http://www.idref.fr/027194035
http://classiques.uqac.ca/classiques/Weber/weber_max.html
http://www.reds.msh-paris.fr/publications/revue/pdf/ds09/009-02.pdf
"Toute une école, dont le plus illustre représentant est Machiavel, tient que l'essence de la politique se révèle précisément dans les situations extrêmes. Un politique doit être à la fois convaincu et responsable. Mais quand il faut mentir ou perdre, tuer ou être vaincu, quel choix est moral ? La vérité, répond le moraliste de la conviction, le succès, répond le moraliste de la responsabilité. Les deux choix sont moraux pourvu que le succès voulu par ce dernier soit celui de la Cité, non le sien propre.
L'antinomie me paraît essentielle, quand bien même, dans la majorité des cas, la prudence suggérerait un compromis raisonnable. La situation extrême dans laquelle le compromis devient difficile, sinon impossible, n'est pas exceptionnelle : le risque en surgit dès qu'il y a un conflit. Or Max Weber jugeait, non sans raison, que la politique est, par essence, conflit, entre les nations, entre les partis, entre les individus." (p.38)
"La guerre est inséparable de la politique et l'homme de pensée qui entre dans la politique ne parvient ni à se soumettre entièrement aux obligations du combattant ni à s'en libérer totalement." (p.39)
"Quel que soit le jugement du philosophe, l'existence historique est faite de combats douteux où nulle cause n'est pure, nulle décision sans risque, nulle action sans conséquences imprévisibles. Peut-être le philosophe discerne-t-il au-delà de ce tumulte la fraternité des dieux, l'historien constate la fureur fratricide des Églises." (p.45)
-Raymond Aron, préface à Max Weber, Le Savant et le Politique, 1919, "Les classiques des sciences sociales", 152 pages.
"C'est une idée puérile de croire qu'un mathématicien assis à sa table de travail pourrait parvenir à un résultat quelconque utile pour la science en manipulant simplement une règle ou une mécanique telle qu'une machine à calculer. L'imagination mathématique d'un Weierstrass est évidemment orientée, dans son sens et dans son résultat, tout autrement que celle d'un artiste, dont elle est également radicalement distincte du point de vue de la qualité ; mais le processus psychologique est le même dans les deux cas. Les deux ne sont qu'ivresse (μαυία au sens de Platon) et « inspiration »."
"Dans les sciences, je le répète, non seulement notre destin, mais encore notre but à nous tous est de nous voir un jour dépassés. Nous ne pouvons accomplir un travail sans espérer en même temps que d'autres iront plus loin que nous. En principe ce progrès se prolonge à l'infini." (p.61)
"Le progrès scientifique est un fragment, le plus important il est vrai, de ce processus d'intellectualisation auquel nous sommes soumis depuis des millénaires et à l'égard duquel certaines personnes adoptent de nos jours une position étrangement négative.
