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    Philippe Burrin, La Dérive fasciste. Doriot, Déat, Bergery (1933-1945)

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Philippe Burrin, La Dérive fasciste. Doriot, Déat, Bergery (1933-1945) Empty Philippe Burrin, La Dérive fasciste. Doriot, Déat, Bergery (1933-1945)

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 13 Jan - 11:12

    « Des hommes qui occupaient au début des années 30 des places en vue au sein des partis de gauche se retrouvèrent à peine dix ans plus tard parmi les partisans les plus actifs de l’ordre nouveau hitlérien ; et des militants de toutes les familles de la gauche, communistes, socialistes, syndicalistes, radicaux, sans oublier les chapelles de l’extrême gauche, appartinrent aux groupements de la collaboration. Le phénomène est frappant et, même si son ampleur est numériquement faible et largement minoritaire au sein de la collaboration, il est d’importance en raison de la place tenue par certains de ces anciens hommes de gauche : les deux plus importants partis de la collaboration, le RNP et PPF, furent dirigés par un ancien socialiste et un ancien communiste, et animés par un certain nombre d’anciens militants de ces partis. Comment donc expliquer que, d’une gauche qui s’était définie dès 1934 par l’antifascisme, des hommes aient pu aboutir dans la collaboration avec Hitler ? » (p.11)

    « Les historiens [font] preuve de beaucoup de scepticisme envers le concept de « fascisme générique » et préfèrent délaisser l’explication conceptuelle de leur sujet pour le traiter dans son irréductible singularité. Il y a pourtant place pour l’utilisation raisonnée d’une approche conceptuelle comme guide heuristique à la recherche historique. Dans la perspective d’une étude qui porte sur des processus de fascisation, qui cherche à repérer les symptômes de cette fascisation pour en faire ressortir les conditions et les voies, comme les limites à un moment donné, il est indispensable de disposer d’éléments d’appréciation que l’on ne saurait trouver que dans une approche idéaltypique à la manière de Max Weber. » (p.14)

    « Le fascisme est considéré comme un projet politique s’exprimant par une idéologie spécifique […] un imaginaire social, un projet de société qui, quelque confuse qu’en ait été l’expression, quelque trouble qu’en ait été la réception, n’en eut pas moins une puissance de séduction révélatrice d’attentes répandues. » (p.15)

    « [Fascisme italien et nazisme] incarnaient une même variante extrémiste du nationalisme. […] Il s’en distinguait par son recours résolu aux masses, sa volonté de les faire participer, non à l’exercice du pouvoir. Il s’en distinguait en outre par son mépris des élites traditionnelles. » (p.16)

    « La révision du marxisme [pointée par Sternhell] a mené au socialisme démocratique non moins qu’au fascisme, de sorte qu’à produire des effets contraires le facteur n’explique rien. » (p.20)

    « Nébuleuse fascistoïde comprenant plusieurs cercles. D’abord, une zone centrale de noyaux de condensation, dans laquelle il faut placer des éléments comme le francisme, le Parti populaire français (PPF) ou le Rassemblement national populaire (RNP). Ensuite, une zone de fascisation, avec un degradé, où l’on peut inclure certains éléments du phénomène ligueur et de l’extrême droite, comme la Jeune Droite incarnée par un Thierry Maulnier. Enfin, une vaste zone périphérique où l’on peut inscrire les éléments manifestant une attraction vers le fascisme ou une influence médiate de celui-ci, tous éléments refusant de se définir comme des fascistes : c’est ici qu’il faut situer les hommes et les mouvements portant « l’esprit des années 30. », les « non-conformistes » au sens large, comme certains jeunes radicaux, les néo-socialistes, le doriotisme première mannière, tandis que sur les franges extérieures on pourrait placer les personnalites des groupes Esprit et l’Ordre nouveau. Les hommes de gauche ici étudiés passèrent à travers ces différentes zones, entrant dans la première après la rupture avec leur parti, et, de là, passant à la deuxième, où certains allaient s’arrêter, tandis que les autres poursuivraient leur avance dans la troisième. » (p.26)

