https://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Minois
"Nous sommes en effet immergés dans une "société humoristique",
(pp.9-10)
"Inévitablement, ce travail est incomplet, sélectif, s'attarde trop sur certains aspects, en néglige d'autres, se montre désinvolte ici, pesant là, cite trop souvent, compile, schématise outrageusement, oublie des informations essentielles, adopte parfois un ton trivial, émet des jugements partiaux et contestables, approuvés par les uns, relevés avec indignation par les autres. Tout cela est d'avance confessé, assumé, revendiqué: si un sujet comme le rire n'admet pas la fantaisie, où irons-nous la chercher ?" (p.11)
"L'histoire du rire, c'est avant tout l'histoire de la théorie du rire
(p.12)
"Pourquoi une histoire du rire
(p.13)
"Le rire, le grand rire de Démocrite, ne serait-il pas en effet la réponse appropriée ? Si vraiment tout cela n'a pas de sens, la dérision n'est-elle pas la seule attitude "raisonnable" ? Le rire n'est-il pas le seul moyen de nous faire supporter l'existence, à partir du moment où aucune explication n'apparaît convaincante ? L'humour n'est-il pas la valeur suprême, celle qui permet d'accepter sans comprendre, de prendre acte sans ombrage, de tout assumer sans le prendre au sérieux ?
Le rire fait partie des réponses fondamentales de l'homme confronté à sa situation existentielle. Retrouver les façons dont il a fait usage de cette réponse à travers l'histoire, tel est l'objet de ce livre. Prôner le rire ou le condamner, placer l'accent comique sur telle situation, sur telle caractéristique, tout cela révèle les mentalités d'une époque, d'un groupe, et suggère sa vision globale du monde. Si le rire est qualifié parfois de diabolique, c'est qu'il a pu passer pour une véritable insulte à la création divine, une sorte de revanche du diable, une manifestation de mépris, d'orgueil, d'agressivité, se réjouissant du mal. La civilisation chrétienne, par exemple, a eu du mal à faire une place au rire, alors que les mythologies païennes lui accordent un rôle beaucoup plus positif. Peut-on rire, et peut-on rire de tout ? La réponse à ces questions engage des positions existentielles fondamentales." (p.13)
"Le christianisme est peu propice au rire.
[...]
Seuls des textes bibliques imagineront un rire divin lors de la création." (p.94)
"Il y a satisfaction lorsqu'un certain manque vient d'être comblé ; or le paradis connaît la plénitude permanente.
[...]
Voilà bien ce que les Pères de l'Eglise lui reprocheront: au lieu de pleurer sur notre déchéance, ce qui serait marque de repentir, nous rions de nos faiblesses, et c'est là notre perte. Nous voyons notre néant, et nous rions: rire diabolique." (p.96)
"
(pp.96-97)
"Présupposé apologétique : il s'agit [de nos jours] de mettre le judéo-christianisme en accord avec notre temps. Extraordinaire souplesse de la Bible, à laquelle on faire dire n'importe quoi. Il suffit de choisir ses citations pour justifier tout et son contraire. La remarque de Jacques Le Goff: "Selon une technique habituelle et révélatrice de l'évolution des mentalités et des sensibilités au Moyen Age, où chacun choisit plus ou moins dans la Bible ce qui sert ses opinions, les encouragements à la joie et au rire sont souvent passées sous silence", vaut aussi pour aujourd'hui, mais en renversant les termes: ce sont à l'heure actuelle les passages désespérants qui sont passés sous silence." (pp.98-99)
"
(pp.100-101)
" [L'Ancien Testament] se révèle plus moderne que [la conception] du monde gréco-romain, dans le sens où elle désacralise le rire,
(p.102)
"Partout où il est explicitement question du rire dans le Nouveau Testament, c'est pour le condamner en tant que moquerie impie, raillerie sacrilège. Pas une seule mention de rire positif. D'où la naissance du fameux mythe, dont on tirera des conséquences morales pour les chrétiens: puisqu'on ne dit pas que Jésus a ri, c'est qu'il n'a pas ri, et puisque les chrétiens doivent l'imiter en tout, ils ne doivent pas rire." (p.103)
"
(pp.105-106)
"Si Jésus est pleinement Dieu [...] sa science
(p.107)
"Nul n'a davantage contribué à diaboliser le rire que les Pères de l'Eglise.
