https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Ziegler
https://b-ok.cc/book/5810989/8ed9e1
"Après le dépeuplement des champs, nous assistons à celui des usines et des bureaux. Comme le capitalisme ne sait ni ne veut partager le profit et le travail (nous le voyons avec les réactions indécentes et hystériques du patronat sur les 35 heures, mesure pourtant bien timide) nous arrivons inéluctablement au chômage et à sa cohorte de désastres sociaux.
Plus il y a de chômeurs, moins on indemnise et moins longtemps. Moins il y a de travailleurs, plus on prévoit de diminuer les retraites. Cela semble logique et inéluctable. Oui, si l’on répartit la solidarité sur les salaires. Mais si l’on prend en considération le produit national brut qui a augmenté de plus de 40 % en moins de vingt ans alors que la masse salariale n’a cessé de diminuer, il en va tout autrement !"
-Maurice Cury, "Le libéralisme totalitaire", chapitre 1 in Jean Ziegler (dir.), Le Livre noir du capitalisme, édition numérique Les classiques des sciences sociales, 1998, 636 pages, pp.13-20.
"
-Jean Suret-Canale, "Les origines du capitalisme (XVe-XIXe siècles)", chapitre 2 in Jean Ziegler (dir.), Le Livre noir du capitalisme, édition numérique Les classiques des sciences sociales, 1998, 636 pages, pp.21-46.
"Les économies des pays du Sud-Est asiatique sont sorties de la Seconde Guerre mondiale extrêmement affaiblies par les destructions (Birmanie, Philippines) et autres conséquences de la guerre. Quelles que soient les différences d’un pays à l’autre, les mouvements de libération avaient tous à leur programme le développement économique. Les États nouvellement indépendants se dotèrent de banques centrales, dont la création dans les années 50 et 60 était recommandée par la Banque mondiale de même que… la planification centralisée, ce qui suffit à montrer qu’il s’agit d’une époque lointaine. Ainsi naquirent le plan quinquennal (Repelita 1) en Indonésie en 1969, le premier plan malais en 1970, le plan de vingt ans de la Birmanie en 1972 et trois plans quinquennaux en Thaïlande, qui se succédèrent après cette date. La participation de l’État dans l’économie était forte en Indonésie, à Singapour, en Malaisie, en Thaïlande et aux Philippines, fournissant de 10 à 40 % du produit national brut. Ces États avaient recours au protectionnisme pour favoriser la croissance de leurs industries naissantes. Certains d’entre eux prétendaient à ce moment se situer entre le capitalisme et le socialisme. Il s’agissait en général d’un capitalisme où l’État jouait un rôle important et où le néocolonialisme des anciennes puissances coloniales gardait des positions encore fortes (Birmanie, Malaisie). Afin de maintenir ces pays dans leur camp, les États-Unis ont fourni une aide (2,6 milliards de dollars pour la Thaïlande entre 1950 et 1975 par exemple) évidemment bien accueillie par les classes dirigeantes pro-occidentales.
Après la défaite américaine au Vietnam (1975), les capitalismes du Sud-Est Asiatique se sont lancés dans des politiques de croissance de leur industrie, de leur commerce et de leurs activités financières. Déjà en Indonésie après le coup d’État de 1965 qui avait provoqué 500 000 morts et 700 000 arrestations, Suharto à partir de 1967 avait donné à ce pays une impulsion à la fois nationaliste et favorable aux grands intérêts en développant un véritable colonialisme (Nouvelle-Guinée occidentale, Célèbes, Moluques, Timor). En Thaïlande, les coups d’État militaires (1975, 1977, 1988) comme aux Philippines sous les présidences de Marcos (1965-1986), de Cory Aquino (1986-1992) et de Fidel Ramos (à partir de 1992), le capitalisme s’affermit. Les « nouveaux pays industrialisés » ouvrent leurs portes au capitalisme étranger, obéissant aux règles du néolibéralisme prônées par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Les taux de croissance s’établissent au cours des années 90 autour de 8 % par an. Partout on donne en modèle les « nouveaux tigres » qui ont su ainsi trouver les voies du décollage économique.