    « Dès lors que le fascisme est défini par une volonté de puissance et de domination qui implique l’expansion : comment concevoir alors l’acceptation d’une subordination, fût-ce envers un autre fascisme ? » (p.27)

    « Dans l’Europe occupée par l’Allemagne nazie, tous les fascistes furent collaborateurs, si tous les collaborateurs ne furent pas fascistes. » (p.28)

    « Dès juillet 1930, à la suite des incidents nationalistes qui s’étaient produits en Rhénanie, il évoquait l’atmosphère de 1913 et disait son refus d’accepter les solutions de force dont il prêtait l’intention à la droite et au gouvernement français ; il affirmait dans le même souffle son opposition à toute croisade antifasciste et dénonçait le « vieux jacobinisme à la manière 93 » qu’il voyait se réveiller à gauche face à l’Italie fasciste. » (p.48)

    « C’est l’inclination naturelle du regard rétrospectif que d’attacher de l’importance à ce qui fait présager ou annoncer la suite des événements dont l’historien a l’avantage d’avoir la connaissance. » (p.59)

    « A partir de 1932, la France entra à son tour dans la crise. Crise économique, qui l’atteignait tardivement et modérément, mais la laisserait dans le marasme jusqu’à la fin de la décennie. Crise politique, qui sans aller jusqu’à ébranler les institutions ni bouleverser les grands courants politiques du pays, installait à demeure une atmosphère de guerre civile. Crise extérieure enfin, déterminée par la politique du régime hitlérien qui, à peine consolidé au pouvoir, procéderait à la destruction de l’ordre européen. » (p.61)

    « La France était au fond d’elle-même devenue une puissance fatiguée et anxieuse ; la Grande Guerre l’avait marquée trop profondément, les Français refusaient trop intensément une nouvelle saignée, pour ne pas trouver trop lourdes les charges d’une grande puissance, pour réagir autrement que par la prudence timorée en présence d’un adversaire animé d’une brutale volonté. L’organisation défensive de l’armée française contredisait une diplomatie de garante du statu quo européen et s’ajustait mal ave les alliances orientales. » (p.63)

    « Beaucoup suspectèrent dans ce changement spectaculaire de ligne [du PCF] l’affectation à la France par Staline d’un rôle de « paratonnerre » qui devait détourner vers l’Ouest la charge allemande. La droite en devint plus sensible à l’image de héraut de l’anticommunisme que Hitler affichait pour couvrir ses desseins. » (p.64)

    « L’alliance italienne prit dans les années 1933-1935 un départ qui semblait du meilleure augure. Mussolini atteignit alors au comble de la popularité en France, à droite évidemment, mais aussi dans la gauche modérée. Condamnant l’antisémitisme et le racisme, posant en défenseur de l’Europe chrétienne face au communisme et au nazisme athées, mettant en valeur le corporatisme comme la solution à la crise économique, il donna du fascisme une image modérée et respectable qui faisait contraste avec les débordements nazis. Au surplus, endossant le rôle de garant de l’indépendance autrichienne, prenant l’initiative de constituer le Front de Stresa pour faire barrage au redressement allemand, il apparaissait comme un allié décidé à tenir en respect Hitler.
    Mais son objetif avait été d’utiliser la conjoncture créée par le redressement allemand et la marge de manœuvre qu’elle lui fournissait pour procéder à l’élargissement de l’Empire italien. L’entreprise éthiopienne, l’intervention dans la guerre civile espagnole mirent un terme au rapprochement avec les puissances occidentales. » (pp.68-69)

    « Il n’est pas suprenant alors de voir la plupart de ses dirigeants [fascisants] entrer en relation avec le nazisme et se raccrocher à l’espoir chimérique d’une entente avec Hitler qui aurait tout résolu. […] Loustaunau-Lacau, dit Navarre, fondateur des réseaux anticommunistes Corvignolles dans l’armée et ancien collaborateur de Pétain, fit également demander par un intermédiaire une entrevue avec Hitler. » (p.69)

