https://journals.openedition.org/moussons/
https://journals.openedition.org/moussons/496
"Bien que la Thaïlande n’ait pas été colonisée stricto sensu, l’ouvrage de Tongchai Winichakul (2005) Siam Mapped, A History of the Geo-Body of a Nation, illustre parfaitement l’artificialité d’une construction idéologique, la thainess, répondant à un idéal national dont le fondement est avant tout le territoire et qui devrait être partagée par l’ensemble de ses populations (cet ensemble constituant le geo-body de la nation). Cette déconstruction du concept totalisant d’État-nation permet de comprendre certaines crises (les affrontements entre chemises jaunes et chemises rouges ou encore les conflits récurrents du sud de la Thaïlande)."
"Le rôle de l’anthropologie des frontières est donc de découvrir ce que l’éloignement au « centre » recouvre d’implications sociales, culturelles, religieuses et politiques."
"Choix de non-alignement avec l’Occident fait par U Nu dans les années 1950, et perpétué jusqu’à nos jours dans des relations de plus en plus tendues avec les puissances de l’Ouest."
"Les événements de 2009 qui ont provoqué la fuite de milliers de réfugiés kokang vers la Chine, autant que le conflit entre le gouvernement central et les sections armées du KNU [Karen National Union] entraînant chaque année des centaines de Karen [minorité chrétienne] à trouver refuge du côté de la Thaïlande."
"La région du Tenasserim, dernier « front pionnier » de Birmanie."
"[La frontière] lieu de recomposition spatiale et identitaire."
-Maxime Boutry, « Les frontières « mouvantes » de Birmanie », Moussons [En ligne], 17 | 2011, mis en ligne le 24 septembre 2012, consulté le 02 mars 2021. URL : http://journals.openedition.org/moussons/498 ; DOI : https://doi.org/10.4000/moussons.498
"[Les frontières] permettent de développer des moyens particuliers de négocier avec les centres."
"La démographie et la mondialisation des échanges mettent en péril les « accords » tacites entre centres et périphéries plus ou moins nomades, plus ou moins souples, accords qui permettaient de créer des zones tampons entre deux pays belliqueux préférant négocier avec les populations de frontières plutôt que d’entrer en guerre avec leurs voisins. Les ressources (dont le dernier avatar est la taxe douanière) sont ainsi tombées dans l’escarcelle de nombreuses minorités en Birmanie."
"[Frederik Barth ] a certes compris qu’une ethnie ne pouvait se définir que dans un ensemble de relations et que ce sont les interrelations qui créent la dynamique sociale, mais il a seulement posé une hypothèse sans répondre à la question de savoir quel était le niveau limite d’interaction nécessaire pour faire disparaître une ethnie ou un groupe."
"Les pêcheurs birmans ont besoin des Moken pour s’adapter à la mer qu’ils ne comprennent pas et un syncrétisme culturel est né dans le Tenasserim."
"(Moken de Birmanie qui s’intermarient systématiquement avec des Birmans, mais aussi Moken de Thaïlande « traditionalistes » créant ainsi deux sous-groupes à l’intérieur d’une même ethnie)."
"La longue frontière birmano-thaïlandaise facilite le renfermement, les Birmans étant cernés par toute une ceinture d’ethnies plus ou moins indépendantistes et manipulées."
"En plus d’être une première ligne, un centre d’échange, les Karen sont un moyen de négociation important, via les armées karen bouddhistes en Birmanie et (en schématisant) les Karen chrétiens en Thaïlande que l’on trouve le plus souvent dans des camps. Nous voilà donc face à une situation où une armée en Birmanie se sert des camps de réfugiés et de la frontière comme d’une première ligne de front. Mais les Karen sont victimes du développement économique (depuis la volonté de faire des corridors, chacun veut récupérer les portes d’entrée frontalières pour les taxes) de leur territoire. Les Birmans veulent s’approprier les richesses et les points de passage ; les Karen bouddhistes veulent chasser les Karen chrétiens et les Karen dans leur ensemble veulent profiter. Il y a donc des jeux d’alliances complexes bouddhistes contre chrétiens, bouddhistes contre Birmans (à l’occasion des élections du 7 novembre 2010), Thaïs contre Birmans au nom des intrusions pour poursuivre les Karen, mais aussi alliance des Karen bouddhistes et des Karen chrétiens au nom d’une ethnicité commune. Il existe donc bien un territoire négocié entre différentes factions qui s’épanouissent tout en servant l’État. Les frontières sont donc le moteur de la dynamique ethnique de certaines populations y compris jusque dans la guerre qui propose une idéologie pour unifier les positions karen contre un ennemi commun.