À ces « nouveaux tigres » il faut joindre les « nouveaux dragons » non moins capitalistes qu’eux. Taïwan a eu de 1977 à 1996 un taux de croissance annuel moyen de 6,7 %, avec des pointes s’élevant jusqu’à 13 % Hong Kong a établi le sien à 5 % depuis dix ans et la Corée du Sud à 8,4 %. Cette dernière est devenue la onzième puissance industrielle du monde. Le capitalisme sud-coréen se distingue par l’activité de ses conglomérats ou chaebol (Samsung, Daewoo, Kia, Halla, Hyundai, LG, Sangyong), que l’on ne peut mieux comparer qu’aux zaibatsu japonais. Il est aussi marqué par les nombreux scandales de sa classe dirigeante, qui n’a jamais hésité à exercer une répression cruelle contre les ouvriers, les étudiants et les opposants. Deux anciens présidents de la République ont été condamnés en 1996, l’un Chun Doo-hwan à perpétuité, l’autre Roh Tae-woo à 17 ans de prison pour le coup d’État militaire de 1979 et le massacre d’au moins 2 000 personnes participant aux manifestations populaires de Kwangju en 1980, fait répressif le plus connu. Les dirigeants des principaux chaebol ont tous été sanctionnés par la justice pour corruption.
Les succès économiques des « nouveaux dragons » comme ceux des « nouveaux tigres » ont attiré les capitaux étrangers dans des pays dont les monnaies étaient alignées sur le dollar mais où les bénéfices s’avéraient supérieurs à ceux réalisés dans le monde occidental. Quand des difficultés sont apparues en 1997 ces capitaux, représentant des investissements spéculatifs, ont commencé à fuir les pays capitalistes de l’Est de l’Asie. La crise a commencé en Thaïlande en juillet, puis s’est étendue aux Philippines, en Malaisie et en Indonésie. Les monnaies ont dû être dévaluées (de 15 à 55 %) et l’aide du FMI et celle du Japon ont été sollicitées. La catastrophe s’est propagée de place boursière en place boursière. Hong Kong réunie en juillet à la Chine, mais formant une région administrative spéciale toujours pleinement capitaliste, a été atteinte en octobre et la Corée du Sud en décembre. Le même mois dans ce dernier pays, le mécontentement a amené l’élection à la présidence de l’opposant Kim Dae-jung qui a accepté le plan du FMI, gracié ses prédécesseurs et les dirigeants des chaebol, mais exigé de ceux-ci une grande rigueur de gestion. La crise financière n’est pas terminée en marsl998. Ce qui est certain c’est que le taux de croissance des pays de l’Est asiatique sera inférieur à celui des années précédentes au moins jusqu’à l’an 2000 et sans doute audelà. Les faillites, l’arrêt des investissements étrangers ont amené des licenciements, le chômage et des mouvements de protestation réprimés par la force comme en Indonésie. Le capitalisme asiatique rallié au néolibéralisme n’apparaît plus comme le modèle qu’il suffisait d’imiter pour que le Tiers Monde accède à un développement véritable.
Quel est l’avenir du capitalisme en Asie ?
L’Asie a joué un rôle essentiel dans la revendication d’indépendance des peuples après la Seconde Guerre mondiale. Les 29 pays asiatiques et africains réunis à Bandung en 1955 avaient exigé la fin du colonialisme et le droit des nouveaux États d’assumer leur indépendance. Le Mouvement des non alignés ensuite, que des personnalités asiatiques comme Nehru avaient fortement contribué à impulser, affirmait le droit pour chaque peuple de choisir sa voie, capitaliste ou socialiste, et de disposer de ses richesses naturelles dans le cadre d’un Nouvel Ordre économique international (Alger 1973).
La voie du capitalisme n’était donc pas fatale. Si elle fut suivie dans de nombreux pays d’Asie, comme on vient de le voir, ce fut dans l’intérêt des classes dirigeantes locales mais fortement appuyées et aidées par la plus grande puissance capitaliste du monde, les États-Unis d’Amérique. Encore ceux-ci ont-ils éprouvé des difficultés dès le début : lorsqu’ils ont voulu en 1954, sur le modèle de l’OTAN, créer l’OTASE (Organisation du Traité du Sud-Est asiatique) ils n’ont trouvé que trois États asiatiques pour y adhérer (les Philippines, la Thaïlande et le Pakistan). Il est vrai que les Américains ont continué d’occuper la Corée du Sud et d’y exercer une forte influence dans les années de l’essor de son capitalisme. Il est vrai aussi qu’ils ont protégé les nationalistes chinois, maintenant le leur à Taïwan, même après que les États-Unis avaient reconnu la République populaire de Chine en 1979, en fonction de leurs intérêts. Le rôle joué par eux en Thaïlande, en Indonésie, dans le Sud-Vietnam jusqu’en 1975, aux Philippines ne saurait être sous-estimé.