    « Professeur de philosophie, socialiste, membre dirigeant de la Ligue des droits de l’homme, anticolonialiste de toujours, [Félicien] Challaye avait été favorable à l’Union sacrée en 1914 ; décoré de la croix de guerre, il s’était apparemment juré de ne plus s’y laisser reprendre. […] En novembre 1933, il écrivit un article intitulé « Pour la paix désarmée même en face de Hitler » : « Si douloureuse qu’elle puisse être, l’occupation étrangère serait un moindre mal que la guerre ». Ce fut la position à laquelle il se tint dans les années suivantes. […] Challaye éprouvait une culpabilité intense, qui lui venait de la responsabilité qu’il attribuait à la France dans la situation allemande. » (p.73-74)

    « Des personnalités proches du radicalisme comme Jules Romains, des membres et des sympathisants du mouvement Jeune-Turc du parti radical comme Bertrand de Jouvenel, Jean Luchaire et Alfred Fabre-Luce furent de ceux qui se prononcèrent quasi immédiatement en faveur de la recherche d’un accord avec l’hitlérisme. » (p.75)

    « Proche du parti radical, partisan de la Fédération européenne, favorable à la représentation des peuples à la SDN, il considéra l’arrivée de Hitler au pouvoir comme une raison supplémentaire de réaliser l’accord entre les deux pays. A partir de l’automne de 1933, il défendit en des termes mesurés la nécessité de « conversations » avec l’Allemagne. En 1934, une série de séjours à Berlin lui fit rencontrer Rosenberg, Goebbels, Ribbentrop. Entouré des plus grandes attentions, il fut traité comme commençaient à l’être au même moment par la Russie stalinienne les compagnons de route du communisme ; ses romans furent traduits, ses pièces de théâtre portées sur les scènes allemandes, le tout accompagné d’exemptions spéciales pour l’exportation de ses droits d’auteurs. Il est très improbable que la vénalité ou l’intérêt matériel aient joué le moindre rôle dans l’action de rapprochement franco-allemand qu’il mena […] Pour la propagande allemande, il suffisait qu’un homme comme lui appuyât et attestât du poids de sa notoriété les protestations de paix du régime hitlérien ; sa participation au Comité France-Allemagne allait être la conséquence logique de son engagement pour l’entente entre les deux pays. » (p.76-77)

    « Grand bourgeois, qui vécut de ses rentes sa vie durant, et subsidiairement des revenus d’une plume diserte, Alfred Fabre-Luce déploya les talents de son intelligence dans les domaines divers de la littérature et de l’essai ; mais, plus que tout, il fut dans l’entre-deux-guerres passionné par la politique, et payé d’ingratitude. Dans les années 20, il s’était signalé par plusieurs essais politiques qui l’avaient situé dans la mouvance des jeunes radicaux disciples de Caillaux (auquel il consacra en 1933 un ouvrage admiratif). Adversaire de la politique de Poincaré, il avait critiqué dans un livre remarqué la thèse de la responsabilité exclusive de l’Allemagne dans le déclenchement de la Grande Guerre. Partisan du rapprochement avec l’ancienne ennemie, il y voyait la condition sine qua non de la paix européenne et se montrait défiant envers les alliances orientales de la France, d’autant plus que l’idée d’une guerre qui profiterait au communisme était bien présente à son esprit. Le parti radical incarnait son idéal politique -laïcité, esprit de paix, respect de la propriété-, et il souhaitait le voir s’en tenir au rôle d’ « un parti de juste milieu », permettant à la vie parlementaire, après les expériences contraires du Bloc national et du Cartel, de « se dérouler, non plus par succession de fractions extrêmes, mais par déplacements d’équilibre légers autour d’un centre de modération, également affranchi du nationalisme et du collectivisme et fidèle à un programme minimum. » C’était ce libéral que la crise des années 30 allait ébranler et porter vers des chemins aussi improbables que le PPF.
    En février 1933, Fabre-Luce lança la publication de Pamphlet, une revue qui parut pendant une année et ne connut qu’un succès d’estime, mais qui constitue pour l’historien un document remarquable où est inscrit la vibration de l’onde de choc nazie. » (pp.79-80)