Essayons d'abord de voir clairement ce que signifie en pratique cette rationalisation intellectualiste que tous devons à la science et à la technique scientifique. Signifierait-elle par hasard que tous ceux qui sont assis dans cette salle possèdent sur leurs conditions de vie une connaissance 'supérieure à celle qu'un Indien ou un Hottentot peut avoir des siennes ? Cela est peu probable. Celui d'entre nous qui prend le tramway n'a aucune notion du mécanisme qui permet à la voiture de se mettre en marche - à moins d'être un physicien de métier. Nous n'avons d'ailleurs pas besoin de le savoir. Il nous suffit de pouvoir « compter » sur le tramway et d'orienter en conséquence notre comportement ; mais nous ne savons pas comment on construit une telle machine en état de rouler. Le sauvage au contraire connaît incomparablement mieux ses outils. Lorsqu'aujourd'hui nous dépensons une somme d'argent, je parierais que chacun ou presque de mes collègues économistes, s'ils sont présents dans cette salle, donnerait une réponse différente à la question : comment se fait-il qu'avec la même somme d'argent on peut acheter une quantité de choses tantôt considérable tantôt minime ? Mais le [70] sauvage sait parfaitement comment s'y prendre pour se procurer sa nourriture quotidienne et il sait quelles sont les institutions qui l'y aident. L'intellectualisation et la rationalisation croissantes ne signifient donc nullement une connaissance générale croissante des conditions dans lesquelles nous vivons. Elles signifient bien plutôt que nous savons ou que nous croyons qu'à chaque instant nous pourrions, pourvu seulement que nous le voulions, nous prouver qu'il n'existe en principe aucune puissance mystérieuse et imprévisible qui interfère dans le cours de la vie ; bref que nous pouvons maîtriser toute chose par la prévision. Mais cela revient à désenchanter le monde. Il ne s'agit plus pour nous, comme pour le sauvage qui croit à l'existence de ces puissances, de faire appel à des moyens magiques en vue de maîtriser les esprits ou de les implorer mais de recourir à la technique et à la prévision. Telle est la signification essentielle de l'intellectualisation." (p.62)
"Toutes les sciences de la nature nous donnent une réponse à la question : que devons-nous faire si nous voulons être techniquement maîtres de la vie ? Quant aux questions : cela a-t-il au fond et en fin de compte un sens ? devons-nous et voulons-nous être techniquement maîtres de la vie ? elles les laissent en suspens ou bien les présupposent en fonction de leur but." (p.69)
"Prendre une position politique pratique est une chose, analyser scientifiquement des structures politiques et des doctrines de partis en est une autre." (p.70)
"La probité intellectuelle, ce qui veut dire l'obligation de reconnaître que d'une part l'établissement des faits, la détermination des réalités mathématiques et logiques ou la constatation des structures intrinsèques des valeurs culturelles, et d'autre part la réponse aux questions concernant la valeur de la culture et de ses contenus particuliers ou encore celles concernant la manière dont il faudrait agir dans la cité et au sein des groupements politiques, constituent deux sortes de problèmes totalement hétérogènes." (p.71)
"La tâche primordiale d'un professeur capable est d'apprendre à ses élèves à reconnaître qu'il y a des faits inconfortables, j'entends par là des faits qui sont désagréables à l'opinion personnelle d'un individu ; en effet il existe des faits extrêmement désagréables pour chaque opinion, y compris la mienne. Je crois qu'un professeur qui oblige ses élèves à s’habituer à ce genre de choses accomplit plus qu'une œuvre purement intellectuelle, je n'hésite pas à prononcer le mot d'« œuvre morale »." (p.72-73)
"C'est le destin qui gouverne les dieux et non pas une science, quelle qu'elle soit." (p.74)
-Max Weber, Le Savant et le Politique, 1919, "Les classiques des sciences sociales", 152 pages.
"Nous entendrons uniquement par politique la direction du groupement politique que nous appelons aujourd'hui « État », ou l'influence que l'on exerce sur cette direction." (p.86)