(p.108)
"Clément d'Alexandrie suit plutôt l'enseignement de Platon: le rire bruyant appartient au domaine du bas, du laid ; il déforme le visage et caractérise les prostituées et les proxénètes. En revanche, le sourire est harmonie." (pp.110-111)
"Ce qui met Jean Chrysostome
(pp.112-113)
"Au IIIe siècle, Commodien franchit allégrement la limite, ridiculisant les personnes -les Juifs, les païens, les riches, tout juste bons à s'engraisser comme des porcs-, et va jusqu'à se réjouir de la menace que les Barbares font peser sur l'Empire." (p.115)
" [Les chrétiens des premiers siècles] sont trop convaincus du tragique de la situation pour éprouver le moindre sentiment comique. [...] Ils adhèrent de trop près à leur foi pour qu'apparaisse une fissure où pourrait se glisser l'ironie. Aucune distance entre le croyant et son credo: c'est cette fusion qui engendre le fanatisme, alors que le rire, lui, s'insinue par les interstices entre le sujet pensant et l'objet de ses pensées, qui peut alors prendre des aspects étrangers et étrangers. Pour rire, il faut un semblant de doute, un début de prise de distance, au moins fictive, par jeu. Le fanatique ne joue pas: il "y croit" et il "s'y croit". Il ne fait qu'un avec sa foi.
Les seules traces d'humour que l'on relève chez les chrétiens des premiers siècles concernent le détachement à l'égard de leur propre corps, misérable enveloppe mortelle qu'ils aspirent à quitter." (p.117)
"
(pp.118-119)
"L'Église, en dépit de sa rigidité de façade, a un extraordinaire pouvoir d'adaptation.
(pp.119-120)
"La fusion du comique et du sérieux va marquer toute la religion populaire du Moyen-âge. L'élément comique des récits religieux est souvent involontaire ; il n'a pas pour but de faire rire, mais d'édifier, en assimilant le monde terrestre au risible. [...] L'affrontement entre la culture terrifiante de l'élite et la culture carnavalesque du peuple, que décrit le livre classique de Bakhtine, n'apparaît pas avant le XVe siècle." (p.121)
"Au IXe siècle le moine Notker le Bègue prolonge l'idée [de Boèce] en définissant l'homme comme un animal mortel, raisonnable et capable de rire." (p.125)
"La plupart des règles prévoient des châtiments contre les moines qui seraient surpris à rire ou à plaisanter." (p.127)
"Saint Éphrem
(p.129)
"L'humour solitaire, c'est l'humour absolu
(pp.131-132)
"Si le rire romain était surtout satirique, le rire médiéval est avant tout parodique.
(p.134)
"
(pp.136-140)
"L'étymologie presque certaine fait dériver 'carnaval" de carne levamem, ou carne levamine, ou carne levale, expression relevée dans un texte roman de 1285 et signifiant le moment où la viande (carne) va être "enlevée", interdit, pendant le carême. Le terme, italianisé, indiquerait donc une fête typiquement chrétienne, marquant la rupture de l'ordre normal des choses avec l'entrée dans la période de jeûne: une fête de l'abondance, de la joie et de la prospérité avant les interdits.
Située avant l'annonce du printemps, cette fête a certes pu reprendre des aspects des bacchanales, fête de la terre, du vin, des forêts, du renouveau, des forces de la nature, avec masques d'animaux des bois. [...]
On ne peut guère remonter au-delà du XIe siècle pour trouver des traces écrites du carnaval, mais les textes -comme celui du concile de Bénévent, en 1091, qui fixe le début du carême au mercredi des Cendres- suggèrent qu'il s'agit d'une réalité plus ancienne. Le carnaval pénètre à Rome au XIIe siècle, mais dès le IXe il est question de mascarades, avec le thème de l'ours et de l'homme sauvage. Césaire d'Arles évoque déjà, et le synode de Reims condamne, ce genre de jeu inspiré par le diable.
"Le carnaval est un fait urbain, particulièrement développé dans les régions de villes importantes, où les sociétés joyeuses et les corporations prennent en main l'organisation des réjouissances: Flandre, Italie du Nord.
A Rome, le Cornomania, ou fête des cornes, est attesté dès le IXe siècle: le samedi après Pâques, le peuple se rassemble devant la Basilique Saint-Jean-de-Latran, par paroisses, pour assister aux jeux: des sacristains, dont les habits de rois-bouffons ressemblent aux vêtements liturgiques, dansent de façon grotesque ; des archi-prêtres, assis à rebours sur un âne, tentent d'attraper, en se penchant en arrière, les pièces déposées dans un bassin placé sur la tête de l'âne. La participation active du clergé est également signalée par le chanoine Benoît, dès le début du XIIe siècle, dans la fête du premier dimanche du carême où, en présence du Pape, on tue un ours, un taureau et un coq -exécution symbolique du diable, de l'orgueil et de la luxure, qui permettra de vivre sobre et chaste jusqu'à Pâques. A partir du XIIIe siècle sont mentionnées les fêtes du Testaccio: une dizaine de jours de licence, de mascarades, de bouffonneries carnavalesques avec jets de fruits de courses de porcs attelés. La participation des autorités au carnaval dans les villes italiennes montre bien qu'il ne s'agit pas de manifestations de révolte ou de contestation. Pouvoirs ecclésiastiques comme municipalités contrôlent et utilisent le jeu-spectacle pour maintenir leur prestige et leur popularité à travers ces concessions au rire." (pp.141-143)
"Le rire carnavalesque a toujours une fonction de libération des besoins refoulés ; les forces vitales, nécessairement canalisées dans la vie sociale quotidienne, trouvent dans ce rire collectif une soupape de sécurité [...]