    « Jouvenel protestait contre la « vilenie morale » et la « laideur matérielle de la civilisation capitaliste », affirmait son souhait de « voir se former un parti se proposant pour objectif la destruction du Capitalisme et pour méthode l’action directe », un parti groupant « une élite de techniciens » et pouvant rallier tous ceux qui s’insurgent contre « le Pouvoir de l’Argent » ; la Troisième Force d’Izard et le Front commun de Bergery lui paraissaient former l’embryon d’un tel parti. Mais d’un autre côté, parlant du parti communiste, s’il repoussait le type de révolution qu’il proposait, il affirmait la nécessité absolue d’éviter tout conflit avec lui, de ne pas tomber dans l’anticommunisme et passer ainsi pour les soutiens du capitalisme aux yeux des travailleurs ; le PC devait être regardé « comme un aîné qui a fait fausse route. Non comme un adversaire ». Le tournant anticommuniste allait suivre le pacte franco-soviétique et la formation du Front populaire, et les positions de Jouvenel se cristalliser avec l’expérience du PPF. » (pp.86-87)

    « Devant les grands événements des années 30, le groupe Esprit, dans lequel coexistaient par ailleurs des sensibilités diverses, prit une position fondamentalement antifasciste, comme en témoignent la condamnation de l’agression italienne contre l’Éthiopie et de la « croisade » franquiste, la critique de la capitulation de Munich, la dénonciation sans appel de la xénophobie et de l’antisémitisme. » (p.88)

    « Compagnon de route des jeunes radicaux vers la fin des années 20, Drieu avait dit son identé d’Européen et voulu voir dans la Suisse « une sorte de préfiguration de l’avenir de l’Europe ». En 1933, il suivit brièvement Bergery dans l’entreprise de Front commun et fut l’année suivante le collaborateur le plus régulier de Jouvenel à la Lutte des Jeunes. Lui qui tenait pour lors à se dire fasciste, et qui, de tous ces hommes, s’en rapprochait le plus près, jugeait bon cependant d’affirmer, quand il exposait son point de vue sur la réforme de l’Etat, la nécessité du respect de la représentation populaire et demendait concrètement un mode de scrutin majoritaire permettant la formation d’une majorité stable, l’élection d’un président du Conseil pour la durée de la législature et disposant du droit de dissolution. Comme Pierre Dominique et Fabre-Luce, son esprit était occupé du projet d’un tiers-parti, d’un parti « central mais combattif », prenant son bien et ses hommes à droite et àgauche ; lui aussi rêvant de rapprocher et d’atteler Croix-de-Feu et néos, de fédérer à la tête d’un grand mouvement et La Rocque et Bergery, et Déat et Doriot.
    Socialisme fasciste qu’il publia cette même année montre la réalité de sa fascination et ses limites. Le socialisme fasciste dont il était question comprenait aussi bien le stalinisme que les fascismes ; mais c’étaient ces derniers qui l’attiraient. […] S’il appréciait dans les fascismes la révolution de la jeunesse, la remise à l’honneur des vertus viriles et le culte du corps, il était profondément préoccupé par l’inéluctable pente guerrière sur laquelle ces valeurs les engageaient. Il voulait ardemment la révolution intérieure, s’enivrait de la vision d’une société aux énergies tendues, mais refusait leur débordement vers l’extérieur. Tel était le « dilemme » dont il essayait de sortir en se torturant l’esprit. C’était au nom des valeurs de la guerre, mais de la guerre d’avant les tueries de masse, qu’il condamnait la guerre moderne comme une « abomination » ; il avait, pour en décrire les effets destructeurs au cas où elle se reproduirait, la plume d’un pacifiste convaincu. […] Il lui fallait être « plus sage », faire un effort « plus mesuré », et, « à cause de la déviation démoniaque qu’a subie la guerre moderne », se contenter « de l’exercice transposé de la guerre : du sport. » » (pp.91-92)