Leur action a toujours été relayée par le Fonds monétaire International et la Banque mondiale, où les États-Unis disposent des plus forts quotas et dont le siège est de ce fait à Washington. Ces institutions financières sont depuis vingt ans les thuriféraires du néolibéralisme en Asie comme dans le monde entier. La Banque asiatique de développement, assurant des prêts sans intérêt ou à très bas taux d’intérêt, a aussi joué son rôle dans l’épanouissement du capitalisme en Asie.
La Corée du Nord à partir de 1946, la Chine continentale après 1949, le Vietnam du Nord après 1954 et le Vietnam entier depuis 1975, le Laos enfin ont choisi une voie autre que celle du capitalisme.
En Chine cependant des entreprises privées ont été autorisées depuis 1978. Des sociétés mixtes ont été créées avec des capitaux étrangers à partir de 1980 et des zones franches et économiques spéciales établies. Le mot d’ordre d’« économie socialiste de marché » a été lancé en 1992. 3 200 sociétés par actions cotées en Bourse (Shenzhen et Shanghaï) ont vu le jour. Les investissements étrangers sont allés croissant. Le Vietnam a suivi une voie analogue, quoiqu’il n’y ait pas de Bourse jusqu’ici dans ce pays et que ses dirigeants fassent preuve d’une grande prudence. Le FMI et la Banque mondiale insistent pour que les réformes dans les deux États soient menées jusqu’au bout, ce qui signifie dans l’esprit de ces institutions financières un plein retour au capitalisme. Les responsables des deux pays ont toujours néanmoins présenté ces réformes comme ne remettant pas en cause le caractère socialiste de leurs régimes.
Notre époque est celle des intégrations économiques sur tous les continents. L’Association d’Asie du Sud pour la Coopération régionale (Bangladesh, Bhutan, Inde, Maldives, Népal, Pakistan, Sri Lanka), n’a joué qu’un rôle limité par suite de la rivalité indo-pakistanaise. Mais l’Association des Nations du Sud-Est Asiatique ou ASEAN, (Brunei, Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande), créée en 1967 à Bangkok, est une importante organisation économique et politique entretenant des liens avec l’Union européenne et d’autres regroupements d’États. Le Vietnam l’a rejointe en 1995.
D’autre part les impérialistes japonais saisissent toutes les occasions, comme la crise financière est-asiatique, pour chercher à établir une zone yen en Asie, dans laquelle on peut voir une version adoucie de la « sphère de coprospérité » de fâcheuse mémoire. Le cheval de bataille de leurs rivaux américains est plutôt l’Asian Pacific Economic Cooperation lancée en 1989 par l’Australie mais qu’ils ont prise en main en 1994 et qui devrait aboutir en 2010 à une vaste zone de libre-échange englobant les deux rives du Pacifique.
Après le retour au capitalisme des pays de l’ex-Union soviétique et de ceux de l’Europe de l’Est, la pensée dominante en Occident est que ce retour doit s’opérer en Asie comme partout parce que le capitalisme est le seul régime humain concevable. Qu’il soit humain c’est ce dont la lecture de ce livre peut légitimement faire douter. Qu’il soit le seul concevable n’est pas davantage vrai. Il a eu des prédécesseurs qui n’étaient pas capitalistes et a rivalisé en ce XXe siècle avec un autre qui ne l’était pas non plus. La domination du grand capital est lourde à supporter." (p.489-493)
-Yves Grenet, "Le capitalisme à l’assaut de l’Asie", chapitre 25 in Jean Ziegler (dir.), Le Livre noir du capitalisme, édition numérique Les classiques des sciences sociales, 1998, 636 pages, pp.471-494.
https://b-ok.cc/book/5810989/8ed9e1
"Après le dépeuplement des champs, nous assistons à celui des usines et des bureaux. Comme le capitalisme ne sait ni ne veut partager le profit et le travail (nous le voyons avec les réactions indécentes et hystériques du patronat sur les 35 heures, mesure pourtant bien timide) nous arrivons inéluctablement au chômage et à sa cohorte de désastres sociaux.
