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    Marcel Loichot, La réforme pancapitaliste

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Marcel Loichot, La réforme pancapitaliste Empty Marcel Loichot, La réforme pancapitaliste

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 5 Déc - 16:24

    https://www.persee.fr/doc/reco_0035-2764_1966_num_17_6_407742_t1_1028_0000_001

    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3337873z/f11.image.texteImage

    http://alliancesociale.free.fr/la-reforme-pancapitaliste.html

    Le 11 avril 1966, le président Charles de Gaulle adressait à Marcel Loichot la lettre suivante 4 :

    "Cher Monsieur,

    J’ai eu, récemment, l’occasion de vous dire à quel point m’intéressent les idées dont vous êtes devenu l’apôtre. Aujourd’hui, ayant lu votre ouvrage, « La réforme pancapitaliste », je tiens à vous écrire que j’en ai été fort impressionné. Peut-être savez vous que, depuis toujours, je cherche un peu à tâtons, la façon pratique de déterminer le changement, non point de niveau de vie, mais bien de la condition de l’ouvrier. Dans notre société industrielle, ce doit être le recommencement de tout comme l’accès à la propriété le fut dans notre ancienne société agricole."


    Dans un ouvrage de 231 pages publié en 1967 intitulé « La réforme pancapitaliste », l’auteur, Marcel Loichot, décrit ce qu’il considère comme la réforme décisive pour faire cesser le choix entre les deux systèmes qu’il rejette : celui du communisme soviétique de planification autoritaire et étatique de l’économie, censé mettre fin au salariat et à l’exploitation de l’homme par l’homme, et celui de l’accaparement de la richesse par un petit nombre de personnes, édifié sur le développement de l’économie de marché qu’il contrôle, l’oligocapitalisme.

    Marcel Loichot, né en 1918 en Algérie, fils d’un instituteur qui enseignait les petits kabyles, entra à Polytechnique en 1938. Officier artilleur pendant la guerre et la période de l’invasion en 1940, il la vécut avec lucidité, sans douter du résultat et de la catastrophe finale. Doté d’une vaste culture, il s’orienta vers l’organisation économique et l’étude des méthodes industrielles, avec la carrière d’ingénieur-conseil. Ce qui l’amena, dit-il, à devenir lui aussi un capitaliste international. Il découvrit l’échec de l’expérience soviétique par sa rencontre avec l’œuvre de Arthur Koestler. D’autre part, avec ses contacts voulus tant avec le monde des ouvriers « aliénés » par le système de l’industrialisation occidentale et avec ceux des dirigeants des grandes sociétés, ainsi que par goût pour l’étude de l’évolution (références à Darwin, Buffon, Teilhard de Chardin) l’amenèrent à la conclusion qui fait l’objet de sa proposition qui est en quelque sorte une synthèse.
    La désaliénation des travailleurs, à l’ouest, ainsi que la cessation de la servitude à l’est, indispensable pour la poursuite d’une œuvre économique conçue pour le bien être de tous dans la liberté, ne peut aboutir qu’en rendant les travailleurs propriétaires et solidaires dans leurs entreprises de production et d’échanges par le biais de l’autofinancement auquel ils auront droit. Ce qu’il appelle le pancapitalisme. Nous reproduisons ci-après des extraits due l’ébauche du projet de loi qui figure in fine de son livre.

    ********

    Extraits de La réforme pancapitaliste
    Marcel Loichot, ed. Robert Laffont 1967