    « Il incarne parfaitement le fasciste à la française, fasciné par les modèles étrangers et démuni, dans son environnement national comme dans ses ressources individuelles, de l’impulsion brutale et irrépressible qui animait les fascismes authentiques. » (p.93-94)

    « Entre le PPF de 1936 et celui de 1938, il existe en effet d’importantes différences ; le premier portait peut-être en puissance le second, mais il ne lui était pas identique. Au point de départ, le PPF n’était, ni dans la conception de ses fondateurs, ni dans sa réalité, un parti fasciste qui aurait refusé par précaution de se dire tel. En novembre 1935, Doriot s’était fixé pour tâche de rassembler cette majorité de Français qui ne voulaient ni de Staline ni de La Rocque ; c’est l’objectif qu’il entreprit de réaliser en 1936, un objectif qui impliquait une tactique souple et une physionomie ouverte, et qui n’est pas assimilable sans autre à la conception fasciste. Doriot continuait au surplus de braquer son regard sur le PC, ambitionnant toujours de lui ravir ses bases ouvrières, une préoccupation qui pesa dans la définition de son projet et qui allait constituer un frein dans sa dérive vers le fascisme. D’un autre côté, l’attraction exercée dès le départ par les modèles fascistes est avérée. Ce qu’il importe donc de suivre, c’est le mouvement de fascisation qui affecta le PPF, tel qu’il se traduisit par l’émergence de valeurs proprement fascistes et le développement d’un projet de transformation totalitaire de la France. » (pp.278-279)

    « Le PPF était un mouvement de rassemblement national qui ambitionnait de regrouper tous les Français, à l’exception des 200 familles et des dirigeants communistes, pour assurer au pays la paix et l’indépendance. Conformément à cette ambition, Doriot s’abstenait d’attaquer le Front populaire et approuvait les réformes sociales adoptées, tout en critiquant les modalités d’introduction de la loi des 40 heures ; il donnait enfin son appui à la CGT et invitait les militants du PPF à y adhérer pour l’empêcher de passer sous le joug des communistes. […] Le paysan français incarnant les « meilleures vertus de notre peuple », il fallait faciliter son maintien à la terre. […]
    Doriot appelait à une réforme de « l’Etat républicain » renforçant l’autorité de l’exécutif […] En politique extérieure, il se déclarait opposé au traité de Versailles et à l’assistance mutuelle ; l’intérêt de la France étant de demeurer en paix, il fallait obtenir l’entente de l’Italie et répondre aux appels de Hitler. » (pp.280-281)

    « A la différence du mouvement de La Rocque, le PPF refusa de se doter d’une organisation paramilitaire. Le service d’ordre fut tenu strictement dans sa fonction. » (p.282)

    « Son premier Congrès en novembre 1936 fit voir des éléments cérémoniels bien connus : un salut (une variante du salut romain), un cri (« En avant, Jacques Doriot ! »), un insigne, un drapeau, un hymne, et surtout un serment de fidélité, qui, en consacrant le principe du chef, infirmait la prétention de former un parti « démocratique mais discipliné ». […]
    Le Comité central était partagé également entre les hommes venus de gauche, essentiellement communistes, et les hommes venus de droite, Volontaires nationaux (Popelin, Loustau, Maud’huy, Paringaux), mais aussi Jeunesses patriotes et Action française (Henri Lèbre, Claude Jeantet) ; mis à part Jouvenal et les anciens néos (Marion, Gaucher), ces hommes venaient des extrêmes de l’éventail politique. » (p.283)

    « A partir de l’été 1937, la tenue de réunions dans lesquelles Doriot se retrouva aux côtés de Wavier Vallat, Philippe Henriot, Taittinger, Tixier-Vignancour, établit le PPF à la charnière entre la droite modérée et l’extrême-droite, même si Doriot refusait de l’admettre. » (p.285)

    « Popelin, qui eut la charge de la propagande en 1937, estime pour cette année-là à environ 60 000 les membres actifs et à 300 000 les sympathisants. » (p.285-286)