Simultanément, le rire carnavalesque est là pour rassurer, pour vaincre la peur. C'est pourquoi l'on voit dans les cortèges des figures exotiques, monstrueuses, faussement effrayantes, qui menacent, font semblant de frapper : se faire peur en sachant que c'est "pour rire" est un moyen d'exorciser la peur. On voit des hommes et des femmes sauvages, avec leur massue, des Maures, plus tard des Indiens, des dragons [...] drôles et inoffensifs, dont la maladresse provoque l'hilarité." (p.145)
"Dérision ritualisée, le carnaval est la nécessaire expression comique d'une alternative improbable, littéralement folle, l'envers burlesque qui ne fait que confirmer la nécessité des valeurs et hiérarchies établies." (p.147)
"Le charivari consiste en un attroupement bruyant des membres
(pp.148-149)
"Le rire du charivari est typique de la tyrannie du groupe contre la liberté individuelle, dans une société de corps, de communautés, profondément anti-individualiste. Il est un instrument de contrôle de la sociabilité et des mœurs conjugales villageoises ; il punit les déviances ménagères. Venu du vieux fond sauvage de la tribu, il est aux antipodes de la subversion ; rire de rejet, qui exclut les déviants et les marginaux, il est le rempart des normes, des valeurs et des préjugés établis." (p.150)
"Les goliards, ces clercs-étudiants vagabonds, à la mauvaise réputation, qui circulent en Europe aux XIIe et XIIIe siècles. Turbulents, braillards, bohèmes, accompagnant leurs beuveries de chansons à boire, ils sont prompts à transformer un hymen en poème érotique ou une prière en poésie burlesque, par jeu, par volonté de choquer le bourgeois et les autorités." (p.153)
"Les danses liturgiques sont attestées un peu partout au Moyen-âge, surtout aux alentours des fêtes de Pâques et de Noël.
(p.154)
"Le rire de la fête médiévale est, jusqu'au XIVe siècle, le rire d'une société sûre de ses valeurs. [...] Ne pas rire au milieu de la fête est une sorte d'hérésie, qui expose à bien des brimades." (p.162)
"Ce que l'on condamne chez [les Goliards], ce
(p.165)
"
(p.166)
"
(p.167)
"Saint Louis, tempérament heureux, rit facilement.
(p.168)
"les trotskystes sont peu nombreux (les trois groupes de l’époque
rassemblent moins de 500 militants en 1963) mais, à partir de 1965, ils
connaissent une légère embellie, regroupant 1 000 militants à la veille des
événements de 1968
, 2 000 en comptant leurs organisations de jeunesse. Car
les deux principaux groupes trotskystes – l’Organisation communiste
internationaliste [OCI] de Pierre Lambert et le Parti communiste
internationaliste [PCI] de Pierre Frank – amorcent une percée chez les
étudiants par le biais, respectivement, de la Fédération des étudiants
révolutionnaires [FER] dirigée par Claude Chisserey, forte de 600 membres10
et de la Jeunesse communiste révolutionnaire [JCR] dirigée par Alain Krivine
Henri Weber et Daniel Bensaïd, forte de 400 militants11
. Toutes deux apparaissent très actives sur les campus et organisent des grèves et des
manifestations non négligeables, telle celle du 9 novembre 1967, regroupan
environ 4 000 manifestants à Paris contre une réforme universitaire12
. De son côté, la troisième organisation trotskyste significative, Voix ouvrière [VO, la future Lutte ouvrière], dirigée par Robert Barcia dit Hardy, délaisse les universités, se concentre sur les ouvriers et parvient à tisser des contacts organisés dans près de 80 entreprises, commençant à inquiéter fortement le PCF et la CGT. Ainsi, en juin 1965, le secrétariat du PCF discute de l’activité des trotskystes et il décide d’« apporter une très grande attention à l’activité de la “Voix ouvrière”, et avoir une discussion avec nos camarades qui sont à la
direction de la CGT pour voir comment mener une lutte efficace contre cette
entreprise anti-Parti14 ». À titre d’exemple, chez Peugeot à Sochaux, le PCF
n’hésite pas à dénoncer à la direction les responsables trotskystes pour les
faire licencier.
