https://www.cairn.info/revue-de-philosophie-economique-2012-2-page-3.htm
"Le socialisme libéral n’est pas une doctrine unifiée et cohérente mais plutôt une étiquette qui permet de ranger sous un même nom un ensemble de mesures redistributives qui partagent une affinité d’esprit, à savoir produire une certaine protection sociale tout en respectant les libertés individuelles. Je défendrai l’idée que la théorie républicaine est en mesure d’offrir des justifications politiques plus solides à ces mesures, mais qu’elle ne peut le faire qu’en intégrant à ces justifications une dimension économique.
En rupture avec les thèses défendues par Pettit dans son article « Freedom in the Market » (Pettit 2006), je suggérerai que la poursuite de l’idéal républicain, c’est-à-dire la promotion de la liberté comme non-domination, nécessite d’intégrer aux conditions républicaines du marché une forme d’égalité matérielle assise sur une propriété publique des ressources naturelles se traduisant par un « revenu de citoyenneté »."
"La « non-domination » est donc un idéal politique qui prend la forme d’un idéal communautaire, en ce qu’elle est un bien à la fois social et commun qui nécessite institutions et régulations politiques pour être défendue : « La liberté comme non-domination exige la liberté dans la cité, pas une liberté dans le désert » (Pettit 2004, p. 162)."
"Pour Pettit, il est probable que l’idéal de la liberté comme non-domination est en réalité le but que poursuit le renversement du mode de fonctionnement capitaliste de la société, en aucun cas ce renversement n’est un idéal en soi. C’est bien, affirme Pettit, pour accéder à des formes d’autonomie dans le travail et ne plus être placés dans « un état de sujetion vis-à-vis de leurs maîtres » que nombre d’ouvriers embrassèrent l’idéal socialiste dès la fin du XIX e siècle. En ce sens, sans en retenir forcément les moyens, le républicanisme peut partager une même fin que celle qui pousse certains à adopter l’idéal socialiste. J’aimerais suggérer au contraire que certains moyens « socialistes » sont en fait rendus nécessaires par les exigences mêmes que l’idéal républicain fait peser sur le marché et son fonctionnement."
"Pour que le face-à-face entre individus, guidés par leurs intérêts, puisse toujours se produire de façon fluide, et pour autant « entre égaux », il est sans doute préférable de privilégier une stratégie de réciprocité des pouvoirs, dont le mécanisme d’allocation universelle et inconditionnelle d’un « revenu citoyen » pourrait être une bonne application (White 2003). Il s’agit donc, par ce biais, de mettre en avant un égalitarisme matériel auquel Pettit refuse d’accorder une place dans son républicanisme."
"La position prioritariste, rappelle Parfit, suggère que des avantages doivent être accordés aux individus dans la mesure où ils occupent une position jugée par elle-même défavorable (Parfit 1997). Ainsi, le prioritarisme doit être distingué de l’égalitarisme."
"Les revenus de l’État, issus d’une richesse commune objectivement déterminée (celle de la terre qui, non produite, appartient également à tous et qui, parce que rare, est bien une richesse et non un « don » gratuit de la nature), sont transformés dans l’optique walrassienne en services publics qui permettent de réaliser la solidarité au fondement de la communauté. On pourrait envisager que cette traduction en services publics soit remplacée par ou couplée à l’octroi d’un capital (Paine 1995 ; Ackerman et Alstot 1999) ou d’un revenu (White 2003) pour tous les citoyens afin de les « armer » en vue de faciliter leur participation au jeu du marché, ou, au contraire, leur retrait de ce même jeu si besoin."
"Le marché, tel qu’envisagé par Léon Walras, comporte bien un volet égalitariste matériel justifié par un objectif républicain : la propriété publique des ressources naturelles en vue de favoriser une citoyenneté effective. Ainsi, la condition de l’égalitarisme matériel (la propriété publique) se confond avec la définition même du citoyen, puisque c’est au titre de citoyen (membre de l’État) que tout individu a droit à une part du revenu de l’État, revenu qui est lui-même la manifestation du caractère commun des richesses naturelles. [...]
Si le revenu d’existence financé par les ressources communes a pu connaître une certaine faveur chez les républicains radicaux du XVIII e siècle, de Condorcet à Paine, l’une des raisons avancée était qu’un tel mécanisme permettait un équilibrage ex ante de la relation marchande, économisant de trop nombreuses irruptions de l’Etat dans les relations marchandes et dans la circulation de la richesse, par le jeu d’une répartition primaire de la richesse. Par là, jugeaient-ils, l’individu se voyait préservé de toute interférence redistributive de l’Etat, jugée abusive, voire arbitraire."
