"
(pp.8-9)
"
(pp.10-11)
"
(p.11)
"
(p.13)
"Le même Briand avançait un peu [avant 1926] aux Allemands, en référence à leur signature du traité de Rapallo avec l'URSS quelques années plus tôt: "Vous avez le choix entre deux conceptions: celle de la solidarité avec la communauté européenne et celle de la complicité avec les Soviets... Réfléchissez ; vous êtes comme Hercule au carrefour du vice et de la vertu"." (p.21)
"Le Plan Marshall permettait de sortir les Etats-Unis de la crise économique de 1948-1949, de sauver le capitalisme européen affaibli par la guerre, d'endiguer le mouvement social en Europe occidentale, d'intensifier l'infiltration de l'économie américaine dans l'économie ouest-européenne. Il fallait que la reconstruction de l'Europe se fit avec les Etats-Unis et que ce processus orientât durablement l'économie européenne vers l'Atlantique. Cet investissement politique à long terme a aussi des répercussions économiques bénéfiques pour les USA à moyen terme: entre 1948-1951, les investissements privés à l'étranger ont été multipliés par plus de deux alors que les revenus transférés vers les Etats-Unis triplent quasiment." (pp.32-33)
"L' "ouverture des frontières", comprenez l'abaissement des droits de douane sur la plupart des marchandises, est le seul objectif du Traité de Rome qui ait été réalisé avant l'heure. Commencé le 1er janvier 1959, ce "désarmement douanier" devait être parachevé en 1970 mais tout fut terminé dès juillet 1968. Grâce à cette libre circulation des marchandises et des capitaux, les multinationales trouvaient enfin le moyen de faire jouer les différentiels en matière de protection sociale, de condition fiscale [...] entre les pays tout en ayant accès au marché des Six. C'est aussi la possibilité offerte aux grandes entreprises américaines d'approfondir leur pénétration du marché européen." (p.47)
"Les investissements directs des USA dans la CEE passent de deux milliards de dollars en 1958 à plus de neuf milliards en 1969." (note 48 p.47)
"La réalisation du Marché commun a accentué la prépondérance industrielle allemande. La CEE permet aux capitaux allemands d'élargir leur pénétration aux partenaires européens de la RFA mais aussi aux pays colonisés qui leur étaient restés fermés depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Ainsi, sur une période de seulement 10 ans -entre 1959 et 1969-, le taux de couverture des importations allemandes en France par les exportations françaises en FRA est passé de 100% à 80%. Cette intégration économique contribue aussi à renforcer la sous-industrialisation des zones périphériques que sont l'ouest français ou le sud italien." (p.48)
"Mobilisation idéologique conséquente autour du référendum sur l'adhésion des nouveaux membres le 23 avril 1972. Seul le PCF appelle à voter non alors que les gaullistes, les libéraux, les démocrates-chrétiens et les centristes soutiennent le oui (les socialistes, en pleine recomposition, s'abstiennent)." (p.53)
"Le 1er janvier 1973, le premier élargissement fait donc passer les Communautés de six à neuf membres en intégrant l'Irlande, le Royaume-Uni, le Danemark. Les frontières économiques qui étaient devenues trop petites pour les monopoles sont donc repoussées. De plus, l'entrée des Britanniques renforce l'ancrage atlantique de la Communauté, au niveau militaire, politique et économique." (p.55)
"De tout temps, la construction européenne s'est faite dans le dos des peuples et dans le secret des cabinets. [...] Les Français n'ayant eu mot à dire ni pour le Traité d'Amsterdam (signé en 1997), ni pour celui de Nice (signé en 2001), ni sur le sujet pourtant primordial de l'élargissement (effectif en 2004)." (pp.64-65)
"Malgré la pression et la peur entretenues au plus haut niveau, à la veille du 29 mai [2005], la lutte idéologique avait atteint son paroxysme. Les citoyens s'étaient approprié la question politique comme jamais depuis les années 1970. Le résultat fut à la hauteur des espérances: un vote de classe comme on en avait plus vu depuis trente ans. Le NON fut écrasant chez les ouvriers (79% se prononcèrent contre), chez les employés (67%), chez les chômeurs (71%) et chez les agriculteurs (70%). A l'inverse, les artisans, commerçants et chefs d'entreprise ne furent que 51% à voter NON (contre 55% au plan national), les professions libérales et les cadres supérieures votèrent quant à eux à plus de 61% en faveur du OUI, de même que 63% des foyers dont le revenu mensuel est supérieur à 3000 euros net." (p.66)