Enfin, une troisième famille gauchiste fait son apparition : les maoïstes
À l’origine, il ne s’agit que de la retombée en France du schisme sinosoviétique qui se produit en 1963. À ce moment, Mao est perçu comme
l’avocat d’une révolution tiers-mondiste, pure et intransigeante, s’opposant à
la mollesse voire à la trahison des Soviétiques. En outre, la légende rose de la
révolution culturelle affirme qu’elle serait l’antidote au stalinisme enfin
trouvé : l’intervention du peuple chargé de déloger au fond de chaque individu
les racines du « révisionnisme », autrement dit la tendance à
l’embourgeoisement personnel et à l’assagissement collectif.
Les premiers maoïstes sont des militants du PCF, souvent des cadres
intermédiaires qui, mal à l’aise devant tel ou tel aspect de la ligne suivie par le
Parti – généralement la tiédeur pendant la guerre d’Algérie, parfois la
« trahison » de la révolution à la Libération –, découvrent l’origine de leur
malaise dans les explications des Chinois : c’est l’abandon du marxisme par
les Soviétiques, et par le fidèle PCF, qui expliquerait toutes leurs
imperfections. Progressivement, ces déçus du PCF se rassemblent. Ils
commencent par lire la revue Révolution (septembre 1963-décembre 1964)
dirigée par l’avocat Jacques Vergès, tirée à 20 000 exemplaires mais diffusée
au maximum à 7 000, et financée par les Chinois16
. Puis ils entrent dans
l’Association des Amitiés franco-chinoises, s’y heurtent au PCF e
parviennent à en prendre le contrôle en 196617
. Surtout, ils créent une véritable
organisation politique maoïste : la Fédération des cercles marxistes-léninistes
en juillet 1964, devenue le Mouvement communiste français (marxiste
léniniste) en juin 1966 et, enfin, le Parti communiste marxiste-léniniste de
France (PCMLF) en décembre 1967. Le parti est dirigé par trois anciens
cadres intermédiaires du PCF : Jacques Jurquet, un inspecteur des impôts
secondé par un instituteur, François Marty, et par un ouvrier qualifié
Raymond Casas. Son implantation ouvrière demeure faible. Certes, des
ouvriers sont bien présents à la direction du Parti, plus que dans les autres
organisations gauchistes, mais le militant type de cette première génération
maoïste est plutôt un instituteur, un professeur du secondaire ou un cadre
moyen de la fonction publique18
. Les effectifs doublent de 1964 au débu
196819 mais, avec un capital de 500 militants regroupés dans une soixantaine
de cellules réparties dans une trentaine de départements20
, les progrès
demeurent modestes. Ces maoïstes parviennent cependant à éditer un
hebdomadaire de qualité, L’Humanité nouvelle, tiré à 20 000 exemplaires mais
vendu à seulement 3 000, la survie n’étant assurée que grâce à l’aide des
Chinois21
.
Surtout, de même que des jeunes étudiants, exclus de l’UEC en avril 1966
avaient créé la JCR trotskysante, sept mois plus tard, une nouvelle épuration
de la même organisation étudiante crée un groupe étudiant maoïste : l’Union
des jeunesses communistes marxistes-léninistes (UJCml), dirigée par Rober
Linhart, secondé par Benny Lévy. Cette organisation a comme caractéristique
principale d’être ultra-intellectualiste : la grande majorité de ses adhérents appartiennent à l’École normale supérieure (Ulm et Saint-Cloud) et, dans un premier temps, toute leur énergie est consacrée à relire les textes de Marx sous le patronage bienveillant d’un intellectuel marginalisé du PCF, le philosophe Louis Althusser. Le plus piquant, au demeurant, est que tout ce travail de relecture débouche sur un contresens. Conformément à la doxa d’Althusser, ces jeunes maoïstes pensent avoir trouvé la cause du réformisme du PCF dans une mauvaise lecture de Marx. Ils estiment que le Parti s’inspire du jeune Marx, un Marx humaniste, alors qu’il faudrait privilégier le Marx plus mature, le révolutionnaire pur, le scientifique acéré, le rédacteur du Capital. Or, pour un marxiste, le noyau dur de la lutte politique réside dans les modalités de la prise du pouvoir, autrement dit le rapport à la démocratie et, en particulier, la perception de la violence."
-Georges Minois, Histoire du rire et de la dérision, Fayard, 2000, 637 pages.