-Vincent Bourdeau, « Le marché des égaux : un aspect socialiste de l'échange républicain », Revue de philosophie économique, 2012/2 (Vol. 13), p. 3-23. DOI : 10.3917/rpec.132.0003. URL : https://www.cairn.info/revue-de-philosophie-economique-2012-2-page-3.htm
"Le socialisme libéral n’est pas une doctrine unifiée et cohérente mais plutôt une étiquette qui permet de ranger sous un même nom un ensemble de mesures redistributives qui partagent une affinité d’esprit, à savoir produire une certaine protection sociale tout en respectant les libertés individuelles. Je défendrai l’idée que la théorie républicaine est en mesure d’offrir des justifications politiques plus solides à ces mesures, mais qu’elle ne peut le faire qu’en intégrant à ces justifications une dimension économique.
En rupture avec les thèses défendues par Pettit dans son article « Freedom in the Market » (Pettit 2006), je suggérerai que la poursuite de l’idéal républicain, c’est-à-dire la promotion de la liberté comme non-domination, nécessite d’intégrer aux conditions républicaines du marché une forme d’égalité matérielle assise sur une propriété publique des ressources naturelles se traduisant par un « revenu de citoyenneté »."
"La « non-domination » est donc un idéal politique qui prend la forme d’un idéal communautaire, en ce qu’elle est un bien à la fois social et commun qui nécessite institutions et régulations politiques pour être défendue : « La liberté comme non-domination exige la liberté dans la cité, pas une liberté dans le désert » (Pettit 2004, p. 162)."
"Pour Pettit, il est probable que l’idéal de la liberté comme non-domination est en réalité le but que poursuit le renversement du mode de fonctionnement capitaliste de la société, en aucun cas ce renversement n’est un idéal en soi. C’est bien, affirme Pettit, pour accéder à des formes d’autonomie dans le travail et ne plus être placés dans « un état de sujetion vis-à-vis de leurs maîtres » que nombre d’ouvriers embrassèrent l’idéal socialiste dès la fin du XIX e siècle. En ce sens, sans en retenir forcément les moyens, le républicanisme peut partager une même fin que celle qui pousse certains à adopter l’idéal socialiste. J’aimerais suggérer au contraire que certains moyens « socialistes » sont en fait rendus nécessaires par les exigences mêmes que l’idéal républicain fait peser sur le marché et son fonctionnement."
"Pour que le face-à-face entre individus, guidés par leurs intérêts, puisse toujours se produire de façon fluide, et pour autant « entre égaux », il est sans doute préférable de privilégier une stratégie de réciprocité des pouvoirs, dont le mécanisme d’allocation universelle et inconditionnelle d’un « revenu citoyen » pourrait être une bonne application (White 2003). Il s’agit donc, par ce biais, de mettre en avant un égalitarisme matériel auquel Pettit refuse d’accorder une place dans son républicanisme."
"La position prioritariste, rappelle Parfit, suggère que des avantages doivent être accordés aux individus dans la mesure où ils occupent une position jugée par elle-même défavorable (Parfit 1997). Ainsi, le prioritarisme doit être distingué de l’égalitarisme."
"Les revenus de l’État, issus d’une richesse commune objectivement déterminée (celle de la terre qui, non produite, appartient également à tous et qui, parce que rare, est bien une richesse et non un « don » gratuit de la nature), sont transformés dans l’optique walrassienne en services publics qui permettent de réaliser la solidarité au fondement de la communauté. On pourrait envisager que cette traduction en services publics soit remplacée par ou couplée à l’octroi d’un capital (Paine 1995 ; Ackerman et Alstot 1999) ou d’un revenu (White 2003) pour tous les citoyens afin de les « armer » en vue de faciliter leur participation au jeu du marché, ou, au contraire, leur retrait de ce même jeu si besoin."
"Le marché, tel qu’envisagé par Léon Walras, comporte bien un volet égalitariste matériel justifié par un objectif républicain : la propriété publique des ressources naturelles en vue de favoriser une citoyenneté effective. Ainsi, la condition de l’égalitarisme matériel (la propriété publique) se confond avec la définition même du citoyen, puisque c’est au titre de citoyen (membre de l’État) que tout individu a droit à une part du revenu de l’État, revenu qui est lui-même la manifestation du caractère commun des richesses naturelles. [...]
Si le revenu d’existence financé par les ressources communes a pu connaître une certaine faveur chez les républicains radicaux du XVIII e siècle, de Condorcet à Paine, l’une des raisons avancée était qu’un tel mécanisme permettait un équilibrage ex ante de la relation marchande, économisant de trop nombreuses irruptions de l’Etat dans les relations marchandes et dans la circulation de la richesse, par le jeu d’une répartition primaire de la richesse. Par là, jugeaient-ils, l’individu se voyait préservé de toute interférence redistributive de l’Etat, jugée abusive, voire arbitraire."
-Vincent Bourdeau, « Le marché des égaux : un aspect socialiste de l'échange républicain », Revue de philosophie économique, 2012/2 (Vol. 13), p. 3-23. DOI : 10.3917/rpec.132.0003. URL : https://www.cairn.info/revue-de-philosophie-economique-2012-2-page-3.htm