Le monde des Karen est un monde qui s’adapte à un territoire flexible, mobile, un État aux frontières, une gestion d’un territoire à l’image de l’ethnicité qui, s’adapte sans se renier, se rétracte ou se développe mais ne perd jamais son centre. Le territoire karen est donc un État bien utile au marchandage triangulaire ; ce marchandage est d’abord bilatéral entre la Birmanie et la Thaïlande (puis entre chacun d’eux) et entre la Thaïlande et la « communauté internationale » et enfin entre les trois acteurs, parfois même les quatre quand les Karen veulent discuter aussi."
"Lors des derniers affrontements à la frontière birmano-thaïlandaise au moment des élections birmanes du 7 novembre 2010, les autorités de ce pays ont demandé officiellement à la Thaïlande de bien vouloir accepter les réfugiés karen qui viendraient sur son sol à la suite des troubles provoqués par les Karen bouddhistes que l’armée birmane voulait réprimer (même s’il ne s’agissait que d’un conflit intra-karen). Ce à quoi la Thaïlande a répondu favorablement, montrant ainsi que, d’une part, les centres acceptent que les périphéries soient des lieux de refuge, voire de recomposition (de gouvernements provisoires, de forces armées, de recrutements) et que d’autre part aucun des acteurs n’est dupe de l’utilité du contrôle d’un territoire par un tiers. On sait alors que les relations entre la Thaïlande et la Birmanie ne sont pas aussi tendues qu’on le croient généralement et que les populations karen sont au cœur d’enjeux décidés par le centre (rappelons que les Karen contrôlent tout de même une grande partie du territoire frontalier et au moins une quinzaine de « passages » taxés7). Il s’agit en fait pour les deux de maintenir un statu quo aux frontières qui permet une autonomie relative pour développer le commerce avec un voisin nécessiteux mais ombrageux.
Les camps de réfugiés et autres migrants officiels ou non (dans des camps de transit ou non) sont autant de munitions que Bangkok peut envoyer aux Birmans, sans compter les centaines de milliers d’illégaux qui traversent la frontière. Les Karen ont ainsi une double identité, celle de révoltés défendant leur ethnicité aux frontières, dépendant des caprices de leurs deux voisins, et une source importante de revenus grâce aux checkpoint qu’ils contrôlent. Ici la « globalisation » pose un problème car on ne refuse pas l’ethnicité aux Karen8, mais les Birmans voudraient contrôler les frontières pour en tirer tous les bénéfices qui vont pour l’instant aux minorités. La globalisation et l’ouverture ont développé les flux et désormais les généraux aimeraient mettre au pas leurs marches qui autrefois leur servaient de terrain d’exercice, de zone de taxation et de recrutement forcé, une zone tampon avec les voisins qui arrangeait tout le monde."
"Depuis le coup de force de l’armée en 1990, les Birmans ont agi de deux manières différentes avec leurs minorités. Tout d’abord ils ont négocié avec elles et dix-sept cessez-le-feu ont été signés montrant ainsi qu’il faut négocier avec les frontières pour arriver à un accord. Après la chute de Khin Nyunt, le Premier ministre artisan de ces cessez-le-feu, les généraux se sont raidis et ont voulu s’approprier tout le territoire et ses richesses. Ils ont imposé aux milices et armées ethniques de se dissoudre dans les rangs d’une « brigade des frontières » sous les ordres de l’armée (tout en laissant une certaine autonomie aux ethnies). La pression était trop forte et le point de rupture atteint. Ces positions renforcent donc une identité ethnique qui se sent menacée, même si c’est uniquement dans le but de récupérer les taxes de passage (surtout de frontières) et de faire passer des drogues dans les pays voisins. Tous les accords ont alors été dénoncés car les minorités perdaient leurs ressources. Ces minorités perdaient alors les moyens de se défendre et donc de protéger leur ethnicité. Les ressources sont donc bien au cœur de la défense mais pas forcément à l’origine de l’ethnicité des frontières en Birmanie. Il est à craindre que les grands projets de développement (type port de Tavoy et corridor est-ouest) ne facilitent pas la mainmise des centres sur des périphéries qui n’en sont – ou n’en seront – plus."