"Nous sommes en effet immergés dans une "société humoristique",
(pp.9-10)
"Inévitablement, ce travail est incomplet, sélectif, s'attarde trop sur certains aspects, en néglige d'autres, se montre désinvolte ici, pesant là, cite trop souvent, compile, schématise outrageusement, oublie des informations essentielles, adopte parfois un ton trivial, émet des jugements partiaux et contestables, approuvés par les uns, relevés avec indignation par les autres. Tout cela est d'avance confessé, assumé, revendiqué: si un sujet comme le rire n'admet pas la fantaisie, où irons-nous la chercher ?" (p.11)
"L'histoire du rire, c'est avant tout l'histoire de la théorie du rire
(p.12)
"Pourquoi une histoire du rire
(p.13)
"Le rire, le grand rire de Démocrite, ne serait-il pas en effet la réponse appropriée ? Si vraiment tout cela n'a pas de sens, la dérision n'est-elle pas la seule attitude "raisonnable" ? Le rire n'est-il pas le seul moyen de nous faire supporter l'existence, à partir du moment où aucune explication n'apparaît convaincante ? L'humour n'est-il pas la valeur suprême, celle qui permet d'accepter sans comprendre, de prendre acte sans ombrage, de tout assumer sans le prendre au sérieux ?
Le rire fait partie des réponses fondamentales de l'homme confronté à sa situation existentielle. Retrouver les façons dont il a fait usage de cette réponse à travers l'histoire, tel est l'objet de ce livre. Prôner le rire ou le condamner, placer l'accent comique sur telle situation, sur telle caractéristique, tout cela révèle les mentalités d'une époque, d'un groupe, et suggère sa vision globale du monde. Si le rire est qualifié parfois de diabolique, c'est qu'il a pu passer pour une véritable insulte à la création divine, une sorte de revanche du diable, une manifestation de mépris, d'orgueil, d'agressivité, se réjouissant du mal. La civilisation chrétienne, par exemple, a eu du mal à faire une place au rire, alors que les mythologies païennes lui accordent un rôle beaucoup plus positif. Peut-on rire, et peut-on rire de tout ? La réponse à ces questions engage des positions existentielles fondamentales." (p.13)
"Le christianisme est peu propice au rire.
[...]
Seuls des textes bibliques imagineront un rire divin lors de la création." (p.94)
"Il y a satisfaction lorsqu'un certain manque vient d'être comblé ; or le paradis connaît la plénitude permanente.
[...]
Voilà bien ce que les Pères de l'Eglise lui reprocheront: au lieu de pleurer sur notre déchéance, ce qui serait marque de repentir, nous rions de nos faiblesses, et c'est là notre perte. Nous voyons notre néant, et nous rions: rire diabolique." (p.96)
"
(pp.96-97)
"Présupposé apologétique : il s'agit [de nos jours] de mettre le judéo-christianisme en accord avec notre temps. Extraordinaire souplesse de la Bible, à laquelle on faire dire n'importe quoi. Il suffit de choisir ses citations pour justifier tout et son contraire. La remarque de Jacques Le Goff: "Selon une technique habituelle et révélatrice de l'évolution des mentalités et des sensibilités au Moyen Age, où chacun choisit plus ou moins dans la Bible ce qui sert ses opinions, les encouragements à la joie et au rire sont souvent passées sous silence", vaut aussi pour aujourd'hui, mais en renversant les termes: ce sont à l'heure actuelle les passages désespérants qui sont passés sous silence." (pp.98-99)
"
(pp.100-101)
" [L'Ancien Testament] se révèle plus moderne que [la conception] du monde gréco-romain, dans le sens où elle désacralise le rire,
(p.102)
"Partout où il est explicitement question du rire dans le Nouveau Testament, c'est pour le condamner en tant que moquerie impie, raillerie sacrilège. Pas une seule mention de rire positif. D'où la naissance du fameux mythe, dont on tirera des conséquences morales pour les chrétiens: puisqu'on ne dit pas que Jésus a ri, c'est qu'il n'a pas ri, et puisque les chrétiens doivent l'imiter en tout, ils ne doivent pas rire." (p.103)
"
(pp.105-106)
"Si Jésus est pleinement Dieu [...] sa science
(p.107)
"Nul n'a davantage contribué à diaboliser le rire que les Pères de l'Eglise.