"S'il n'existait que des structures sociales d'où toute violence serait absente, le concept d'État aurait alors disparu et il ne subsisterait que ce qu'on appelle, au sens propre du terme, l'« anarchie ». La violence n'est évidemment pas l'unique moyen normal de l'État, - cela ne fait aucun doute - mais elle est son moyen spécifique. De nos jours la relation entre État et violence est tout particulièrement intime. Depuis toujours les groupements politiques les plus divers - à commencer par la parentèle - ont tous tenu la violence physique pour le moyen normal du pouvoir. Par contre il faut concevoir l'État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d'un territoire déterminé - la notion de territoire étant une de ses caractéristiques - revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime. Ce qui est en effet le propre de notre époque, c'est qu'elle n'accorde à tous les autres groupements, ou aux individus, le droit de faire appel à la violence que dans la mesure où l'État le tolère : celui-ci passe donc pour l'unique source du « droit » à la violence. Par conséquent, nous entendrons par politique l'ensemble des efforts que l'on fait en vue de participer au pouvoir ou d'influencer la répartition du pouvoir, soit entre les États, soit entre les divers groupes à l'intérieur d'un même État." (p.87)
"L'État consiste en un rapport de domination de l'homme sur l'homme fondé sur le moyen de la violence légitime (c'est-à-dire sur la violence qui est considérée comme légitime). L'État ne peut donc exister qu'à la condition que les hommes dominés se soumettent à l'autorité revendiquée chaque fois par les dominateurs." (p.87)
"Il existe en principe - nous commencerons par là - trois raisons internes qui justifient la domination, et par conséquent il existe trois fondements de la légitimité. Tout d'abord l'autorité de l'« éternel hier », c'est-à-dire celle des coutumes sanctifiées par leur validité immémoriale et par l'habitude enracinée en l'homme de les respecter. Tel est le « pouvoir traditionnel » que le patriarche ou le seigneur terrien exerçaient autrefois. En second lieu l'autorité fondée sur la grâce personnelle et extraordinaire d'un individu (charisme) ; elle se caractérise par le dévouement tout personnel des sujets à la cause d'un
homme et par leur confiance en sa seule personne en tant qu'elle se singularise par des qualités prodigieuses, par l'héroïsme ou d'autres particularités exemplaires qui font le chef. C'est là le pouvoir « charismatique » que le prophète exerçait, ou - dans le domaine politique - le chef de guerre élu, le souverain plébiscité, le grand démagogue ou le chef d'un parti politique. Il y a enfin l'autorité qui s'impose en vertu de la « légalité », en vertu de la croyance en la validité d'un statut légal et d'une a compétence » positive fondée sur des règles établies rationnellement, en d'autres termes l'autorité fondée sur l'obéissance qui s'acquitte des obligations conformes au statut établi. C'est là le pouvoir tel que l'exerce le « serviteur de l'État » moderne, ainsi que tous les détenteurs du pouvoir qui s'en rapprochent sous ce rapport.
Il va de soi que dans la réalité des motifs extrêmement puissants, commandés par la peur ou par l'espoir, conditionnent l'obéissance des sujets - soit la peur d'une vengeance des puissances magiques ou des détenteurs du pouvoir, soit l'espoir en une récompense ici-bas ou dans l'autre inonde ; mais elle peut également être conditionnée par d'autres intérêts très variés." (p.87-88)
"Partout le développement de l'État moderne a pour point de départ la volonté du prince d'exproprier les puissances « privées » indépendantes qui, à côté de lui, détiennent un pouvoir administratif, c'est-à-dire tous ceux qui sont propriétaires de moyens de gestion, de moyens militaires, de moyens financiers et de foutes les sortes de biens susceptibles d'être utilisés politiquement. Ce processus s'accomplit en parfait parallèle avec le développement de l'entreprise capitaliste expropriant petit à petit les producteurs indépendants. Et finalement on voit que dans l'État moderne le pouvoir qui dispose de la totalité des moyens de gestion politiques tend à se ramasser en une seule main ; aucun des fonctionnaires ne reste plus propriétaire personnel de l'argent qu'il dépense ou des bâtiments, des stocks et des machines de guerre qu'il contrôle. L'État contemporain et cela est important sur le plan des concepts a donc entièrement réussi à « couper » la direction administrative, les fonctionnaires et les travailleurs de l'administration des moyens de gestion." (p.92)