Plus il y a de chômeurs, moins on indemnise et moins longtemps. Moins il y a de travailleurs, plus on prévoit de diminuer les retraites. Cela semble logique et inéluctable. Oui, si l’on répartit la solidarité sur les salaires. Mais si l’on prend en considération le produit national brut qui a augmenté de plus de 40 % en moins de vingt ans alors que la masse salariale n’a cessé de diminuer, il en va tout autrement !"
-Maurice Cury, "Le libéralisme totalitaire", chapitre 1 in Jean Ziegler (dir.), Le Livre noir du capitalisme, édition numérique Les classiques des sciences sociales, 1998, 636 pages, pp.13-20.
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-Jean Suret-Canale, "Les origines du capitalisme (XVe-XIXe siècles)", chapitre 2 in Jean Ziegler (dir.), Le Livre noir du capitalisme, édition numérique Les classiques des sciences sociales, 1998, 636 pages, pp.21-46.
"Les économies des pays du Sud-Est asiatique sont sorties de la Seconde Guerre mondiale extrêmement affaiblies par les destructions (Birmanie, Philippines) et autres conséquences de la guerre. Quelles que soient les différences d’un pays à l’autre, les mouvements de libération avaient tous à leur programme le développement économique. Les États nouvellement indépendants se dotèrent de banques centrales, dont la création dans les années 50 et 60 était recommandée par la Banque mondiale de même que… la planification centralisée, ce qui suffit à montrer qu’il s’agit d’une époque lointaine. Ainsi naquirent le plan quinquennal (Repelita 1) en Indonésie en 1969, le premier plan malais en 1970, le plan de vingt ans de la Birmanie en 1972 et trois plans quinquennaux en Thaïlande, qui se succédèrent après cette date. La participation de l’État dans l’économie était forte en Indonésie, à Singapour, en Malaisie, en Thaïlande et aux Philippines, fournissant de 10 à 40 % du produit national brut. Ces États avaient recours au protectionnisme pour favoriser la croissance de leurs industries naissantes. Certains d’entre eux prétendaient à ce moment se situer entre le capitalisme et le socialisme. Il s’agissait en général d’un capitalisme où l’État jouait un rôle important et où le néocolonialisme des anciennes puissances coloniales gardait des positions encore fortes (Birmanie, Malaisie). Afin de maintenir ces pays dans leur camp, les États-Unis ont fourni une aide (2,6 milliards de dollars pour la Thaïlande entre 1950 et 1975 par exemple) évidemment bien accueillie par les classes dirigeantes pro-occidentales.
Après la défaite américaine au Vietnam (1975), les capitalismes du Sud-Est Asiatique se sont lancés dans des politiques de croissance de leur industrie, de leur commerce et de leurs activités financières. Déjà en Indonésie après le coup d’État de 1965 qui avait provoqué 500 000 morts et 700 000 arrestations, Suharto à partir de 1967 avait donné à ce pays une impulsion à la fois nationaliste et favorable aux grands intérêts en développant un véritable colonialisme (Nouvelle-Guinée occidentale, Célèbes, Moluques, Timor). En Thaïlande, les coups d’État militaires (1975, 1977, 1988) comme aux Philippines sous les présidences de Marcos (1965-1986), de Cory Aquino (1986-1992) et de Fidel Ramos (à partir de 1992), le capitalisme s’affermit. Les « nouveaux pays industrialisés » ouvrent leurs portes au capitalisme étranger, obéissant aux règles du néolibéralisme prônées par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Les taux de croissance s’établissent au cours des années 90 autour de 8 % par an. Partout on donne en modèle les « nouveaux tigres » qui ont su ainsi trouver les voies du décollage économique.