"Ségolène Royal proposait carrément un nouveau référendum sur le même texte." (p.69)
"La résistance des populations dans le cadre national, qui est encore le plus favorable à leurs revendications sociales, reste toujours la meilleure solution. Nous devons continuer à la promouvoir contre toutes les formes d'attaques à leur souveraineté." (p.78)
"
(pp.80-81)
"
(p.82)
"
(pp.86-87)
"
(p.89)
"
(pp.90-91)
"C'est aller totalement à l'encontre de l'intérêt des peuples, des travailleurs de chaque pays que de chercher à légitimer ou relégitimer une structure dont les institutions, quasiment inaccessibles, sont conçues contre eux, à un niveau où le rapport de forces est le plus défavorable et où les dés sont pipés dès le départ. Comment interpréter alors la volonté de ceux qui poussent à aller vers "plus d'Europe" si ce n'est en affirmant que leurs intérêts sont tout à fait convergents avec ceux du patronat ?" (p.96)
"L'Acte Unique, adopté en 1986 [...] constitue en quelque sorte les prémices indispensables du Traité de Maastricht. De là, remettant en selle le principe de la majorité pour les décisions du Conseil des ministres, et étendant ses compétences aux domaines stratégiques tels que les politiques économiques et monétaires, ce texte donne toute latitude aux organes de la nouvelle "Union Européenne" pour mettre en place une action globale. D'un point de vue politique, il n'est pas inintéressant de constater que cette accélération de la construction européenne s'est faite simultanément au grand reflux du mouvement progressiste dans lequel nous évoluons encore [...] Les deux événements étant liés parce qu'ils permirent la pérennisation de la loi du profit maximum à destination d'un nombre toujours plus restreint de possédants." (pp.98-99)
"
(pp.100-101)
"
(pp.102-103)
"Pour le patronat français, rendre à l'actionnariat privé ces deux moteurs de l'économie française [l'électricité et le gaz] est un doux rêve qui berce les nuits de ses représentants depuis bien longtemps. Cependant des obstacles de taille se posent. En premier lieu, la nationalisation de ces outils est un acquis de 1946, année pendant laquelle Marcel Paul, ministre communiste de la Production industrielle, en réalisation des décisions prises par le Conseil National de la Résistance, rendait au pays les moyens de son rétablissement et de son développement. Toucher à cela c'était prendre le risque de ranimer le passé, la collaboration des industriels, et cela était à éviter à tout prix. En second lieu parce qu'EDF-GFD est une entreprise d'excellence, reconnue dans le monde entier pour son savoir-faire aussi bien pour la distribution, la production -nucléaire et hydroélectricité- et l'activité de ses agents. Enfin, elle répond parfaitement à sa mission de service public, raccordant tous les coins de France sans traitement de faveur ni logique de profit. Ses prix sont d'ailleurs les moins chers qui soient.
Pour la bourgeoisie française, le problème restera donc longtemps insoluble: comment faire accepter que l'on casse ce qui se fait de mieux, au motif qu'il est impossible d'en tirer des profits ? Bruxelles sera la solution dès lors que l'Acte Unique (1986), puis Maastricht à sa suite, sera en place. En 1989 est votée la directive dite "Transit", établissant la libre circulation de l'électricité dans l'UE. En juin 1998 une directive identique voit le jour pour le gaz. En France cependant, parce que salariés et usagers connaissent les dangers de la privatisation, la transposition en droit national va prendre plusieurs années et ne sera achevée qu'en 2000 et 2003. Puis en juin 2003, deux nouvelles directives s'attaquent aux structures mêmes de l'entreprise, imposant une séparation plus nette des activités. Dans ce cadre, en 2000, les activités de distribution furent filialisées pour l'électricité (ce qui donnera Réseau de Transport d'Electricité (RTE). En 2005 ce sera le tour de GDF. La nouvelle filiale s'appelle désormais Gaz de France Réseau Transports (GRFT). Le but est à peine caché: on ne parvient pas à faire rentrer les spéculateurs dans cette forteresse unique, il faut donc la casser en bloc, diviser pour mieux régner. D'abord pour les entreprises (les plus grosses en priorité), puis pour les particuliers. Enfin, la possibilité de subvention publique est fortement restreinte.