    « Les dispositions fascisantes d’hommes comme Drieu, Arrighi, Marion, Fontenoy, Sicard, Jeantet et Lèvre n’ont pas besoin d’être illustrées ; tous attendaient du PPF qu’il devînt l’équivalent français du fascisme et du nazisme. Ni non plus celles d’un Georges Roux, correspondant en France de la revue de Mussolini Gerarchia. » (p.286-287)

    « Fabre-Luce […] soutenait le PPF à quelque distance dans l’Assaut, un hebdomadaire qu’il fit paraître entre octobre 1936 et juin 1937. » (p.288)
    « [Durant la Guerre d’Espagne] Doriot s’en tint à une attitude de sympathie distante [avec le franquisme], recommandant une politique de neutralité de la France et des Français. » (p.290)

    « L’incapacité de conquérir les masses coïncident avec le rapprochement du danger de guerre développa un mouvement d’identification avec les fascismes et exacerba le refus d’une guerre avec eux. » (p.291)

    « En juin 1937, l’Assaut fusionna avec la Liberté dont il devint un supplément hebdomadaire ; du coup, Fabre-Luce faisait profession publique de doriotisme. » (p.291)

    « A partir de l’été 1937, l’Emancipation nationale reçut la collaboration de Jean de Fabrègues, puis au début de 1938 celle de Thierry Maulnier. Avec Jean-Pierre Maxence, Jean Fayard, Gaxotte et l’équipe de Je suis partout, ces hommes furent régulièrement cités comme de sûrs sympathisants du PPF ; Abel Bonnard, Brasillach, Rebatet intervinrent en outre lors du Congrès du parti en mars 1938. L’ouverture à l’extrême droite alla jusqu’à englober l’Action française. En janvier 1938, l’Emancipation nationale célébra le tricentenaire de la naissance de Louis XIV ; et en juin 1938, on vit Doriot tenir une grande manifestation publique avec Maurras. […] Le PPF, soulignait-il par ailleurs, ne voulait « pas connaîre d’autre doctrine que le nationalisme », et même un « nationalisme intransigeant ». » (p.292)

    « La Charte du travail que Doriot recommandait était reprise du modèle mussolinien, tout comme l’organisation corporative de l’économie, tandis que Marion se référait à l’organisation des loisirs en Italie et en Allemagne. […] Visite en Allemagne d’une délégation des Jeunesses doriotistes au début de 1938. » (p.293)

    « Si la réalité de subventions italiennes est hors de doute, l’obscurité demeure sur leur montant et leur localisation dans le temps. » (p.294)

    « Article de Drieu daté de juillet 1938. Tout en exposant un point de vue raciste, puisqu’il affirmait l’existence d’une « fatalité biologique » qui différenciait les juifs des « Européens », Drieu s’arrêtait à la solution de l’assimilation ; les juifs qui n’en voudraient pas devaient être mis dans un ghetto, les autres soumis à un stage de deux générations avant d’être autorisés à exercer certaines professions et à recevoir la jouissance des droits politiques, étant étendus que les juifs marxistes devaient être expulsés. Drieu exprimait sans doute ses propres vues, mais pour être publiées dans l’organe du PPF, elles devaient avoir reçu l’aval de Doriot ; au surplus, elles s’inscrivaient trop logiquement dans une tendance d’ensemble pour ne pas valoir comme l’expression quasi officielle du point de vue du PPF. » (p.296)

    « A l’issue de la crise [de Munich], Doriot conclut que le nationalisme venait de prouver qu’il n’était pas « l’ennemi de la paix » ; il s’agissait à présent de regrouper les pacifistes de droite et de gauche pour « chasser de la nation le parti de la guerre ». » (p.300)

    « Les étrangers occupent les bonnes places, nous avons là un bon moyen de donner un peu de passion à l’action de notre parti. » (Doriot, Conseil national du PPF des 15 et 16 octobre 1938, cité p.301)

    « L’effet le plus important des ruptures du tournant de l’année fut d’accentuer la dimension traditionnaliste qui s’était affirmée en 1938. En mai 1939, le PPF fêta Jeanne d’Arc avec une solennité sans précédent. » (p.306)