    "Le message

    (...) L’expérience a amplement prouvé que les abus (du libéralisme), comme les grandes crises qu’il déclenche, rendent indéfendables sur le plan humain le système libéral d’origine. De sorte qu’actuellement, hors la persistance de l’aliénation du travail humain et de l’état de prolétaire, avec toutes ses conséquences psychologiques, le système n’existe plus que fortement mâtiné de dirigisme, voire de socialisme.
    Surabondamment replâtré, il a ajouté en effet à ses propres mécanismes de tels aména-gements qu’on n’y trouve aujourd’hui que des pièces rapportées : droit syndical, droit de grève, garantie de l’emploi, planification, sécurité sociale, comités d’entreprises, intéressement des travailleurs, prix imposés, nationalisations, cogestion...(...).
    Il devient donc urgent de formuler une théorie non communiste (et non anti-communiste) qui dépasse le marxisme et soit capable d’enflammer les esprits et les coeurs aussi bien que le communisme dont elle maintiendrait les conquêtes positives tout en éliminant les graves inconvénients constatés ; et qui réussirait la « désaliénation » au nom d’une éthique ambitieuse revalorisant la notion de dignité pour toute personne humaine. C’est en pensant à ce que pourrait être une telle doctrine qu’a été écrit l’Essai sur le Pancapitalisme ou capitalisme de tous. (...) Sur le plan économico-social, la théorie pancapitaliste constate que l’effort conjoint du capital et du travail produit deux sortes de biens, les biens de consommation et les biens de production. Cependant, si les salaires et dividendes peuvent aboutir à distribuer équitablement les premiers, les seconds sont abusivement confisqués par les possédants. Or, ils augmentent à une vitesse à une vitesse exponentielle, car il est dans la nature des choses que le monde s’équipe. Rien n’empêche donc, en partageant l’accrois-sement, de mettre fin à ce qui constitue aujourd’hui une véritable spoliation des salariés. Et, ce faisant, d’atteindre des objectifs économiques en même temps que sociaux puisque, en fondant la réforme pancapitaliste sur le partage de l’investissement supplémentaire, on favorise puissamment cet autofinancement que tous, patrons et syndicalistes aussi bien qu’économistes et fonctionnaires, s’accordent à juger indispen-sable à l’expansion industrielle de la Nation.
    En un mot, le Pancapitalisme propose que le travailleur le plus humble bénéficie non plus théoriquement, mais effectivement, de la fonction économique et sociale de l’investis-sement. C’est-à-dire qu’il reçoive sa part dans la création des richesses futures ou, si l’on veut, des moyens supplémentaires de produc-tion qu’il contribue à créer par son travail. (...) Pour assurer la participation des travailleurs à toute augmentation des actifs de l’Entreprise, il faut, propose le Pancapitalisme, que l’autofinancement devienne une règle absolue. Tout bénéfice dépassant un intérêt raisonnable des sommes investies est, pour cet excédent, ajouté au capital. L’opération donne lieu à l’émission d’actions nouvelles incessibles pendant dix ans. Ces dernières sont réparties pour moitié entre les « actionnaires antérieurs » proportionnellement à leurs actions, et pour moitié entre les travailleurs, proportionnellement à leurs salaires. Enfin, actions nouvelles et actions anciennes jouissent de mêmes droits, et notamment élisent ensemble le conseil d’administration. Cette solution, simple et élégante, donnerait à l’autofinancement une impulsion puissante qui, dans une économie en expansion, permettrait au capital d’augmenter de façon continue. Alors, dans l’hypothèse d’un accroissement annuel du capital de 6 %, voisin de la moyenne constatée en Europe, les salariés détiendraient au bout de 25 ans la moitié du capital et les trois quarts après 45 ans, soit la durée d’une vie professionnelle. Car il faut songer, si ce calcul surprend, que les travailleurs deviennent aussi des « travailleurs antérieurs » dès la deuxième année de fonctionnement du système.
    L’adoption d’une telle théorie serait d’une portée immense. Elle résoudrait en effet le plus rationnellement du monde l’équilibre jamais encore obtenu entre revenus, production, consommation, investissements. Elle réalise-rait, également pour la première fois dans l’histoire des hommes, la convergence des impératifs moraux ou humanitaires et des exigences du développement économique de la Nation tout entière. En effet, si le problème de la désaliénation des travailleurs était résolu, la lutte des classes n’aurait plus de raison d’être et les travailleurs, quittant leur peau de mercenaires, deviendraient pour l’Entreprise des associés à part entière oeuvrant pour sa prospérité comme pour la leur propre. Les rapports internes entre hommes ou entre groupes sociaux s’en trouveraient alors radicalement modifiés, une mutation ontolo-gique ayant transformé l’essence même du travailleur, devenu de droit un « heureux possédant ». Et, le dualisme des classes supprimé par extinction de la plus basse, une seule catégorie d’hommes, stratifiés uniquement par niveau de compétence, habiterait enfin un monde réunifié.

