"Quelqu'un qui parle de civilisation et rêve d'une société à même d'offrir aux individus des horizons spirituels pouvait-il accepter le propos d'un général "auto-proclamé" chef de la France libre, dont les appels des 18 et du 22 juin restent, pour lui, ceux d'un boutiquier ? Nous avons un Empire, disait de Gaulle, de Londres, aux Français ; nous avons une flotte et "beaucoup d'or" ; nous avons des alliés "dont les ressources sont immenses" et puis nous pouvons compter sur "les gigantesques possibilités de l'industrie américaine". Ce n'étaient pas les bons mots pour séduire celui qui situe l'enjeu de cette guerre "à un autre étage". Il hésite un moment: "Peut-être ferais-je mieux d'aller à Londres", dit-il à Léon Werth quelques semaines plus tard, à son retour en France. Finalement, il ne le fait pas, et on le comprend: c'est le même combat, mais pas pour les mêmes causes. On lui en a voulu, on lui en veut encore. Peut-être moins de n'avoir pas rejoint, fût-ce à la dernière heure, comme le firent tant d'autres, le camp des vainqueurs que d'avoir dénoncé à l'avance cette victoire comme étant celle d'une servitude sur une autre servitude, celle d'une société matérialiste et vulgaire sur une autre qui ne l'était pas moins, celle de "l'affreux businessman américain" sur le non moins affreux adepte d'une idéologie qui réduit les individus au statut de carnassier. L'homme n'y trouve pas son compte."
"Ne rejoignant aucun des deux camps qui regroupent les Français d'Amérique, les pétainistes et les Français libres, Saint-Exupéry est vilipendé par tous avec une violence redoublée dès qu'il tourne le dos à ceux qui lui font des courbettes. Fin janvier 1941, probablement à la suggestion de Gaston Bergery, son nom apparaît, sans son consentement, sur la liste des personnalités pressenties pour faire partie d'un Conseil national à vocation consultative dont le rôle serait d'orienter la politique du gouvernement de Vichy. Saint-Exupéry décline cet honneur dans une conférence de presse et par un démenti en première page du New York Times du 31 janvier 1941, sans que cela fasse taire les gaullistes qui continuent de lui reprocher, avec une mauvaise foi évidente, cette fausse nomination, surtout après son refus de collaborer à leur journal, La Marseillaise, et après l'échec de ceux chargés par de Gaulle d'obtenir son ralliement: celui-ci fait figurer le nom d'Antoine de Saint-Exupéry dans un télégramme adressé le 19 avril de Brazzaville à René Pleven et au général Petit leur demandant de gagner à sa cause un certain nombre de personnalités prestigieuses ; les témoignages de Raoul Aglion, le représentant de la France libre aux Etats-Unis, et de Raoul de Roussy de Sales, gaulliste de la première heure, vont dans le même sens.
Saint-Exupéry répond à tous par une fin de non-recevoir. Il reproche aux partisans du Maréchal de "trop fusiller" -c'est un euphémisme- et à de Gaulle de parler au nom de la France, sans que rien ne l'y autorise ; pire, par ambition personnelle, celui-ci pousse les Français à se faire la guerre entre eux au lieu de les réunir tous dans un même combat contre l'Allemagne nazie. Cette position lui vaut des haines tenaces, à commencer par celle du Général." (p.354)
-Virgil Tanase, Saint-Exupéry, Gallimard, 2013, 449 pages.
"Ne rejoignant aucun des deux camps qui regroupent les Français d'Amérique, les pétainistes et les Français libres, Saint-Exupéry est vilipendé par tous avec une violence redoublée dès qu'il tourne le dos à ceux qui lui font des courbettes. Fin janvier 1941, probablement à la suggestion de Gaston Bergery, son nom apparaît, sans son consentement, sur la liste des personnalités pressenties pour faire partie d'un Conseil national à vocation consultative dont le rôle serait d'orienter la politique du gouvernement de Vichy. Saint-Exupéry décline cet honneur dans une conférence de presse et par un démenti en première page du New York Times du 31 janvier 1941, sans que cela fasse taire les gaullistes qui continuent de lui reprocher, avec une mauvaise foi évidente, cette fausse nomination, surtout après son refus de collaborer à leur journal, La Marseillaise, et après l'échec de ceux chargés par de Gaulle d'obtenir son ralliement: celui-ci fait figurer le nom d'Antoine de Saint-Exupéry dans un télégramme adressé le 19 avril de Brazzaville à René Pleven et au général Petit leur demandant de gagner à sa cause un certain nombre de personnalités prestigieuses ; les témoignages de Raoul Aglion, le représentant de la France libre aux Etats-Unis, et de Raoul de Roussy de Sales, gaulliste de la première heure, vont dans le même sens.
Saint-Exupéry répond à tous par une fin de non-recevoir. Il reproche aux partisans du Maréchal de "trop fusiller" -c'est un euphémisme- et à de Gaulle de parler au nom de la France, sans que rien ne l'y autorise ; pire, par ambition personnelle, celui-ci pousse les Français à se faire la guerre entre eux au lieu de les réunir tous dans un même combat contre l'Allemagne nazie. Cette position lui vaut des haines tenaces, à commencer par celle du Général." (p.354)
-Virgil Tanase, Saint-Exupéry, Gallimard, 2013, 449 pages.