    « A l’annonce du pacte germano-soviétique [Doriot] déclara […] qu’une attaque allemande contre la Pologne déclencherait la guerre européenne, la France ne pouvant se dégager de ses obligations sans perdre « l’honneur, la liberté et l’existence ». » (p.309)

    « Installé à la direction de l’Oeuvre, Déat lança ue violente camapgne de dénonciation du régime de Vichy, tout en épargnant soigneusement la personne de Pétain, et bien entendu celle de Laval, qu’il continuait de considérer comme son chef de file. Il critiqua le traditionnalisme, le cléricalisme, le militarisme du nouveau régime, ses connexions avec le grand capitalisme, railla et condamna avec une verve féroce « la petite « terreur blanche » instituée sous le contrôle de l’Action française ». Il protesta, d’autre part, contre les mesures de révocation qui frappaient les maires de gauche, réclama la libération des pacifistes emprisonnés, prit la défense des victimes de Vichy, les femmes que l’on renvoyait au foyer, les instituteurs que l’on chargeait de la responsabilité de la défaite, les parlementaires que l’on accablait de tous les maux du pays. Il n’était plus alors question de créer un parti unique, ni même pour la France d’avoir « à choisir entre le régime anglais et les méthodes totalitaires ». » (p.386)

    « Le renvoi de Laval le 13 décembre marqua un tournant capital dans son évolution ; c’en était fini de ses espoirs d’arriver au gouvernement, le dernier lien qui le rattachait à Vichy se trouvait rompu. Si le renvoi de Laval tenait à l’antipathie de Pétain à son égard, et surtout à l’insuccès de ses négociations avec l’Allemagne, les relations qu’il entretenait avec Déat y eurent leur rôle. Les violents articles que ce dernier publia contre l’entourage du Maréchal au début de décembre avaient été interprétés à Vichy comme une opération faite de mèche avec Laval pour provoquer un remaniement ministériel, sinon pour préparer le terrain à un coup d’Etat. Aussi, le 13 décembre, tandis que Laval était placé en résidence surveillée, la police parisienne arrêtait Déat et Brinon, qui ne durent d’être relâchés qu’à l’intervention d’Abetz. En faisant appel à Flandin, Pétain n’entendait pas rompre avec la politique de collaboration ; il estimait qu’une attitude plus réservée envers l’Allemagne ménagerait les Anglo-Saxons et ferait pression sur le vainqueur. Apparemment, il ne prévit pas que la réaction allemande pourrait être telle que les rapports entre les deux pays s’en trouveraient interrompus pendant deux mois. La démission de Flandin en février 1941 allait permettre à son successeur, l’amiral Darlan, de renouer les fils de la politique de collaboration, d’une manière qui donna motif aux Allemands de ne pas regretter l’absence de Laval.
    Le coup du 13 décembre rendit Déat furieux. La Révolution nationale était désormais dans l’opposition, écrivit-il, et le gouvernement ne représentait plus rien, en tout cas pas le peuple français. L’idée du parti unique refit surface pour devenir l’objet d’une campagne nourrie ; du même coup, le fascisme et le nazisme étaient avoués comme des « devanciers ». Pendant les semaines suivantes, il demeura dans l’idée que Laval serait rappelé et que lui-même ferait partie de la nouvelle équipe. La vigueur de la réaction d’Abetz, qui avait vu dans l’événement un affront personnel, lui fit croire que l’Allemagne exercerait sur Vichy une pression irrésistible. Le refus persistant opposé par Pétain au retour de Laval, le désintérêt de Hitler, vinrent mettre un terme à ses espoirs, comme à ceux de Laval ; celui-ci resterait en réserve à Paris, suspendant au-dessus de Vichy une épée fort utile à l’occupant. Au tournant de l’année, Déat jugea que, dans les circonstances, le lancement d’un mouvement politique s’imposait. Laval, qui était censé en prendre la tête, l’approuva : l’existence du parti ferait pression sur Vichy et permettrait de convaincre les Allemands que la collaboration jouissait d’un appui populaire. L’ambassade l’encouragea aussi, heureuse de disposer d’un nouveau levier dans la politique française ; elle allait lui apporter toute l’aide matérielle et morale désirable. » (pp.388-389)