"L'honneur du fonctionnaire consiste dans son habileté à exécuter consciencieusement un ordre sous la responsabilité de l'autorité supérieure, même si - au mépris de son propre avis - elle s'obstine à suivre une fausse voie. Il doit plutôt exécuter cet ordre comme s'il répondait à ses propres convictions. Sans cette discipline morale, dans le sens le plus élevé du terme, et sans cette abnégation, tout l'appareil s'écroulerait." (p.109)
"Ce n'est pas une petite affaire que de fréquenter les salons des puissants de la terre." (p.113)
"Il n'existe tout compte fait que deux sortes de péchés mortels en politique : ne défendre aucune cause et n'avoir pas le sentiment de sa responsabilité - deux choses qui sont souvent, quoique pas toujours, identiques. La vanité ou, en d'autres termes, le besoin de se mettre personnellement, de la façon la plus apparente possible, au premier plan, induit le plus fréquemment l'homme politique en tentation de commettre l'un ou l'autre de ces péchés ou même les deux à la fois. D'autant plus que le démagogue est obligé de compter avec « l'effet qu'il fait » - c'est pourquoi il court toujours le danger de jouer le rôle d'un histrion ou encore de prendre trop à la légère la responsabilité des conséquences de ses actes, tout occupé qu'il est par l'impression qu'il peut faire sur les autres. D'un côté, le refus de se mettre au service d'une cause le conduit à rechercher l'apparence et l'éclat du pouvoir au lieu du pouvoir réel ; de l'autre côté, l'absence du sens de la responsabilité le conduit à ne jouir que du pouvoir pour lui-même, sans aucun but positif. En effet bien que, on plutôt parce que la puissance est le moyen inévitable de la politique et qu'en conséquence le désir du pouvoir est une de ses forces motrices, il ne peut y avoir de caricature plus ruineuse de la politique que celle du matamore qui joue, avec le pouvoir à la manière d'un parvenu, ou encore Narcisse vaniteux de son pouvoir, bref tout adorateur du pouvoir comme tel. Certes le simple politicien de la puissance [Machtpolitiker], à qui l'on porte aussi chez nous un culte plein de ferveur, peut faire grand effet, mais tout cela se perd dans le vide et l'absurde. Ceux qui critiquent la a politique de puissance » ont entièrement raison sur ce point. Le soudain effondrement moral de certains représentants typiques de cette attitude nous a permis d'être les témoins de la faiblesse 'et de l'impuissance qui se dissimulent derrière certains gestes pleins d'arrogance, mais parfaitement vides. Une pareille politique n’est jamais que le produit d'un esprit blasé, souverainement superficiel et médiocre, fermé à toute signification de l'activité humaine ; rien n'est d'ailleurs plus éloigné de la conscience du tragique qu'on trouve dans toute action et tout particulièrement dans l'action politique que cette mentalité." (p.136)
"Sans arrêt l'interdit frappait la ville de Florence - et en ce temps une telle pression pesait beaucoup plus lourdement sur les hommes et menaçait davantage le salut de leur âme que l'« approbation froide » (comme dit Fichte) du jugement moral kantien - mais les citoyens de la cité continuaient à faire la guerre aux États de l'Église. Dans un beau passage de ses Histoires florentines, si mes souvenirs sont exacts, Machiavel fait allusion à cette situation et met dans la bouche d'un héros de cette ville les paroles suivantes, pour rendre hommage à ses concitoyens : « Ils ont préféré la grandeur de leur cité au salut de leur âme. »." (p.149)
"Peu importe quels seront les groupes politiques qui triompheront : ce n'est pas la floraison de l'été qui nous attend, mais tout d'abord une nuit polaire, glaciale, sombre et rude. [...] Et lorsque cette nuit se sera lentement dissipée, combien encore vivront, de tous ceux qui ont vécu l'actuel printemps, au visage si opulent ? Que seront-ils tous devenus en leur for intérieur ?" (p.151)
-Max Weber, "Le métier et la vocation d'homme politique", in Le Savant et le Politique, 1919, "Les classiques des sciences sociales", 152 pages.
https://books.google.fr/books?id=NNBT6s8zIEsC&pg=PA69&lpg=PA69&dq=mat%C3%A9rialisme+jusnaturalisme&source=bl&ots=XeIhAYe-aD&sig=cvd1yEIt2ZALBo5lOT60S2KjC5w&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjL4_e8ytvVAhXGWBoKHZ0nDlgQ6AEILzAB#v=onepage&q=mat%C3%A9rialisme%20jusnaturalisme&f=false
"
-Max Weber, Rudolf Stammler et le matérialisme historique, Presses de l'Université de Laval, Cerf, 2001.
