autorisé qui provoque une gêne prévue et gérée par les Pouvoirs Publics, et celui, tout aussi légal à l’origine, qui suscite une désorganisation concrète. On observera que la violence comprise en ce sens inclut des formes d’action considérées parfois par leurs auteurs comme non violentes. En outre le consentement tacite de l’Etat n’efface pas nécessairement le caractère intrinsèque de l’opération menée."

    "L’implication émotionnelle des acteurs dans la violence qu’ils mettent en œuvre est une donnée importante à prendre en considération car elle appelle des modes de gestion politiques qui ne sont pas identiques. C’est l’intérêt de distinguer une violence colérique, souvent mais pas toujours, liée à des pratiques protestataires, et une violence instrumentale calculée, graduée, qui est en principe le mode normal d’intervention de l’Etat démocratique à l’intérieur comme à l’extérieur. La première est en quête de profits psychologiques immédiats, au niveau d’une libération de tensions insupportables, la seconde se situe dans un rapport très politique : fins-moyens. Il s’agit cependant de deux modalités ideal-typiques, c’est-à-dire qu’elles servent davantage comme guide de lecture des réalités observables que comme description empirique des faits. Elles se rencontrent en effet rarement à l’état pur. Il convient donc d’utiliser cette distinction comme moyen de déchiffrer l’inégale présence de cette double dimension dans les comportements effectifs."

    "L’idéal démocratique postule en effet que la loi s’impose normalement du fait de sa seule légitimité ; parce qu’elle est l’expression de la Volonté générale. Pourtant, il est non moins vrai que la force du droit, l’autorité de la loi reposent, en dernière instance, sur le monopole de la coercition, c’est à dire sur la violence. Ce qui caractérise l’Etat de droit, par opposition à tous les régimes tyranniques, ce n’est pas l’impossible renonciation à la force mais la soigneuse codification de ses conditions d’emploi. La norme juridique demeure une injonction ou un interdit dont le non-respect justifie, au terme de garanties procédurales, le recours à la contrainte matérielle. Malgré cette réalité incontournable, la formulation selon laquelle la démocratie repose sur la force matérielle, celle de la police et des prisons est intolérable. Intolérable aux gouvernants dont elle saperait indirectement l’autorité en facilitant la légitimation des contestations par la violence ; intolérable aux gouvernés dont l’obéissance à la loi devient narcissiquement moins coûteuse si elle n’apparaît pas comme la soumission à la force. C’est pourquoi on observe la mise en place de mécanismes élaborés destinés à gérer cette contradiction : discours d’occultation de la violence derrière une célébration appuyée de la souveraineté du Peuple , du “bon citoyen” qui respecte la Loi, paie ses impôts et se rend aux urnes pour exercer son droit de vote... discours d’euphémisation qui introduisent les distinctions entre violence et coercition, violence et contrainte d’intérêt général... discours de déni construits sur l’opposition entre solution politique d’un conflit et solution de force. En réalité la solution politique est toujours appuyée sur la construction d’une situation, en termes de légalité et légitimité, qui rend l’usage effectif de la force - mais non sa présence en arrière plan comme garantie d’effectivité - simplement inutile en raison de la disproportion créée entre les protagonistes."
    -Philippe Braud, « La violence politique : repères et problèmes », Cultures & Conflits [En ligne], 09-10 | printemps-été 1993, mis en ligne le 13 mars 2006, consulté le 02 mai 2019.



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