(p.108)
"Clément d'Alexandrie suit plutôt l'enseignement de Platon: le rire bruyant appartient au domaine du bas, du laid ; il déforme le visage et caractérise les prostituées et les proxénètes. En revanche, le sourire est harmonie." (pp.110-111)
"Ce qui met Jean Chrysostome
(pp.112-113)
"Au IIIe siècle, Commodien franchit allégrement la limite, ridiculisant les personnes -les Juifs, les païens, les riches, tout juste bons à s'engraisser comme des porcs-, et va jusqu'à se réjouir de la menace que les Barbares font peser sur l'Empire." (p.115)
" [Les chrétiens des premiers siècles] sont trop convaincus du tragique de la situation pour éprouver le moindre sentiment comique. [...] Ils adhèrent de trop près à leur foi pour qu'apparaisse une fissure où pourrait se glisser l'ironie. Aucune distance entre le croyant et son credo: c'est cette fusion qui engendre le fanatisme, alors que le rire, lui, s'insinue par les interstices entre le sujet pensant et l'objet de ses pensées, qui peut alors prendre des aspects étrangers et étrangers. Pour rire, il faut un semblant de doute, un début de prise de distance, au moins fictive, par jeu. Le fanatique ne joue pas: il "y croit" et il "s'y croit". Il ne fait qu'un avec sa foi.
Les seules traces d'humour que l'on relève chez les chrétiens des premiers siècles concernent le détachement à l'égard de leur propre corps, misérable enveloppe mortelle qu'ils aspirent à quitter." (p.117)
"
(pp.118-119)
"L'Église, en dépit de sa rigidité de façade, a un extraordinaire pouvoir d'adaptation.
(pp.119-120)
"La fusion du comique et du sérieux va marquer toute la religion populaire du Moyen-âge. L'élément comique des récits religieux est souvent involontaire ; il n'a pas pour but de faire rire, mais d'édifier, en assimilant le monde terrestre au risible. [...] L'affrontement entre la culture terrifiante de l'élite et la culture carnavalesque du peuple, que décrit le livre classique de Bakhtine, n'apparaît pas avant le XVe siècle." (p.121)
"Au IXe siècle le moine Notker le Bègue prolonge l'idée [de Boèce] en définissant l'homme comme un animal mortel, raisonnable et capable de rire." (p.125)
"La plupart des règles prévoient des châtiments contre les moines qui seraient surpris à rire ou à plaisanter." (p.127)
"Saint Éphrem
(p.129)
"L'humour solitaire, c'est l'humour absolu
(pp.131-132)
"Si le rire romain était surtout satirique, le rire médiéval est avant tout parodique.
(p.134)
"
(pp.136-140)
"L'étymologie presque certaine fait dériver 'carnaval" de carne levamem, ou carne levamine, ou carne levale, expression relevée dans un texte roman de 1285 et signifiant le moment où la viande (carne) va être "enlevée", interdit, pendant le carême. Le terme, italianisé, indiquerait donc une fête typiquement chrétienne, marquant la rupture de l'ordre normal des choses avec l'entrée dans la période de jeûne: une fête de l'abondance, de la joie et de la prospérité avant les interdits.
Située avant l'annonce du printemps, cette fête a certes pu reprendre des aspects des bacchanales, fête de la terre, du vin, des forêts, du renouveau, des forces de la nature, avec masques d'animaux des bois. [...]
On ne peut guère remonter au-delà du XIe siècle pour trouver des traces écrites du carnaval, mais les textes -comme celui du concile de Bénévent, en 1091, qui fixe le début du carême au mercredi des Cendres- suggèrent qu'il s'agit d'une réalité plus ancienne. Le carnaval pénètre à Rome au XIIe siècle, mais dès le IXe il est question de mascarades, avec le thème de l'ours et de l'homme sauvage. Césaire d'Arles évoque déjà, et le synode de Reims condamne, ce genre de jeu inspiré par le diable.
"Le carnaval est un fait urbain, particulièrement développé dans les régions de villes importantes, où les sociétés joyeuses et les corporations prennent en main l'organisation des réjouissances: Flandre, Italie du Nord.
A Rome, le Cornomania, ou fête des cornes, est attesté dès le IXe siècle: le samedi après Pâques, le peuple se rassemble devant la Basilique Saint-Jean-de-Latran, par paroisses, pour assister aux jeux: des sacristains, dont les habits de rois-bouffons ressemblent aux vêtements liturgiques, dansent de façon grotesque ; des archi-prêtres, assis à rebours sur un âne, tentent d'attraper, en se penchant en arrière, les pièces déposées dans un bassin placé sur la tête de l'âne. La participation active du clergé est également signalée par le chanoine Benoît, dès le début du XIIe siècle, dans la fête du premier dimanche du carême où, en présence du Pape, on tue un ours, un taureau et un coq -exécution symbolique du diable, de l'orgueil et de la luxure, qui permettra de vivre sobre et chaste jusqu'à Pâques. A partir du XIIIe siècle sont mentionnées les fêtes du Testaccio: une dizaine de jours de licence, de mascarades, de bouffonneries carnavalesques avec jets de fruits de courses de porcs attelés. La participation des autorités au carnaval dans les villes italiennes montre bien qu'il ne s'agit pas de manifestations de révolte ou de contestation. Pouvoirs ecclésiastiques comme municipalités contrôlent et utilisent le jeu-spectacle pour maintenir leur prestige et leur popularité à travers ces concessions au rire." (pp.141-143)
"Le rire carnavalesque a toujours une fonction de libération des besoins refoulés ; les forces vitales, nécessairement canalisées dans la vie sociale quotidienne, trouvent dans ce rire collectif une soupape de sécurité [...]