    Une ebauche d’un projet de loi

    Article premier . Toute Société employant plus de dix salariés est tenue de diviser comptablement en fin d’exercice le compte « Capital » figurant au passif de son bilan en deux sous-comptes :
    a) Sous-compte « Capital de Participation », au crédit duquel est porté un montant égal au montant net des titres de participation figurant en immobilisations à l’actif. Le poste correspondant doit figurer explicitement avec une valeur nulle dans le cas où la Société n’a pas de titres de participation.
    B) Sous-compte « Capital d’Exploitation Directe », au crédit duquel est portée la différence entre le montant du Capital total et celui du Capital de Participation (au débit si elle est négative ).

    art. 2. Le compte de Résultats est lui-même divisé en fin d’exercice en deux sous-comptes:
    a) Sous-compte « Résultat de Participation », au crédit duquel est porté, dans la mesure où il est positif, le fruit des titres de participation immobilisés (dividendes, actions gratuites comptabilisées en franchise d’impôt pour leur valeur nominale, résultat sur cessions de titres ou de droits d’attribution) diminué des charges y afférentes (frais généraux de gestion, provisions pour dépréciations, taxes et impôts sur les Sociétés).
    b) Sous-compte « Résultat d’Exploitation Directe », au crédit ou au débit duquel est portée, selon qu’elle est positive ou négative, la différence entre le résultat total et le résultat de participation.

    art. 3. Sauf pour les Sociétés prenant l’engagement indiqué à l’article 8 ci-dessous, l’affectation du solde bénéficiaire éventuel, après imputation de l’impôt sur les Sociétés et avant toute distribution, commence nécessairement par l’affectation à un « Compte D’Autofinancement Dégrevé » d’un montant prélevé sur le compte Résultat d’Exploitation Directe s’il est bénéficiaire et :
    a) décidé par l’Assemblée Générale, mais au moins égal à 10 % du Résultat d’Exploitation Directe,
    b) b) multiplie de 2 fois la valeur nominale de titres représentatifs du Capital Social ou, à défaut, multiple de 200 Francs.

    art. 4. A ce « Compte d’Autofinancement dégrevé » est ajoutée, par reprise sur la provision pour impôts sur les Sociétés, une somme égale au crédit d’impôt dont eût bénéficié le montant versé en vertu de l’article 3 s’il avait été distribué, soit 50 % de ce montant.

    art. 5. Dans les six mois suivant la fin de chaque exercice, le montant créditeur du « Compte d’Autofinancement dégrevé » est incorporé au Capital. Les titres représentatifs de cette augmentation de capital (ou la part de capital, s’il s’agit de Société en Nom Collectif), assimilés aux anciens avec jouissance du début de nouvel exercice, sont attribués :
    a) pour deux tiers, aux propriétaires du Capital au dernier jour de exercice écoulé ; ils leur sont immédiatement distribués au prorata de leurs droits sociaux,
    b) pour un tiers, au personnel salarié par l’Entreprise au cours de l’exercice écoulé, et cela par l’intermédiaire d’un « Fonds Indivis Pancapitalisé » tenu de les conserver pendant dix ans à partir de leur création.

    art. 6. Le « Fonds Indivis Pancapitalisé » est géré par un Comité directeur de 3 à 12 membres élus à cet effet par le personnel. Ce Comité en tient la comptabilité avec le concours administratif des services de l’Entreprise et désigne son représentant aux assemblée générales de la Société. Les dividendes perçues à raison des titres détenues par le « Fonds Indivis Pancapitalisé » sont, sous réserve du prélèvement prescrit à l’article 7 ci-dessous, immédiatement distribués aux propriétaires indivis selon leurs droits respectifs au dernier jour de l’exercice écoulé et ainsi déterminés :
    a) toute somme ajoutée au Capital du « Fonds Indivis Pancapitalisé » en vertu de l’article 5 paragraphe b) ci-dessus est portée au crédit de sous-comptes ouverts au nom de chaque salarié de l’Entreprise au cours de l’exercice écoulé, et cela proportionnellement aux montants des salaires versés, le total de ces sous-comptes étant égal au montant de la somme ajoutée.
    b) Il en va de même de toute somme ajoutée ultérieurement au « Fonds Indivis Pancapitalisé » en vertu de l’article 5 paragraphe a) à raison des distributions de titres nouveaux dont il bénéficie en tant que propriétaire d’une partie du capital, la répartition se faisant proportionnellement aux soldes des sous-comptes avant cet ajout.