Avec le changement de statut des entreprises, les faisant passer d'Établissements Publics à caractère Industriels et Commercial (EPIC) à Sociétés Anonymes (c'est-à-dire de droit privé même si elles restent pour le moment contrôlées par l'Etat) le dernier pas vers la privatisation était franchi. Ce sera le cas avec la loi du 9 aout 2004. [...] En 2004, GDF devenue SA ouvre son capital à hauteur de 21.2%. En 2005, ce sera au tour d'EDF (12.7%). Les deux entreprises sont désormais cotées en bourse, laissant les 27.6 millions d'usagers (devenus "clients") à la merci de n'importe quelle bulle spéculative. Les prix restent pour le moment toujours régulés, mais, afin de satisfaire les actionnaires, plus de 11 millions de ménages ont vu leurs notes de gaz augmenter de 7.9% en 2005 et 15.8% en 2006 (mais 24% pour chacune des deux années pour les professionnels). Dans le même temps, les dividendes s'élevaient à plus d'un milliard d'euros la première année.
En 2007, avec l'ouverture à la concurrence voulue par Bruxelles, a débuté la disparition pure et simple des tarifs régulés. [...]
La privatisation complète de GDF sera achevée avec la fusion GDF/Suez en 2008. [...]
Augmentations massives des factures, baisses importantes de qualité, coupures massives d'électricité [...] dysfonctionnements dues à la dissociation des activités de production, de distribution et de transport sont le prix à payer pour contenter les requins du Palais Brongniart et leurs agents de la Commission européenne." (pp.104-107)
"Au sein de l'Union Européenne, "l'établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur" est un domaine exclusif de l'Union. Dans ce cadre, elle empêche tout gouvernement de recapitaliser ou simplement d'investir dans une société, si cela conduit à interférer dans la situation concurrentielle du secteur. Or, par définition, un monopole public et des tarifs régulés ne répondent pas tout à fait à ces exigences ! C'est là-dessus que s'appuiera le gouvernement Villepin en octobre 2005 pour faire entrer massivement les fonds d'investissements Butler et Veolia Transport dans le capital de la SNCM (Société Nationale maritime Corse Méditerranée)." (p.107)
"Depuis 1986, ce sont plus de 3000 entreprises qui ont été bradées au privé, phénomènes toujours accompagnés de leur lot de restructurations. On chiffre à plus de 100 milliards d'euros les biens de la nation abandonnés à la spéculation, souvent vendus bien en dessous de leur valeur." (p.108)
"Curieusement [le critère de 3% de déficit par rapport au PIB prévu par le Pacte de Stabilité et de Croissance de 1997 a été] de facto abandonné lorsqu'il s'est agi d'engager des procédures de rétorsion en 2003 contre... l'Allemagne." (pp.120-121)
"Le marché commun est à l'origine d'un dumping fiscal sans nom. L'impôt sur les sociétés voit son taux chuter dans la plupart des pays de l'Union. En France, il est passé de 50% en 1985 à 33.3% en 1993. Mais l'entrée des petits pays dans la Communauté européenne tend à accentuer le processus. En Irlande il est de 12.5%, au Luxembourg de 20%, en Estonie il est même de 0%. Il en est de même pour l'impôt sur le revenu, qui voit son taux diminuer pour les plus riches et augmenter pour les autres. Au Luxembourg et aux Pays-Bas, l'impôt sur la fortune a tout bonnement disparu en 2006 et 2001. Néanmoins, le budget de l'Etat ne peut pas décroître sans conséquence et la réduction de ces impôts, pourtant les plus justes, a souvent dû être compensée par l'augmentation de la TVA et des taxes locales qui touchent en particulier les ménages les plus modestes. On notera que la TVA est d'ailleurs la seule contribution à avoir un plancher européen, fixé à 15%. Mais après tout, le président de la commission Europe du MEDEF ne déclarait-il pas le 21 juin 2007 dans les pages du Figaro que "la concurrence par les taux d'imposition est une bonne chose", "d'une manière ou d'une autre nous devrons nous aligner sur le mieux-disant"." (p.125)
-Benjamin Landais, Aymeric Monville & Pierre Yaghlekdjian, L'idéologie européenne, Éditions Aden, 2008, 391 pages.