"Les Kokang, à la frontière de la Chine, ont été accusés de produire de la drogue. La raison est simple: ces derniers ne voulaient pas entrer dans les brigades des frontières et perdre leurs ressources. Si le problème a été reconnu internationalement, c’est parce que la Chine voisine a demandé aux Birmans de stopper ces activités, sources de désordres et surtout de déplacements de réfugiés."
"Les Moken sont bien un peuple particulier à l’identité marquée, ils ne contrôlent pas, loin s’en faut (idéologie de la non-accumulation et de la non-compétition dans l’exploitation des ressources), la frontière. Ce contrôle, avant l’avènement de la pêche maritime dans les années 1990 (Boutry 2007b), se faisait par des entrepreneurs thaïlandais ou d’origine sino-thaïe, les tokè, qui envoyaient des flottilles exploiter les eaux et les forêts de la Birmanie du Sud. Les Môns qui ont longtemps dominé cette région n’ont d’ailleurs pas fermé la porte à leurs cousins éloignés thaïlandais. Ce furent, en toute logique, les premiers candidats à l’immigration rapprochant un peu plus le sud de la Birmanie de la Thaïlande. Nous avons assisté en temps réel (1997-2007) à l’imposition d’une frontière sur un territoire considéré comme la « propriété rituelle » des nomades, exploité par des Thaïlandais d’origine chinoise qui s’alliaient provisoirement aux nomades. Les Birmans ont cependant voulu faire des essais socio-économiques. La frontière est un laboratoire d’essais pour des centres figés. La liberté de mouvement et de pratique étant très limitée en Birmanie, le sud était le lieu idéal de l’expérimentation, celle qui consistait à tenter de privatiser un secteur entier (Boutry 2007b). Mais, là encore, inscrivons ces politiques économiques contemporaines et libérales dans le long terme car la privatisation de la filière pêche en 1994 ne faisait que répondre à une dynamique prête à être lancée, celle de la colonisation des fronts pionniers, fussent-ils marins. Les premières alliances économiques de la Birmanie avec la Malaisie permirent de former des capitaines qui commencèrent l’exploitation des ressources halieutiques, domaine réservé des Thaïlandais autrefois. L’expérience acquise par les Birmans en Malaisie, l’association remarquable avec les nomades (intermariages généralisés) liée à un impossible ou très difficile retour, a permis la domination des marches par des centaines de milliers de Birmans devenus des pêcheurs ou s’installant sur les littoraux (Boutry 2011).
En quelques années, la Birmanie s’est approprié sa mer et son littoral si longtemps oublié et en trois décennies quatre millions de Birmans ont donné à la Thaïlande un nouveau visage et transformé le sud en une plaque tournante pour les candidats à la migration, mais aussi sujets aux trafics."
"Privatisation de la filière pêche à la frontière birmano-thaïlandaise qui a créé de nouveaux groupes sociaux et segmenté la société nomade tout en se combinant avec des réseaux transfrontaliers de travailleurs migrants. Ainsi, en voulant contrôler les ressources et dominer l’environnement pour contrôler ses marges, les États ont en fait créé de nouveaux espaces et de nouvelles mobilités."
"Aucun projet de développement ne peut se faire sans l’adhésion des groupes ethniques ou sociaux présents, et si des peuples sont menacés, ils n’en restent pas moins des substrats qui permettent aux nouveaux venus une adaptation et donc un syncrétisme qui continue de morceler l’Asie du Sud-Est."
-Jacques Ivanoff (ethnologue), « Des périphéries « utiles » », Moussons [En ligne], 17 | 2011, mis en ligne le 11 octobre 2012, consulté le 02 mars 2021. URL : http://journals.openedition.org/moussons/503 ; DOI : https://doi.org/10.4000/moussons.503
"Dimension composite, hétérogène, de tout paysage social [...] essai sur le territoire, Gilles Deleuze et Félix Guattari (1980 : 398) ."
