https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2009-1-page-35.htm
"[Le développement durable] s’ancre en effet pour partie dans le courant « conservationniste », fondé sur la dénonciation de la dégradation des ressources et de la nature, qui traverse les XIXe et XXe siècles (Veyret, 2006). Dans la seconde moitié du XXe siècle, émerge la notion d’une « crise » écologique globale qui insiste sur des situations considérées comme critiques : pollutions, déforestation, désertification puis réchauffement climatique. C’est dans cette perspective qu’a été proposé le terme de développement durable, introduit par le World Wildlife Fund, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature et le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement, dans le rapport sur « La Stratégie Mondiale pour la Conservation » en 1980, repris ensuite dans le rapport Brundtland « Notre avenir à tous » en 1987.
Cependant, le développement durable s’inspire également d’un courant de pensée né à partir de la Conférence des Nations-Unies de Stockholm (1972) qui innove en introduisant la notion d’écodéveloppement, définie par I. Sachs (1980) comme le développement des populations par elles-mêmes, utilisant au mieux les ressources naturelles, s’adaptant à un environnement qu’elles transforment sans le détruire. L’écodéveloppement s’appuie sur trois principes :
-l’autonomie des décisions et la recherche des modèles propres à chaque contexte historique, culturel, écologique ;
-la prise en charge équitable des besoins de tous les hommes ;
-la prudence écologique, la recherche d’un développement en harmonie avec la nature.
Cet « ancêtre » du développement durable présente la caractéristique de s’intéresser aussi au niveau local.
L’opposition de pays du Nord et notamment des États-Unis aboutit lors de la conférence de Rio en 1992 à faire émerger une vision du développement durable axée sur la défense de l’environnement conçu dans un sens naturaliste, et qui ne remet en cause ni les fondements de l’économie mondiale, ni le mode de vie des pays riches. Ainsi, la « nature » retrouve sa place et sa légitimité à travers la notion diffusée à Rio de biodiversité. Les ONG de protection conservent ainsi leur rôle de leaders du secteur mondialisé de la conservation et continuent à dicter les grandes orientations en matière de développement durable."
"Chez Malthus (1798), comme le souligne D. Harvey (1996), les lois naturelles justifient la limitation de la croissance des classes pauvres, mais ne doivent pas s’appliquer aux plus riches : « la loi de la population est en fait scindée en deux, soit une pour les pauvres et une pour les riches »."
"La vision dualiste fut plus profondément remise en cause par Aldo Léopold qui dans Almanach d’un Comté de Sable en 1949, tente de définir une « land ethic » valable à la fois pour l’homme et la « communauté biotique ». Cette éthique « locale, circonstancielle, non universalisable » (Larrère, 1997), est fondée sur une règle générale : « une chose est juste lorsqu’elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. Elle est injuste lorsqu’elle tend à l’inverse. » Cette position semble difficile à traduire en termes de droits et devoirs : les sociétés humaines peuvent-elles concevoir et appliquer un système juridique qui les place à égalité avec les autres espèces végétales ou animales ? La vision léopoldienne est également remise en cause par les progrès des sciences écologiques qui rejettent la vision fixiste et naturellement harmonieuse du fonctionnement des écosystèmes."
"Le Nord est capable d’exploiter le Sud sur le plan environnemental : en consommant des produits primaires extraits au Sud, en y créant ses propres paradis environnementaux dans les espaces éco-touristiques, enfin, en dégradant des biens environnementaux communs non localisés (le climat, par les émissions de gaz à effet de serre), ou en délocalisant ces nuisances au Sud. Inversement le Sud connaît une double crise environnementale liée à la mauvaise maîtrise des écologies (mauvaise gestion des sols et de l’eau, déforestation...), mais aussi aux transformations causées par l’industrialisation, sans compter les externalités négatives du Nord, ce qui a des répercussions sur la pauvreté. Les effets à venir du réchauffement climatique, causés en large partie par le Nord, seront plus douloureux au Sud."
"En France, la création d’un parc naturel du Vexin a favorisé la gentrification « écologique », parce que fondée sur l’agrément du cadre de vie, des bourgs de la vallée de l’Oise, dont sont exclues les populations les plus défavorisées des cités de Poissy."