    « Le 31 janvier [1941] eut lieu la réunion constitutive de la nouvelle organisation qui prit le titre de Rassemblement national populaire ; sa création fut officiellement annoncée le lendemain. » (p.389)

    « Le 27 août [1941], Déat et Laval qui participaient à Versailles à la cérémonie de départ des premiers combattants de la LVF furent blessés dans un attentat. » (p.391)

    « Divers indices font tenir pour réaliste une estimation de 10 000 à 15 000 membres [au RNP] dans l’été 1941. » (p.392)

    « Sa mentalité et ses conceptions l’entraînaient à souhaiter la paix, et c’est ce qui explique qu’il ait pu écrire le 21 juin 1941 qu’une guerre entre Hitler et Staline était impensable. » (p.395)

    « Déat reconnaissait à l’Allemagne « le rôle du maître d’œuvre » de la future Europe, mais un maître d’œuvre, insistait-il toujours, qui serait non pas « un tyran », mais une autorité « qui guide, conseille et même consulte les compagnons » [Déat, « Du contractuel à l’organique », L’œuvre, 28-29 avril 1941]. » (p.395)

    « En janvier 1942, il parla pour la première fois d’établir un régime « totalitaire », en opposition au régime de Vichy qu’il dénonçait pour n’être qu’un régime « autoritaire ». » (p.401)

    « Il tenait à présent le discours du « sol », du « sang » et de la « race », parlait d’un « élevage rationnel et sélectionné des petits Français », évoquait au passage les « stérilisations ». Sa nazification était pour l’essentiel achevée à la fin de l’été 1942, et c’est dans cet état que le trouva le débarquement allié en Afrique du Nord. » (p.403)

    « Il n’était pas homme à résister à l’insistance d’Abetz ; après avoir cherché à élargir le plus possible les compétences du poste qui lui était proposé, il fut nommé le 17 mars 1944 ministre du Travail. Entouré de la plupart des dirigeants du RNP, il passe les mois qui précédèrent la Libération à revivre son expérience ministérielle de 1936 dans le même mélange d’activité fébrile et de résultats informes, cette fois-ci sur le mode dramatique. La machine étatique se dérobait à ses dirigeants, tandis que les exigences allemandes ne cessaient de croître. Lors de son procès, Albertini déclara que Déat avait cru que les Allemands accorderaient aux collaborationnistes un certain nombre de concessions ; or, à peine installé, il se trouva soumis à des demandes sévères, et c’est ainsi qu’il finit par signer une circulaire préparée par l’occupant qui ordonnait la réquisition des hommes âgés de 45 à 60 ans. » (pp.408-409)

    « étroitesse du vieux cadre national. L’armée française ne sera plus demain qu’une section de l’armée européenne, et sans doute au coude à coude avec des unités de tous pays, selon un esprit continental, qui dépassera de haut les frontières. » (cité p.413-414. Marcel Déat, « Antichauvinisme », L’œuvre, reproduit in Déat, Le Parti unique, Paris, Aux Armes de France, 1942, pp.127-128).

    « Paradoxe du fascisme collaborationniste : comment accorder la proclamation d’une idéologie de renaissance nationale avec l’acceptation d’une défaite et la reconnaissance de la primauté d’un vainqueur ? » (p.414)

    « [Le cas] de Doriot est l’illustration accomplie de cet anticommunisme qui fut dans la France des années 30 l’autre grande force de désagrégation du nationalisme, parce que, érigé en principe de jugement et en critère d’action exclusifs, il fit perdre de vue la nation et ses intérêts. » (p.453)
    -Philippe Burrin, La Dérive fasciste. Doriot, Déat, Bergery (1933-1945), Paris, Seuil, coll. L’Univers historique, 1986, 533 pages.

    Il n’y a pas d’entrée Nietzsche dans l’Index.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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