-François Robinne (anthropologue), « Paysages de l’hybridité en Birmanie », Moussons [En ligne], 17 | 2011, mis en ligne le 11 octobre 2012, consulté le 03 mars 2021. URL : http://journals.openedition.org/moussons/517 ; DOI : https://doi.org/10.4000/moussons.517
https://journals.openedition.org/moussons/5207
https://journals.openedition.org/moussons/3737
https://journals.openedition.org/moussons/3494
https://journals.openedition.org/moussons/1725
https://journals.openedition.org/moussons/496
"Bien que la Thaïlande n’ait pas été colonisée stricto sensu, l’ouvrage de Tongchai Winichakul (2005) Siam Mapped, A History of the Geo-Body of a Nation, illustre parfaitement l’artificialité d’une construction idéologique, la thainess, répondant à un idéal national dont le fondement est avant tout le territoire et qui devrait être partagée par l’ensemble de ses populations (cet ensemble constituant le geo-body de la nation). Cette déconstruction du concept totalisant d’État-nation permet de comprendre certaines crises (les affrontements entre chemises jaunes et chemises rouges ou encore les conflits récurrents du sud de la Thaïlande)."
"Le rôle de l’anthropologie des frontières est donc de découvrir ce que l’éloignement au « centre » recouvre d’implications sociales, culturelles, religieuses et politiques."
"Choix de non-alignement avec l’Occident fait par U Nu dans les années 1950, et perpétué jusqu’à nos jours dans des relations de plus en plus tendues avec les puissances de l’Ouest."
"Les événements de 2009 qui ont provoqué la fuite de milliers de réfugiés kokang vers la Chine, autant que le conflit entre le gouvernement central et les sections armées du KNU [Karen National Union] entraînant chaque année des centaines de Karen [minorité chrétienne] à trouver refuge du côté de la Thaïlande."
"La région du Tenasserim, dernier « front pionnier » de Birmanie."
"[La frontière] lieu de recomposition spatiale et identitaire."
-Maxime Boutry, « Les frontières « mouvantes » de Birmanie », Moussons [En ligne], 17 | 2011, mis en ligne le 24 septembre 2012, consulté le 02 mars 2021. URL : http://journals.openedition.org/moussons/498 ; DOI : https://doi.org/10.4000/moussons.498
"[Les frontières] permettent de développer des moyens particuliers de négocier avec les centres."
"La démographie et la mondialisation des échanges mettent en péril les « accords » tacites entre centres et périphéries plus ou moins nomades, plus ou moins souples, accords qui permettaient de créer des zones tampons entre deux pays belliqueux préférant négocier avec les populations de frontières plutôt que d’entrer en guerre avec leurs voisins. Les ressources (dont le dernier avatar est la taxe douanière) sont ainsi tombées dans l’escarcelle de nombreuses minorités en Birmanie."
"[Frederik Barth ] a certes compris qu’une ethnie ne pouvait se définir que dans un ensemble de relations et que ce sont les interrelations qui créent la dynamique sociale, mais il a seulement posé une hypothèse sans répondre à la question de savoir quel était le niveau limite d’interaction nécessaire pour faire disparaître une ethnie ou un groupe."
"Les pêcheurs birmans ont besoin des Moken pour s’adapter à la mer qu’ils ne comprennent pas et un syncrétisme culturel est né dans le Tenasserim."
"(Moken de Birmanie qui s’intermarient systématiquement avec des Birmans, mais aussi Moken de Thaïlande « traditionalistes » créant ainsi deux sous-groupes à l’intérieur d’une même ethnie)."
"La longue frontière birmano-thaïlandaise facilite le renfermement, les Birmans étant cernés par toute une ceinture d’ethnies plus ou moins indépendantistes et manipulées."
"En plus d’être une première ligne, un centre d’échange, les Karen sont un moyen de négociation important, via les armées karen bouddhistes en Birmanie et (en schématisant) les Karen chrétiens en Thaïlande que l’on trouve le plus souvent dans des camps. Nous voilà donc face à une situation où une armée en Birmanie se sert des camps de réfugiés et de la frontière comme d’une première ligne de front. Mais les Karen sont victimes du développement économique (depuis la volonté de faire des corridors, chacun veut récupérer les portes d’entrée frontalières pour les taxes) de leur territoire. Les Birmans veulent s’approprier les richesses et les points de passage ; les Karen bouddhistes veulent chasser les Karen chrétiens et les Karen dans leur ensemble veulent profiter. Il y a donc des jeux d’alliances complexes bouddhistes contre chrétiens, bouddhistes contre Birmans (à l’occasion des élections du 7 novembre 2010), Thaïs contre Birmans au nom des intrusions pour poursuivre les Karen, mais aussi alliance des Karen bouddhistes et des Karen chrétiens au nom d’une ethnicité commune. Il existe donc bien un territoire négocié entre différentes factions qui s’épanouissent tout en servant l’État. Les frontières sont donc le moteur de la dynamique ethnique de certaines populations y compris jusque dans la guerre qui propose une idéologie pour unifier les positions karen contre un ennemi commun.