-David Blanchon & Sophie Moreau & Yvette Veyret, « Comprendre et construire la justice environnementale », Annales de géographie, 2009/1-2 (n° 665-666), p. 35-60. DOI : 10.3917/ag.665.0035. URL : https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2009-1-page-35.htm
"[Le développement durable] s’ancre en effet pour partie dans le courant « conservationniste », fondé sur la dénonciation de la dégradation des ressources et de la nature, qui traverse les XIXe et XXe siècles (Veyret, 2006). Dans la seconde moitié du XXe siècle, émerge la notion d’une « crise » écologique globale qui insiste sur des situations considérées comme critiques : pollutions, déforestation, désertification puis réchauffement climatique. C’est dans cette perspective qu’a été proposé le terme de développement durable, introduit par le World Wildlife Fund, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature et le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement, dans le rapport sur « La Stratégie Mondiale pour la Conservation » en 1980, repris ensuite dans le rapport Brundtland « Notre avenir à tous » en 1987.
Cependant, le développement durable s’inspire également d’un courant de pensée né à partir de la Conférence des Nations-Unies de Stockholm (1972) qui innove en introduisant la notion d’écodéveloppement, définie par I. Sachs (1980) comme le développement des populations par elles-mêmes, utilisant au mieux les ressources naturelles, s’adaptant à un environnement qu’elles transforment sans le détruire. L’écodéveloppement s’appuie sur trois principes :
-l’autonomie des décisions et la recherche des modèles propres à chaque contexte historique, culturel, écologique ;
-la prise en charge équitable des besoins de tous les hommes ;
-la prudence écologique, la recherche d’un développement en harmonie avec la nature.
Cet « ancêtre » du développement durable présente la caractéristique de s’intéresser aussi au niveau local.
L’opposition de pays du Nord et notamment des États-Unis aboutit lors de la conférence de Rio en 1992 à faire émerger une vision du développement durable axée sur la défense de l’environnement conçu dans un sens naturaliste, et qui ne remet en cause ni les fondements de l’économie mondiale, ni le mode de vie des pays riches. Ainsi, la « nature » retrouve sa place et sa légitimité à travers la notion diffusée à Rio de biodiversité. Les ONG de protection conservent ainsi leur rôle de leaders du secteur mondialisé de la conservation et continuent à dicter les grandes orientations en matière de développement durable."
"Chez Malthus (1798), comme le souligne D. Harvey (1996), les lois naturelles justifient la limitation de la croissance des classes pauvres, mais ne doivent pas s’appliquer aux plus riches : « la loi de la population est en fait scindée en deux, soit une pour les pauvres et une pour les riches »."
"La vision dualiste fut plus profondément remise en cause par Aldo Léopold qui dans Almanach d’un Comté de Sable en 1949, tente de définir une « land ethic » valable à la fois pour l’homme et la « communauté biotique ». Cette éthique « locale, circonstancielle, non universalisable » (Larrère, 1997), est fondée sur une règle générale : « une chose est juste lorsqu’elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. Elle est injuste lorsqu’elle tend à l’inverse. » Cette position semble difficile à traduire en termes de droits et devoirs : les sociétés humaines peuvent-elles concevoir et appliquer un système juridique qui les place à égalité avec les autres espèces végétales ou animales ? La vision léopoldienne est également remise en cause par les progrès des sciences écologiques qui rejettent la vision fixiste et naturellement harmonieuse du fonctionnement des écosystèmes."
"Le Nord est capable d’exploiter le Sud sur le plan environnemental : en consommant des produits primaires extraits au Sud, en y créant ses propres paradis environnementaux dans les espaces éco-touristiques, enfin, en dégradant des biens environnementaux communs non localisés (le climat, par les émissions de gaz à effet de serre), ou en délocalisant ces nuisances au Sud. Inversement le Sud connaît une double crise environnementale liée à la mauvaise maîtrise des écologies (mauvaise gestion des sols et de l’eau, déforestation...), mais aussi aux transformations causées par l’industrialisation, sans compter les externalités négatives du Nord, ce qui a des répercussions sur la pauvreté. Les effets à venir du réchauffement climatique, causés en large partie par le Nord, seront plus douloureux au Sud."
"En France, la création d’un parc naturel du Vexin a favorisé la gentrification « écologique », parce que fondée sur l’agrément du cadre de vie, des bourgs de la vallée de l’Oise, dont sont exclues les populations les plus défavorisées des cités de Poissy."
-David Blanchon & Sophie Moreau & Yvette Veyret, « Comprendre et construire la justice environnementale », Annales de géographie, 2009/1-2 (n° 665-666), p. 35-60. DOI : 10.3917/ag.665.0035. URL : https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2009-1-page-35.htm