http://classiques.uqac.ca/classiques/Weber/weber_max.html
http://www.reds.msh-paris.fr/publications/revue/pdf/ds09/009-02.pdf
"Toute une école, dont le plus illustre représentant est Machiavel, tient que l'essence de la politique se révèle précisément dans les situations extrêmes. Un politique doit être à la fois convaincu et responsable. Mais quand il faut mentir ou perdre, tuer ou être vaincu, quel choix est moral ? La vérité, répond le moraliste de la conviction, le succès, répond le moraliste de la responsabilité. Les deux choix sont moraux pourvu que le succès voulu par ce dernier soit celui de la Cité, non le sien propre.
L'antinomie me paraît essentielle, quand bien même, dans la majorité des cas, la prudence suggérerait un compromis raisonnable. La situation extrême dans laquelle le compromis devient difficile, sinon impossible, n'est pas exceptionnelle : le risque en surgit dès qu'il y a un conflit. Or Max Weber jugeait, non sans raison, que la politique est, par essence, conflit, entre les nations, entre les partis, entre les individus." (p.38)
"La guerre est inséparable de la politique et l'homme de pensée qui entre dans la politique ne parvient ni à se soumettre entièrement aux obligations du combattant ni à s'en libérer totalement." (p.39)
"Quel que soit le jugement du philosophe, l'existence historique est faite de combats douteux où nulle cause n'est pure, nulle décision sans risque, nulle action sans conséquences imprévisibles. Peut-être le philosophe discerne-t-il au-delà de ce tumulte la fraternité des dieux, l'historien constate la fureur fratricide des Églises." (p.45)
-Raymond Aron, préface à Max Weber, Le Savant et le Politique, 1919, "Les classiques des sciences sociales", 152 pages.
"C'est une idée puérile de croire qu'un mathématicien assis à sa table de travail pourrait parvenir à un résultat quelconque utile pour la science en manipulant simplement une règle ou une mécanique telle qu'une machine à calculer. L'imagination mathématique d'un Weierstrass est évidemment orientée, dans son sens et dans son résultat, tout autrement que celle d'un artiste, dont elle est également radicalement distincte du point de vue de la qualité ; mais le processus psychologique est le même dans les deux cas. Les deux ne sont qu'ivresse (μαυία au sens de Platon) et « inspiration »."
"Dans les sciences, je le répète, non seulement notre destin, mais encore notre but à nous tous est de nous voir un jour dépassés. Nous ne pouvons accomplir un travail sans espérer en même temps que d'autres iront plus loin que nous. En principe ce progrès se prolonge à l'infini." (p.61)
"Le progrès scientifique est un fragment, le plus important il est vrai, de ce processus d'intellectualisation auquel nous sommes soumis depuis des millénaires et à l'égard duquel certaines personnes adoptent de nos jours une position étrangement négative.