Le monde des Karen est un monde qui s’adapte à un territoire flexible, mobile, un État aux frontières, une gestion d’un territoire à l’image de l’ethnicité qui, s’adapte sans se renier, se rétracte ou se développe mais ne perd jamais son centre. Le territoire karen est donc un État bien utile au marchandage triangulaire ; ce marchandage est d’abord bilatéral entre la Birmanie et la Thaïlande (puis entre chacun d’eux) et entre la Thaïlande et la « communauté internationale » et enfin entre les trois acteurs, parfois même les quatre quand les Karen veulent discuter aussi."
"Lors des derniers affrontements à la frontière birmano-thaïlandaise au moment des élections birmanes du 7 novembre 2010, les autorités de ce pays ont demandé officiellement à la Thaïlande de bien vouloir accepter les réfugiés karen qui viendraient sur son sol à la suite des troubles provoqués par les Karen bouddhistes que l’armée birmane voulait réprimer (même s’il ne s’agissait que d’un conflit intra-karen). Ce à quoi la Thaïlande a répondu favorablement, montrant ainsi que, d’une part, les centres acceptent que les périphéries soient des lieux de refuge, voire de recomposition (de gouvernements provisoires, de forces armées, de recrutements) et que d’autre part aucun des acteurs n’est dupe de l’utilité du contrôle d’un territoire par un tiers. On sait alors que les relations entre la Thaïlande et la Birmanie ne sont pas aussi tendues qu’on le croient généralement et que les populations karen sont au cœur d’enjeux décidés par le centre (rappelons que les Karen contrôlent tout de même une grande partie du territoire frontalier et au moins une quinzaine de « passages » taxés7). Il s’agit en fait pour les deux de maintenir un statu quo aux frontières qui permet une autonomie relative pour développer le commerce avec un voisin nécessiteux mais ombrageux.
Les camps de réfugiés et autres migrants officiels ou non (dans des camps de transit ou non) sont autant de munitions que Bangkok peut envoyer aux Birmans, sans compter les centaines de milliers d’illégaux qui traversent la frontière. Les Karen ont ainsi une double identité, celle de révoltés défendant leur ethnicité aux frontières, dépendant des caprices de leurs deux voisins, et une source importante de revenus grâce aux checkpoint qu’ils contrôlent. Ici la « globalisation » pose un problème car on ne refuse pas l’ethnicité aux Karen8, mais les Birmans voudraient contrôler les frontières pour en tirer tous les bénéfices qui vont pour l’instant aux minorités. La globalisation et l’ouverture ont développé les flux et désormais les généraux aimeraient mettre au pas leurs marches qui autrefois leur servaient de terrain d’exercice, de zone de taxation et de recrutement forcé, une zone tampon avec les voisins qui arrangeait tout le monde."
"Depuis le coup de force de l’armée en 1990, les Birmans ont agi de deux manières différentes avec leurs minorités. Tout d’abord ils ont négocié avec elles et dix-sept cessez-le-feu ont été signés montrant ainsi qu’il faut négocier avec les frontières pour arriver à un accord. Après la chute de Khin Nyunt, le Premier ministre artisan de ces cessez-le-feu, les généraux se sont raidis et ont voulu s’approprier tout le territoire et ses richesses. Ils ont imposé aux milices et armées ethniques de se dissoudre dans les rangs d’une « brigade des frontières » sous les ordres de l’armée (tout en laissant une certaine autonomie aux ethnies). La pression était trop forte et le point de rupture atteint. Ces positions renforcent donc une identité ethnique qui se sent menacée, même si c’est uniquement dans le but de récupérer les taxes de passage (surtout de frontières) et de faire passer des drogues dans les pays voisins. Tous les accords ont alors été dénoncés car les minorités perdaient leurs ressources. Ces minorités perdaient alors les moyens de se défendre et donc de protéger leur ethnicité. Les ressources sont donc bien au cœur de la défense mais pas forcément à l’origine de l’ethnicité des frontières en Birmanie. Il est à craindre que les grands projets de développement (type port de Tavoy et corridor est-ouest) ne facilitent pas la mainmise des centres sur des périphéries qui n’en sont – ou n’en seront – plus."