Simultanément, le rire carnavalesque est là pour rassurer, pour vaincre la peur. C'est pourquoi l'on voit dans les cortèges des figures exotiques, monstrueuses, faussement effrayantes, qui menacent, font semblant de frapper : se faire peur en sachant que c'est "pour rire" est un moyen d'exorciser la peur. On voit des hommes et des femmes sauvages, avec leur massue, des Maures, plus tard des Indiens, des dragons [...] drôles et inoffensifs, dont la maladresse provoque l'hilarité." (p.145)
"Dérision ritualisée, le carnaval est la nécessaire expression comique d'une alternative improbable, littéralement folle, l'envers burlesque qui ne fait que confirmer la nécessité des valeurs et hiérarchies établies." (p.147)
"Le charivari consiste en un attroupement bruyant des membres
(pp.148-149)
"Le rire du charivari est typique de la tyrannie du groupe contre la liberté individuelle, dans une société de corps, de communautés, profondément anti-individualiste. Il est un instrument de contrôle de la sociabilité et des mœurs conjugales villageoises ; il punit les déviances ménagères. Venu du vieux fond sauvage de la tribu, il est aux antipodes de la subversion ; rire de rejet, qui exclut les déviants et les marginaux, il est le rempart des normes, des valeurs et des préjugés établis." (p.150)
"Les goliards, ces clercs-étudiants vagabonds, à la mauvaise réputation, qui circulent en Europe aux XIIe et XIIIe siècles. Turbulents, braillards, bohèmes, accompagnant leurs beuveries de chansons à boire, ils sont prompts à transformer un hymen en poème érotique ou une prière en poésie burlesque, par jeu, par volonté de choquer le bourgeois et les autorités." (p.153)
"Les danses liturgiques sont attestées un peu partout au Moyen-âge, surtout aux alentours des fêtes de Pâques et de Noël.
(p.154)
"Le rire de la fête médiévale est, jusqu'au XIVe siècle, le rire d'une société sûre de ses valeurs. [...] Ne pas rire au milieu de la fête est une sorte d'hérésie, qui expose à bien des brimades." (p.162)
"Ce que l'on condamne chez [les Goliards], ce
(p.165)
"
(p.166)
"
(p.167)
"Saint Louis, tempérament heureux, rit facilement.
(p.168)
"les trotskystes sont peu nombreux (les trois groupes de l’époque
rassemblent moins de 500 militants en 1963) mais, à partir de 1965, ils
connaissent une légère embellie, regroupant 1 000 militants à la veille des
événements de 1968
, 2 000 en comptant leurs organisations de jeunesse. Car
les deux principaux groupes trotskystes – l’Organisation communiste
internationaliste [OCI] de Pierre Lambert et le Parti communiste
internationaliste [PCI] de Pierre Frank – amorcent une percée chez les
étudiants par le biais, respectivement, de la Fédération des étudiants
révolutionnaires [FER] dirigée par Claude Chisserey, forte de 600 membres10
et de la Jeunesse communiste révolutionnaire [JCR] dirigée par Alain Krivine
Henri Weber et Daniel Bensaïd, forte de 400 militants11
. Toutes deux apparaissent très actives sur les campus et organisent des grèves et des
manifestations non négligeables, telle celle du 9 novembre 1967, regroupan
environ 4 000 manifestants à Paris contre une réforme universitaire12
. De son côté, la troisième organisation trotskyste significative, Voix ouvrière [VO, la future Lutte ouvrière], dirigée par Robert Barcia dit Hardy, délaisse les universités, se concentre sur les ouvriers et parvient à tisser des contacts organisés dans près de 80 entreprises, commençant à inquiéter fortement le PCF et la CGT. Ainsi, en juin 1965, le secrétariat du PCF discute de l’activité des trotskystes et il décide d’« apporter une très grande attention à l’activité de la “Voix ouvrière”, et avoir une discussion avec nos camarades qui sont à la
direction de la CGT pour voir comment mener une lutte efficace contre cette
entreprise anti-Parti14 ». À titre d’exemple, chez Peugeot à Sochaux, le PCF
n’hésite pas à dénoncer à la direction les responsables trotskystes pour les
faire licencier.
