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    Christophe Prochasson et Anne Rasmussen, Au nom de la patrie. Les intellectuels et la première guerre mondiale (1910-1919)

    Johnathan R. Razorback
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    Message par Johnathan R. Razorback Ven 10 Avr - 19:57

    « La période est propice à tous les bouleversements, à toutes les inversions comme à toutes les remises en ordre. » (p.6-7)

    « Dans bien des secteurs de la vie culturelle, la Première Guerre mondiale n’interrompit pas grand-chose. L’histoire de la mode montre, par exemple, que les modernistes d’avant-guerre, comme Paul Poiret ou Antoine, ont poursuivi leur travail de rénovation. […] Dans un tout autre domaine, comme la biologie, d’anciennes théories se trouvent réactualisées. […]
    Le bilan global nous pousse à faire le constat d’une époque plutôt morne sur le plan de l’innovation culturelle malgré quelques percées avant-gardistes. La lecture romantique d’une guerre accoucheuse de modernité n’est pas probante. » (p.Cool

    « Les dernières années du XIXe siècle avaient pu sembler innocentes, dégagées qu’elles étaient de clivages indépassables. La politique, surtout, n’avait pas établi de cloisons étanches et nul débat intellectuel n’opposait irrémédiablement les uns les autres. En dépit de la vivacité des querelles, chacun avait souci d’échanger, au-delà même des frontières les plus admises. » (p.11)

    « La Première Guerre mondiale sonne comme l’une des heures creuses de l’aventure intellectuelle du XXe siècle français. Parenthèse oubliée entre une longue fin de siècle flamboyante et un entre-deux-guerres où pétillent des inventions littéraires et artistiques, le conflit ne retient guère l’attention des historiens de la culture. A tort. » (p.124)

    « [La Grande Guerre] fut une source unique d’émotions nouvelles et de réflexions inédites. D’Espagne, José Ortega y Gasset en saluait l’avènement comme s’il s’agissait là d’un moment salutaire où tout devenait enfin possible. » (p.125)

    « Les intellectuels allemands furent les premiers à s’engager sur le front de cette guerre culturelle. En octobre 1914, ils furent 93 à publier un long manifeste baptisé « Appel aux nations civilisées » […] Le conflit fut, outre-Rhin, l’époque d’une large diffusion de Nietzsche dans sa version héroïque et celle de sa nationalisation. L’agressivité portée par le manifeste allemand provoqua des répliques de la même encre en France et à l’étranger. » (p.126-127)
    « Comme en politique, il y eut une « union sacrée » des intellectuels dont les porte-parole les plus entendus étaient naturellement ceux qui, depuis déjà longtemps, avaient fait de la nation leur cheval de bataille. » (p.129)

    « Chacun se retrouvait sur la nécessité qu’il y avait à préserver la Civilisation, celle dont avaient accouché des siècles de culture occidentale et que, aux yeux de ceux qui défendaient la légimité de la guerre, la horde germanique menaçait d’anéantir. Dans sa préface au catalogue d’une exposition d’artistes français organisée en Norvège en 1916, Guillaume Apollinaire inscrivait la France dans l’histoire d’une longue tradition culturelle, que l’attaque allemande mettait en péril, renouvellant l’alliance du nationalisme et du classicisme élaborée avant guerre : « Intelligente et ouverte, la France continue, même pendant la guerre, cette mission civilisatrice que la Grèce et Rome lui ont transmise tout naturellement comme à la nation la plus ingénieuse, la plus sensée, la plus mesurée. Voici donc l’art de la jeune France au génie tempéré, libre et fin. » Dès le 8 août 1914, devant l’Académie des sciences morales et politiques, qui débattait de la nécessité qu’il y avait ou non à radier les associés de nationalité allemande, Bergson analysait le conflit en des termes que les journalistes développaient déjà : « La lutte engagée contre l’Allemagne est la lutte même de la civilisation contre la barbarie. Tout le monde le sent, mais notre Académie a peut-être une autorité particulière pour le dire. Vouée en grande partie à l’étude des questions psychologiques, morales et sociales, elle accomplit un simple devoir scientifique en signalant dans la brutalité et le cynisme de l’Allemagne, dans son mépris de toute justice et de toute vérité, une régression à l’état sauvage ». » (p.130-131)