Essayons d'abord de voir clairement ce que signifie en pratique cette rationalisation intellectualiste que tous devons à la science et à la technique scientifique. Signifierait-elle par hasard que tous ceux qui sont assis dans cette salle possèdent sur leurs conditions de vie une connaissance 'supérieure à celle qu'un Indien ou un Hottentot peut avoir des siennes ? Cela est peu probable. Celui d'entre nous qui prend le tramway n'a aucune notion du mécanisme qui permet à la voiture de se mettre en marche - à moins d'être un physicien de métier. Nous n'avons d'ailleurs pas besoin de le savoir. Il nous suffit de pouvoir « compter » sur le tramway et d'orienter en conséquence notre comportement ; mais nous ne savons pas comment on construit une telle machine en état de rouler. Le sauvage au contraire connaît incomparablement mieux ses outils. Lorsqu'aujourd'hui nous dépensons une somme d'argent, je parierais que chacun ou presque de mes collègues économistes, s'ils sont présents dans cette salle, donnerait une réponse différente à la question : comment se fait-il qu'avec la même somme d'argent on peut acheter une quantité de choses tantôt considérable tantôt minime ? Mais le [70] sauvage sait parfaitement comment s'y prendre pour se procurer sa nourriture quotidienne et il sait quelles sont les institutions qui l'y aident. L'intellectualisation et la rationalisation croissantes ne signifient donc nullement une connaissance générale croissante des conditions dans lesquelles nous vivons. Elles signifient bien plutôt que nous savons ou que nous croyons qu'à chaque instant nous pourrions, pourvu seulement que nous le voulions, nous prouver qu'il n'existe en principe aucune puissance mystérieuse et imprévisible qui interfère dans le cours de la vie ; bref que nous pouvons maîtriser toute chose par la prévision. Mais cela revient à désenchanter le monde. Il ne s'agit plus pour nous, comme pour le sauvage qui croit à l'existence de ces puissances, de faire appel à des moyens magiques en vue de maîtriser les esprits ou de les implorer mais de recourir à la technique et à la prévision. Telle est la signification essentielle de l'intellectualisation." (p.62)
"Toutes les sciences de la nature nous donnent une réponse à la question : que devons-nous faire si nous voulons être techniquement maîtres de la vie ? Quant aux questions : cela a-t-il au fond et en fin de compte un sens ? devons-nous et voulons-nous être techniquement maîtres de la vie ? elles les laissent en suspens ou bien les présupposent en fonction de leur but." (p.69)
"Prendre une position politique pratique est une chose, analyser scientifiquement des structures politiques et des doctrines de partis en est une autre." (p.70)
"La probité intellectuelle, ce qui veut dire l'obligation de reconnaître que d'une part l'établissement des faits, la détermination des réalités mathématiques et logiques ou la constatation des structures intrinsèques des valeurs culturelles, et d'autre part la réponse aux questions concernant la valeur de la culture et de ses contenus particuliers ou encore celles concernant la manière dont il faudrait agir dans la cité et au sein des groupements politiques, constituent deux sortes de problèmes totalement hétérogènes." (p.71)
"La tâche primordiale d'un professeur capable est d'apprendre à ses élèves à reconnaître qu'il y a des faits inconfortables, j'entends par là des faits qui sont désagréables à l'opinion personnelle d'un individu ; en effet il existe des faits extrêmement désagréables pour chaque opinion, y compris la mienne. Je crois qu'un professeur qui oblige ses élèves à s’habituer à ce genre de choses accomplit plus qu'une œuvre purement intellectuelle, je n'hésite pas à prononcer le mot d'« œuvre morale »." (p.72-73)
"C'est le destin qui gouverne les dieux et non pas une science, quelle qu'elle soit." (p.74)
-Max Weber, Le Savant et le Politique, 1919, "Les classiques des sciences sociales", 152 pages.
"Nous entendrons uniquement par politique la direction du groupement politique que nous appelons aujourd'hui « État », ou l'influence que l'on exerce sur cette direction." (p.86)