Enfin, une troisième famille gauchiste fait son apparition : les maoïstes
À l’origine, il ne s’agit que de la retombée en France du schisme sinosoviétique qui se produit en 1963. À ce moment, Mao est perçu comme
l’avocat d’une révolution tiers-mondiste, pure et intransigeante, s’opposant à
la mollesse voire à la trahison des Soviétiques. En outre, la légende rose de la
révolution culturelle affirme qu’elle serait l’antidote au stalinisme enfin
trouvé : l’intervention du peuple chargé de déloger au fond de chaque individu
les racines du « révisionnisme », autrement dit la tendance à
l’embourgeoisement personnel et à l’assagissement collectif.
Les premiers maoïstes sont des militants du PCF, souvent des cadres
intermédiaires qui, mal à l’aise devant tel ou tel aspect de la ligne suivie par le
Parti – généralement la tiédeur pendant la guerre d’Algérie, parfois la
« trahison » de la révolution à la Libération –, découvrent l’origine de leur
malaise dans les explications des Chinois : c’est l’abandon du marxisme par
les Soviétiques, et par le fidèle PCF, qui expliquerait toutes leurs
imperfections. Progressivement, ces déçus du PCF se rassemblent. Ils
commencent par lire la revue Révolution (septembre 1963-décembre 1964)
dirigée par l’avocat Jacques Vergès, tirée à 20 000 exemplaires mais diffusée
au maximum à 7 000, et financée par les Chinois16
. Puis ils entrent dans
l’Association des Amitiés franco-chinoises, s’y heurtent au PCF e
parviennent à en prendre le contrôle en 196617
. Surtout, ils créent une véritable
organisation politique maoïste : la Fédération des cercles marxistes-léninistes
en juillet 1964, devenue le Mouvement communiste français (marxiste
léniniste) en juin 1966 et, enfin, le Parti communiste marxiste-léniniste de
France (PCMLF) en décembre 1967. Le parti est dirigé par trois anciens
cadres intermédiaires du PCF : Jacques Jurquet, un inspecteur des impôts
secondé par un instituteur, François Marty, et par un ouvrier qualifié
Raymond Casas. Son implantation ouvrière demeure faible. Certes, des
ouvriers sont bien présents à la direction du Parti, plus que dans les autres
organisations gauchistes, mais le militant type de cette première génération
maoïste est plutôt un instituteur, un professeur du secondaire ou un cadre
moyen de la fonction publique18
. Les effectifs doublent de 1964 au débu
196819 mais, avec un capital de 500 militants regroupés dans une soixantaine
de cellules réparties dans une trentaine de départements20
, les progrès
demeurent modestes. Ces maoïstes parviennent cependant à éditer un
hebdomadaire de qualité, L’Humanité nouvelle, tiré à 20 000 exemplaires mais
vendu à seulement 3 000, la survie n’étant assurée que grâce à l’aide des
Chinois21
.
Surtout, de même que des jeunes étudiants, exclus de l’UEC en avril 1966
avaient créé la JCR trotskysante, sept mois plus tard, une nouvelle épuration
de la même organisation étudiante crée un groupe étudiant maoïste : l’Union
des jeunesses communistes marxistes-léninistes (UJCml), dirigée par Rober
Linhart, secondé par Benny Lévy. Cette organisation a comme caractéristique
principale d’être ultra-intellectualiste : la grande majorité de ses adhérents appartiennent à l’École normale supérieure (Ulm et Saint-Cloud) et, dans un premier temps, toute leur énergie est consacrée à relire les textes de Marx sous le patronage bienveillant d’un intellectuel marginalisé du PCF, le philosophe Louis Althusser. Le plus piquant, au demeurant, est que tout ce travail de relecture débouche sur un contresens. Conformément à la doxa d’Althusser, ces jeunes maoïstes pensent avoir trouvé la cause du réformisme du PCF dans une mauvaise lecture de Marx. Ils estiment que le Parti s’inspire du jeune Marx, un Marx humaniste, alors qu’il faudrait privilégier le Marx plus mature, le révolutionnaire pur, le scientifique acéré, le rédacteur du Capital. Or, pour un marxiste, le noyau dur de la lutte politique réside dans les modalités de la prise du pouvoir, autrement dit le rapport à la démocratie et, en particulier, la perception de la violence."
-Georges Minois, Histoire du rire et de la dérision, Fayard, 2000, 637 pages.