    art.7. Le « Fonds Indivis Pancapitalisé » distribue chaque année aux titulaires des sous comptes les titres de la Société qu’il détient depuis plus de dix ans. Il les attribue par priorité aux sous-comptes de l’exercice précédant l’émission de ces titres.
    Le capital du « Fonds Indivis Pancapitalisé » est diminué du montant des actions attribuées ainsi que les sous-comptes bénéficiaires. Les soldes résiduels des titulaires ayant quitté l’Entreprise au cours de l’exercice précédant l’émission des titres distribués sont alors retranchés du Capital du « Fonds Indivis Pancapitalisé » et portés au crédit d’un compte « Rompus à rembourser ».
    Ce dernier compte est éteint par prélèvement sur les dividendes ultérieurement attribués aux « Fonds Indivis Pancapitalisé » en vertu de l’article 6 ci-dessus. Un montant égal au remboursement est alors ajouté au Capital, puis réparti entre les sous-comptes au prorata de leurs soldes.

    art.8. L’obligation d’affecter à la réserve légale une part du résultat étant supprimée pour elle, toute Société prenant le triple engagement suivant :
    - affecter principalement au dividende le résultat du Compte d’Exploitation Directe et jusqu'à hauteur de 2,50 % du Capital d’Exploitation Directe ;
    - affecter ensuite la totalité du solde éventuel au Compte d’Autofinancement Dégrevé ;
    - attribuer au Fonds Indivis Pancapitalisé la moitié des titres créés par l’augmentation de capital consécutive,
    bénéficiera des avantages suivants :
    a) Cette distribution en provenance du Résultat d’Exploitation Directe sera, par reprise sur la provision pour impôt sur les Sociétés, augmentée de 50 % de sorte que la part de dividende versée effectivement de ce chef atteindra 3,75 % du « Capital d’Exploitation Directe ».
    b) De plus, ce dividende de 3,75 % sera exonéré de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, cette disposition, jointe à la précédente, ramenant fiscalement la distribution correspondante au régime des revenus des obligations non indexées et agréées par le ministère des Finances selon la loi du 12 juillet 1965.
    c) En outre, la Société pourra, du moment où elle prendra l’engagement stipulé en tête du présent article, procéder annuellement à la réévaluation de son bilan dans les mêmes conditions que si elle fusionnait avec elle-même, c’est-à-dire en bénéficiant de toutes les dispositions du régime des fusions édicté par la loi du 12 juillet 1965.
    art. 9. Des décrets ultérieurs préciseront comment et selon quel calendrier toutes les Entreprises du secteur public concurrentiel seront progressivement transformées en Sociétés Anonymes adoptant le régime prévu à l’article 8 ci-dessus.

    ************
    ****

    La mutation


    Le général de Gaulle, Président de la République, s’adresse aux français, pour leur expliquer sa conception de la participation, ce qu’il appelle la mutation.


    2.1 - Extraits de la conférence de presse tenue au palais de l’elysée le 28 octobre 1966 4


