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    Pierre Zaoui, L'athéisme louche de la pensée contemporaine

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Pierre Zaoui, L'athéisme louche de la pensée contemporaine Empty Pierre Zaoui, L'athéisme louche de la pensée contemporaine

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 17 Fév - 19:57

    file:///C:/Users/jdupr/Downloads/Atheisme_Louche.pdf

    "Est proprement insupportable aux yeux de l’athée, et à bon droit, que son athéisme puisse être lu religieusement comme une expérience nécessairement emplie d’angoisse et de douleur."

    "Le tout athéisme facile s’est trouvé d’avance barré par au moins cinq de ses références philosophiques majeures, c’est-à-dire par cinq manières d’aborder l’athéisme. D’abord la double exigence éthique et politique de Spinoza qui eut tant d’influence à la fois sur les althussériens et sur Deleuze : éthiquement, on ne peut pas renoncer à l’espérance du salut ou de la béatitude que nous ont promis sans l’accomplir nos grandes religions monothéistes; et politiquement, on ne peut pas ne pas se préoccuper du « salut des ignorants » qui ne peut passer que par l’assomption d’un « credo » minimal – « justice et charité » – que Spinoza appelle l’« esprit du Christ ». Ensuite l’athéisme aristocratique, ou esthético-aristocratique, de Nietzsche qui orienta tout le style de Bataille, Foucault, Derrida ou derechef Deleuze : il n’y a de sens à être athée qu’à être supérieur et plus beau que les croyants – dès que l’on tient compte honnêtement des splendeurs des religions (leurs arts, leurs éthiques qui rendent à nouveau l’humanité « intéressante » pour quelque temps, leurs « grands styles dans la morale », leur puissance d’admiration et d’enthousiasme), ce n’est donc déjà plus une mince affaire. Ensuite encore, ce qu’on pourrait appeler l’« honnêteté positiviste » de Wittgenstein qui influença sans doute davantage Certeau ou Lyotard que les wittgensteiniens enrégimentés: le positivisme de la science n’est pas une gloire, ce n’est à tout égard qu’une réduction de la légitimité du discours à la tautologie, et ce faisant ce n’est a contrario qu’une apologie en creux de tout ce qu’un tel discours expulse : non seulement la religion, mais l’éthique, la politique, l’esthétique, la psychologie – tout ce que Wittgenstein appelle « l’élément mystique »."

    "La religion, entendue comme promesse d’une transcendance qui sauve, sera à jamais le cœur, non pas d’un « monde sans cœur », mais d’un monde sans intelligibilité complète (ce qu’est le monde pour tout mode fini, individu ou peuple)."

    "éthique et politique philosophiques ne sauraient être autochtones, elles ne peuvent pousser que sur le sol même de mouvements religieux plus profonds et plus vastes qu’elles."

    "Tout le problème de Nietzsche est effectivement de penser la mort de Dieu, non comme la désertion d’un « lieu autre » en lequel il suffirait de placer l’homme ou l’État, cette « nouvelle idole », mais comme la désertion de la place elle-même : il n’y a plus d’arrière-monde signifie aussi bien qu’il n’y a plus de monde du tout, pas plus de monde des apparences que de monde des essences, et plus personne pour l’occuper, pas plus d’essence de l’homme que d’essence divine. [...] l’homme est cet « animal dont le genre n’est pas encore fixé », cet animal « qui doit sans cesse se surmonter ». Dès lors, si l’on admet que l’une des fonctions du divin était bien de donner à l’homme un genre ou une nature (celle de créature), il faut reconnaître que « mort de Dieu » et « mort de l’homme » sont pour Nietzsche des événements parfaitement contemporains: tuer Dieu, c’est d’emblée tuer l’homme." (pp.322-323)

    "Quant au meurtrier de Dieu, Nietzsche ne l’appelle pas pour rien le « plus hideux des hommes » : c’est le prototype supérieur de l’homme réactif, l’homme ne pouvant affirmer sa supériorité que dans l’instinct de vengeance et le mépris de soi [...] Folie, imposture et hideur, c’est-à-dire maladie de soi, mensonge sur soi et mépris de soi, l’athéisme chez Nietzsche est à ce prix. C’est pourquoi l’homme sans Dieu, l’homme supérieur ou l’esprit fort, est, autant que Dieu, quelque chose qui doit sans cesse se surmonter ; c’est pourquoi, si Dieu fut « jusqu’à présent la plus grande objection contre l’existence », l’homme n’en est pas moins une objection presque aussi forte, « la maladie de la vie » dit Nietzsche ; et c’est pourquoi encore Nietzsche aura de plus en plus besoin de revenir aux Anciens, aux classiques, à la tragédie, à Dionysos contre le Crucifié, au polythéisme contre le monothéisme – l’homme, y compris l’homme Nietzsche, ne peut pas être athée, c’est là un défi trop grand pour lui, il ne peut que tendre vers un tel athéisme, traquant sans relâche ses formes les plus dissimulées de sa piété essentielle (dans la science, dans l’État, dans l’homme même), mais sans espérance d’y parvenir un jour pour son propre compte." (p.323)

    "L’éthique et la politique qui sont, par définition, l’affirmation de transcendances encore possibles (une autre vie ou un Autre que soi, et un autre monde ou un autre homme)."
    -Pierre Zaoui, « L'athéisme louche de la pensée française contemporaine », Esprit, 2007/3-4 (Mars/avril), p. 315-327. DOI : 10.3917/espri.0703.0315. URL : https://www.cairn.info/revue-esprit-2007-3-page-315.htm



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