"Les Kokang, à la frontière de la Chine, ont été accusés de produire de la drogue. La raison est simple: ces derniers ne voulaient pas entrer dans les brigades des frontières et perdre leurs ressources. Si le problème a été reconnu internationalement, c’est parce que la Chine voisine a demandé aux Birmans de stopper ces activités, sources de désordres et surtout de déplacements de réfugiés."
"Les Moken sont bien un peuple particulier à l’identité marquée, ils ne contrôlent pas, loin s’en faut (idéologie de la non-accumulation et de la non-compétition dans l’exploitation des ressources), la frontière. Ce contrôle, avant l’avènement de la pêche maritime dans les années 1990 (Boutry 2007b), se faisait par des entrepreneurs thaïlandais ou d’origine sino-thaïe, les tokè, qui envoyaient des flottilles exploiter les eaux et les forêts de la Birmanie du Sud. Les Môns qui ont longtemps dominé cette région n’ont d’ailleurs pas fermé la porte à leurs cousins éloignés thaïlandais. Ce furent, en toute logique, les premiers candidats à l’immigration rapprochant un peu plus le sud de la Birmanie de la Thaïlande. Nous avons assisté en temps réel (1997-2007) à l’imposition d’une frontière sur un territoire considéré comme la « propriété rituelle » des nomades, exploité par des Thaïlandais d’origine chinoise qui s’alliaient provisoirement aux nomades. Les Birmans ont cependant voulu faire des essais socio-économiques. La frontière est un laboratoire d’essais pour des centres figés. La liberté de mouvement et de pratique étant très limitée en Birmanie, le sud était le lieu idéal de l’expérimentation, celle qui consistait à tenter de privatiser un secteur entier (Boutry 2007b). Mais, là encore, inscrivons ces politiques économiques contemporaines et libérales dans le long terme car la privatisation de la filière pêche en 1994 ne faisait que répondre à une dynamique prête à être lancée, celle de la colonisation des fronts pionniers, fussent-ils marins. Les premières alliances économiques de la Birmanie avec la Malaisie permirent de former des capitaines qui commencèrent l’exploitation des ressources halieutiques, domaine réservé des Thaïlandais autrefois. L’expérience acquise par les Birmans en Malaisie, l’association remarquable avec les nomades (intermariages généralisés) liée à un impossible ou très difficile retour, a permis la domination des marches par des centaines de milliers de Birmans devenus des pêcheurs ou s’installant sur les littoraux (Boutry 2011).
En quelques années, la Birmanie s’est approprié sa mer et son littoral si longtemps oublié et en trois décennies quatre millions de Birmans ont donné à la Thaïlande un nouveau visage et transformé le sud en une plaque tournante pour les candidats à la migration, mais aussi sujets aux trafics."
"Privatisation de la filière pêche à la frontière birmano-thaïlandaise qui a créé de nouveaux groupes sociaux et segmenté la société nomade tout en se combinant avec des réseaux transfrontaliers de travailleurs migrants. Ainsi, en voulant contrôler les ressources et dominer l’environnement pour contrôler ses marges, les États ont en fait créé de nouveaux espaces et de nouvelles mobilités."
"Aucun projet de développement ne peut se faire sans l’adhésion des groupes ethniques ou sociaux présents, et si des peuples sont menacés, ils n’en restent pas moins des substrats qui permettent aux nouveaux venus une adaptation et donc un syncrétisme qui continue de morceler l’Asie du Sud-Est."
-Jacques Ivanoff (ethnologue), « Des périphéries « utiles » », Moussons [En ligne], 17 | 2011, mis en ligne le 11 octobre 2012, consulté le 02 mars 2021. URL : http://journals.openedition.org/moussons/503 ; DOI : https://doi.org/10.4000/moussons.503
"Dimension composite, hétérogène, de tout paysage social [...] essai sur le territoire, Gilles Deleuze et Félix Guattari (1980 : 398) ."
-François Robinne (anthropologue), « Paysages de l’hybridité en Birmanie », Moussons [En ligne], 17 | 2011, mis en ligne le 11 octobre 2012, consulté le 03 mars 2021. URL : http://journals.openedition.org/moussons/517 ; DOI : https://doi.org/10.4000/moussons.517
https://journals.openedition.org/moussons/5207
https://journals.openedition.org/moussons/3737
https://journals.openedition.org/moussons/3494
https://journals.openedition.org/moussons/1725