    « Au-delà des clivages politiques, il était possible de s’unir sur cette ligne-là. » (p.132)

    « Les intellectuels et les artistes français entamèrent un travail de réappréciation des valeurs culturelles allemandes sur lesquelles ils estimaient avoir trop longtemps vécu. » (p.133)

    « Dans la séance du 12 décembre 1914 de l’Académie des sciences morales et politiques, Henri Bergson s’en prit à l’histoire et à la philosophie allemandes : « Je n’y vois, pour ma part, qu’une philosophie destinée à traduire en idées ce qui était, au fond, ambition insatiable, volonté pervertie par l’orgueil. » (p.135)

    « La caste qui avait proclamé, haut et fort, son autonomie au moment de l’Affaire, la perdait avec une bonne volonté que les engagements ultérieurs ne connaîtront point. » (p.140)

    « Il était devenu impossible de penser, d’écrire, de peindre ou de composer sans référence à la guerre. » (p.143)

    « Plus qu’en toute autre ciconstance, les intellectuels cultivèrent la mauvaise conscience de disposer d’un corps symbolique débile dont leur métier et leur fonction leur avaient appris à faire l’économie. » (p.157)

    « La chute de 50% de la production imprimée durant la première année de la guerre concerna au premier chef les ouvrages à caractère philosophique. » (p.187)

    « L’Année philosophique [revue] cessa sa parution. » (p.188)

    « La Revue scientifique (Revue rose) […] devenue bimensuelle. » (p.217)

    « Dans un livre de 1915, Les Surboches, André Beaunier le pourchassait chez Nietzsche, Treitschke, Goethe. » (p.191)

    « En 1917, Paul Vidal de La Blache publia son dernier livre, La France de l’Est, dans lequel il tentait de montrer qu’en cas de victoire l’Alsace et la Lorraine, quoique de culture germanique, devaient revenir dans le giron français. » (p.199)

    « Cinq savants renommés (Parenty, Laguesse, Duret, Witz, Calmette) établirent devant l’Académie des sciences, en octobre 1918, le récit circonstancié des tortures infligées aux populations civiles de leur ville de Lille pendant l’occupation, avec preuves et noms des officiers allemands à l’appui. » (p.256)

    « L’apologie du classicisme fut finalement l’une des valeurs intellectuelles les mieux partagées de l’après-guerre. » (p.274)

    « Éprouvé sur les champs de bataille comme dans l’engagement propagandiste des clercs dans la guerre, le paradigme de la subordination de l’individuel au collectif s’imposait dans tous les domaines. » (p.278)
    -Christophe Prochasson et Anne Rasmussen, Au nom de la patrie. Les intellectuels et la première guerre mondiale (1910-1919), Paris, Éditions La Découverte, 1996, 303 pages.

    « L’Allemagne nous même à penser, car cette nation, où l’intelligence, qui s’est faite la servante du militarisme prussien et déclare ne pouvoir vivre sans plus, où, d’ailleurs, la décroissance intellectuelle est certaine, s’imagine être, en toutes les sciences, l’institutrice du genre humain. » -Ernest Lavisse, dans Émile Durkheim et Ernest Lavisse, Lettres à tous les Français, Paris, Colin, 1992 (1916 pour la première édition).

    « Se vanter de réaliser la forme la plus élevée de la nature humaine, et se révéler comme les survivants des Huns et des Vandales. » -Émile Boutroux, « L’Allemagne et la Guerre », Revue des deux mondes, 15 octobre 1915, p.386.




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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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