"S'il n'existait que des structures sociales d'où toute violence serait absente, le concept d'État aurait alors disparu et il ne subsisterait que ce qu'on appelle, au sens propre du terme, l'« anarchie ». La violence n'est évidemment pas l'unique moyen normal de l'État, - cela ne fait aucun doute - mais elle est son moyen spécifique. De nos jours la relation entre État et violence est tout particulièrement intime. Depuis toujours les groupements politiques les plus divers - à commencer par la parentèle - ont tous tenu la violence physique pour le moyen normal du pouvoir. Par contre il faut concevoir l'État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d'un territoire déterminé - la notion de territoire étant une de ses caractéristiques - revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime. Ce qui est en effet le propre de notre époque, c'est qu'elle n'accorde à tous les autres groupements, ou aux individus, le droit de faire appel à la violence que dans la mesure où l'État le tolère : celui-ci passe donc pour l'unique source du « droit » à la violence. Par conséquent, nous entendrons par politique l'ensemble des efforts que l'on fait en vue de participer au pouvoir ou d'influencer la répartition du pouvoir, soit entre les États, soit entre les divers groupes à l'intérieur d'un même État." (p.87)
"L'État consiste en un rapport de domination de l'homme sur l'homme fondé sur le moyen de la violence légitime (c'est-à-dire sur la violence qui est considérée comme légitime). L'État ne peut donc exister qu'à la condition que les hommes dominés se soumettent à l'autorité revendiquée chaque fois par les dominateurs." (p.87)
"Il existe en principe - nous commencerons par là - trois raisons internes qui justifient la domination, et par conséquent il existe trois fondements de la légitimité. Tout d'abord l'autorité de l'« éternel hier », c'est-à-dire celle des coutumes sanctifiées par leur validité immémoriale et par l'habitude enracinée en l'homme de les respecter. Tel est le « pouvoir traditionnel » que le patriarche ou le seigneur terrien exerçaient autrefois. En second lieu l'autorité fondée sur la grâce personnelle et extraordinaire d'un individu (charisme) ; elle se caractérise par le dévouement tout personnel des sujets à la cause d'un
homme et par leur confiance en sa seule personne en tant qu'elle se singularise par des qualités prodigieuses, par l'héroïsme ou d'autres particularités exemplaires qui font le chef. C'est là le pouvoir « charismatique » que le prophète exerçait, ou - dans le domaine politique - le chef de guerre élu, le souverain plébiscité, le grand démagogue ou le chef d'un parti politique. Il y a enfin l'autorité qui s'impose en vertu de la « légalité », en vertu de la croyance en la validité d'un statut légal et d'une a compétence » positive fondée sur des règles établies rationnellement, en d'autres termes l'autorité fondée sur l'obéissance qui s'acquitte des obligations conformes au statut établi. C'est là le pouvoir tel que l'exerce le « serviteur de l'État » moderne, ainsi que tous les détenteurs du pouvoir qui s'en rapprochent sous ce rapport.
Il va de soi que dans la réalité des motifs extrêmement puissants, commandés par la peur ou par l'espoir, conditionnent l'obéissance des sujets - soit la peur d'une vengeance des puissances magiques ou des détenteurs du pouvoir, soit l'espoir en une récompense ici-bas ou dans l'autre inonde ; mais elle peut également être conditionnée par d'autres intérêts très variés." (p.87-88)
"Partout le développement de l'État moderne a pour point de départ la volonté du prince d'exproprier les puissances « privées » indépendantes qui, à côté de lui, détiennent un pouvoir administratif, c'est-à-dire tous ceux qui sont propriétaires de moyens de gestion, de moyens militaires, de moyens financiers et de foutes les sortes de biens susceptibles d'être utilisés politiquement. Ce processus s'accomplit en parfait parallèle avec le développement de l'entreprise capitaliste expropriant petit à petit les producteurs indépendants. Et finalement on voit que dans l'État moderne le pouvoir qui dispose de la totalité des moyens de gestion politiques tend à se ramasser en une seule main ; aucun des fonctionnaires ne reste plus propriétaire personnel de l'argent qu'il dépense ou des bâtiments, des stocks et des machines de guerre qu'il contrôle. L'État contemporain et cela est important sur le plan des concepts a donc entièrement réussi à « couper » la direction administrative, les fonctionnaires et les travailleurs de l'administration des moyens de gestion." (p.92)