    Q - On a beaucoup parlé ces temps derniers d’une manière générale, de l’intéressement des travailleurs aux profits de l’entreprise. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
    R - (...) Il reste devant nous une question essentielle au premier chef. Il s’agit de la condition des travailleurs au sein de l’activité économique dont ils font partie, que ce soit au niveau des entreprises ou au niveau de la nation. (...)
    La rémunération moyenne de chaque catégorie sociale s’élève à mesure de notre industrialisation, la sécurité sociale et les allocations familiales qui ont été créées par le gouvernement de la Libération, ont fortement atténué les angoisses que la misère, la vieillesse, la maladie, l’infirmité, le chômage, ou bien la naissance des enfants et les soucis immédiats des parents à leur sujet, suscitaient naguère parmi tant et tant de gens. Du coup la dignité de chacun et chacune y a certainement trouvé son compte. (...) il est clair que tout le monde maintenant tire quelque avantage de l’équipement social que nous développons d’un bout à l’autre du territoire. Mais il n’y a là, pour un grand nombre qu’une participation passive à nos progrès collectifs. Le changement qu’il faut apporter à la condition ouvrière, c’est l’association active du travail à l’oeuvre économique qu’il contribue à accomplir (...).
    On peut dire que le cap des principes est maintenant dépassé. C’est quelque chose que d’avoir, en 1945, institué les Comités d’Entreprise ; que d’avoir, par une loi de 1966, étendu leurs attributions ; que d’avoir par une ordonnance de 1959, incité matériellement les entreprises à pratiquer l’intéressement du personnel aux bénéfices, au capital et à la productivité ; que d’avoir prévu dans la loi, tout récemment, que les salariés, dans certains cas, auront droit à une part capitalisée des plus-values en capital.
    (...) A l’échelon de la nation aussi, c’est quelque chose aussi que d’avoir inauguré, avec le Ve Plan, une politique des revenus, politique par laquelle les salaires s’élèvent en même temps que le produit économique global. Je ne dis pas au même niveau, ni à la même vitesse. Je dis « en même temps », vous savez ce que je veux dire. Car il y a tous les prélèvements à faire subir qui font que leurs taux d’augmentation respectifs ne peuvent pas être rigoureusement égaux. C’est quelque chose aussi que d’avoir introduit les syndicats dans les instances où s’élaborent les données économiques et sociales de la politique de l’Etat. C’est quelque chose aussi que d’avoir organisé l’Education Nationale de telle sorte que désormais tous les enfants de France aient leur chance complète dans les études, depuis le début jusqu’à la fin. Mais il reste à fixer les voies et les moyens par lesquels les travailleurs auront légalement leur part, et du même coup leurs responsabilités, dans les progrès des entreprises, étant donné qu’ ils y participent directement par leur effort et leur capacité.
    Il va de soi qu’une réforme pareille qui consiste à bâtir, ou plus exactement à achever, un support nouveau de notre édifice économique et social, cette réforme doit s’accomplir sans ébranler les autres piliers, qui sont d’une part l’investissement des capitaux pour l’équipement des entreprise, et d’autre part, l’initiative et l’autorité de ceux qui ont à les diriger. Il va de soi que cette réforme exige à son tour, des études, des choix et des délais. Mais d’abord il faut la vouloir, la décider et la déclencher. Voilà pourquoi j’ai dit aujourd’hui à ce sujet ce que j’avais à dire (....) »


    2.2 - extraits de l’entretien radiodiffusé et télévisédu 7 juin 1968 avec M..Michel Droit.