À ces « nouveaux tigres » il faut joindre les « nouveaux dragons » non moins capitalistes qu’eux. Taïwan a eu de 1977 à 1996 un taux de croissance annuel moyen de 6,7 %, avec des pointes s’élevant jusqu’à 13 % Hong Kong a établi le sien à 5 % depuis dix ans et la Corée du Sud à 8,4 %. Cette dernière est devenue la onzième puissance industrielle du monde. Le capitalisme sud-coréen se distingue par l’activité de ses conglomérats ou chaebol (Samsung, Daewoo, Kia, Halla, Hyundai, LG, Sangyong), que l’on ne peut mieux comparer qu’aux zaibatsu japonais. Il est aussi marqué par les nombreux scandales de sa classe dirigeante, qui n’a jamais hésité à exercer une répression cruelle contre les ouvriers, les étudiants et les opposants. Deux anciens présidents de la République ont été condamnés en 1996, l’un Chun Doo-hwan à perpétuité, l’autre Roh Tae-woo à 17 ans de prison pour le coup d’État militaire de 1979 et le massacre d’au moins 2 000 personnes participant aux manifestations populaires de Kwangju en 1980, fait répressif le plus connu. Les dirigeants des principaux chaebol ont tous été sanctionnés par la justice pour corruption.
Les succès économiques des « nouveaux dragons » comme ceux des « nouveaux tigres » ont attiré les capitaux étrangers dans des pays dont les monnaies étaient alignées sur le dollar mais où les bénéfices s’avéraient supérieurs à ceux réalisés dans le monde occidental. Quand des difficultés sont apparues en 1997 ces capitaux, représentant des investissements spéculatifs, ont commencé à fuir les pays capitalistes de l’Est de l’Asie. La crise a commencé en Thaïlande en juillet, puis s’est étendue aux Philippines, en Malaisie et en Indonésie. Les monnaies ont dû être dévaluées (de 15 à 55 %) et l’aide du FMI et celle du Japon ont été sollicitées. La catastrophe s’est propagée de place boursière en place boursière. Hong Kong réunie en juillet à la Chine, mais formant une région administrative spéciale toujours pleinement capitaliste, a été atteinte en octobre et la Corée du Sud en décembre. Le même mois dans ce dernier pays, le mécontentement a amené l’élection à la présidence de l’opposant Kim Dae-jung qui a accepté le plan du FMI, gracié ses prédécesseurs et les dirigeants des chaebol, mais exigé de ceux-ci une grande rigueur de gestion. La crise financière n’est pas terminée en marsl998. Ce qui est certain c’est que le taux de croissance des pays de l’Est asiatique sera inférieur à celui des années précédentes au moins jusqu’à l’an 2000 et sans doute audelà. Les faillites, l’arrêt des investissements étrangers ont amené des licenciements, le chômage et des mouvements de protestation réprimés par la force comme en Indonésie. Le capitalisme asiatique rallié au néolibéralisme n’apparaît plus comme le modèle qu’il suffisait d’imiter pour que le Tiers Monde accède à un développement véritable.
Quel est l’avenir du capitalisme en Asie ?
L’Asie a joué un rôle essentiel dans la revendication d’indépendance des peuples après la Seconde Guerre mondiale. Les 29 pays asiatiques et africains réunis à Bandung en 1955 avaient exigé la fin du colonialisme et le droit des nouveaux États d’assumer leur indépendance. Le Mouvement des non alignés ensuite, que des personnalités asiatiques comme Nehru avaient fortement contribué à impulser, affirmait le droit pour chaque peuple de choisir sa voie, capitaliste ou socialiste, et de disposer de ses richesses naturelles dans le cadre d’un Nouvel Ordre économique international (Alger 1973).
La voie du capitalisme n’était donc pas fatale. Si elle fut suivie dans de nombreux pays d’Asie, comme on vient de le voir, ce fut dans l’intérêt des classes dirigeantes locales mais fortement appuyées et aidées par la plus grande puissance capitaliste du monde, les États-Unis d’Amérique. Encore ceux-ci ont-ils éprouvé des difficultés dès le début : lorsqu’ils ont voulu en 1954, sur le modèle de l’OTAN, créer l’OTASE (Organisation du Traité du Sud-Est asiatique) ils n’ont trouvé que trois États asiatiques pour y adhérer (les Philippines, la Thaïlande et le Pakistan). Il est vrai que les Américains ont continué d’occuper la Corée du Sud et d’y exercer une forte influence dans les années de l’essor de son capitalisme. Il est vrai aussi qu’ils ont protégé les nationalistes chinois, maintenant le leur à Taïwan, même après que les États-Unis avaient reconnu la République populaire de Chine en 1979, en fonction de leurs intérêts. Le rôle joué par eux en Thaïlande, en Indonésie, dans le Sud-Vietnam jusqu’en 1975, aux Philippines ne saurait être sous-estimé.