"L'honneur du fonctionnaire consiste dans son habileté à exécuter consciencieusement un ordre sous la responsabilité de l'autorité supérieure, même si - au mépris de son propre avis - elle s'obstine à suivre une fausse voie. Il doit plutôt exécuter cet ordre comme s'il répondait à ses propres convictions. Sans cette discipline morale, dans le sens le plus élevé du terme, et sans cette abnégation, tout l'appareil s'écroulerait." (p.109)
"Ce n'est pas une petite affaire que de fréquenter les salons des puissants de la terre." (p.113)
"Il n'existe tout compte fait que deux sortes de péchés mortels en politique : ne défendre aucune cause et n'avoir pas le sentiment de sa responsabilité - deux choses qui sont souvent, quoique pas toujours, identiques. La vanité ou, en d'autres termes, le besoin de se mettre personnellement, de la façon la plus apparente possible, au premier plan, induit le plus fréquemment l'homme politique en tentation de commettre l'un ou l'autre de ces péchés ou même les deux à la fois. D'autant plus que le démagogue est obligé de compter avec « l'effet qu'il fait » - c'est pourquoi il court toujours le danger de jouer le rôle d'un histrion ou encore de prendre trop à la légère la responsabilité des conséquences de ses actes, tout occupé qu'il est par l'impression qu'il peut faire sur les autres. D'un côté, le refus de se mettre au service d'une cause le conduit à rechercher l'apparence et l'éclat du pouvoir au lieu du pouvoir réel ; de l'autre côté, l'absence du sens de la responsabilité le conduit à ne jouir que du pouvoir pour lui-même, sans aucun but positif. En effet bien que, on plutôt parce que la puissance est le moyen inévitable de la politique et qu'en conséquence le désir du pouvoir est une de ses forces motrices, il ne peut y avoir de caricature plus ruineuse de la politique que celle du matamore qui joue, avec le pouvoir à la manière d'un parvenu, ou encore Narcisse vaniteux de son pouvoir, bref tout adorateur du pouvoir comme tel. Certes le simple politicien de la puissance [Machtpolitiker], à qui l'on porte aussi chez nous un culte plein de ferveur, peut faire grand effet, mais tout cela se perd dans le vide et l'absurde. Ceux qui critiquent la a politique de puissance » ont entièrement raison sur ce point. Le soudain effondrement moral de certains représentants typiques de cette attitude nous a permis d'être les témoins de la faiblesse 'et de l'impuissance qui se dissimulent derrière certains gestes pleins d'arrogance, mais parfaitement vides. Une pareille politique n’est jamais que le produit d'un esprit blasé, souverainement superficiel et médiocre, fermé à toute signification de l'activité humaine ; rien n'est d'ailleurs plus éloigné de la conscience du tragique qu'on trouve dans toute action et tout particulièrement dans l'action politique que cette mentalité." (p.136)
"Sans arrêt l'interdit frappait la ville de Florence - et en ce temps une telle pression pesait beaucoup plus lourdement sur les hommes et menaçait davantage le salut de leur âme que l'« approbation froide » (comme dit Fichte) du jugement moral kantien - mais les citoyens de la cité continuaient à faire la guerre aux États de l'Église. Dans un beau passage de ses Histoires florentines, si mes souvenirs sont exacts, Machiavel fait allusion à cette situation et met dans la bouche d'un héros de cette ville les paroles suivantes, pour rendre hommage à ses concitoyens : « Ils ont préféré la grandeur de leur cité au salut de leur âme. »." (p.149)
"Peu importe quels seront les groupes politiques qui triompheront : ce n'est pas la floraison de l'été qui nous attend, mais tout d'abord une nuit polaire, glaciale, sombre et rude. [...] Et lorsque cette nuit se sera lentement dissipée, combien encore vivront, de tous ceux qui ont vécu l'actuel printemps, au visage si opulent ? Que seront-ils tous devenus en leur for intérieur ?" (p.151)
-Max Weber, "Le métier et la vocation d'homme politique", in Le Savant et le Politique, 1919, "Les classiques des sciences sociales", 152 pages.
https://books.google.fr/books?id=NNBT6s8zIEsC&pg=PA69&lpg=PA69&dq=mat%C3%A9rialisme+jusnaturalisme&source=bl&ots=XeIhAYe-aD&sig=cvd1yEIt2ZALBo5lOT60S2KjC5w&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjL4_e8ytvVAhXGWBoKHZ0nDlgQ6AEILzAB#v=onepage&q=mat%C3%A9rialisme%20jusnaturalisme&f=false
"
-Max Weber, Rudolf Stammler et le matérialisme historique, Presses de l'Université de Laval, Cerf, 2001.