    M. Michel Droit - « Tout ce qui vient de se passer comporte évidemment un bon nombre d’aspects négatifs, (...) mais cela comporte aussi un bon nombre d’aspects positifs. Il est évident que doit en sortir une grande mutation de la société qui, d’ailleurs, était nécessaire et indispensable. Vous avez même prononcé, le 24 mai, le mot « mutation ». Vous l’avez prononcé de façon un peu abstraite. Est-ce que vous pouvez dire, ce soir, très clairement ce que vous entendez par « mutation » ?
    Le général de Gaulle : Voilà une société dans laquelle la machine est la maîtresse absolue et la pousse à un rythme accéléré dans des transformations inouïes. (...) Une société qui, il y a cinquante ans, était agricole et villageoise et qui, à toute vitesse, devient industrielle et urbaine ; une société qui a perdu en grande partie les fondements et les encadrements sociaux, moraux, religieux, qui lui étaient traditionnels (...). Comment est-ce qu’on pourrait imaginer que cette société-là soit placide, et soit, au fond, satisfaite ? Elle ne l’est certainement pas. Il est vrai que, en échange, si on peut dire, de tous ces soucis, de toutes ces secousses qu’elle nous apporte, la civilisation mécanique moderne répand parmi nous des biens matériels en quantité et qualité croissantes et qui, certainement, élèvent le niveau de vie de tous (...).
    En même temps, il est vrai que la technique et la science qui se développent parallèlement à l’industrie et aussi vite qu’elle, obtiennent, en s’unissant à elle, des résultats saisissants (...).
    Bref, la civilisation mécanique qui nous apporte encore une fois beaucoup de malheurs nous apporte aussi une prospérité croissante et des perspectives mirifiques. Seulement voilà, elle est mécanique, ce qui veut dire qu’elle enlace l’homme, quel qu’il soit et quoi qu’il fasse, qu’elle l’enlace dans une espèce d’engrenage qui est écrasant. Cela se produit d’ailleurs pour le travail ; cela se produit pour la vie de tous les jours (...). Si bien que tout s’organise et fonctionne d’une manière automatique, standardisée, d’une manière technocratique et de telle sorte que l’individu, par exemple, l’ouvrier, n’a pas prise sur son destin, comme pour les fourmis la fourmilière et pour les termites la termitière. Naturellement, ce sont les régimes communistes qui en viennent là surtout et qui encagent tout et chacun dans un totalitarisme lugubre. Mais le capitalisme lui aussi, d’une autre façon, sous d’autres formes, empoigne et asservit les gens. Comment trouver un équilibre humain pour la civilisation, pour la société mécanique moderne ? voilà la grande question de ce siècle !
    M. Michel Droit : Est-ce que vous pourriez expliquer(...) comment vous entendez promouvoir, en France, ce changement de société et l’expliquer de façon très concrète (...).
    Le général de Gaulle : Pour la mutation dont vous me parlez, il y a, naturellement, des réponses diverses et opposées. Moi, j’en vois trois essentielles.
    D’abord, il y a le communisme qui dit : créons d’office le plus possible de biens matériels et répartissons les d’office de telle sorte que personne n’en dispose à moins qu’on ne l’y autorise. Comment ? Par la contrainte. La contrainte morale et matérielle constante, autrement dit, par une dictature qui est implacable et perpétuelle même si, à l’intérieur d’elle-même, des clans différents s’en saisissent tout à tour en se vouant aux gémonies ; même si depuis que ce système est en vigueur en certains endroits, ses chefs, à mesure qu’ils se succèdent, se condamnent les uns les autres, comme s’il était prouvé d’avance que chacun devait échouer à moins qu’il ne trahisse. Non, du point de vue de l’homme, la solution communiste est mauvaise.
    Le capitalisme dit : grâce au profit qui suscite l’initiative, fabriquons de plus en plus de richesses qui, en se répartissant par le libre marché, élèvent en somme le niveau du corps social tout entier. Seulement voilà : la propriété, la direction, le bénéfice des entreprises dans le système capitaliste n’appartiennent qu’au capital. Alors, ceux qui ne le possèdent pas se trouvent dans une sorte d’état d’aliénation à l’intérieur même de l’activité à laquelle ils contribuent. Non le capitalisme du point de vue de l’homme n’offre pas de solution satisfaisante.
    Il y a une troisième solution : c’est la participation, qui, elle, change la condition de l’homme au milieu de la civilisation moderne. Dès lors que des gens se mettent ensemble pour une œuvre économique commune, par exemple, pour faire marcher une industrie, en apportant soit les capitaux nécessaires, soit la capacité de direction, de gestion, de technique, soit le travail, il s’agit que tous forment ensemble une société, une société où tous aient intérêt à son rendement et à son bon fonctionnement et un intérêt direct. Cela implique que soit attribuée de par la loi, à chacun, une part de ce que l’affaire gagne et de ce qu’elle investit en elle-même grâce à ses gains. Cela implique aussi que tous soient informés d’une manière suffisante de la marche de l’entreprise et puissent, par des représentants, qu’ils auront tous nommés librement, participer à la société et à ses conseils pour y faire valoir leurs intérêts, leurs points de vue et leurs propositions. C’est la voie que j’ai toujours cru bonne. C’est la voie dans laquelle j’ai fait déjà quelques pas : par exemple en 1945, quand, avec mon gouvernement, j’ai institué les comités d’entreprise, quand en 1959 et en 1967, j’ai, par des ordonnances, ouvert la brèche à l’intéressement. C’est la voie dans laquelle il faut marcher.
    M. Michel Droit : Est-ce que, à travers la participation, vous concevez toujours l’entreprise comme ayant à sa tête une autorité qui, lorsque c’est nécessaire, décide et tranche ?
    Le général de Gaulle : Dans l’Etat, il y a un président et puis il y a un Premier ministre. Dans toute entreprise, il faut un président et u directeur général même quand, quelquefois, c’est le même personnage. Ce n’est pas du tout contradictoire avec la participation, je dirai même, au contraire. Dans une participation, dans une société à participation, où tout le monde a intérêt à ce que ça marche, il n’y a aucune espèce de raison pour que tout le monde ne veuille pas que la direction s’exerce avec vigueur. Délibérer c’est le fait de plusieurs et agir c’est le fait d’un seul; ce sera vrai dans la participation comme c’est vrai partout et dans tous les domaines.