Leur action a toujours été relayée par le Fonds monétaire International et la Banque mondiale, où les États-Unis disposent des plus forts quotas et dont le siège est de ce fait à Washington. Ces institutions financières sont depuis vingt ans les thuriféraires du néolibéralisme en Asie comme dans le monde entier. La Banque asiatique de développement, assurant des prêts sans intérêt ou à très bas taux d’intérêt, a aussi joué son rôle dans l’épanouissement du capitalisme en Asie.
La Corée du Nord à partir de 1946, la Chine continentale après 1949, le Vietnam du Nord après 1954 et le Vietnam entier depuis 1975, le Laos enfin ont choisi une voie autre que celle du capitalisme.
En Chine cependant des entreprises privées ont été autorisées depuis 1978. Des sociétés mixtes ont été créées avec des capitaux étrangers à partir de 1980 et des zones franches et économiques spéciales établies. Le mot d’ordre d’« économie socialiste de marché » a été lancé en 1992. 3 200 sociétés par actions cotées en Bourse (Shenzhen et Shanghaï) ont vu le jour. Les investissements étrangers sont allés croissant. Le Vietnam a suivi une voie analogue, quoiqu’il n’y ait pas de Bourse jusqu’ici dans ce pays et que ses dirigeants fassent preuve d’une grande prudence. Le FMI et la Banque mondiale insistent pour que les réformes dans les deux États soient menées jusqu’au bout, ce qui signifie dans l’esprit de ces institutions financières un plein retour au capitalisme. Les responsables des deux pays ont toujours néanmoins présenté ces réformes comme ne remettant pas en cause le caractère socialiste de leurs régimes.
Notre époque est celle des intégrations économiques sur tous les continents. L’Association d’Asie du Sud pour la Coopération régionale (Bangladesh, Bhutan, Inde, Maldives, Népal, Pakistan, Sri Lanka), n’a joué qu’un rôle limité par suite de la rivalité indo-pakistanaise. Mais l’Association des Nations du Sud-Est Asiatique ou ASEAN, (Brunei, Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande), créée en 1967 à Bangkok, est une importante organisation économique et politique entretenant des liens avec l’Union européenne et d’autres regroupements d’États. Le Vietnam l’a rejointe en 1995.
D’autre part les impérialistes japonais saisissent toutes les occasions, comme la crise financière est-asiatique, pour chercher à établir une zone yen en Asie, dans laquelle on peut voir une version adoucie de la « sphère de coprospérité » de fâcheuse mémoire. Le cheval de bataille de leurs rivaux américains est plutôt l’Asian Pacific Economic Cooperation lancée en 1989 par l’Australie mais qu’ils ont prise en main en 1994 et qui devrait aboutir en 2010 à une vaste zone de libre-échange englobant les deux rives du Pacifique.
Après le retour au capitalisme des pays de l’ex-Union soviétique et de ceux de l’Europe de l’Est, la pensée dominante en Occident est que ce retour doit s’opérer en Asie comme partout parce que le capitalisme est le seul régime humain concevable. Qu’il soit humain c’est ce dont la lecture de ce livre peut légitimement faire douter. Qu’il soit le seul concevable n’est pas davantage vrai. Il a eu des prédécesseurs qui n’étaient pas capitalistes et a rivalisé en ce XXe siècle avec un autre qui ne l’était pas non plus. La domination du grand capital est lourde à supporter." (p.489-493)
-Yves Grenet, "Le capitalisme à l’assaut de l’Asie", chapitre 25 in Jean Ziegler (dir.), Le Livre noir du capitalisme, édition numérique Les classiques des sciences sociales, 1998, 636 pages, pp.471-494.