    ********
    *****


    ANNEXE 3 :LE RAPPORT SUDREAU : LA REFORME DE L’ENTREPRISE
    (Rapport du Comité d’étude présidé par Pierre Sudreau)



    I : iItroduction

    La société française n’échappe pas aux grandes mutations que subissent toutes les sociétés industrielles modernes. L’évolution affecte le coeur même de la vie économique et par conséquent l’entreprise. Pour que celle-ci ne soit pas en décalage par rapport au mouvement général des idées et des faits, il importe de conduire le changement. La réforme de l’entreprise est certainement aujourd’hui l’une des tâches les plus nécessaires mais aussi l’une des plus difficiles.
    L’enjeu est en effet considérable : l’entreprise est à la fois la source principale de création de richesses et d’emplois et le cadre de vie quotidienne de millions de Français qui y rencontrent collectivement le travail salarié.
    Dans la société actuelle, le développement et la multiplication des fonctions qu’assure l’entreprise font qu’à travers elle, c’est une large part du système économique et social qui est en cause.
    Enfin, l’héritage d’une longue histoire politique et sociale pèse sur le comportement des partenaires dans l’entreprise.
    Le chemin parcouru depuis la révolution industrielle est considérable dans tous les domaines. La réussite économique est incontestable. Mais l’ampleur même de ce succès a profondément renouvelé les aspirations. La réforme de l’entreprise est aujourd’hui ressentie comme un impératif.


    II : Titres de chapitres

    Constat
    L’Entreprise et la société d’aujourd’hui
    L’Entreprise est l’instrument du progrès économique et technique.
    L’Entreprise est critiquée au nom d’aspirations nouvelles.
    L’Entreprise est au centre d’un mouvement. de réformes qui touche de nombreux pays européens.
    La crise de confiance
    entre les partenaires sociaux
    Les racines historiques des positions actuelles.
    Les difficultés du dialogue social.
    L’attitude de l’Etat.
    Le sens d’une réforme.
    Propositions
    Transformer la vie quotidienne
    dans l’entreprise
    Prendre conscience de la crise du travail aujourd’hui.
    Changer les conditions et les relations de travail.
    Rompre l’anonymat de l’organisation.
    Consacrer la place des hommes dans l’entreprise.
    Reconnaître le syndicat comme partenaire.
    Approfondir la concertation au sein du Comité d’Entreprise.
    Ouvrir une voie nouvelle de participation : la cosurveillance.
    Adapter le droit des sociétés
    aux réalités d’aujourd’hui
    Rénover les fonctions dirigeantes dans la société anonyme.
    Organiser la succession des dirigeants d’entreprise.
    Réformer le statut des commissaires aux comptes.
    Revaloriser la situation de l’actionnaire
    Etablir un constat.
    Conforter le statut financier.
    Renforcer l’information de l’actionnaire
    Accroître les moyens d’expression de l’actionnaire.
    Protéger les actionnaires dans les groupes.
    Améliorer les mécanismes de la particpation financière des salariés.
    Prendre la mesure des résultats de la participation et de l’intéressement.
    Envisager une nouvelle étape dans la participation financière.
    Offrir des statuts nouveaux de société
    Une société de personnes : la société des travailleurs associés.
    La société anonyme à gestion participative.
    L’entreprise sans but lucratif.
    Promouvoir la création d’entreprises.
    Stimuler l’esprit d’entreprise.
    Favoriser le développement des petites et moyennes entreprises.
    Prévenir les difficultés et aider les entreprises à y faire face
    Créer des procédure d’alerte.
    Mettre en place un mécanisme d’assistance à la conversion.
    Actualiser les procédures de solution
    des conflits du travail
    Adapter une approche réaliste des conflits collectifs.
    Définir de meilleures procédures de solution des conflits.
    Insérer les finalités de l’entreprise
    dans celles de la société
    Reconnaître que l’entreprise concourt à l’intérêt général.
    Faire converger l’intérêt de l’entreprise et les aspirations de la collectivité.
    Prendre en compte les impératifs propres à l’entreprise dans les choix de l’Etat.
    Conclusion et Annexes



    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


      La date/heure actuelle est Dim 17 Nov - 3:56